J’avais toujours du mal à émerger le matin, et la prise de café, qui était récemment devenue une habitude, ne réglait rien. Ce matin n’était pas différent des autres : je m’étais difficilement levée de mon lit, les yeux encore ensommeillés, j’avais préparé mes affaires, enfilé ma robe qui commençais à être un peu trop étroite, mis ma baguette dans ma poche en prévision des cours, dit bonjour à Peynir, qui restait sagement dans le dortoir, puis j’étais descendu dans la grande salle. Cette matinée n’aurait rien de différente des autres, les cours avaient repris malgré le traumatisme de la soirée de Noël. Tout était revenu dans l’ordre mais certaines pensées m’obsédaient.
Je ne connaissais pas bien le monde magique mais il me dépassait de beaucoup. Surtout, la haine de certains à l’égard des moldus. La haine bien sûr de ceux qui avaient déclenché l’attaque. Mais aussi celle des Sorensen, d’Archambault, et autres sangs-purs emplis de mépris, de dégoût, devant ceux qui sortaient de leur ordinaire d’aristocratie ensorcelée. Je n’avais pas un souvenir très précis de notre conversation – si on peut l’appeler ainsi – mais ce qui transpirait de toutes parts c’était que nous étions de deux mondes ennemis. Et ce n’est pas sans fierté que j’avais agi ainsi, de manière certes provocante mais qui ne faisait que répondre à leur attitude commune. Si mon père ne m’avait pas rejeté peut-être aurait-il été fier de moi lui aussi, fier de voir qu’on ne marchait pas sur le pieds de sa fille.
Tous les sangs-purs étaient-ils ainsi ? Je n’en savais rien, je ne voulais pas les mettre tous dans un même panier mais j’avais l’impression que toute leur éducation allait contre mes valeurs, mes idées et je ne savais pas si certains étaient prêts à s’en extraire, à abandonner leur supériorité de façade.
Pourtant, alors que j’arrivai dans la grande salle, un visage retint mon attention : Seth était assis à la table des Poufsouffles. C’était un jeune homme que je connaissais un peu mais nous n’étions pas très proche, certainement trop timides l’un et l’autre. Mais il m’était plutôt sympathique et de toutes façons il était seul à la table et j’étais d’humeur bavarde. Et si mes souvenirs étaient bons il était lui aussi de famille sang-pur, j’avais peut-être un moyen d’en savoir un peu plus…
« Salut Seth, tu vas bien ? Prêt pour les cours d’aujourd’hui ? Perso j’ai mal dormi, je repense sans cesse à cette catastrophe de Noël... » Un grand sourire aux lèvres, je m’asseyais donc devant lui.

Ça ne m’arrivait pas souvent de vouloir parler le matin, j’étais plutôt du genre à m’isoler devant ma tasse et ma tartine. Mais ce matin, allez savoir pourquoi, j’étais assez heureuse à l’idée d’échanger avec Seth. On se connaissait mal, il nous était arrivé quelques fois de discuter de la pluie et du beau temps mais généralement ça n’allait pas plus loin. Ce matin était peut-être l’occasion de faire plus ample connaissance, d’autant plus que j’en avais bien besoin, la nuit avait été compliqué, hantée d’image d’incendie.
Et visiblement il ne prenait pas mal mon intrusion puisqu’il me répondait tout naturellement :
« Salut Zeynep. Je suis toujours prêt pour les cours. Tu parles de cet incendie ? Tu sais, je suis ravi que tu t'en sois sortie. Mais c'est vrai que ça doit être difficile d'oublier une soirée pareille. Parler de cette soirée peut t'aider à mieux dormir, n'hésite pas venir me parler. »
Si je ne m’y trompais pas, c’était bien une invitation à déballer mon sac. Mais était-ce une bonne idée de m’ouvrir ainsi à un presqu’inconnu ? C’était difficile à dire… De toutes façons je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il continuait :« Sinon, tu commences à trouver tes marques ici ? Tu es moins perdue ? »
J’avais donc l’air si perdue que ça ? Je dois avouer qu’il avait dû percevoir quelques gaffes en début d’années mais depuis je m’étais plutôt bien intégrée, j’avais l’impression, même si cette soirée de Noël avait légèrement rebattu les cartes.
« Je commence à m’habituer je dois dire, c’est pas toujours simple mais peu à peu je me fais à cette nouvelle vie… C’est compliqué car tout est différent et je dois dire que j’ai comme l’impression que certains ne m’apprécient guère. »
Je n’étais pas sûre de continuer, était-ce bien prudent ? Raconter mes altercations avec les Sorensen ? Et puis au fond, pourquoi pas ? De toutes façons tout le monde finirait par l’apprendre d’une manière ou d’une autre.
« Disons que ça me dépasse d’en voir certains se sentir supérieur sous prétexte que leur sang est plus « pur », comme si cela avait un sens. Ils sont aussi abrutis que les moldus racistes qui me rejetais car je ne suis pas anglaise... »
Il y avait deux possibilités : ou il considérait que je le traitais d’abruti et dans ce cas je ferais mieux de finir rapidement mon café, ou il était un peu plus ouvert que la moyenne des sangs-purs que j’avais rencontré jusque là et la discussion promettait d’être intéressante…

Visiblement, Seth n’est pas surpris par mon discours, ni par la haine qui anime certains sangs-purs à mon égard. Effectivement, je m’étais déjà faite traitée de « sang-de-bourbe » et j’étais presque prête à vouloir prendre cette insulte à mon compte. C’était peut-être un peu extrémiste mais je n’avais pas à m’en vouloir de mes origines. Non seulement j’étais autant une sorcière qu’eux mais il faudrait bien leur faire comprendre que les moldus valaient autant qu’eux, si ce n’est plus.
Seth semblait gêné par la situation, je n’avais pas eu beaucoup l’occasion de discuter avec lui mais je le connaissais assez pour savoir qu’il était issu d’une lignée de sangs-purs. Et de ce qu’il me disait si lui était ouvert, ce n’était pas le cas de son entourage. D’ailleurs il semblait mal à l’aise… Pas à cause de moi, je ne pense pas, sinon il ne m’aurait pas offert son soutien, mais peut-être à cause de sa famille.
« T’es vachement ouvert pour un sang-pur, non ? » dis-je sur un ton blagueur, de peur que la discussion ne s’enferre dès le matin dans de longs exposés théoriques sur les idées des uns et des autres. Et puis, c’était certes maladroit, mais je voulais qu’il se sente à l’aise.
« Sérieusement, tu es le premier que je rencontre à ne pas me cracher dessus, c’est plutôt agréable je dois dire… Je finissais par penser que je ne pourrai jamais discuter normalement. Surtout que ça a quand même été mon premier contact avec la magie, un vieux couple qui m’a rembarrée en m’expliquant qu’en temps que née-moldue, je n’avais pas ma place au Chaudron baveur… Maintenant j’en rigole mais à l’époque je n’en menais pas large. »
J’espérais que cette anecdote, que j’avais longtemps gardée pour moi lui apparaîtrait pour ce qu’elle était : une forme de marque de confiance, et l’inciterait à m’en apprendre un peu plus sur sa famille.
« Je suppose, vu ce que tu dis, que tes parents ne pensent pas comme toi, je me trompe ? Ça se passe comment avec eux, tu n’es pas obligé de me raconter, mais ça m’intrigue… ça doit pas être simple à gérer. De toutes façons, les problèmes familiaux, c’est toujours compliqué. »
En disant ces mots, je ne pouvais m’empêcher de penser à mes relations plus que tendues avec mon père.

J’avais eu tort de mettre tous les sangs-purs dans le même panier, de croire qu’ils étaient tous méprisants vis-à-vis des gens comme moi. Il faut dire que jusque là je n’avais pas été gâtée, entre les insultes, l’arrogance, les menaces et l’incendie. Mais Seth semblait différent, il semblait regretter sincèrement l’attitude des siens, du moins je ne vois pas quel intérêt il aurait à me mentir là-dessus. Il ne faisait pas de grande théorie sur le sang pur ou non, il semblait juste me regarder telle que je me tenait devant lui : une jeune sorcière qui suivait des cours avec lui, qui mangeait à la même table et avec qui il pouvait discuter tranquillement.
« C’est sûr que ça me dépasse un peu ce mépris, on est plus au Moyen-Âge enfin ! » dis-je avec un petit air de révolte en réponse à cette « vermine » que selon lui certains me jetteraient volontiers à la figure…
Je me doutais un peu que parler de sa famille serait délicat et je m’attendait à ce qu’il refuse mais visiblement il me faisait déjà assez confiance pour me raconter à quel point elle était obtus. Le gifler pour cette simple phrase, sérieusement ? Effectivement je devais être pour eux pire que de la vermine…
« Ils sont dingues ! Désolé de le dire comme ça mais ils ont peur de quoi ? Ils pensent que c’est contagieux, que les gens comme moi sont malades ? Ou juste un brin d’ouverture d’esprit, c’est inconcevable pour eux ? Ça me fait délirer, qu’on puisse te gifler pour ça… Du coup tu as dû faire semblant pendant longtemps ? Franchement c’est bien que tu ne sois pas devenu comme eux, tu me prouves un peu que vous n’êtes pas tous comme ça, je dois dire que je commençais à en désespérer, je ne sais pas si tu connais un peu Junior et les Sorensen mais tes parents doivent être pareils je suppose. »
Je lui souriais, essayant de montrer que ma révolte n’était absolument pas dirigée contre lui. Puis mon ton redevint plus grave…
« Par contre c’est pas simple d’être renié par sa famille donc il vaut peut-être mieux que tu fasses un peu gaffe… Je veux dire, si j’étais toi, je ne leur enverrai pas une photo de nous deux en train de discuter posément au petit-déjeuner... »