The Great Shipwreck of life ♣ Phoenix & Finn

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La réception d'Hiver des Sørensen

Je laisse passer Phoenix devant moi avec un geste de politesse que j’estime être d’usage, et referme précautionneusement la porte derrière nous. Le bruit de fond des conversations animées, du tintement des verres, des rires faux et de la musique, s’interrompt pour ne laisser qu’un silence profond : le bureau de Grand-Père est parfaitement insonorisé. Nous nous retrouvons tous les deux seuls, elle et moi. Je ne sais pas si notre absence sera remarquée, Grand-Père me taquine souvent sur la proximité que j’entretiens avec elle, ne lésinant pas sur les sous-entendus. Au risque de le décevoir, la relation que nous entretenons est purement amicale, il ferait mieux de regarder du côté de mon frère… Elle est peut-être même ma seule amie à Poudlard, la seule dont je suis parfaitement sûr. Elle a été là pour moi ces dernières semaines, elle s’est tenue à mes côtés depuis la rentrée, elle a tout suivi de mon évolution, de mes progrès, de mes déboires. Mon orgueil a peut-être mal digéré la manière dont elle m’a incendié, à cause de Roxy ; pour la première fois, j’ai eu le sentiment qu’on s’adressait à moi comme à un enfant, et j’ai détesté ça. Mais au fond, je sais qu’elle est juste : je ne pourrais établir un jugement par rapport à la jeune Poufsouffle qu’une fois que je disposerais de tous les éléments, ce qui n’est pas encore le cas. La pièce est haute de plafond, et relativement grande : je la parcours, jusqu’à atteindre l’une des étagères, sur laquelle reposent plusieurs cadres de photos animées. Je me hisse sur la pointe des pieds, et récupère celle que je cherchais, avant de la tendre à Phoenix. « J’ai rrretrrrouvé ça. » Nous sommes trois dessus, ça remonte à quatre ans auparavant, après quelques semaines à Poudlard. Nous devions approcher de la période de Noël, au vu de manteau de neige qui recouvrait le parc derrière nous, et les écharpes que nous portions. Nous avons effectivement l’air sensiblement plus jeunes… Phoenix avait déjà cette moue hautaine que j’aime pourtant bien. Si je ne me trompe pas, ça faisait déjà deux ans que le scandale avait éclaté dans sa famille, et qu'elle devait se contenter d'une vie qu'elle détestait. Quant à moi, ma nonchalance est plus que visible. Je mets le doigt sur la jeune fille blonde qui se trouve à côté d’elle : « Cette fille, c’est celle qui a été rrrenvoyée l’an derrrnier, à cause des interrrogatoirrres, n’est-ce pas ? » Grand-Père m’en a parlé brièvement, lorsque j’ai redécouvert toutes ces photos pour en imprégner ma mémoire. La fille Norgarstein, c’était apparemment une de nos amies. C’est important pour moi, parce que je n’en ai pas franchement eu un grand nombre au cours de ma vie, et parce que j’ai le sentiment que ça fait aussi partie de l’histoire. Elles ont été "spéciales", je ne peux le nier…

Je me retourne vers elle, et la dévisage un moment, étudiant jusqu’au moindre de ses battements de cils. « Tu sais prrrécisément ce qui s’est passé, l’an derrrnier. Je me trrrompe ? » Lorsqu’elle a évoqué « notre implication », s’incluant elle-même au sein de ce mystérieux groupe que nous formions, il est devenu difficile pour moi d’envisager que nous puissions être encore parfaitement innocents. Ça, puis les paroles d’Alexis, de Bluebell, d’Avalon… Les pièces mises bout à bout semblent former un étrange puzzle, que j’ai décidé de reconstituer. « Que je ne m’en souvienne pas, c’est norrrmal. Ce qui m’étonne davantage, c’est que mon frrrèrrre et ma soeurrr n’ont pas l’airrr d’en savoirrr beaucoup plus… » Mes yeux ne la lâchent pas. Il n’y a aucune trace d’empressement dans ma voix, j’ai tout mon temps pour écouter la vérité. Il n’y a plus qu’elle, j’ai l’impression ; elle est la seule à pouvoir nous apporter un éclaircissement. « Ils ne peuvent pas me mentirrrr. C’est impossible. » insisté-je. Je commence à reconnaître les combines de menteur de mon frère, ce petit jeu auquel il joue quand il se plait à manipuler son monde, et en ça il ressemble bien à mon interlocutrice. J’imagine qu’ils ne se sont pas trouvés pour rien… Mais j’ai attentivement scruté ses yeux lorsque je l’ai confronté, et son incompréhension n’était pas feinte, elle était réelle. Il en est de même pour ma soeur… « Je te fais confiance, et j’ose espérrrer que c’est rrréciprrroque, Phoenix. » conclus-je finalement, avant de me laisser tomber dans l’un des fauteuils de velours rouge, et de lui proposer de prendre place dans celui qui me faisait face : « Est-ce que tu peux me parrrler de tout ça ? » J’attends beaucoup d’elle, ce soir. Je suis prêt à faire poireauter nos invités qui se pressent dans le vestibule aussi longtemps qu’il le faudra, à ne sortir d’ici qu’à l’heure du dessert si c’est nécessaire. Mais nous ne pouvons plus nous réfugier ni dans l’oubli, ni dans l’ignorance.

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La réception d'Hiver des Sørensen

Sleibhin. Ou Rachael. Cela ne signifie rien à mes oreilles, mais ça ne m’étonne plus, j’ai pris l’habitude d’apprendre à me familiariser avec tout. Y compris avec cette amie du passé dont je ne sais plus rien, mais qui a eu une place au sein de nos vies… Elle n’est pas là ce soir - j’imagine qu’il serait mal vu de l’inviter ou de se montrer en sa compagnie - mais elle reste probablement un lien fort dans la relation qui m’unit aujourd’hui à Phoenix. Je ne fais pas dans la nostalgie, je fais des les faits concrets et réels. « Parrrce qu’elle savait quelque chose. » conclus-je simplement. C’est donc elle, cette fille qui a été condamnée. Son ingénuité lui a coûté sa place à Poudlard, et l’a faite atterrir entre les mains du ministère… Je range le cadre, et reviens à ma première interlocutrice. Si l’un des maillons de notre trio - le plus faible j’imagine -, a été forcé de quitter le navire, toujours est-il que nous sommes encore deux maillons forts, et que de ce fait, je dois connaître les tenants et les aboutissants de cette affaire. « J’imagine que c’est toujourrrs bon à prrrendrrre. » Tant pis pour les méthodes, je ne suis pas d’humeur à faire la fine bouche, je creuserais cet aspect-là plus tard. Pour le moment, connaitre les faits est déjà un luxe qui me suffit. Et puis, je n’oublie pas cette agitation perceptible à travers les murs… Peu importent les vérités qui peuvent me retourner l’estomac ou même le coeur, il faudra tôt ou tard aller leur faire face, et rejoindre cette soirée comme si de rien n’était.

Mais sa phrase est interpellante. Je me suis interrogé de longs mois sur la source de ce sortilège d’amnésie qui m’a pris pour cible, et chacune de mes hypothèses m’ont mené vers un possible ennemi, un antagoniste traînant dans l’ombre, attendant son heure pour m’ôter mes souvenirs. Et si je m’étais trompé depuis le début ? Et si cet ennemi, bien loin de ceux que j’imaginais jusqu’alors, n’était nul autre que moi-même… ? « Nous ? Attends, c’est nous qui avons voulu ça… ? » Je m’étais préparé à un certain nombre de scénarii, à vrai dire. J’ai commencé à m’envisager complice de l’incendiaire, plus d’une fois. Pantin, marionnette, coupable, criminel, innocent, victime de chantage… tout a déjà été passé en revue, je me suis figuré dans toutes les hypothèses. Et pourtant, je n’étais pas préparé à ça… Comme quoi, mon alter ego du passé à encore de la ressource pour me surprendre. Mais au fond de moi, je sais que cela pourrait bien être la vérité… Ce "nous" auquel elle fait référence, c’est forcément ma famille. Or, après leur avoir parlé, je suis pratiquement sûr et certain qu’ils ne savaient rien de leur possible implication… ce serait donc ça, l’explication ? Leur mémoire aurait-elle été effacée, elle aussi… ? Pas au même degré que la mienne, cela va sans dire… Mais après tout, de ce que j’en sais, Savannah Caldwell n’a pas, elle aussi, perdu tous ses souvenirs. Il existerait donc des sortilèges d’amnésie alternatifs, ne permettant d’effacer qu’une partie d’éléments… C’est intéressant à savoir. Cela me rendrait même curieux si cela ne me donnait pas des sueurs froides : malgré ma placidité légendaire, commencer à entrevoir la possibilité concrète d’être un assassin ne peut totalement me laisser insensible. Et si mon raisonnement est bon, Phoenix a agi, d’une manière ou d’une autre comme notre complice… Oui, ça commence à se tenir.

J’inspire lentement. Je ne suis pas vraiment nerveux, en réalité je me sens plus comme s’il s’agissait d’achever un rituel. Comme si les pièces avaient été placées, et que tous les chemins du monde avaient du me mener à cet instant-ci, elle face à moi, dans le bureau de Grand-Père. Je ne connais peut-être plus ceux que nous avons été lorsque cette photo a été prise, mais une chose est sûre, nous avons mûri, tous les deux. « Est-ce que tu sais qui était derrrièrrre ces histoirrres de badges ? » En réalité, j’ai beaucoup de questions, mais j’ai choisi de ne garder que les plus pertinentes : m’assommer d’informations serait bien inutile, et cela pourrait bien refroidir mon interlocutrice… Je sais en tout cas qu’il me faudra l’interroger plus tard, notamment à propos de Roxy Reid dont je « Sais-tu qui a mis le feu ? Et où étais-tu ce soirrr-là, Phoenix ? » Mon ton n’est pas accusateur, il est au contraire très doux. Je fais mon possible pour me raisonner, ne pas me laisser dépasser par mon impatience de retrouver la mémoire : ce ne serait pas constructif, et ça ne la ferait pas revenir plus vite pour autant. Je cours après mes souvenirs depuis des mois, mais je tiens toutefois aux rares amitiés que j’entretiens : et en dehors de ma famille, il n’y a que sur elle et Junior que je peux compter. En réalité, j’ai surtout déjà peur de connaître ces réponses, de savoir qu’elle va simplement confirmer ce sur quoi les Sherwin spéculent déjà. Mais savoir, c’est pouvoir, et si je peux reprendre une longueur d’avance, je dois accepter de confier mon destin aux mains de mon amie, de la laisser me guider par la vérité qui est la sienne. J’ignore ce qui m’y pousse, mais je crois en cette vérité. Je laisse passer quelques instants, j’imagine que cela demande réflexion : si elle m’assure qu’elle connait la finalité de ce qui a pu se passer ce soir-là, il est possible que quelques éléments peinent à lui revenir en mémoire, et je respecte cela ; l’idée n’est pas non plus de l’agresser en menant un interrogatoire policier. Mais au bout d’un moment, je m’exprime sur le second motif qui m’a motivé à m’adresser à elle. Elle n’est pas seulement une de mes plus proches amies - au vu du peu que j’en ai, cela est significatif - elle dispose aussi d’une aptitude particulière. D’une aptitude qui m’intéresse. Pour d’autres raisons bien sûr… Mais je ne suis pas là pour lui demander la charité, je ne lui ferais certainement pas cet affront. L’idée est qu’elle y gagne, elle aussi, son compte… « Ce n’est pas rrréellement tout ce que je veux savoirrr, il y autrrre chose. Et à ma connaissance, tu es la seule verrrs laquelle je peux me tourrrner pourrr ça. » J’annonce la couleur, sans pour autant dire quoi que ce soit. Allez savoir pourquoi, je préfère la sonder en premier lieu avant d’en venir à l’essentiel… Pourtant, le temps s’écoule normalement, et je sais que tôt ou tard, nous serons attendus à cette soirée.

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Pour la première fois depuis le début de cette soirée, au cours de laquelle je me suis paré d’un masque que je ne compte pas lâcher, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une discussion libre. Certes Phoenix n’est pas un caractère facile, mais nous ne nous embarrassons pas de convenances, de faux semblants, de phrases toutes faites. Elle sait bien que sur moi, ses sourires et sa sympathie n’ont que peu lieu d’être : je suis assez insensible à ces choses-là. Aussi, elle est probablement la plus mieux placée pour me délivrer cette vérité après laquelle je cours… Vraisemblablement, je ne l’obtiendrais pas auprès d’Alexis, de Junior, ou de qui que ce soit d’autre. Et naturellement, il n’est pas question que je m’abaisse à aller interroger Bluebell. Je ne suis pas un grand sentimental, je ne m’attache pas vraiment à quoi que ce soit, mais je sais que mon passé à l’école est lié à celui de Phoenix, et de cette mystérieuse fille qui était notre amie. Je passe un certain temps à tenter de reconstituer tout le puzzle, d’emboîter les pièces les unes avec les autres, tout en réfléchissant à une cohérence. Et les réponses que m’apporte mon amie pourraient bien ressembler à la vérité… Mais les faits qu’elle énonce sont tellement graves que je ne peux les manipuler qu’avec d’extrêmes précautions… Mon intuition se serait donc avérée juste : elle sait, ou tout du moins, elle savait. Elle a participé aux évènements, à nos côtés, prétend-elle. J’aurais pu nourrir des doutes, remettre sa parole en cause, mais j’entends tous ces échos me concernant : ma haine apparente des nés-moldus, mon engagement auprès de ma famille, mon antipathie manifeste… cela commence à faire beaucoup d’indices qui convergent. Avalon Caldwell avait donc raison, à notre sujet… « Je vois. » C’est tout ce que je trouve à répondre, en vérité. Ça fait beaucoup à avaler, tout d’un coup, il faut que je digère ce que je viens d’apprendre. Nous sommes donc des assassins, et je suis moi-même surpris du peu d’effet que me procure cette nouvelle : j’ai donc commandité le meurtre d’autres élèves, de sang-froid, et il s’avère que cela ne me choque pas plus que de mesure. Evidemment, je me questionne : à quel point suis-je habitué à la violence, au crime, pour que j’éprouve autant d’émotions que si j’avais remarqué que mon chocolat chaud manquait d’épices ? Ai-je perdu mon empathie en même temps que ma mémoire… ? En revanche, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Ça fait trop d’informations d’un coup, à traiter, à digérer, à dissocier des unes des autres : j’ai besoin de temps, plus que le quart d’heure qu’il nous reste avant de rejoindre le repas.

Elle prétend s’être enfuie avant que ma petite soeur ne la rejoigne, et je hoche la tête, quasiment inexpressif. Je ne me souviens pas suffisamment bien de l’évènement pour le reconstituer exactement, mais l’image des flammes est suffisamment marquée dans mon esprit pour que je comprenne la nécessité de quitter les lieux. « Tu as bien fait. Les sacrrrifices de vies humaines sont aussi inutiles que contrrre-prrroductifs. » répondis-je avec le plus grand détachement. Il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller remercier qui que ce soit pour s’être attardé dans un endroit dangereux parce que j’ai eu la folle idée d’y rester. Je fais confiance à mon aptitude au raisonnement : je devais bien avoir une bonne raison d’élaborer cette stratégie, aussi risquée est-elle pu être. Nous n’avons pas été interrogés, après tout en nous glissant parmi les victimes, nous pouvons être dissociés des coupables… d’autant plus si aucun souvenir ne nous permet de confirmer de théorie, quelle qu’elle soit. Enfin… j’y reviendrais plus tard, nous aborderons le sujet en famille. J’ai encore tellement de questions, tellement de bouts à joindre… Mais il serait idiot de vouloir tout assimiler d’un seul coup. Cette prise de conscience de mes actes était essentielle, mais ce sera tout pour ce soir ; après tout, nous avons un dîner, qui requiert notre présence à tous les deux… Phoenix m’interroge sur les raisons qui m’ont poussé à m’adresser à elle, et j’humecte silencieusement mon palais. Il va me falloir choisir mes mots. « Si je ne me trrrompe pas, tu es Legilimens. C’est bien ça ? » L’air de rien, je cogite encore un moment sur les révélations qui viennent de me parvenir à propos de nos actes de l’an passé… tout se bouscule encore, mais je dois garder la tête froide ; si je prends place à table avec l’esprit trop orienté sur cet incendie meurtrier dont nous serions les quatre auteurs, je ne parviendrais pas jusqu’au dessert sans me trahir. Or, Alexis ne méfie déjà de moi, et Roxy pourrait bien avoir envisagé de nous trahir… Phoenix est probablement l’une des seules, si ce n’est la seule en dehors de la famille, à qui nous pouvons nous fier, alors je ne vois pas d’inconvénient à la mettre au courant de mes plans. « Cela fait quelques semaines que j’ai commencé mon apprrrentissage. » Elle et Junior sont les seuls que je veux mettre au parfum, pour le moment : avertir ma soeur risque de me porter plus préjudice qu’autre chose… Maintenant, quelle sera sa réaction lorsque je formulerais mon souhait ? « Dans la mesurrre où nous allons êtrrre à même de lirrre dans les pensées de notrrre entourrrage : me perrrmets-tu d’essayer surrr toi ? » Ce n’est pas rien : je ne propose pas moins que d’éliminer l’une des dernières barrières d’intimité qui existe, et pas des moindre. Le cerveau est une machine fascinante, mais le pénétrer est une toute autre étape dans une relation. « Je rrrespecte bien sûr ta perrrmission, c’est pour quoi tu peux penser à ce qui te chante. Je me contenterrrais de lirrre ce que tu voudrrras bien me montrrrer. » Honnêtement, tant qu’elle n’a pas l’intention directe de nous nuire, je ne suis pas du genre à m’embarrasser de ce que je pourrais y trouver. Bien entendu, j’estime important de lui laisser la liberté de choisir, quel ami serais-je si je ne respectais pas cette zone qu’elle estime sacrée ?

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Il y a quelque chose qui nous lie, intimement, Phoenix et moi. Le poids d'un passé commun. Ma première amie. Je ne la connais plus encore assez bien, du moins certainement plus aussi bien qu'avant à cause de mes troubles de mémoire, et je sais pertinemment qu'elle n'est pas dévorée par l'altruisme. Les bons sentiments l'agacent, et je ne parle même pas de sa situation familiale... Mais quelque part, je comprends ce qui m'a attiré vers elle : soyons honnêtes, je ne croule pas sous le poids de mon entourage, et je suis à peu près aussi affectueux que la coquille d'un bulot. Nous avons une faible tolérance à la frustration, ne supportons pas l'incompétence, nous favorisons la réussite en supprimant l'idée d'échec. Elle brille d'ambition, elle ne lâchera rien avant d'être parvenue à ses fins et d'avoir réalisé certains de ses projets. Les sacrifices qui ne menacent pas son équilibre personnel ne l'effraient pas : elle est profondément égoïste, mais personnellement j'ai plus tendance à voir ça comme une force. Nous avons chacun des intérêts qui nous tiennent à coeur, et je ne comprends pas encore bien tous les siens... en revanche, je sais que nous pouvons nous accorder ensemble pour faciliter notre accès au pouvoir. Elle sait que mon plus grand intérêt, c'est de protéger ma famille : au nom des Sørensen, je serais capable de n'importe quoi, et je l'ai montré lors de ce bal de Noël ridicule en désignant ce cancre de Bradford comme coupable tout désigné.

Je n'ai pas été étonné d'apprendre qu'elle était Legilimens, en revanche je ne l'ai jamais vue faire usage de ces capacités, pourtant bien utiles par les temps qui courent. Depuis que j'ai appris l'existence de cette disposition, elle a suscité chez moi un si vif intérêt que je me suis jeté sur toutes les connaissances qui me séparaient de l'accès illimité à l'esprit des autres. Et je n'ai de cesse de me demander pourquoi mon moi du passé, celui qui disposait encore de ma mémoire toute entière, ne s'est pas penché sur cette option des plus intéressantes... Néanmoins, j'ignore s'il est arrivé à Phoenix de consulter les pensées qui m'habitaient. A vrai dire, je ne sais pas si j'en ai nourri certaines qui auraient pu la fâcher. Peut-être bien, après tout, nous sommes des êtres relativement imprévisibles, je n'ai pas la prétention de faire exception à la règle, ce serait me surestimer... Dans tous les cas, elle n'a pas l'air d'avoir trouvé quoi que ce soit de fâcheux qui pourrait compromettre notre amitié, et c'est ce qui m'importe. Je ne suis ni très fleur bleue, ni très soucieux des sentiments des autres ; en revanche, mes relations m'importent, notamment celle que j'entretiens avec la Gryffondor, même si j'apprends à composer avec. Son opportunisme est compatible avec ma détermination sans faille pour servir nos idéaux, et j'ai bien l'intention de tirer profit de cette force qui nous unit. Ma décision d'apprendre l'art délicat de la légilimancie n'y est pas étrangère... « Intérrressant. Tu as apprrris des choses ? » lui demandé-je en croisant mes bras sur ma poitrine, tandis que je remarquais dans le fond de la pièce que le tableau imposant qui représentait mon grand-père m'imitait. Curieuse ironie.

J'ignore depuis combien de temps nous sommes là-dedans... Bien longtemps, je crois. J'ai appris que j'étais un meurtrier, et l'acteur d'une sombre machination qui impliquait de mettre en péril une école toute entière, de déstabiliser un modèle social tout entier. Ça ne me fait pas rien, bien loin de là... Mais j'ai besoin de temps pour réfléchir, j'ai besoin de me tourner vers mon aïeul, j'ai besoin de consulter ma famille, de comprendre quel était mon rôle exactement, et quel était celui de mon amie. Je n'ai plus accès à ma mémoire, mais la légilimancie est là pour m'aider à la remplacer : m'approprier les souvenirs des autres constitueront une base solide pour reconstruire mon passé. Elle semble sceptique lorsque j'évoque l'idée de rentrer dans sa tête, et je peux la comprendre... « Simplement pourrr savoirrr si j’en suis capable. Je ne pense pas avoirrr encorrre le niveau pour consulter celles d’un esprrrit qui n’y est pas disposé. » Je ne rechigne pas face à l’entraînement. Les derniers mois ont prouvé que je ne craignais pas le travail colossal que représentait cette course impossible derrière mes souvenirs, et j'ai bien l'intention d'y parvenir. Avec ou sans son aide, mais soyons honnêtes, je préfèrerais que ce soit avec. Aussi, je plonge mon regard dans le sien, curieux de sa réponse, et s'il s'avérait qu'elle soit négative, je m'efforcerais de la convaincre. "Je ne suis pas de taille à lutter avec ma mémoirrre dans cet état. Mais en piochant des éléments du passé chez les autrrres, je peux tout recrrréer. Tu n'as qu'à penser à ce que tu veux. " Je suis sûr de moi, j'ai bien eu le temps de cogiter... Mais je respecterais son choix avant tout, et sa vie privée si elle décide de la garder secrète. Après tout, je ne suis pas non plus fouineur, je saurais me cantonner aux pensées qu'elle voudra bien me livrer sans chercher ailleurs... Mais encore faut-il qu'elle accepte de me faire confiance.

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Nous avons encore un peu de temps devant nous, mais si nous nous attardons trop, Grand-Père risque de se poser des questions. Or, c'est précisément ce que je souhaiterais éviter... Nous sommes encore tranquilles dans son bureau, mais notre entrevue peut prendre fin à tout moment : nos invités vont commencer à débarquer les uns après les autres, au compte-goutte, et notre aïeul va réclamer notre présence pour son toast d'introduction, pour prendre en charge nos hôtes à l'entrée, pour sillonner entre les invités en demander si tout se passe bien, un sourire hypocrite figé sur les lèvres. Hannibal est bien plus doué que moi à ce petit jeu, aussi je compte bien profiter de ces quelques instants avec Phoenix, pour avoir cette conversation que je souhaiterais éviter entre les murs de Poudlard. Rien n'est sûr, dans l'enceinte de ce château... Et je n'ai pas l'intention que tout le monde sache que je commence à m'intéresser aux mécaniques de la pensée. Nos meilleurs atouts ne sont-ils pas ceux que nos ennemis ignorent... ? « De ce que j’ai pu lirrre, et essayer pourrr le moment, la légilimancie est une discipline trrrès délicate, qui demande une rrrigueurrr horrrs norrrmes. Ce n’est pas à la porrrtée du prrremier venu, alors si tu as déjà des rrrésultats tu peux t’en estimer heurrreuse. » réponds-je simplement. Je ne suis qu'au début de mon apprentissage, mais elle doit déjà avoir bien entamé le sien... A notre âge, une telle expertise demande encore bien des mois, des années d'entraînement, et c'est pour cette raison que j'ai estimé bon de m'y prendre le plus tôt possible : ma mémoire ne saurait attendre, j'ai besoin de récupérer mes souvenirs rapidement. Les gens qui me sont proches sont les premières clés pour m'aider à restituer les ruines de mon passé...

Elle accepte, et j'en suis presque surpris, agréablement cela va sans dire. Soit, les conditions me conviennent, à mon sens c'est honnête, alors je ne perds pas de temps. Après tout, nous sommes amis, et si je ne peux lui confier certaines parties de mon esprit, alors à qui le puis-je... ? « Bien, je me concentrrre. » Je clos les paupières un instant, et les réouvre, fixant mon regard sur mon amie. Son visage impassible sonde le sien, tout d'abord sans résultat... Puis finalement, je parviens à briser la barrière. Ce n'est pas la première fois, j'ai déjà réussi une fois ou deux avec Junior, mais j'ai comme un léger mouvement de recul... Puis, j'entrevois tout, de manière très claire. En contrejour, j'aperçois deux silhouettes, dans une salle de classe. Elles ne me sont pas inconnues, loin d'elle... L'une d'elle, c'est Phoenix, et celui qui plaisante avec elle, c'est mon frère. Hannibal a cet air charmeur qui le caractérise lorsqu'il prend la parole, et qu'il s'apprête à séduire tout un auditoire. J'entends quelques bribes, comme si j'étais avec eux et que je participais à la conversation... Ça ressemble à un cours particulier, où il est question de vieille magie. Ils plaisantent d'un rire clair, comme s'ils donnaient un spectacle, et leur proximité ne m'échappe pas, bien au contraire... Puis, il est question de descendre dîner, et j'écarquille légèrement mes pupilles lorsque j'assiste à ce baiser furtif qui a lieu devant mes yeux : leurs lèvres se touchent, se cherchent, comme s'ils jouaient depuis déjà des mois, et certaines choses me paraissent effectivement plus claires... J'estime que j'en ai assez vu, et je m'extrais de son esprit. « Charrrmant. Je comprrrends mieux pourrrquoi mon frrrèrrre a passé tant de temps à s’apprrrêter, ce soirrr. » commenté-je d'un ton évidemment sarcastique. En réalité je ne doute pas qu'Hannibal ait souhaité plaire à ma meilleure amie, mais peu importe les circonstances, l'élégance est son atout majeur : il n'aurait jamais lésiné sur son apparence. Ce que j'ai vu ne me plait pas plus que ça, mais c'est le jeu, et à moi de m'y contraindre. « Je t’en prrrie, mon esprrrit est tout à toi. » J'effectue une petite révérence, et me concentre sur autre chose : mes souvenirs sont limités, il me faudra piocher parmi ceux qui peuvent se révéler intéressants...

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C'est un exercice plutôt étrange, de vouloir sonder nos esprits respectifs. Est-ce que c'est le genre d'activité commune que partagent les amis ? J'ai de sérieux doutes là-dessus, et très franchement, je ne déplore pas le fait que nous ne ressemblions pas aux aux autres élèves : en voyant leur quotient intellectuel de bulot, je n'ai aucun complexe à me faire à l'idée que nous ne soyons pas le même genre de personnes. Bien évidemment, je ne pense pas que Phoenix apprécie autant que moi, la connaissant, mais quoi que je puisse apprendre, je me garderais bien de la juger. De toute façon, je n'ai pas la moindre envie d'investir sa vie privée, ou de découvrir quoi que ce soit à des détails qui ne me regardent pas... Dans la mesure où elle ne veut pas nuire à ma famille, je respecte entièrement sa sphère d'intimité, et me contenterais de ce qu'elle voudra bien me montrer. Les autres n'auront pas cette chance, je compte bien m'infiltrer dans la tête de tous ceux qui croiseront ma route : c'est la meilleure solution que j'ai trouvé pour reconstruire partiellement ma mémoire, et j'ai bien l'intention d'en tirer profit.

Ce que je vois me trouble assez, et j'imagine que c'est le petit effet qu'elle attendait : avec un peu de recul, je ne peux me dire qu'elle a choisi ce souvenir par hasard, tout en étant consciente que je le verrais... Je ne pense pas désapprouver ce que je vois, et je n'éprouve pas franchement pas de gêne à me trouver avec eux dans cet espace clos duquel semble émaner une certaine tension sexuelle, mais cela me remue un peu la tête, je dois le reconnaître. Ma meilleure amie et mon frère, mon frère et ma meilleure amie... En voilà, un curieux duo. Elle se justifie par le fait qu'il s'agit d'un être respectable, et je ne peux bien sûr qu'approuver. « Evidemment, nous parrrlons de mon frrrèrrre. » Il faut être réaliste, nous nous trouvons tout de même un cran au-dessus des autres, ce serait de la pure mauvaise foi de le nier... et mon aîné ne manque pas de charisme, ce à quoi elle ne semble pas être insensible. Eprouvent-ils de l'amour l'un pour l'autre ? Je l'ignore, et je ne suis même pas certain que la réponse m'intéresse : si c'est le cas tant mieux, ils feront probablement un excellent mariage, et le cas échéant, je ne pense pas que ces deux individus-là aient réellement besoin de sentiments pour former une paire. « Il n’a pas l’airrr de trrrouver ta compagnie désagréable. N’oubliez pas l’annonce officielle, lorrrsque vous aurrrez décidé de concrrrétiser votrrre rrrelation. » C'est une étrange manière de leur accorder ma bénédiction, j'en conviens. Que voulez-vous, je suis un homme de formalités, et si tout n'est pas clair sur le papier, je me sens instable : or, existe-t-il pire sensation ?

A son tour. Je joue le jeu, et repense à ce moment en forêt. Ça ne veut probablement pas dire grand chose, pour quelqu'un qui découvrirait seulement la scène... Et la relation que j'entretiens avec Bluebell est si compliquée que la résumer en quelques mots est un exercice hors de ma portée. Cependant, nous voir ensemble exacerbe la curiosité de Phoenix, ce que je ne peux lui reprocher. Est-il raisonnable d'en parler ? Je ne sais même pas vraiment aborder le sujet avec ma soeur, mais j'imagine que puisqu'elle est mon amie, je peux lui répondre : « Une vérrrification s’imposait, je souhaitais vérrrifier ma prrrédisposition avec les rrreptiles. Elle m’a accompagné, nous avons eu un accident en courrrs de rrroute. » Un accident, c'est rien de le dire... Il n'était pas raisonnable de prendre des risques si tôt, alors que je recouvrais à peine la mémoire, mais la curiosité était plus forte, j'imagine. Nous avons fait un bout de chemin ensemble, nous nous sommes prêtés main forte, nous sommes entraidés, comme un seul et unique bloc de pierre, prêt à tout affronter. Et qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Des poussières, probablement. J'imagine que je la verrais, ce soir... « Rrrien qui ne valait la peine d’êtrrre raconté. Nous ne sommes pas amis, elle et moi. » Des mois qu'elle me toise avec ce regard dédaigneux, depuis ma perte de souvenirs, dont elle me considère comme entièrement responsable. Nous nous saluerons sobrement, j'imagine, et ne nous adresserons probablement pas la parole... Cependant, les éclats de voix nous parviennent, à travers le mur, et il semble que ce soit le signal que les invités passent de l'entrée au salon. « Nous devrrrions rrrepasser à table, je crrrains que notrrre absence ne soit rrremarrrquée. » Ce n'est pas que je souhaite mettre fin à cet échange, je ne suis franchement pas mécontent de ce que j'ai appris, mais peut-être que nous nous aventurons sur un terrain trop... personnel. Comme si nous nous mettions psychologiquement à nu l'un devant l'autre, et je ne suis pas franchement habitué à une telle proximité, même avec l'une des rares personnes que je peux tolérer dans mon entourage. « Content d’avoirrr eu cet apparrrté. » lui dis-je, en lui ouvrant la porte, pour la laisser passer devant moi. Il est temps de regagner nos places, revêtir nos apparences, et jouer au jeu de la grande société ; peut-être aurons-nous l'occasion de reparler de tout cela, mais ce sera en temps voulu.

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