Sa septième année à Poudlard prendrait donc fin demain, après une soirée aux allures de premières fois. Si Casey s’était déjà rendue à certains des événements organisés par l’école, rien n’avait jamais ressemblé à cette fête clandestine au sein de la Cabane Hurlante. Alcool, adolescents désinvoltes et éméchés, jeux en tout genre, et même une piscine… La Serdaigle, qui avait mis un point d’honneur, des années durant, à éviter ses pairs et toutes les formes possibles et inimaginables de lâcher prise s’était retrouvée immergée dans le plus brutal qui soit. Ça aurait pu être déstabilisant, et ça l’avait été, mais pas de la pire manière envisageable. Le film de ces dernières heures lui paraissait bien flou, comme passé en accéléré dans un esprit en proie aux dernières limbes d’une ivresse presque commune. Paradoxalement, si elle mettait le film sur pause, les scènes se dessinaient avec une précision d’une netteté parfaite. Présentement, elle se laissait cependant balloter de droite à gauche au gré de ce qui lui venait en tête, sans chercher à fixer son attention sur quoi que ce soit.

Après avoir souhaité une bonne nuit à ses amis, Casey n’était pas retournée dans sa Salle Commune, errant en silence dans les couloirs vides de toute présence. Il y avait cette étrange mélodie mélancolique qui ne la quittait plus vraiment depuis quelques temps. Ce n’était pas bien compliqué de comprendre d’où elle venait, mais, fidèle à elle-même, la jeune femme préférait se voiler encore un peu la face et se perdre dans la contemplation de l’arbre centenaire qui ombrageait la cour intérieure. Le dos appuyé contre le mur en pierre, ses jambes étendues devant elle, le visage tourné vers l’extérieur, elle était assise sous les arcades qui bordaient le patio depuis un temps indéfini. Une légère brise estivale apportait avec elle le parfum d’un été à venir et faisait onduler le tissu de son kimono sur sa peau. Le lieu était paisible, propice à une torpeur paisible qui l’engourdissait toute entière. L’alcool bu au fil de la soirée n’était peut-être pas étranger à cette sensation lourde qui pesait sur ses paupières.

Casey n’était peut-être plus très loin de s’assoupir, ses pensées se faisant de plus en plus rêveuses, de plus en plus chimériques, quand des gloussements l’arrachèrent à sa léthargie. Fouillant les alentours, elle distingua finalement, de l’autre côté de la cour et de ses arcades, deux silhouettes enchevêtrées. Sûrement un couple qui revenait de la soirée et qui en profitait pour braver un peu plus le règlement intérieur de l’école en batifolant dans les couloirs. Avec un soupir, elle se laissa retomber contre la pierre, choisissant de ne pas bouger tant que le couple ne venait pas plus que ça dans sa direction. Elle était bien, à cette place, suffisamment pour ne pas avoir envie de la fuir alors que les deux nouveaux venus ne faisaient peut-être que passer.

C’étaient ses plans, du moins, jusqu’à ce qu’une voix plus grave et plus mature ne trouble le silence ponctué de ces rires étouffés. Quelques mots furent prononcés que Casey ne démêla pas, mais peu importe, ce qu’elle entendait lui suffisait à comprendre qu’un adulte venait d’apostropher le binôme, là-bas. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour qu’elle se retrouve à son tour prise dans les filets du règlement, et même s’ils étaient à la fin de l’année scolaire et qu’une punition était peu vraisemblable, la brune n’avait tout simplement pas envie de croiser qui que ce soit. S’éloigner à grandes enjambées, elle bifurque dans un couloir, s’éloignant des ennuis. C’était en tout cas ce qu’elle croyait. Des bruits de pas précipités la font se retourner, une silhouette adolescente se découpe non loin d’elle, s’arrêtant net en la voyant. Il devait se demander s’il s’agissait d’une enseignante mais constata bien vite que ça n’était qu’une autre élève. Derrière lui, l’enseignant déterminé à mettre la main sur ce maraudeur venait dans leur direction.

Il y eut quelques secondes de flottement, Casey fouillant les alentours à la recherche d’une solution. D’un côté du couloir, un adulte qui ne tarderait pas à arriver, et de l’autre, une longue allée parsemée de torches tremblotantes qui n’offrait pas la moindre échappatoire. Par ici ! À quelques mètres, un immense portrait leur faisait signe, sourire en coin. Pas le temps de tergiverser, et puis, qu’avaient-ils à perdre ? Le tableau pivota, dévoilant ce qui avait dû être un placard à balais avant de devenir l’endroit où l’on avait accroché cette immense toile. Casey s’y glissa, suivie de son camarade, le bois se referma sur eux, les masquant à la vue de l’adulte. Retenant un soupir, ravalant l’angoisse sourde qui l’étreignait déjà à l’idée de se retrouver dans un endroit aussi exigu et aussi sombre, se rassurant en se disant que ça n’était que l’histoire de quelques secondes, quelques minutes tout au plus, Casey plongea son regard cobalt dans celui de son camarade, ses yeux s’habituant suffisamment à l’obscurité pour discerner des traits, des prunelles, un sourire… et reconnaître finalement à qui ils appartenaient. Peut-être que, finalement, se faire sévèrement reprendre par un enseignant n’était pas si pire, comparé à ce qui s’annonçait sans trop de doute.

Farceurs, râleurs, indifférents ou curieux, observateurs ou accusateurs, les portraits de Poudlard étaient aussi nombreux que leurs différences. Elle les découvrait ce soir plein de ressources : que leur échappatoire provienne de l’un de ces immenses tableaux, c’était une première, et une surprise de taille. Néanmoins, Casey s’engouffre sans trop réfléchir dans cette cachette salutaire, exiguë et plongée dans la pénombre, qui l’enferme en compagnie d’un autre camarade, lui aussi coupable de braver le règlement. Si elle ne distingue rien les premières secondes, ses yeux s’adaptent assez rapidement à l’obscurité, aidés par la très faible lueur qui s’infiltrait par les interstices entre les pierres du château et le cadre du tableau. Un tressaillement bref alors que l’autre fuyard la frôle et un second frisson prolongé au moment où elle reconnaît Caleb Avery.

Un bref instant, elle considère les options qui s’offrent à elle. Rester ici n’avait rien pour lui plaire, mais se retrouver face à un enseignant ainsi vêtue, à cette heure-là de la nuit, non plus. Inspirant lentement pour calmer une panique passagère, elle tourne la tête vers la cloison qui les séparaient du couloir. Ils n’en avaient que pour quelques minutes, après tout. Le temps pour le professeur à la recherche de ces élèves égarés de fouiller le couloir et de disparaître en maugréant. Elle pouvait tenir quelques minutes, si elle ne se focalisait pas sur ce contact, inévitable vu l’étroitesse de ce placard. Chaque mouvement risquait de provoquer un frôlement, et si lui semblait s’en ficher, ça n’était pas le cas de la brune, qui aurait apprécié un peu de distance.

D’une voix basse, il accroche l’attention de Casey. Elle pouvait presque entendre le sourire qui dansait dans son ton et qu’elle percevait entre les ombres de son visage. Caleb consent-elle à dire, salutation succincte, preuve de quelque chose qui avait longtemps été oublié. Les souvenirs revenus en sa possession menaçaient d’affronter tous ceux qui avaient été construits cette année. Parce que sa mémoire trouée ne se rappelant pas des quelques moments qui avaient fait se rencontrer leurs chemins respectifs, elle s’était tout simplement contentée d’ignorer ce garçon trop prétentieux, fêtard et dragueur à ses yeux qui avait pourtant bien tenté, une fois ou deux, d’entamer une conversation rapidement avortée par la froideur polaire de la Serdaigle. Et maintenant ?

Sans ciller, sans broncher, elle soutient aussi bien son regard à moitié dévoré par la pénombre que l’accusation contenue dans ses propos. Il s’agite, ses jambes effleurant les siennes, puis, une formule plus tard, un rayon lumineux les arrache à cette obscurité aussi salvatrice que inquiétante. C’est qu’il lui faudrait pourtant s’habituer à ne plus voir de ses yeux ses interlocuteurs, et se contenter de ses autres sens, car bientôt, très bientôt, tout cela ne lui serait plus possible.

Casey ne le lâche pas des yeux alors qu’il la détaille sans pudeur, son corps noué d’une tension qui s’exprime toute entière dans ses prunelles cobalt. Compliqué ne veut pas dire impossible réplique-t-elle avec une dureté glaciale. Qu’il égare encore une fois son regard loin du sien, pour se perdre n’importe où ailleurs, et elle tâcherait de lui prouver ses dires. Elle savait, elle se rappelait très bien la gentillesse dont il avait fait preuve de nombreuses fois à son égard, cette porte sur ses faiblesses qu’elle avait ouverte en sa compagnie, bien des fois. Ils n’avaient jamais été proches, n’avaient jamais été amis, avaient tout simplement ponctué la vie de l’autre de différentes façons. De façons positives. Et si la jeune femme savait que son comportement, cette année, eut égard de la dernière soirée qu’ils avaient partagée, pouvait sembler méprisant et brutal, elle n’appréciait guère de devoir faire ainsi face à ses contradictions.

Tu raccompagnais ta conquête du soir jusque sa Salle Commune ? demanda-t-elle, toujours à voix basse, notant sa tenue et faisant le lien avec le couple qu’elle avait aperçu de l’autre côté des arcades. C’est que, chez elle, les silences en disaient bien plus que les mots, et mener la conversation pourrait lui éviter de la voir dévier sur ce qu’elle souhaitait éluder. Oh, les intentions du jeune homme transparaissaient dans son sourire et son regard, elle ne se méprenait pas là-dessus. Mais gagner du temps lui permettrait peut-être de pouvoir s’échapper avant d’avoir à se justifier. Ça aurait pourtant été plus simple que tout : expliquer son amnésie partielle, les souvenirs troués, s’excuser de l’avoir ignoré. Mais ça aurait été mettre en avant une faiblesse et il ne lui était toujours pas aisé de s’ouvrir ainsi.

Une seconde suspendue dans une tension glaciale avant que Caleb ne s’écarte autant que possible de Casey qui inspire en silence une grande bouffée de cet air au parfum de renfermé, comme si elle était restée en apnée tout ce temps. Il n’y avait nulle peur, nulle inquiétude face au Serpentard : s’il n’était pas un ami, tout juste une vague connaissance, la brune en avait assez vu de lui pour ne pas en venir à le craindre. Il n’avait pas un mauvais fond et lui faisait énormément penser à Carter, par bien des aspects : deux adolescents qui couraient après les filles et se montraient plus idiots que la moyenne, alors même qu’il y avait bien plus à découvrir, lorsqu’on délaissait un peu les apparences. Face à face dans cet espace étriqué, même le mouvement de recul du jeune homme ne parvenait pas à les éloigner efficacement, et Casey ne pouvait ignorer le regard qu’il rivait sur elle. La faible lueur de son Lumos les enveloppait toujours, suffisamment pour éclairer leurs visages, pas assez pour ôter toutes les ombres qui masquaient quelques uns de leurs traits.

La nuit était déjà loin derrière eux et la fatigue associée commençait doucement à se faire sentir chez la brune. Seule, sous cette arcade, à contempler le ciel et à se perdre dans ses pensées, il avait été aisé d’oublier qu’elle était épuisé. Coincée dans ce placard à balais secret avec Caleb, il lui fallait une énergie importante pour conserver son air impassible et implacable. C’était probablement ce manque de sommeil et la soirée qu’elle venait de vivre qui joua avec ses nerfs et la poussa à briser le silence. Ca, et le fait qu’il était bien plus aisé pour elle de mener une conversation sans aucun intérêt plutôt que d’affronter les reproches qu’elle pouvait lire dans le regard de son camarade. Caleb se montra surpris de ses mots, créant le même étonnement chez la Serdaigle. Ce n’était donc pas lui, en compagnie de cette fille dont elle n’avait rien discerné d’autre que le rire et la chevelure ? Cela ne changeait pas grand chose, à ses yeux, hormis peut-être la possibilité de le laisser parler longuement de sa conquête et d’éviter ainsi le sujet qui planait au-dessus d’eux.

Puisqu’il n’y avait pas de conquête, néanmoins, cette option n’était plus valable. Ainsi, Caleb avait préféré assurer jusqu’au bout ses obligations d’organisateur plutôt que de rentrer en compagnie d’une jeune demoiselle. Et au fond, cela n’étonnait guère Casey. Loin des airs qu’ils se donnaient dans les couloirs de Poudlard, il avait toujours prouvé qu’il était de ceux sur qui on pouvait compter. Bien évidemment, aux yeux de la brune, accorder sa confiance nécessitait bien plus que quelques instants volés dans une vie, mais pour des adolescents moins abîmés par la vie, elle ne doutait pas qu’il soit facile de trouver en lui un allié. C’est tout à ton honneur nota-t-elle en chuchotant toujours, ses traits toujours teintés d’indifférence, malgré le sourire en coin qu’arborait Caleb. La joie était contagieuse pour bien des gens, Casey s’en gardait bien, trop habituée à dresser ses défenses pour les abaisser face au premier sourire venu.

Si elle pensait qu’il lui retournerait la question, elle se trompait lourdement. Les acquis sociaux n’étaient pas encore quelque chose qu’elle maîtrisait à la perfection, mais elle était tout de même surprise de voir qu’il préférait en venir frontalement à cette distance qu’elle avait affectée toute l’année plutôt que de se perdre en banalités affligeantes. Mâchoire crispée, elle tourne un instant la tête vers leur seule porte de sortie, derrière laquelle la voix d’un adulte provient encore. Par Merlin, il semblait en pleine conversation : avec quelqu’un ou avec un tableau, difficile à dire. Quoiqu’il en soit, ils étaient bloqués ici, probablement pour plus longtemps que prévu. Retenant un soupir, elle repose son regard cobalt sur le visage teinté de sérieux de son camarade. Il lui aurait été facile de réagir avec un froid polaire à des accusations proférées sur un ton lourd de colère. Mais, même avec toute la mauvaise foi du monde, c’était plus compliqué quand son interlocuteur se montrait aussi grave et honnête. Non, tu n’as rien fait consent-elle finalement à répondre, dans un murmure soufflé. Comment expliquer qu’elle ne se souvenait tout simplement pas de lui et qu’il lui était alors inconcevable de se mettre suffisamment à nue et en position de faiblesse pour poser la question de ce qui les liait ? Fermant les yeux, la brune se massa la tempe avant de les rouvrir et de rabattre une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle était nerveuse, et malgré son visage impassible, tous ces petits gestes pouvaient la trahir auprès de quelqu’un la connaissant bien. C’était une année difficile, n’en prends pas ombrage, il n’y avait rien de personnel éluda-t-elle, toujours à voix basse. Répondre sans rien dévoiler, sa plus grande spécialité. S’excuser de l’avoir ignoré aurait pu être une option, mais jamais ces quelques mots n’avaient franchi les lèvres de la brune, comme une faiblesse ultime qui était celle de reconnaître ses torts et de laisser un pardon entre les mains d’une tierce personne. Je ne pensais pas que tu pourrais en être affecté finit-elle finalement par laisser tomber, ce qui pouvait presque sonner comme des excuses, mais avec une mauvaise foi retrouvée, cherchant surtout à se sortir de cette sensation d’être acculée et à faire dévier la conversation de elle, sur lui.

Casey abandonna sa contemplation approximative de ce tableau qui les maintenait à l’abri dans cette cachette sommaire pour croiser à nouveau le regard de son camarade, le soutenant sans ciller. Elle lui devait une réponse et le savait. Elle avait longtemps été parfaite au petit jeu qui consistait à se montrer froide et indifférente envers tout et tout le monde, mais cette année avait changé bien des choses. Est-ce qu’elle grandissait ou bien est-ce qu’elle avait tout simplement croisé la route des rares personnes qui valaient la peine qu’elle fasse cet effort pour eux ? Sa mémoire vacillante avait assurément joué un rôle important là-dedans, la rapprochant de certains et l’éloignant d’autres… La brune ne saurait probablement jamais pourquoi ses souvenirs concernant Brooklyn, Luca, et bien d’autres n’avaient pas soufferts de cette amnésie partielle alors que Caleb, par exemple, avait été complètement effacé de son esprit. Les méandres de la mémoire étaient bien complexes et encore trop peu compris pour que quiconque puisse lui fournir la moindre réponse. Alors elle avoue, dans un murmure, qu’il n’y est pour rien et qu’il n’a rien fait de mal, n’ayant pas le coeur à le repousser encore. Maintenant qu’elle se rappelait de tout ce qu’ils avaient partagé, elle aurait éprouvé une forme de culpabilité à se montrer glaciale avec le jeune homme. Néanmoins, elle masque quand même les véritables raisons derrière quelques vagues explications. Une année compliquée, c’était vrai sans l’être assez. Puis elle tente de faire de nouveau dévier la conversation sur Caleb et rien que lui, avouant qu’elle n’imaginait pas qu’il puisse en être affecté.

Cela ne fonctionna pas et il lui demanda encore des comptes et des justifications, l’agacement pointant dans sa voix. Les ombres de leur abri masquaient en grande partie les traits de son visage, mais elle était certaine d’avoir lu une surprise fugace avant que cet air mécontent ne vienne prendre sa place. Face à son silence, il revient sur ses dernières paroles à elle, la laissant pensive. Était-ce si surprenant ? Il lui demandait ça, à elle qui ne comprenait pas grand chose aux relations humaines et peinait à mettre des mots claires sur les rares qui ponctuaient son quotidien, et il lui demandait ça… Ne sachant que répondre, elle laisse un silence les envelopper alors que le Serpentard se laisse glisser au sol, faisant fi de la poussière et de tout le reste. Sa baguette posée à ses côtés éclairait un peu mieux les deux camarades d’un halo doré.

Après quelques secondes sans bouger et un petit soupir, Casey le rejoignit. Elle posa prudemment le dos contre le mur et, certaine qu’il n’y avait rien susceptible de la blesser, elle se laissa aller contre ce dernier, étendant ses jambes devant elle autant que faire se peut, savourant de pouvoir les dénouer, tâchant de ne pas faire attention à la proximité avec Caleb. Ça n’était rien de très grave, encore quelques minutes, pas trop longues elle l’espérait, et elle retrouverait l’air libre et son espace vital. Laissant reposer son crâne contre les pierres qui composaient le mur, Casey égara son regard cobalt sur les traits fatigués du visage du Serpentard. Tu te fous de tout, en général. De beaucoup, du moins. J’aurais pensé que tu serais vite passé à autre chose répondit-elle finalement, brisant le silence sans préambule.

Le silence les gagna de nouveau très rapidement et la brune perdit son attention dans les ombres qui résistaient encore au Lumos de Caleb, ignorant le regard lourd de sens de ce dernier. Il attendait toujours une partie des réponses à ses questions. C’était peut-être la fatigue de la soirée, ou bien l’alcool qui était encore bien loin d’avoir quitté son sang et lui faisait encore tourner un peu la tête, ou alors sa prochaine cécité et cet arrière-goût de dernière fois qui teintait ses journées désormais, ou peut-être étaient-ce juste toutes ces émotions différentes et nouvelles qui tourbillonnaient en elle depuis des jours et la laissaient épuisée, mais Casey finit par reprendre la parole avec une sincérité désarmante, abandonnant les faux-semblants et cessant d’éluder. L’incendie de l’année dernière m’a rendue partiellement amnésique. Je ne me souvenais pas de tout le monde, ni de tout ce que j’avais partagé avec chacun. C’était une manière de me protéger de ceux dont je n’étais pas sûre. Ce n’était pas vraiment l’aveu d’une faiblesse, après tout, elle avait réussi à régler ce soucis de mémoire, il ne pourrait jamais s’en servir contre elle. Las, ce n’était pas ce genre-là, ce n’était pas ces souvenirs qu’elle avait de lui.

C’était comme si la lassitude était trop grande, la fatigue trop importante et que Casey ne pouvait plus continuer de lutter contre ceux qui cherchaient une continuité dans un lien amical avec elle. Elle baissait les armes, effaçait les défenses érigées, et se laissait tomber mollement au sol. Il lui était impossible de tout affronter à la fois, il fallait faire le choix des combats. Pourquoi lutter contre ceux qui, en apparence, lui voulaient du bien ? Encore plus après une longue soirée et alors que l’alcool n’avait pas totalement disparu de son sang, la laissant épuisée et un brin troublée. Un silence lourd les enveloppa alors qu’ils se laissaient tomber au sol, Caleb ouvrant la marche, rapidement suivi par Casey. Qui eut besoin encore de longues secondes, soupesant les mots qu’elle s’apprêtait à prononcer, avant d’expliquer d’une manière aussi concise que possible son amnésie comme la raison qui l’avait poussée à dresser des défenses entre le Serpentard et elle.

Son regard insistant ne la lâchait pas, signe d’un intérêt profond. Du moins le percevait-elle comme tel. À quoi s’attendait-elle ? Elle ne le savait pas trop. Ses souvenirs étaient revenus, certes, mais cela faisait si longtemps maintenant qu’elle n’avait pas échangé avec Caleb qu’elle ne pouvait plus vraiment être sûre de qui il était, encore moins de comment il réagirait. Mais ce qui suivit son soupir était assez inattendu. Malgré les années et les rencontres, Casey restait étonnée et interdite face à la bienveillance de ses pairs. Les plus mauvais côtés des uns et des autres lui avaient si souvent été révélés qu’elle avait peiné, pendant très longtemps, à croire que l’être humain pouvait s’avérer profondément bon. Depuis plusieurs mois, tout tendait à lui prouver le contraire. Brooklyn, déjà, avait toujours été un pilier solide et profondément bon malgré son caractère si complexe ; Felicia, Carla, Cameron enfin… et Caleb également.

Son haussement d’épaules souleva un petit nuage de poussière mais elle retint de justesse un éternuement. Pas facile, c’était certain, mais pas pour les raisons qu’il pouvait penser. Encore que, peu importe. Son premier réflexe était de compatir pour ce qu’elle avait vécu, pas de se saisir de cette information pour la retourner contre elle. Arriverait-elle un jour à cesser de douter de la gentillesse de certains ? Oui, de tout. Et puis, histoire de balayer par avance toute question sur le sujet, elle façonna un demi-mensonge. Le traitement proposé s’est avéré efficace. Des faits, toujours faits. Rester factuelle pour éloigner les émotions, les sentiments, bien trop complexes, bien trop nombreux, bien trop étranges. Mais finalement, alors que les voix extérieures semblaient s’atténuer, mais sans vraiment disparaître pour autant, Casey se laissa aller à un soupir. L’alcool, la fatigue, la lassitude, tout se mélangeait, la laissant bien loin de ses réserves habituelles. Ce n’était pas évident, c’est vrai, surtout que ça a effacé des souvenirs importants et mis à mal des liens qui l’étaient également... Un aveu dont elle n’avait pas l’habitude, loin de là. C’était la faute à cette mélancolie qui s’était emparée d’elle depuis qu’elle savait pour sa cécité. Comme s’il lui fallait ordonner son présent afin d’affronter de la plus vaillante des manières le futur qui se dessinait sous ses yeux bientôt aveugles.

Se montrer honnête et ne plus choisir la facilité du mensonge n’était finalement pas si douloureux, pas même compliqué. Amnésie, le mot était prononcé, mais Caleb ne montra rien d’autre qu’un silence dans lequel Casey s’engouffra toute entière. Jusqu’à ce qu’elle le brise de nouveau, repoussant les brumes de la fatigue et de l’alcool encore présent pour terminer ses explications. Ce n’est pas qu’elle se sentait forcée de lui confier ce qui lui était arrivé, plutôt qu’elle en avait envie ? Le jeune homme s’était toujours montré gentil à son égard, une relation qu’ils n’avaient pas eu le temps de façonner plus en avant à cause de l’incendie de l’année passée. Et maintenant qu’elle avait retrouvé tous ses souvenirs, dont ceux de ces quelques fois où ils s’étaient retrouvés tous les deux, elle regrettait d’avoir repoussé l’une des rares personnes auprès de qui elle parvenait à se sentir bien, alors même que ça n’était encore qu’une connaissance, légèrement approfondie.

Son geste ne passa pas inaperçu mais, tout à cette prévenance tout il avait toujours fait preuve avec elle, il s’immobilisa à mi-chemin avant de se laisser reculer contre le mur poussiéreux auprès duquel il était venu s’appuyer. Une bouffée de reconnaissance l’envahit, prenant plus d’ampleur alors qu’il s’excusait d’avoir cherché à tout prix à la faire parler. Si Casey s’était toujours avérée si secrète et solitaire, c’était par crainte de ce que les autres pourraient faire des informations qu’elle dévoilerait inévitablement la concernant. Et son premier réflexe, à lui, était de s’avouer désolé d’avoir amené une conversation sensible pour son interlocutrice. Et j’aurais dû venir te trouver lorsque ma mémoire est revenue... fit-elle, quelques mots aux accents d’excuses pour une jeune femme qui n’en prononçait jamais. Je n’osais pas, je crois avoua-t-elle. Elle n’était plus à une confession près et si Caleb avait voulu se servir de cette faiblesse qu’elle lui exposait, il ne se serait pas montré si plein de prévention.

Et son ton, d’une douceur qui fait redresser la tête à la brune, l’implore de ne pas l’ignorer la prochaine fois. De prochaine fois, il n’y aurait pas, du moins pas sans qu’elle ne se batte pour ne plus rien perdre, mais ce qu’elle percevait de ces quelques mots lui laissait une vague chaleur au creux du ventre. Comme si elle se rendait compte, après tout ce temps, qu’il n’y avait pas que sur elle-même, qu’elle pouvait compter. Oui, d’accord. Et c’était une promesse aux accents de sincérité.

Les voix, de l’autre côté du portrait, s’éloignaient à une lenteur folle mais ça ne dérangeait plus vraiment la brune, comme une sérénité retrouvée maintenant que l’abcès était percé. En face d’elle, Caleb avait laissé sa tête tomber sur ses genoux. Casey laissa passer une seconde ou deux avant de tendre la main et de poser ses doigts sur son épaule. Tout va bien ? l’interrogea-t-elle dans un chuchotement, avant qu’il ne se redresse et qu’elle ne lui rende son espace vital, ramenant le souvenir de cette soirée qui venait à peine de se terminer et qui semblait pourtant déjà appartenir à une autre vie. Vous avez mis les bouchées doubles pour organiser tout ça, avec Maxwell. Elle était capable de s’en rendre compte, même si ça n’était pas son genre de se rendre à des festivités de ce genre. Fin d’année et circonstances exceptionnelles exigeaient un comportement exceptionnel. Tu es satisfait de la façon dont l’année se termine ? Elle ne savait plus trop comment échanger avec Caleb : rattraper un temps qui était de toute façon perdu, ou reprendre là où ils s’étaient arrêtés. Et comment composer avec la fatigue et leur cachette précaire ?

Finalement, le silence dans le couloir les fit se regarder quelques secondes avant que le portrait ne pivote de lui-même. Le tableau les laissait s’évader dans une partie du château qui avait retrouvé sa sérénité. Casey s’extirpa du placard à balais poussiéreux dans lequel ils s’étaient cachés, époussetant son kimono plissé, attendant que Caleb en fasse de même. On peut rejoindre le hall ensemble proposa-t-elle finalement, puisqu’ils devaient de toute façon prendre la même direction avant de rejoindre chacun leur Salle Commune.

Finalement, quelques mots suffirent pour que la tension retombent et que l’atmosphère pesante laisse place à quelque chose de plus léger. La fatigue d’une soirée qui avait été longue se faisait de plus en plus lourde, accablant Caleb aussi sûrement qu’elle donnait envie à Casey de fermer les yeux, juste une seconde. Pour la brune, qui n’avait pas l’habitude de ce type de festivité, ça avait été une première, et la mélancolie qu’elle ressentait depuis quelques temps couvrait les souvenirs, encore récents, d’une teinte particulière. Pour son camarade, c’était une toute autre histoire, lui qui avait l’habitude d’organiser des fêtes à n’en plus finir avec son acolyte de toujours. Néanmoins, l’heure avancée de la nuit se faisait sentir chez les deux jeunes sorciers, sans que ce ne soit plus grave que des picotements dans les yeux et des muscles endoloris. La joie du Serpentard était douce à constater : il était sincèrement ravi de ce genre d’événement, encore plus d’en être à la tête, et le compliment de la brune sembla lui redonner un élan d’énergie. C’était la première fois que je me rendais à une de vos fêtes, le manque d’habitude rendait le tout un peu étrange, fit-elle, en toute franchise, quand il lui demanda si elle s’était bien amusée. comme si j’étais plongée dans un autre monde. Et puis, mes compagnons du soir avaient bien des soucis en tête, alors... Carla et cette histoire avec Finnbjörn slash Maxwell, Brooklyn qui n’était clairement pas à l’aise, ce moment où ils s’étaient retrouvés seuls avec les Sørensen et compagnie… Pour autant, s’était-elle ennuyée ? Regrettait-elle d’y être allée ? Mais je suis contente d’avoir pu assister au moins une fois à l’une de vos soirée, ç’aurait été dommage que je ne le fasse jamais. L’année prochaine risquait de lui ôter cette possibilité.

Ils étaient à la fin d’une année, encore, l’avant-dernière. Les propos de Caleb faisaient douloureusement écho aux sentiments de Casey : la prochaine rentrée serait la dernière. Ensuite ? Une plongée dans un monde d’adultes qu’elle ne maîtrisait pas, bien loin des murs rassurants du château. Il y avait tant d’inconnues et tant de doutes… Mais l’épuisement qu’elle ressentait ne laissait pas trop de place à de telles considérations, tout au plus parvint-elle à se fendre d’un sourire un peu triste avant d’hocher la tête pour approuver les dires de son camarade. Comme je te comprends... Poudlard allait lui manquer, Poudlard lui manquait déjà chaque été. Mais le pire étant de ne pas savoir dans quoi elle allait se retrouver. Son père accepterait-il qu’elle loge cet été chez Luca sans faire d’histoires ? Si oui, c’était un pas de plus vers une liberté salvatrice. Si non, le futur n’en serait que plus incertain encore… Reposant son regard cobalt sur Caleb, Casey se remémora les discussions qu’ils avaient déjà eues. Lui aussi, vivait Poudlard comme l’occasion rêvée d’être qui il désirait. Sans être entré dans les détails les plus sordides, le tableau qu’il avait peint de sa famille ne faisait pas envie.

Dehors, le silence les autorisa enfin à sortir de leur cachette. Chassant la poussière de son kimono, appréciant l’air frais qui se glissait sur sa peau, la brune attendit que Caleb la rejoigne avant de proposer qu’ils marchent ensemble jusqu’au Hall. Le silence ne les quitta pas pendant quelques secondes, mais, débarrassé de toute tension, il était paisible et appréciable. Comme deux amis qui se retrouvaient et qui n’avaient pas besoin de combler les moments de mutisme pour se satisfaire de la présence de l’autre. J’ai toujours voulu travailler au Département des Mystères souffla-t-elle. Et malgré tout, je compte bien parvenir à y entrer. La fatigue la rendait un peu moins attentive aux mots qu’elle employait, mais elle ne le remarqua même pas, retournant sa question à Caleb. Et toi ? Ta famille compte toujours tracer ton avenir tout entier ? La douceur dans son ton était comme une forme de compassion à l’égard d’une vie qu’il ne voulait pas vivre. Quelques pas plus tard, ils étaient arrivés dans le Hall, et avec un sourire, Casey lui souhaita une bonne nuit.