Quand Kathleen avait accepté de se rendre à l’infirmerie, elle n’avait pas évalué l’épreuve que cela serait. Choquée par son agression, endolorie par son séjour dans sa cachette, et sous le coup de la fatigue de la journée, elle tenait à-peine sur ses jambes. Simplement en se mettant debout, elle trébucha et dut se rattraper au bras du professeur qui, bienveillant et attentif, la maintint sans difficulté. Il faut avouer que Kathleen avait tout du poids plume et n’était pas trop compliquée à retenir. Mais elle se fit tout-de-même un peu peur sur l’instant. Cela la conforta toutefois dans l’idée qu’elle pouvait entièrement se reposer sur le professeur O’Neill.

En descendant, ce fut pas à pas, avec un professeur bienveillant et encourageant. La fillette ne tenta même pas de desserrer les lèvres, fixant ses pieds, se cramponnant au bras de son professeur. Ses jambes étaient si lourdes et la douleur la prenait tellement qu’elle était parfois obligée de s’arrêter, mais le professeur se montra patient et attentif. Il prit soin de s’arrêter dès qu’il sentait que la fillette avait besoin de faire une pause. La petite fille lui était reconnaissante de faire autant attention car elle devait se retenir de se remettre à pleurer et de s’écrouler sur le sol tant elle était encore sous le choc.

En arrivant à l’infirmerie, le professeur l’installa confortablement sur un lit vide tout en interpellant l’infirmière. Il ne s’éloigna pas et Kathleen reproduisit son attitude dans la tour d’Astronomie en se cramponnant à la manche de son enseignant. Ils ne bougèrent pas, ni l’un ni l’autre, jusqu’à ce que l’infirmière arrive et qu’O’Neill lui explique ce qu’il s’était passé. Kathleen était honteuse et elle garda les yeux baissés pendant la discussion entre le professeur et la jeune femme. Mais celle-ci lui affirma qu’il avait bien fait de la ramener auprès d’elle. Elle en vint même à le remercier d’avoir fait ça.

L’enfant, sans lâcher son professeur, releva les yeux vers Jane quand celle-ci lui parla. Ce fut la première fois que Jane croisa le regard de l’enfant et elle put y lire un mélange de terreur, de honte et de fragilité qui y était présent depuis qu’elle s’était enfuie sous le coup de la terreur. Elle ne put s’empêcher de jeter un regard à son enseignant comme si elle lui demandait si elle devait faire confiance à Jane. Pour une raison obscure, le professeur O’Neill était celui en qui l’enfant avait pleine confiance, mais elle savait pouvoir faire davantage confiance à Jane qu’à un élève.

Kathleen baissa les yeux en regardant son propre corps. Dire où elle avait mal était compliqué car il lui aurait été plus facile de dire où elle n’avait pas mal. Faisant la moue, elle désigna son visage, sa tête qui commençait à devenir très douloureuse elle aussi, ses articulations ses bras, ses jambes, son dos et son ventre qui n’était douloureux que parce qu’elle compensait sa peur et son choc de cette façon. Cela conduisit à un ensemble de mouvements désordonnés de sa part dont elle n’était pas certaine que Jane comprendrait le sens. Mais elle finit par hausser les épaules pour lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas vraiment faire mieux.

Quand elle lui tendit le verre d’eau, Kathleen en but une gorgée. Mais cela n’aida pas sa voix à revenir et elle baissa les yeux en entendant Jane lui demander de raconter ce qui s’était passé. Elle fit des signes avec sa main au niveau de sa gorge, de sa bouche, tentant de manifester son incapacité à prononcer le moindre mot. A cours d’idées, la fillette tourna le regard vers le professeur O’Neill à qui elle demanda silencieusement de traduire ses gestes désordonnés. Il avait eu l’air de comprendre à peu près ce qu’elle voulait lui dire jusqu’à présent et peut-être pourrait-il traduire ce qu’elle essayait d’exprimer pour Jane. Sa main se serra davantage sur la manche du professeur quand Jane lui offrit de s’éloigner. Pour une mystérieuse raison, cette idée de le voir s’éloignait l’alarmait au fond du cœur.

La fillette était bouleversée mais elle avait confiance en son enseignant, et puis elle avait déjà rencontré Jane. Sa demande n’était due qu’au choc dont elle n’était pas encore remise. Elle laissa Jane l’ausculter comme elle le souhaiter sans lâcher la manche de celui qu’elle considérait comme son sauveur même si au fond, il n’avait fait que la trouver dans une cache et non réellement la secourir, mais il était le premier adulte, la première personne de confiance que l’enfant avait rencontrée après l’agression et il ne faisait aucun doute pour elle, qu’il était le seul en qui elle pouvait avoir aveuglément confiance, dans son état perdu et déboussolé.

Soudain, le professeur O’Neill sortit un calepin et un crayon de sa poche et les tendit à la fillette en demandant l’autorisation à l’infirmière qui le félicita pour cette initiative. Kathleen prit le carnet de sa main gauche et le contempla, sa main droite toujours cramponnée à son professeur. Hésitante, très lentement, elle relâcha la manche comme si elle craignait que le simple fait de détacher sa main fasse s’enfuir le professeur. Mais elle avait besoin de ses deux mains pour manipuler le carnet et elle voulait leur apporter un éclaircissement. Elle commença à écrire d’une main tremblante et malhabile, en surveillant les deux adultes plus qu’il n’aurait été utile de le faire.

Je suis désolée. Je voudrais parler mais ma voix ne veut pas. Je ne comprends pas. inscrivit-elle avant de retourner le carnet vers l’infirmière et son enseignant.

Au bout de quelques secondes, elle le reprit devant elle et son regard se fit plein de réflexion. Elle se rappela des mots de son agresseur, qui lui disait en la frappant qu’elle ne devait rien dire. Son regard se releva et croisa celui du professeur. Une larme coula à nouveau de son œil, qui n’était cette fois, pas due au passé mais à des craintes liées à l’avenir. Elle griffonna encore quelques mots avant de leur montrer à nouveau son écrit.

Je ne peux pas vous expliquer. C’est trop dangereux. Il m’a dit de me taire. Si je vous raconte, il pourrait vous faire du mal, je ne veux pas ! Je tiens trop à vous.

Cette dernière phrase s’adressait principalement à son professeur, même si Kathleen s’en faisait aussi pour Jane. La petite Poufsouffle, dans sa frayeur d’enfant, ne faisait pas la différence entre elle-même et tous ceux qu’elle aimait. Il ne lui venait pas à l’idée que son enseignant avait probablement la force et à tout le moins l’autorité nécessaire pour ne pas être en danger face à un élève de septième année. Elle ne parvenait qu’à imaginer le jeune homme à sa place, sous les coups de son propre agresseur, une image qui lui était si intolérable que les larmes qui avaient commencé à s’écouler alors qu’elle écrivait ne se tarissaient plus. Son regard brillant à travers les larmes fixait son enseignant avec l’espoir qu’il comprenne son ressenti.

Kathleen était contente d’avoir un moyen de communiquer avec son professeur et l’infirmière et la première chose qui lui vint spontanément en tête, ce fut de s’excuser pour ce silence qui ne provenait pas de sa propre volonté. Ce n’était pourtant pas sa faute, mais la fillette ne supportait pas d’être une gêne pour ceux qui l’entouraient. Donc, elle s’excusait pour une chose qu’elle ne contrôlait pas. Son évidente fragilité suite à l’agression n’aidait pas sur ce point. Mais le professeur, toujours bienveillant, s’efforça de la rassurer. Kathleen fut toutefois soulagée d’entendre de l’infirmière que rien ne s’opposait à ce que revienne sa parole. Ca voulait dire que ce n’était qu’une question de temps.

La suite s’avérait plus complexe. Kathleen ne put retenir ses larmes et offrit un regard reconnaissant à l’infirmière qui lui passait une boîte de mouchoirs. Elle se moucha pendant que son enseignant lui demanda si c’était un adulte qui l’avait brutalisée. Elle sursauta en entendant Jane crier après le professeur et tourna sa tête simultanément vers l’infirmière. Puis, elle regarda à nouveau son enseignant avant de secouer la tête de gauche à droite. Non ce n’était pas un adulte qui était responsable. Elle ne put s’empêcher de passer en revue dans sa tête les différents adultes de l’école. Elle ne pouvait pas dire qu’aucun n’était capable de violence, comme le professeur Thorstein, mais elle était sûre qu’aucun ne brutaliserait une élève.

L’enseignant marquait un point en lui exprimant qu’il devait non seulement la protéger elle, mais aussi tous les autres élèves de l’école. L’image qui commença à se dessiner doucement dans sa tête n’impliquait plus son enseignant, mais Madeline, sa petite protégée, sous le joug de cet individu brutal et sans aucun scrupule. Les propos de l’infirmière qui suivirent appuyèrent sur cette image, convainquant la fillette qu’il fallait tout écrire. Ce fut d’une main tremblante et sans pouvoir retenir complètement ses larmes que la fillette inscrivit ce qui s’était passé.

Je ne sais pas exactement qui c’étaient. C’étaient des élèves. Des grands. Celui qui m’a tapé, il s’appelait Steve. Il Sa gorge se serra et elle laissa tomber le stylo qui roula sur ses jambes. Elle le ramassa pour poursuivre, se demandant si elle aurait la force d’écrire la suite. Il ne voulait pas que je dise ce que j’avais vu, alors il m’a tapé pour pas que je parle. Il m’a donné des coups de pieds dans les côtes, je ne pouvais plus bouger. J’ai eu peur, j’ai cru que j’allais mourir. Quand une des autres l’a appelé, je suis partie, j’ai couru, couru.

Elle releva la tête vers les deux adultes, les larmes couvrant ses joues, refusant de s’arrêter. Jetant un œil au professeur d’Astronomie, elle inscrivit quelques mots supplémentaires.

Je sais même pas où je me suis retrouvée. Je me souviens juste de vous, professeur O’Neill, en train de me regarder. J’ai cru que c’était eux, mais c’était pas eux, c’était vous. J’ai peur, encore, et s’ils me retrouvent ici ?

Kathleen n’avait plus trop les idées claires après avoir lâché ce qu’elle avait sur le cœur. Son carnet tomba sur le lit ainsi que le stylo, et elle se cramponna aux draps comme elle l’avait fait à la manche de O’Neill jusque là.

Kathleen se sentait un peu rassurée quand son enseignant, puis l’infirmière, lui confirmèrent qu’elle ne risquait rien à l’infirmerie. Il était vrai que si l’infirmière était là toute la nuit, dans la mesure où elle savait se protéger, Kathleen se sentait un peu plus en sécurité, même si elle n’était pas à l’aise avec le fait que le professeur ne resterait pas auprès d’elle, lui. Elle s’y était tellement accroché depuis qu’elle avait été découverte, au pied de la tour d’Astronomie, apparemment, qu’elle ressentait toujours une bouffée d’angoisse à l’idée qu’il s’en aille. Elle ne voulait pas le voir partir, pour une raison qu’elle ne comprenait pas vraiment.

Mais quand elle eut dans les mains la potion que l’infirmière lui avait donnée, la fillette sur que son angoisse ne l’empêcherait pas de trouver le sommeil avec ça. Elle était encore assez sûre de ses connaissances de guérisseuse pour savoir que cette potion serait particulièrement efficace sur son état actuel. Elle n’avait pas les idées claires, mais certaines choses étaient presque devenues un réflexe. Elle savait qu’elle n’avait qu’à boire le contenu de ce flacon et elle partirait pour une nuit de repos véritable. Et c’était quelque chose qu’elle était contente de pouvoir avoir.

Mais avant de s’endormir, elle inscrivit quelque chose sur le carnet du professeur O’Neill, avant de lui tendre le carnet et le crayon.

Merci, Professeur O’Neill, merci, Mademoiselle Gray.

Puis, sans attendre la réponse, elle avala d’une traite la potion que l’infirmière lui avait donnée avant de s’allonger dans le lit dans lequel on l’avait mise. Elle sentit rapidement l’effet sur elle, se sentant prendre par le sommeil et elle y céda sans aucune résistance, trouvant un certain réconfort dans le fait d’oublier, de ne pas rêver, de ne pas cauchemarder. Elle était apaisée, par la potion et elle s’enfonça doucement dans un sommeil profond, duquel elle ne ressortirait pas avant plusieurs heures.