« J'aimerais être de l'écume. »
Ça ne lui ressemblait pourtant pas d'être poétique. Elle disait des choses insensées, oui, mais d'habitude c'était bien plus gai.

Trois paires d'yeux se tournèrent vers elle. Les bleus avec l'agacement qui caractérisait si bien leur propriétaire. Les bruns avec une curiosité des plus médicales. Quant aux gris, elle ne les avait pas bien vus. Ils étaient passés sur elle comme on avise un vieux chewing-gum collé au pavé depuis longtemps, ou une fourmi sur un tronc d'arbre, sans intérêt particulier.
« Vous l'avez entendue ? Vous êtes certain qu'il n'y rien au cerveau ? Elle n'a que des bosses ? »

Grace ferma les paupières. Elle aurait tant voulu se transformer en écume. Comme celle du conte pour enfants que sa sœur lui avait raconté, des années auparavant. Elisabeth apprenait à peine à lire, et s'entraînait d'une voix hésitante à déchiffrer les lettres de la version sorcière de la Petite Sirène. La sirène était rousse et l'histoire se passait en partie dans l'eau : cela avait suffi à captiver Grace. Puis c'était sa grande sœur, qu'elle idolâtrait encore à l'époque, qui la lui avait lue, donc ça aussi, ça comptait. Elle chérissait les souvenirs comme ceux-là qu'elle avait de son aînée, même si elle n'était pas sûre d'oser les compter, tant ils étaient peu nombreux. Elles avaient grandi de façon trop différente : Elisabeth, comme enfant sage et adorée de ses parents, Grace comme gamine toujours trop turbulente. Fallait pas croire, elle avait essayé à plusieurs reprises de contrôler son énergie. De faire ses devoirs à temps, d'être première de classe. Ça n'avait jamais duré. Si elle arrivait à se concentrer sur les matières qu'elle adorait, devoir rester assise sans bouger devant un prof peu intéressant était un des pires supplices de son existence. Et puis ni ses parents ni Elisabeth ne remarquaient ses efforts, alors à quoi bon ?

Elle ne savait pas vraiment quand elle avait décidé qu'elle ferait tout pour accentuer les différences qui existaient entre sa sœur et elle. Elle avait décidé qu'elle serait bruyante. Qu'elle commettrait de petites infractions sans conséquence, comme on trempe un orteil dans l'eau pour en tester la température. Elle étudierait juste assez pour passer, même en étant parfois capable de mieux faire. Elle s'habillerait de toutes les couleurs qu'Elisabeth trouvait de mauvais goût.
La seule chose qui leur resterait en commun serait la natation. Et donc la Petite Sirène. L'écume.

Si elle avait été de l'écume, elle n'aurait pas eu à avoir peur du Feudeymon. Elle l'aurait éteint, ou se serait évaporée. Elle aurait rejoint un nuage, et pouf, au matin elle aurait été plue dans le parc de l'école. Est-ce qu'il existait des animagus qui se transformaient en autre chose que des animaux, comme de l'eau ? Des aquamagus ? Elle l'ignorait. Et puis de toute façon, elle n'avait pas eu le temps d'y réfléchir, face au feu. Elle l'avait entendu avant même de le voir. Qu'est-ce que c'était bruyant, le feu ! Entre les cris des hommes et les plaintes du bois que se consumaient, ses oreilles avaient été saturées par le bruit. Elle l'avait senti sur sa peau, ensuite. Ses poils s'étaient dressés sur ses avant-bras, et une sueur froide avait coulé le long de sa nuque puis le long de sa colonne vertébrale malgré la chaleur. Elle l'avait compris à ce moment-là. Elle pouvait mourir. Elle se pensait invincible, comme n'importe quel enfant de 13 ans. Son cœur s'était emballé dans sa poitrine et elle avait eu une épouvantable envie de faire pipi.
Elle s'était mise à courir aussi vite que ses jambes le lui permettaient pour sortir du château. Et au détour d'un couloir, elle l'avait vu. L'incendie. C'était une vision aussi belle que monstrueuse. Elle s'était demandée si la vie serait toujours comme ça. Elle n'avait pas pu voir le Selma quand les adultes l'avaient tué, mais elle en avait vu un croquis dans un ouvrage énorme de la bibliothèque. Le serpent était magnifique. Il était mortel, l'avait empêchée de se baigner tout le printemps, mais il était magnifique.
Tout comme le brasier qui avait failli la dévorer.

« Que des bosses, je n'irais pas jusque là. Il y a quand même une fracture du coccyx, les deux poignets sont brisés, ainsi que son tibias gauche. C'est sans commune mesure avec ce qui aurait pu se passer, mais ça reste important. » Les yeux bruns se reposèrent sur elle avec douceur. « Tu as dû avoir vraiment mal, tu es très courageuse ». Elle n'avait effectivement pas pleuré, ni crié quand on l'avait transportée à l'hôpital. A dire vrai, elle avait surtout eu peur de vomir une fois ses dents desserrées. Le choc, la douleur...
C'était surtout la proximité avec la mort qui l'avait chamboulée. A 13 ans, elle ne s'était pas rendue compte à quel point elle avait été naïve jusque là. Elle avait vu, à Poudlard, les menaces et les dangers s'accumuler les uns après les autres, mais elle ne s'était jamais vraiment sentie concernée. Elle aussi avait reçu un badge rouge au début de l'année, et l'idée de participer à une sorte de société secrète l'avait amusée un moment, avant que son intérêt prenne l'eau peu à peu: elle aimait percer des énigmes, mais celle-là semblait liée à des choses beaucoup trop dangereuses pour elle.
Elle savait, au fond, que son statut de sang-pur la protégeait, mais elle n'avait jamais réussi à le formuler clairement. Pour elle, malgré l'ambiance au sein du château qui s'alourdissait mois après mois, ça ne pouvait arriver qu'aux autres.

C'était comme Blackman, les mangemorts ou ce que les adultes disaient du ministère : un peu abstrait, ou en tout cas hors de portée. Ça la faisait même rire, parfois. Ils disaient que le ministère était tombé, et immanquablement elle imaginait le bâtiment transformé en château de cartes sur lequel on aurait soufflé. Et puis tout ça n'avait jamais vraiment entaché l'ambiance qui régnait à la maison. Au contraire, on se réjouissait même que le château de cartes soit tombé. Alors Grace, trop jeune pour comprendre la situation, calquait son humeur sur celle de ses parents. C'était, de plus, une époque heureuse pour elle. Elisabeth à Poudlard, elle était la seule enfant que son père amenait aux réceptions des gens bien-comme-il-faut. Elle était toujours chouchoutée à l'occasion, et avait toujours droit à une nouvelle paire de chaussures vernies ou de rubans. Elle adorait avoir ses couettes attachées par des rubans. Et tout le monde la trouvait mignonne, malgré l'énergie qu'elle témoignait à courir partout et ouvrir tous les placards.

C'était peut-être pour ça que sa mère préférait Elisabeth. Elisabeth faisait ce qu'on lui demandait de faire. La magie s'était manifestée chez elle par des bavures d'encre qui s'étaient effacées du papier. Ce qui était d'un ennui mortel, selon Grace, mais au moins l'elfe de maison n'avait pas fait de malaise. Contrairement à sa fois à elle, où il avait plongé tout au fond de la piscine pour la retrouver, la tête dans une bulle à jouer à l'aquadinette.
Ça avait quand même plus de classe que faire sa lèche-botte devant leur précepteur.

Elle prit une grande inspiration. Ça lui avait fait du bien de penser un peu de mal de sa sœur. Elle n'arrivait pas encore à procéder tout ce qu'elle venait de vivre, elle avait toujours envie de pleurer de douleur, mais au moins elle n'avait plus envie de vomir. Ou plus assez pour l'empêcher de parler.
« Docteur ?
 -Oui ?
-Vous avez déjà vu un aquamagus ? »

Soupir de lassitude de la part de sa mère. Aucune réaction de sa soeur. Pas question de leur dire à quel point elle était terrorisée à l'intérieur, valait mieux cacher tout ça derrière des réflexions idiotes.
Elle détestait parler d'elle-même et de ses sentiments, encore plus en présence de sa famille. Ils n'avaient jamais rien compris, de toute façon.

Ils ne comprendraient pas plus les cauchemars et les insomnies qui suivraient les mois suivants, ni la façon dont Grace fuirait le plus souvent la maison, n'emportant avec elle que son balai et de quoi grignoter pour la journée.
Elle ne leur dirait plus rien d'important, ne commentant même pas le changement de direction de Poudlard, jugé décevant par les parents.
Grace, elle, ne faisait pas grand cas de qui était la nouvelle directrice, même si les activités pro-moldus organisées ne l'intéresseraient pas vraiment. Elle se contentait de peu: tant que ce n'était plus Londubat, elle était contente. Après tout, laisser une école brûler, ce n'était pas la plus meilleure démonstration de compétences dont il pouvait faire preuve.

Grace O'Brien: 13 ans, entre en troisième année à Poudlard en 2025. Souffre du manque d'attention donnée par ses parents, et se sent obligée de toujours remuer plus pour être remarquée.
Son enfance est paisible, elle ne se rend pas vraiment compte de ce qui est normal ou non, bien ou mal, ses parents l'emmènent parfois à des soirées importantes pour eux, mais elle se tient loin des discussions, préférant jouer dans le jardin ou avec le chien quand les hôtes en ont un.
Elle ne s'entend pas très bien avec sa sœur aînée, trop calme et dont elle est jalouse.

Elisabeth O'Brien: 15 ans, entre en cinquième année à Poudlard. Enfant calme, réfléchie, elle cache comme elle peut des crises d'anxiété. Au contraire de sa soeur, elle se rend compte assez tôt que leur famille a des tendances pro-sang-purs qui la répugnent, mais elle n'en dit rien, trop jeune pour savoir quoi faire. Si Grace pense qu'Elisabeth est préférée par leurs parents, il n'en est rien. Elle reçoit certes des félicitations pour ses bons résultats scolaires, mais cela s'arrête là.
Elle trouve sa sœur excessive dans tout ce qu'elle fait et dit, et sa façade de bonne humeur lui tape sur les nerfs.
Ayant vécu l'époque Blackman, elle y a survécu comme elle a toujours appris à survivre : en fermant les yeux sur les atrocités et en continuant à vivre. Protégée par son statut, faisant attention à se détacher de toute amitié qui aurait pu entacher sa réputation, elle a traversé cette période sans trop de traumatismes. Faisant partie des sang-purs ayant reçu un badge rouge en 2024-2025, elle a fait ce qu'il fallait pour être certaine de ne pas morfler ni à cause du psychopathe de l'école, ni à cause des Aurors, jouant double-jeu dès que nécessaire. Observant par la même occasion sa petite sœur, elle n'a pu que soupirer en constatant qu'elle n'avait aucune conscience du danger.

Mary et William O'Brien: Respectivement 37 et 39 ans, ils ont une histoire plutôt classique.
Venant chacun de familles de sang-purs écossaises, ils se sont mariés à la sortie de Poudlard de Mary. Mariage mi-arrangé mi-amoureux qui donnera deux enfants, Elisabeth et Grace.
Si Mary et William sont compétents dans un nombre certain de domaines, la vie de parents n'est pas leur fort. Suivant la tradition en confiant leurs enfants à des nourrices, précepteurs et elfes de maison, ils n'ont jamais vraiment su comment aimer leurs filles. Ce n'est donc pas un manque d'intérêt à leur égard, ils n'ont juste jamais été éduqués pour avoir une fibre familiale importante.
S'ils pêchent niveau familial, ils se rattrapent dans leurs vies professionnelles respectives.
Mary est dame marieuse pour les familles des hautes sphères souhaitant trouver le mariage idéal pour leurs enfants. Quant à William, il tient une agence immobilière de haut standing à Edimbourg. Son travail l'occupant plus qu'à temps plein, il ne rentre que rarement à Glasgow où sa famille s'est établie, et n'a donc jamais eu l'occasion de passer du temps avec ses enfants.
Une fois les deux filles à Poudlard, Mary a rejoint son mari à Edimbourg, ne retournant à Glasgow que pour les vacances scolaires.
Point de vue politique, les O'Brien sont historiquement des pro-sang-purs modérés : pas assez radicaux pour être inquiétés par la justice, ils entretiennent cependant de bonnes relations avec une partie du gotha sang-pur.  

Elle avait tout appris en écoutant Elisabeth en parler. Elle avait fait semblant de ne pas être intéressée, pour la forme, parce qu'elle n'avait pas envie que sa sœur pense qu'elle voulait écouter une autre de ses histoires ennuyantes sur comment bien se comporter. Franchement, la barbe. Donc elle avait continué à lancer des bouts de pain dans la piscine en chantonnant, mais elle avait tout retenu. D'abord il y avait le train qu'il fallait prendre à Londres. Ensuite la barquette pour traverser le Lac. Puis on entrait dans la Grande Salle, où y avait plein de grosses bougies flottantes. Et là, il fallait s'arrêter pour écouter un vieux chapeau chanter, et puis on se le mettait sur la tête et pouf, il faisait la répartition.
Le train avait été un jeu d'enfant. Encore heureux, puisqu'elle était une enfant. Ses parents les avaient aidées, sa sœur et elle, à soulever leurs malles dans le premier wagon venu, et puis Grace s'était éclipsée sans demander son reste. Pas question de rester avec Elisabeth tout le trajet, alors qu'elle avait tout un train à explorer.
Bon, ça s'était avéré un peu décevant, tous les wagons se ressemblaient. Elle avait fini par s'installer avec d'autres élèves qui semblaient plus ou moins de son âge et tout s'était bien passé. Ils avaient fait un concours de la plus grosse bulle de chewing-gum, avaient admiré le boursouflet de l'un d'entre eux et avaient comparé la taille de leurs baguettes. Elle avait voulu aller voir ce que faisait sa sœur, à un moment donné, histoire de se moquer de ses amis -qui devaient forcément être aussi fadasses qu'elle-, mais elle ne l'avait pas trouvée. Elle avait déjà trouvé les ennuis, par contre. Un élève de deuxième année s'était moqué de ses couettes hautes, et elle avait répliqué en comparant sa tête à un chou. Un vieux chou moisi, même.
Sa partie préférée avait été le tour en barquette. Elle avait jeté un coup d'oeil à l'édifice majestueux qui grandissait au fur et à mesure que leur embarcation s'en approchait, avant de se pencher le plus possible par dessus le bord pour apercevoir le calamar géant. Manque de pot, il faisait noir comme dans un four, et elle n'y voyait donc goutte. Elle avait plongé l'avant-bras dans l'eau, sous le regard ahuri d'un de ses camarades, mais n'avait pas senti de gros calamar sous ses doigts. Enfin elle ne savait pas vraiment ce qu'elle aurait dû sentir si elle avait touché le calamar, mais elle était sûre d'une chose : s'il ne prenait pas tout le lac, il ne devait pas être si géant que ça, le calamar. Elle avait retiré son bras de l'eau pour l'essuyer sur sa robe de sorcière en se promettant qu'elle arriverait à l'apprivoiser avant la fin de ses études. Rien que l'idée de se servir du calamar comme monture lui mettait des étoiles dans les yeux.

Et puis il y avait eu la Grande Salle. Elle avait essayé de blaguer avec sa mère, quelques jours auparavant, en lui demandant s'il y avait aussi une Moyenne Salle et une Petite Salle, mais ça ne l'avait pas faite rire. Elle avait été prête à réessayer sa blague en entrant dans la pièce, mais pendant un instant, elle avait eu le souffle coupé. Il fallait admettre que c'était grandiose, entre le plafond magique et les chandelles flottantes.
« Tu crois qu'on pourrait traverser la salle en se tenant juste aux grosses bougies ? » Glissa-t-elle à un autre premier année qui lui renvoya un regard interdit avant de trébucher sur une dalle. Pfeuh, il n'était pas marrant.

Le Choixpeau magique était peut-être moins magnifique, comparé au reste, mais il fallait admettre qu'il avait quand même quelque chose d'impressionnant. Déjà parce qu'il semblait toujours tenir en un seul morceau, alors qu'il était sans doute bien plus vieux que Grace, mais aussi parce qu'il chantait. Et le pire de tout, c'est qu'il semblait aspirer les pensées des têtes sur lesquelles il était posé. Impressionnant et peut-être un peu flippant.

« O'Brien Grace. »
Elle ne trembla pas, serrant à peine les poings. Elle savait que tout le monde la regardait, et qu'elle devait faire semblant de ne pas avoir peur. Elle fit attention à ne pas se prendre les pieds dans sa robe en grimpant sur l'estrade avant de s'asseoir sur le tabouret, face à tous les autres élèves. Elle lança un coup d'oeil vers la table qu'elle savait être de sa sœur, avant d'avoir sa vision obstruée par le choixpeau lui tombant devant les yeux.
Ce n'était pas le moment de penser à des bêtises, sinon il allait tout entendre. Elle se concentra de tout son être, serrant les paupières le plus fort possible. Pas avec ma sœur, juste pas avec ma sœur...
Elle était un peu près sûre qu'elle allait vomir tous les bonbons qu'elle avait ingurgités dans le train si elle entendait le nom de la Maison Maudite sortir du Choixpeau magique.

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Sur ce, je te souhaite beaucoup de plaisir dans cette nouvelle vie qui commence, et plein de merveilleux RPs !