Mise en place de la stratégie (Bluebell & Phoenix)

Mise en place de la stratégie| ft. Phoenix

Il y avait les stratégies de guerre, les stratégies de bataille, les stratégies de combat, et puis, il y avait les stratégies de séduction.
Cette dernière catégorie avait longtemps été inconnue à Bluebell qui pourtant, commençait à se prendre au jeu. Elle en était devenue gourmande et visait dorénavant l’échec et mat, dans l’espoir vénal et prétentieux de mettre un genou à terre à un Roi qu’elle espérait rendre vulnérable. De toute façon, elle avait toutes ses chances : les Reines avaient tous les atouts en leurs mains, capables de se déplacer partout et de porter des coups parfois déloyaux. Le Roi était plus lent et en son cas, le Roi était déshonoré : la partie serait d’autant plus rapide et critique. Mais il lui fallait quand même l’appui d’une complice et d’une experte, car un débutant, même dans la facilité, peut commettre des erreurs, et c’était justement dans l’objectif d’amoindrir le risque que Bluebell arriva au coeur de Pré-au-Lard, ses bottines traçant des pas déterminés dans le manteau neigeux du mois de décembre.

Heureusement qu’il y avait Phoenix. Qui d’autre que cette arrogante Gryffondor, maîtresse des échecs et bonne stratège, aurait jamais pu lui rendre pareil service ? C’était finalement une chance que de s’être humiliée devant elle en début d’années, lorsqu’elle avait demandé à un idiot de faire ses devoirs et que cet imbécile lui avait refusé ce privilège. Elle s’était peut-être couverte de ridicule, mais elle en avait tiré une alliance avantageuse. Bluebell avait mesuré sa chance alors que les mois avançaient en cette quatrième année et que certains feux du passé refaisaient surface. Emmitouflée dans son long manteau noir duquel ne dépassaient que ses bottines de cuir et son visage à moitié couvert par son épaisse écharpe en mailles, la jeune fille attendait l’arrivée de Phoenix comme un cadeau de Noël avant l’heure. Elle ne broncha même pas lorsque son acolyte arriva avec du retard en lui lançant un joyeux surnom ridicule. Phoenix avait ces droits-là, comme un général de l’armée bénéficie de nombreux avantages ; ce n’était pas au lieutenant de lui reprocher quoi que ce soit. Un sourire souleva les lèvres des Bluebell, mais cette mimique fut en partie couverte par son écharpe. “Bonjour beauté, ça va très bien, et toi ?” rétorqua-t-elle avec une ironie à peine cachée. Mais les affaires avaient besoin de ce genre de discussion superficielle pour être amorcées.

Le froid était mordant et pourtant, Bluebell se sentait réchauffée par un feu intérieur qui n’avait de cesse de croître, dangereusement. Elle n’avait jamais été pyromane et pourtant, à mesure que l’année scolaire avançait et que les histoires se bousculaient dans sa jeune vie, elle se sentait prise d’étincelles et d’éclats nouveaux. Peut-être était-ce dû à l’incendie passé, qui avait éveillé en elles des cendres encore rougeoyantes, ou alors était-ce l’odeur âcre de la fumée de certains souvenirs encore fumants qui dansaient devant ses yeux. Bluebell était prise d’une ardeur nouvelles qui la poussait justement à jouer ce rôle de petite enfant en plein apprentissage ; un apprentissage bien singulier puisqu’il s’agissait finalement d’apprendre à cette jeune fille comment séduire et manipuler un Roi. “Je suis ravie que tu aies accepté mon invitation. Je sais que les jeux d’échec ne sont pas du goût de tout le monde, et pourtant, tu es là, à braver le froid pour m’enseigner les rudimentaux. D’ailleurs, nous devrions rapidement commencer la leçon, n’est-ce pas ?” fit-elle alors en se tournant vers le bout de la rue plus loin derrière elle. Elle échangea un bref regard avec sa camarade avant d’avancer tranquillement vers la boutique de vêtement qu’elle avait visée. Phoenix n’était pas stupide, Bluebell avait bien compris cela malgré le peu de temps qu’elles avaient passé ensemble. Elle avait très bien compris de quoi il s’agissait, sinon, elle n’aurait de toute façon jamais accepté son invitation. Qui eût jamais cru que Phoenix se retrouve à conseiller Bluebell pour un choix vestimentaire ! Et pourtant, derrière cette réflexion des plus superficielles se cachait un dessein bien plus profond. La stratégie féminine était finalement la stratégie la plus menaçante de ce siècle.

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Mise en place de la stratégie| ft. Phoenix

Pré-au-Lard était finalement des plus charmantes, couverte d’un épais manteau de neige. Le cadre idéal pour une sortie entre copines, insouciantes, à bavarder sur les rumeurs et les yeux doux d’un garçon. L’illusion était en fin de compte parfaite : après tout, Phoenix venait d’attrapper Bluebell par son bras et elles s’avançaient désormais vers de jolies boutiques de prêt-à-porter. Elles se donnaient même de petits surnoms mielleux et le rire que lâcha la Serpentard à la question de Phoenix résonnait comme le rire insouciant d’une adolescente superficielle et joyeuse.

Mais il n’en était rien, bien sûr. Phoenix était intelligente et agile : deux qualités qui avaient fait d’elle une parfaite manipulatrice, laquelle s’apprêtait à partager son savoir sadique à Bluebell, une vipère à la fierté aussi large que son impétuosité. Certes, la neige tombait doucement, le cadre incitait à la rêverie et à la douceur, et elles déambulaient telles deux amies complices et naïves ; mais la réalité était bien plus perverse. Par ailleurs, à bien y réfléchir, le rire de Bluebell avait eu une sonorité jaunâtre, et ce bras-dessus bras-dessous ressemblait en fin de compte bien plus à un acte diplomatique qu’à un geste irréfléchi et spontané. Bluebell adopta la cadence de sa camarade et, fixant ses bottines qui crissaient sur la neige, répondit avec désinvolture : “Oh, tu sais, un besoin d’adolescente comme une autre. Il me faudrait une robe pour une certaine réception, pour attirer certains regards, et en provoquer d’autres. Somme toute, une robe capable de changer l’ordre de l’échiquier.” Elle tourna son visage vers Phoenix avec un sourire malicieux, emplissant son regard bleu d’une lueur électrique. Elle n’avait finalement pas besoin d’en dire beaucoup plus : elle comptait sur la perspicacité de sa camarade pour démêler ce lot d’informations implicites. De toute manière, inutile de coller à ce cadre et de jouer aux innocentes : elles n’étaient pas là pour passer une bonne après-midi entre copines, mais pour causer affaire et stratégie entre femmes.

Bluebell porta son attention sur une boutique à leur gauche, à la devanture éclairée en l’honneur des fêtes de fin d’année approchantes. Quelques mannequins portaient de somptueuses robes qui attirèrent son regard. Elle serra machinalement le bras de Phoenix pour attirer son regard dans la direction qu’elle lui indiqua de l’index. “Et cette boutique semble idéale pour mon plan, qu’en dis-tu, chérie ?” Cette fois-ci, Bluebell n’avait eu aucun motif valable pour esquisser un tel surnom ; mais elle avait fini par se prendre au jeu de cette mascarade amicale, et le minoi guilleret de Phoenix l’avait poussée à adopter ce ton si condescendant. Esquissant un large sourire amusé, la Serpentard s’avança vers la boutique, toujours au bras de la Gryffondor. “Y repères-tu une arme susceptible de soutenir mon dessein ?” reprit-elle en penchant son visage sur le côté, examinant quelques tissus colorés et essayant vainement de s’y imaginer dedans. La féminité n’était pas encore tout à fait de son ressort, peu importe les efforts qu’elle avait fournis jusqu’alors. Seuls les yeux experts de Phoenix pouvaient l’aider à avancer sur la douce pente de la séduction, et seule Phoenix, une fois de plus, pouvait l’empêcher d’y tomber trop rapidement… Mais, absorbée par sa volonté de jouer aux échecs, Bluebell ne songeait même pas à la potentialité de perdre.
Hélas, donc, qu’elle finisse pourtant par y tomber tête la première.

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Mise en place de la stratégie| ft. Phoenix

Finalement, à force d’y songer, Bluebell était parvenue à la conclusion que s’humilier devant ce ridicule Poufsouffle, en début d’année, avait été une expérience formidable. Elle ne s’était pas réjouie d’ainsi paraître stupide, certes ; néanmoins, elle était parvenue à attirer les faveurs de Phoenix, se constituant ainsi une première alliée des plus stratégiques.
Si Bluebell n’était pas du genre à entretenir un réseau d’amis, encore moins à être populaire et à couvrir ses arrières, elle n’était pas contre l’idée d’avoir une aussi bonne institutrice dans l’art de la guerre. Saupoudrez le tout d’un peu de frivolité et de légèreté, et vous obtiendrez au passage un semblant d’amitié en couverture d’une véritable stratégie de guerre. Rien à voir avec toutes ces imbéciles qui se promenaient en ricanant dans le château. Bluebell et Phoenix, elles, ne chassaient pas les ragots, ni les garçons : elles chassaient la gloire. Même si cela devait impliquer de passer par ces mêmes bavardages, par ces mêmes jeux de séduction.

La Serpentard pénétra la boutique à la suite de sa protectrice. Celle-ci fit un tour d’ensemble, et Bluebell fut presque surprise de la retrouver tel un poisson dans l’eau. Presque, car dans une certaine mesure, Phoenix était clairement habituée à prendre soin d’elle et à se mettre à son avantage ; il était donc logique qu’elle maîtrise un tel environnement. C’était certainement le type de QG dans lequel elle venait se préparer avant une bataille. Elle finit par revenir vers elle en lui demandant d’abord son propre avis. Quelle question ! Bluebell ne s’habillait que de jeans et de pulls. C’était bien là l’inconvénient d’avoir grandi avec un frère jumeau… Elle s’était calée sur lui toute sa vie pour ses tenues vestimentaires, ignorant pas mal de choses de l’esthétisme féminin. Il était temps d’y remédier. A l’aube de ses quinze ans, elle ne pouvait plus se permettre de garder ces vêtements à l’ombre desquels son corps se transformait discrètement. “J’imagine que je dois choisir quelque chose de sombre ? Les couleurs évoquent bien trop le carnaval.” Bluebell se tourna alors vers un coin de la boutique où les tissus qui en dépassaient n’annonçaient rien de trop folklorique. Elle plongea ses mains parmi les robes et en retira une première, puis une deuxième trois minutes plus tard. Retournant vers Phoenix, elle eut un sec mouvement de poignets pour afficher les robes qu’elle soulevait légèrement afin de ne pas leur faire prendre la poussière du sol. Elle tourna son visage vers sa main gauche, tenant une longue robe grise dans un tissu léger évoquant des voiles. Des noeuds compliqués semblaient fermer le dos presque nu, alors que le devant couvrait bien l’ensemble de la poitrine. La jeune fille tourna ensuite son visage vers sa main droite, retenant une robe plus courte, noire cette fois-ci. Elle avait une jupe patineuse et un haut relativement décolleté incrusté de quelques discrètes pierres brillantes. “Est-ce qu’on peut considérer ces deux échantillons comme intéressants ?” Bluebell porta désormais son attention à sa camarade face à elle. Ce n’était pas un exercice facile, en fin de compte : soumettre ses propres goûts (inexistants, avouons-le) à l’expertise d’autrui, surtout quand on a un orgueil aussi massif que le sien. “S’il te plaît, dis-moi que je ne suis pas non plus un cas désespéré. Ou alors, qu’il me reste un espoir de rémission. Je ne veux pas finir ma vie dans les sweats de Maxton”, gémit-elle avec une grimace déconfite surjouée. Elle n’était peut-être pas douée en lien social, elle en comprenait cependant les fondements, et elle comptait bien sur Phoenix pour continuer son apprentissage. La superficialité était la première épreuve, mais en réalité la Gryffondor lui en apprenait bien plus, n’était-ce que par ses réactions et ses répliques cinglantes.

Oui, cette pseudo-amitié était étonnante, mais pas infondée, au contraire. Bluebell eut le sentiment, alors que Phoenix la jaugeait du regard, que ses conseils lui seraient certainement bien plus utiles que toutes ses années de scolarité à Poudlard.

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Mise en place de la stratégie| ft. Phoenix

Bluebell observa Phoenix dans un instant de flottement avant de laisser retomber ses bras, les robes couvrant ainsi ses jambes, dans un mouvement de protestation. Les essayer ? Fallait-il vraiment qu’elle aille se cacher derrière un morceau de tissu, se découvrir, enfiler une robe qui ne lui irait de toute façon pas, puis marcher avec assurance sans une once de pudeur pour afficher ce spectacle désolant ? Elle baissa les yeux sur les robes qu’elle tenait toujours sous ses mains. Elle devait passer par là pour s’améliorer physiquement, et elle devait s’améliorer physiquement afin de déstabiliser l’adversaire et maîtriser au mieux la partie d’échec qui l’attendait. Difficile de voir le but final quand une telle honte s’imposait à elle de prime abord. Mais Phoenix était un regard objectif et discret. Après tout, elle s’était déjà humiliée devant elle en se faisant recaler par un idiot de Poufsouffle, et la Gryffondor avait gardé le secret, et l’avait même aidée à s’améliorer. Ce n’était pas un essai de robe qui allait l’empêcher d’avancer sur le chemin de la gloire féminine que lui présentait la jeune fille, n’est-ce pas ? “Bon, très bien. S’il faut s’embarrasser de cette frivolité pour être douée aux échecs… Je suppose que je n’ai que ça à faire”, marmonna-t-elle plus pour elle-même que pour sa camarade de shopping.

Elle fit volte-face et se dirigea d’un air résolue vers la cabine au fond de la boutique. Tirant sèchement le rideau, elle disparut derrière le voile et commença à se déshabiller rapidement, avant de glisser dans la première robe, la grise voilée. Elle mit plus de cinq minutes à parvenir à l’ajuster, perdue parmi le dédale des noeuds dans son dos. Enfin, elle tira le rideau et se présenta à Phoenix sans croiser son regard, les mains n’ayant de cesse de repasser les quelques mouvements froissés du tissu gris sur ses jambes. “Alors ?” fit-elle mollement, avant de se tourner vers le miroir à sa gauche. Elle se contempla quelques instants sans parvenir à comprendre si elle se trouvait jolie ou ridicule. C’est qu’une robe pareille la changeait fondamentalement des sweats trop grands de Maxton… Elle leva ses cheveux d’une main, monta sur la pointe des pieds, prenant des pauses qu’elle n’aurait jamais eues en temps normal, comme si porter une robe l’empêchait d’être naturelle. Les voiles avaient un effet intéressant : si la robe était ajustée à la taille et au buste, elle flottait autour de ses jambes dans un mouvement de fluidité qui faisait écho au dos ouvert. En voyant ce morceau de peau blanc se détacher des drapés gris, Bluebell eut une grimace : que l’été lui manquait ! Elle avait la chance de pouvoir bronzer, et ce teint blafard ne l’inspirait guère. “Je devrais essayer la deuxième, j’imagine ?” fit-elle sans atteindre l’avis de Phoenix, qu’elle n’avait toujours pas osée regarder, avant de refermer le rideau.

Ouvrant les nœuds dans son dos après une brève lutte, elle se glissa dans la seconde robe. Celle-ci était bien plus moulante, et Bluebell ne put se retenir d’esquisser un air surpris en constatant que son corps pouvait être ainsi exposé en toute pudeur. Elle rouvrit le rideau et se présenta à Phoenix, avec cette obstination de tout regarder sauf sa partenaire. D’un autre côté, comment pourrait-elle assumer une telle posture ? Elle n’avait ni l’habitude de charmer, ni d’être avec une fille, encore moins une personne comme Phoenix dont le physique était reconnu par l’ensemble de l’école. Pour une fois, elle n’était pas dans son environnement naturel : et ce changement de contexte l’empêchait de se présenter dans son orgueil quotidien. Remontant légèrement le décolleté qui laissait tout de même entrevoir les premières rondeurs de sa poitrine, Bluebell finit par pousser un soupir. “Peine perdue, mon corps ne doit pas être fait pour ce genre de tenues”, pesta-t-elle en se résignant finalement à croiser le regard de Phoenix. S’humilier à cause de quelqu’un, c’était quelque chose : mais s’humilier en portant des tenues frivoles qui ne lui ressemblaient pas, de son plein grès en plus, c’était encore autre chose. Les échecs n’étaient résolument pas un jeu facile… Pourvu que la stratégie ait les résultats escomptés, car un tel sacrifice devait en valoir la peine !

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Si ce lien étrange avec Phoenix ne mettait pas Bluebell en position de force, il lui était néanmoins précieux. La jeune fille ne doutait pas que Phoenix en tirerait également profit - après tout, avoir une Sherwin auprès de soi était un avantage certain - mais pour l’heure, sans Phoenix, Bluebell devait admettre qu’elle serait bien embêtée. Elle n’avait pas de doute que les conseils de la jeune fille lui serviraient sur le long terme, alors, oui, elle était peut-être gênée et dans une posture embarrassante, il en résulterait du positif pour le restant de ses jours à Poudlard.

Bluebell s’était rhabillée et avait rejoint son amie devant la boutique comme convenu. Alors qu’elle adressait un sourire à sa camarade, elle s’aperçut combien la propre stratégie de Phoenix était brillante. Après tout, elle se mettait une Sherwin dans la poche et était déjà soudée avec les Sorensen. Ca aussi, c’était un avantage pour Bluebell : si elle avait des soucis avec Erin et Finnbjörn, au moins s’assurait-elle une certaine proximité avec la Gryffondor, qui jouait un rôle d’électron libre. La neige continuait de tomber paisiblement autour d’elles, saupoudrant cette balade de naïveté et d’insouciance. Ca devait ressembler à ça, l’amitié : les parties d’échec en moins. “Une robe noire, donc.”, pensa-t-elle à voix haute. En effet, elle n’avait pas encore le corps requis pour des robes extravagantes, que seule une femme en pleine conscience d’elle-même pouvait porter. Ce n’était pas en sortant des sweats de Maxton que Bluebell passerait à des tenues frivoles… Il lui fallait effectivement des tenues de transition, sobres, mais élégantes, loin de ses habitudes vestimentaires mais déjà plus proches de ce qu’elle pouvait porter. “Oh mais, j'y pense, quelle piètre amie je suis... Je ne t'ai même pas demandé : tu as déjà trouvé ta robe, toi ?” reprit-elle en se tournant vers Phoenix avec un sourire interrogateur, alors qu’elles s’approchaient d’une deuxième boutique de vêtements. Phoenix serait certainement superbe, avec une robe collant à sa personnalité de feu.

La boutique vers laquelle les deux jeunes filles arrivaient présentaient des modèles bien plus classiques. Petite et sombre, elle dégageait quelque chose de confidentiel et d’intime, présentant des robes majoritairement monochromes, aux coupes traditionnelles mais propres. Par exemple, Phoenix ne s’y serait certainement pas aventurée pour elle-même : il lui fallait plus de motifs, ou plus de couleurs, ou plus d’extravagance. En revanche, la personnalité froide et glaciale de Bluebell y collait davantage - du moins dans cette phase d’apprentissage de son corps et des stratégies qu’elle finirait, un jour, par maîtriser. Elle consulta son professeure d’un coup d’oeil, alors qu’elles étaient arrivées au niveau de la vitrine exhibant trois mannequins différents. “Celle-là n’a pas l’air trop mal, pour des robes noires et sans décolleté”, fit alors la Serpentard dans un sourire amusé, reprenant l’avis de Phoenix. Et, alors qu’elle reposait son regard sur les modèles exhibés, Bluebell se demanda si finalement elle pouvait réellement faire confiance à Phoenix. Et si tout cela n’était qu’une immense mascarade pour se moquer d’elle ? Elle était justement proche de Finn et d’Erin, n’était-ce pas là un indice de ses mauvaises intentions ? A dire la vérité, Bluebell n’avait aucune certitude sur la loyauté de la jeune fille. Après tout, elle ne savait pas à quoi ressemblait vraiment la sympathie. Peut-être qu’elle finirait par se jouer d’elle, ou d’utiliser cette proximité nouvelle pour aider Erin à l’enfoncer davantage, sous les yeux d’un Finnbjörn exalté par la possibilité de la ruiner. Mais Bluebell savait que dans le fond, Phoenix était trop intelligente pour servir de sbire, et bien trop indépendante pour ne jouer que dans un seul camp. C’était finalement la raison pour laquelle elle la croyait, dans les limites de leur lien de services mutuels : elle ressemblait, dans un sens, à son profil autonome, stratégique, calculateur. Et c’était, en fin de compte, la raison même de leur rapprochement : peut-être était-il intéressé, il n’en demeurait pas moins fondé sur cette ressemblance, et pour preuve, Phoenix lui donnait toutes les clés pour parvenir à une évolution qu’elle-même avait dû construire. C’était peut-être cela, les liens entre femmes : de l’entraide stratégique et respectueuse du haut de leurs rangs respectifs.

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Une autre force de Phoenix, au-delà de son charme naturel et de ses exploits stratégiques, était bien sa capacité à connaître ce qu’elle voulait. Si Bluebell savait ce qu’elle ne voulait pas, elle avait du mal à appliquer autant de transparence envers elle-même afin de chercher quels étaient ses objectifs réels. Ainsi, elle savait qu’elle ne voulait pas rester dans l’ombre pour sa future carrière ; qu’elle ne voulait pas continuer à supporter les présences hostiles d’Alexis et Victor ; qu’elle ne voulait pas que Finnbjörn l’oublie à nouveau et soit indifférent à elle. Mais elle ignorait tout de ce qu’elle cherchait réellement - et elle ignorait même jusqu’à ses propres ressentis, étouffés par un orgueil et une impulsivité qui ôtait à ses volontés leur caractère authentique. Ce n’était peut-être qu’une histoire de robe, mais c’était là la partie apparente d’un iceberg bien plus profond : Phoenix avait confiance en elle et son ambition n’avait aucune limite. Une alliée de taille qui commençait par lui apprendre les échecs, mais qui finirait certainement pas avoir un réel poids lors des prochaines batailles, y compris envers les Sørensen : elle était proche de ceux que Bluebell méprisait. N’y avait-il pas une situation plus idéale ? “Admirable. Dire que moi, je cherche une simple robe noire et que j’ai pourtant besoin d’une compagnie pour cette tâche élémentaire”, fit-elle dans un sourire amusé. Elle n’avait pas de honte à admettre que le domaine des apparences, elle ne le maîtrisait pas encore tout à fait, et c’était encore moins difficile à dire puisqu’elle était en présence de la seule capable d’y remédier.

Puis les deux jeunes filles arrivèrent face à la seconde boutique repérée par la Serpentard. Sur confirmation de Phoenix, Bluebell y pénétra la première, revigorée par la chaleur ambiante du magasin dont l’allure minimaliste conférait une certaine classe qui avait été absente de la précédente boutique. Quelques sobres portants affichaient de longues et luxueuses robes très simples, dont les couleurs sombres allaient du bordeau au vert sapin. Plus à l’aise que lors de leur première boutique, Bluebell commença à chercher par elle-même une robe susceptible de remplir les critères qu’elle commençait à se fixer sur l’allure générale de la robe. Elle en tira ainsi trois différentes, qui n’avaient de commun que la couleur noire uniforme. Finalement, ne pas savoir ce qu’elle voulait avait quelque chose d’utile : elle avait immédiatement ignoré les tenues trop fluides, et les tenues trop extravagantes. Elle avait donc entre ses mains des robes relativement sobres, quoique différentes les unes des autres : une première était très longue et le tissu semblait briller sous l’éclairage ; la deuxième se fermait en portefeuil et était plus courte ; et la troisième avait un élégant bustier et une longueur tolérable. Bluebell croisa le regard expert de son acolyte et entreprit de se diriger de son plein gré vers les cabines. Finalement, en y mettant un peu du sien, elle s’aperçut qu’il n’y avait rien de réellement gênant dans le fait d’essayer quelques robes face à Phoenix. C’était bien au contraire la seule capable de pouvoir la regarder en toute objectivité et sans jugement. Certes, il y avait sûrement un peu d’opportunisme dans cette démarche, mais Bluebell n’était-elle elle-même pas coupable d’opportunisme en utilisant Phoenix dans cette quête de la robe idéale ? Et puis, il y avait un côté presque agréable à avoir ce moment de frivolité entre femmes. Ce n’était pas Maxton qui aurait pu la conseiller, et chaque conseil vestimentaire de la Gryffondor était par ailleurs très précieux.

Elle sortit ainsi de la cabine vêtue de la première robe, dont la longueur la tassait légèrement. Elle était trop fine, et la robe, trop épaisse et longue ; elle semblait l'ensevelir sous les drapés brillants, à la manière d’un linceul royal. Bluebell esquissa un sourire à son reflet à côté d’elle avant de se tourner vers Phoenix. “Elle conviendrait davantage à mon propre enterrement, n’est-ce pas ?” ironisa-t-elle en tournant sur elle-même. “Dommage, je ne compte pas attiser les folies meurtrières, à cette réception. Je ne pense donc pas qu’elle soit adaptée aux circonstances... “ reprit-elle en observant à nouveau son reflet, une moue dubitative sur son visage. Elle se demandait pourquoi Phoenix n’avait encore rien demandé quant à ses desseins, ce qui était relativement surprenant au vu du message pourtant ambiguë qu’elle lui avait envoyé afin de solliciter sa présence sur cette journée. La discrétion de la jeune femme était des plus agréables ; elle aurait eu matière à s’interroger mais avait gardé le silence sur ses desseins jusque maintenant. La dignité de Phoenix était remarquable, ce qui la surprenait d’autant plus qu’elle fréquentait des personnes aussi sauvages qu’Erin… Mais qui serait-elle pour juger ? Elle lui avait bien appris que la politique justifiait les moyens.

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D’ordinaire, la réflexion de Phoenix l’aurait faite grincer des dents. En effet, Bluebell se refusait obstinément de reconnaître avoir besoin d’autrui - en réalité, c’était bien simple : elle n’estimait avoir besoin de personne. Mais dans ce contexte particulier, et puisqu’il s’agissait d’un domaine où son désintérêt et son inexpertise étaient évidents aux yeux de tous, la Serpentard ne put qu’admettre cette dure réalité. Elle avait eu besoin de Phoenix sur ce point, aussi entêtée et indépendante se voulait-elle. C’était effectivement difficile d’admettre cette forme de soumission, car c’était une forme de soumission aux yeux de Bluebell que de dépendre de quelqu’un dans l’exécution d’une tâche. C’était bien pour cela qu’elle avait toujours fait en sorte d’être autonome, dans la limite de Maxton qui était le seul être dont elle dépendait réellement. Mais les atouts physique, la séduction, c’était quelque chose d’inconnu à son frère, du moins pour le revers féminin. Et Phoenix entrait ainsi sur scène, et de ce fait, Bluebell ne put que reconnaître à sa camarade son utilité. Mais cette légèrement humiliation aurait son intérêt : après tout, passé ce moment d’embarras, elle aurait de nouvelles cartes en main pour l’autonomie tant désirée. Et puis, Phoenix n’était pas une présence désagréable au-delà de l’intérêt qu’elle représentait. Subtile, vive et ambitieuse, elle était intelligente et fière, et c’était tout à fait le genre de compagnie que Bluebell appréciait. Des gens dignes et futés. C’était finalement ce qu’elle avait trouvé chez Misha également, qui sous ses airs de mauvais garçon impulsif jouissait d’une bonne estime de lui-même et d’une rapidité de réflexion très intéressante. Des personnalités fortes qui la stimulaient et lui donnaient envie d’échanger : voilà pourquoi Bluebell était finalement si peu entourée. Qu’il était rare de trouver des partenaires un tant soi peu dotés d’esprit ! C’était bien la raison pour laquelle elle méprisait tous ces sangs impurs. Ennuyants, vulgaires et crasseux, ils n’avaient de brillant que leurs regards vitreux. Rien à voir donc, avec les pupilles, par exemple, entre autres, bleutées et profondes du Norvégien, qui inspiraient la ruse et la profondeur d’esprit.

Bluebell chassa cette vision du regard du Gryffondor de son esprit et acquiesça aux propos de sa camarade qui en vint justement à lui demander ce qu’elle recherchait à cette fameuse réception. La Serpentard serra la rideau de la cabine d’essayage sous ses doigts, gardant un instant de silence avant de tirer sèchement le tissu afin de s’isoler. Elle défit la robe et, ouvrant la deuxième qui était en forme de portefeuille, répondit d’une voix qui se voulait désinvolte “Oh, simplement quelques regards approbateurs et l’attention intéressée de quelques convives… Il est temps que je m’élève et que je souligne mon existence aux yeux du beau monde.” Elle se glissa ensuite dans la nouvelle robe qui marquait sa taille mais semblait légèrement trop courte. Bluebell tira à nouveau le rideau et se montra ainsi face à Phoenix dont elle croisa le regard. Elle ne pouvait pas mettre de nom sur l'identité recherchée par la jeune femme - peut-être plus tard, si celle-ci se montrait réellement digne de confiance. Mais dans l'immédiat, aurait-elle seulement compris l'ampleur de la situation ? Aurait-elle saisi qu'il ne s'agissait pas que d'un simple jeu, mais d'une réelle situation de guerre ? Non, il fallait encore rester floue. Et puis, Phoenix était bien trop proche des Sørensen : sa loyauté, pour l'heure, leur allait de droit. Il aurait été bien imprudent que de parler de Finnbjörn en ces circonstances... Peut-être plus tard, si l'occasion se présentait, et si ses liens avec Phoenix prenaient une tournure un peu plus sérieuse. Un rictus empreint d’une lueur présomptueuse vint finalement étirer ses lèvres. “Après tout, ne dit-on pas que le physique joue autant que l’esprit ? Si on peut déconcentrer son adversaire au cours d’une partie, autant ne pas s’en priver”, reprit-elle avant de rire d’amusement.

C’était peut-être un coup bas que de gagner en ajoutant à son mental quelques exercices du corps, une forme de tricherie pour certains - mais quand on était né dans un monde aussi sauvage et impitoyable, il fallait se montrer prêt à tout. C’était bien l’enseignement de Phoenix : le physique était terriblement important. Ce n’était pas pour rien que la Gryffondor était aussi ambitieuse, elle avait le corps pour se le permettre et pour parvenir à ses buts. Bluebell en était convaincue ; en revanche, elle fut moins certaine du choix de la robe qui lui semblait décidément bien courte. “Elle en montre trop, n’est-ce pas ? Je ne leur laisserai même pas le champ de l’imagination” conclut-elle avec une moue dubitative. Décidément, les robes se succédaient mais ne se distinguaient pas par leur magnificence.

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