ft. @Misha A. Bradford et Cameron Brown

Il y avait des années qui commençaient bien et d’autres qui… En réalité, non, à Poudlard, il n’y avait pas d’années qui commençaient bien, jamais, et celle-ci n’y faisait pas exception. Parfois, Cameron en venait à se demander si l’incendie qui s’était déclarée cet été n’était pas une sorte d’avertissement ou quelque chose dans ce genre-là. Il n’était pas superstitieux pour un sou, loin de là, c’était des conneries de bonne femme, ça, mais tout de même… Ça commençait à faire beaucoup de merdes en quelques mois pour que ça ne soit qu’une simple coïncidence. Peut-être que l’école aurait vraiment dû cramer et fermer ses portes. Mais en attendant qu’une autre catastrophe du genre ne leur tombe dessus, il fallait bien faire avec… Qu’importe si c’était juste avec la sale face de Shepherd ou les idées sadiques de leurs professeurs… Pour une fois, ça n’était même pas Mandrake qui remportait la palme, non, c’était MacDougall. Elle avait toujours eu l’air à peu près cool mais s’était visiblement décidée à se rabaisser au niveau de ses collègues… Dommage. Pour une fois qu’il y en avait une qui sortait un peu du lot dans une matière pas trop chiante, il fallait que ça tourne mal. Plus que mal, même ! Non seulement, elle avait eu envie de leur offrir un travail de groupe mais en plus d’imposer lesdits groupes. Parce que ça aurait été bien trop simple de le laisser travailler avec sa soeur, tranquillement, comme ils le faisaient d’ordinaire. Évidemment ! Il fallait s’ouvrir, apprendre à communiquer avec les autres, s’adapter à des méthodes de travail qu’on ne connaissait pas forcément… En théorie, il n’était pas contre. Ça cadrait plutôt bien avec les efforts qu’il essayait de faire depuis la rentrée. Et il y avait des gens plutôt sympas avec qui travailler : Timéo, Roxy, Skyler… Il voulait même bien rajouter Joanne, dans le doute… Limite toute la classe, en réalité. Mais en pratique, quand le nom de Bradford était tombé, ça avait été une toute autre histoire !

C’est comme ça que l’adolescent s’était retrouvé coincé à la bibliothèque au beau milieu de l’après-midi à attendre que le roi des Abrutis se manifeste enfin. Il était quinze heures et il n’avait toujours pas daigné se pointer. S’il pensait que, sous prétexte qu’il moisissait chez les bleus, il était en train de se ronger les sangs en imaginant la note lamentable qu’ils auraient ou qu’il finirait par accepter, contraint et forcé, de faire tout le boulot, il se fourrait le doigt dans l’oeil mais alors profond ! Ses notes ne l’avaient jamais particulièrement intéressé et s’il se réveillait toujours un peu comme par magie au moment des examens, il se laissait vivre tout le reste de l’année et acceptait les T, les D et les P sans trop sourciller. Un de plus ou un de moins… Un soupir lui échappa alors qu’il étirait péniblement les jambes sous la table. Il mourrait d’envie de sortir pour profiter du temps potable… Rejoindre le terrain, refaire le monde avec Mallory en longeant le Lac ou la forêt… N’importe quoi qui n’impliquait ni la bibliothèque, ni l’intérieur du château et encore moins le crétin qu’il se forçait à attendre encore. On ne lui reprocherait rien. Sa plume griffonnait distraitement les flammes monochromes d’une fusée qui traçait sa route sur le coin droit de son parchemin. Est-ce que Bluebell avait été pleurnicher comme elle l’avait prétendu ? Il n’en savait trop rien. D’un côté, il espérait que non, non pas par crainte que son caniche lui tombe dessus, mais parce qu’elle basculerait salement sur son piédestal. Si on oubliait ses croyances ridicules sur la pureté du sang (ce qui n’était pas une mince affaire, dans le fond, même pour lui) elle ressemblait clairement à tout ce que le genre féminin pouvait avoir de mieux. Elle était incroyablement jolie, elle ne paraissait pas complètement stupide, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds, elle ne passait pas sa vie à glousser pour un mec ou une robe, elle était forte, elle était indépendante… Ou du moins, elle en avait l’air… Qu’elle en vienne à appeler Bradford à la rescousse pour si peu (il ne représentait clairement pas la moindre menace), c’était décevant. Et ça ne cadrait pas du tout avec l’image qu’il en avait. C’était nul si elle se prenait pour une princesse débile qu’il fallait « protéger » à tout prix. Ça n’était même plus de la protection, à ce niveau, seulement une obéissance pure et dure. Mais d’un autre… C’était Sherwin et rien que ça suffisait à le faire douter. Il n’en avait pas parlé à sa soeur, ni de leurs échanges houleux (mais néanmoins existants, ça n’était pas rien, ça non plus !) ni des menaces qu’elle avait pu lui balancer… Ça ne servait à rien de l’inquiéter pour que dalle, d’autant plus que si Bluebell était la grande fille qu’il espérait, il ne risquait finalement rien d’autre qu’un crache-limace… Et malheureusement, Shepherd en était la preuve : on y survivait très bien.

Le Serdaigle releva machinalement les yeux alors que son camarade de galère entrait enfin dans la bibliothèque. Il ne fallait pas être pressé… Plus lent que ça, c’était du surplace… S’il montra ouvertement son impatience et sa lassitude dans un roulement d’yeux exaspéré, il ne fit pas le moindre commentaire. Il n’était pas là pour faire ami-ami mais, quand bien même il pouvait en mourir d’envie, il n’était non plus là pour chercher la merde. Pour un peu que Bluebell ait tenu sa langue, ça n’était pas dans son intérêt de s’en prendre à son ami… Et si elle avait eu le malheur de le faire… S’il pouvait espérer tirer profit du bordel qui allait lui tomber dessus pour une histoire d’invitation foireuse, mieux valait qu’il n’en rajoute pas. S’il n’avait jamais vraiment été un ange, aujourd’hui et juste aujourd’hui, il en prendrait l’habit. Sans un bonjour, sans un mot d’excuse pour le retard, rien de tout ça, le Poufsouffle s’installa face à lui. Le sourire qui naquit sur ses lèvres lui donna envie d’ouvrir les hostilités, par pur principe et pour éviter de lui offrir la chance de pouvoir le faire, mais il s’en abstint et feignit de ne rien remarquer. Il fallait espérer que ça aille vite, qu’ils se dispatchent le travail en un temps record et qu’il disparaisse de son champ de vision pour de bon.

— Ça va le pervers ?

L’espace d’une seconde, une toute petite seconde, Cameron ne sut pas vraiment où il voulait en venir. Bien sûr, comme tous les gars de son âge, il avait parfois le regard qui traînait sur les jupes un peu trop courtes qu’il croisait dans les couloirs mais on ne pouvait pas franchement dire que ça avait pu aller plus loin. Il n’y avait, à sa connaissance, aucune fille qui pouvait lui reprocher quoi que ce soit, ni geste ni remarque déplacée. Skyler aurait pu se plaindre de leur entrevue mais il n’y avait aucune raison pour qu’elle le fasse. Ça s’était pas trop mal passé, à sa connaissance, et elle n’avait pas eu l’air de le détester après ça. Et puis la lumière se fit sans trop de mal. Elle avait cafté. Évidemment. Et elle avait sûrement dû raconter n’importe quoi au passage, histoire de se faire passer pour une pauvre petite victime dépassée par la situation. S’il ne niait pas que ça avait pu être un peu chiant, ça n’avait rien de franchement pervers pour autant. Il avait juste écrit à une fille qui lui plaisait, assez correctement et poliment d’ailleurs. D’accord, elle avait dit non, d’accord il avait un peu râlé, mais ça s’était arrêté là. La déception ne mit pas longtemps à se glisser dans ses veines. Ainsi donc c’était ça, Bluebell ? Une idiote comme les autres qui battait des cils pour qu’un garçon plus idiot encore joue les preux chevaliers ? Il avait toujours eu l’impression qu’elle valait mieux que ça mais il s’était lamentablement trompé. Il prit sur lui et haussa les épaules avec indifférence. Normalement, il lui aurait demandé de la fermer et en aurait profité pour lui rappeler les règles de politesse (ce qui était assez ridicule quand on le connaissait) mais il devait attendre que ça, cet abruti.

— Tranquille, lâcha-t-il simplement d’une voix désintéressée. J’imagine qu’tu préfères t’taper les moyens magiques et m’laisser les autres ?

Il ne connaissait finalement rien de l’adolescent qui lui faisait face mais il n’avait aucun mal à supposer qu’il partageait la même vision archaïque du monde que la Serpentard. Alors quitte à se répartir les moyens de favoriser la croissance d’une plante, autant garder cette répartition idiote mais naturelle… En tant que né-moldu (sang-de-bourbe diront-ils sûrement), il était désigné d'office pour s’occuper des manières non magiques de le faire… L’idée était clairement visible : se débarrasser rapidement tant de son coéquipier imposé que du travail à faire. Il était de toute façon à la bourre, ça aurait été mal venu de la ramener, n’est-ce pas ?

ft. @Misha A. Bradford et Cameron Brown

Maintenant que le Poufsouffle était là, Cameron regrettait le temps où il n’y était pas encore. Poireauter comme un con était toujours moins insupportable que d’avoir à supporter sa sale tronche. C’était dingue comme ce garçon était antipathique. Beaucoup prétendrait que ça n’était qu’une histoire de jalousie, lui s’échinerait à invoquer un certain instinct. Il était louche, c’était tout. Il y avait clairement quelque chose qui tournait pas rond. Et qu’il ait réussi à s’attirer les faveurs de Sherwin en quelques semaines alors qu’il en chiait lui-même depuis deux ans pour des résultats bien moins convaincants n’y était absolument pour rien. C’était juste… Il n’en savait trop rien… juste une coïncidence, probablement… Et, tel un oiseau de malheur, il apportait avec lui de mauvaises nouvelles… Parce que si sa belle commençait à geindre et à mandater (d’après ses lettres du moins) des gens pour s’en prendre à lui, c’est qu’il n’avait pas fini de ramer… Il trouvait ça injuste, mine de rien. Il était parfaitement conscient qu’on ne pouvait pas plaire à tout le monde mais qu’elle s’efforce de mettre en avant une question de sang dont il ne pouvait finalement rien, c’était dégueulasse. Est-ce qu’il y était pour quelque chose si sa mère n’avait pas fait de brillantes études à Poudlard ou que son père n’avait probablement jamais tenu la moindre baguette magique de sa vie ? Il n’en savait même rien, d’ailleurs, il ignorait jusqu’à son nom… Est-ce que cela voulait dire qu’il aurait été prêt à changer pour les beaux yeux d’une fille qui n’avait pas mieux à faire que de l’insulter ? Il préférait ne pas se poser la question… Il ne savait même pas pourquoi il s’échinait à ne voir qu’elle. C’était ridicule. Il y avait des jolies filles à la pelle, ici. Des plus intéressantes que Bluebell, en plus ! Plus gentilles également. Des semblants de filles parfaites qui méritaient sans le moindre doute bien plus d’attention que celle-là. Mais non, bien sûr… C’était plus fort que lui, à chaque fois qu’elle apparaissait dans son champ de vision, son cerveau se déconnectait complètement et le peu de bon sens qui l’habitait encore s’envolait aussitôt. Il se contentait de peu, voire même moins, voyait dans ses réponses insultantes plus d’attention qu’elle ne lui en donnait sûrement et s’évertuait péniblement à continuer dans ce sens. Après tout, c’était toujours mieux que son indifférence, non ? Mais ses maigres certitudes étaient devenus bancales à la seule phrase de son camarade de devoir… Déjà, c’était décevant de se rendre compte qu’elle n’était pas aussi digne d’intérêt qu’il l’avait toujours cru, et puis il était bien difficile de voir dans sa demande violente le moindre signe positif. Comme l’aurait probablement dit sa soeur : ça n’était qu’une connasse.

— Alors…

Les mains croisées, Misha se pencha légèrement vers lui. Le Serdaigle ne cilla pas. Il n’était pas du genre à prendre vraiment la peine de monter des plans ou d’essayer de faire les choses logiquement, plus habitué à foncer tête baissée dans le tas et les ennuis et à réfléchir ensuite mais depuis sa dernière lettre à la Serpentard restée sans réponse, il n’avait pu s’empêcher de se perdre chaque nuit en « et si » incertains. Il avait certainement dû envisager au moins une fois chaque scénario possible. Et s’il lui était impossible (par bêtise, à n’en pas douter) d’attaquer directement la cause de tous ses maux pour se venger, il ne voyait aucune objection à en faire de même avec son acolyte. Le meilleur moyen de mettre à mal leur duo était de renvoyer l’autre abruti là d’où il venait. Et l’idée était simple : le laisser faire son oeuvre comme s’il ne comprenait rien, sans se défendre ni broncher, et aller pleurnicher auprès du premier adulte venu. On ne frappait pas ses camarades, ça faisait partie du règlement, encore moins sans raison. Il ne prétendait pas qu’il parviendrait à le faire véritablement renvoyer, malheureusement, mais s’il pouvait être collé jusqu’à la fin de l’année, ça serait déjà un bon début. Et s’il fallait appuyer sur la corde sensible du né-moldu persécuté, ça n’était pas un problème. Autant jouer au même niveau que ceux qu’il avait face à lui : autant dire plus que bas. Comme Jade avait pris à la place de Bluebell à Halloween, Bradford le ferait cette fois-ci…

— Ça t'amuse d'harceler les filles ? T'aimes ça quand elles te résistent ou t'es juste frustré de voir que ton charme inexistant n'a aucun effet sur elles ?
— J’vois, lâcha-t-il après une seconde de silence, t’as rien branlé quoi.

Il n’avait harcelé personne. Enfin… Pas à sa connaissance. Est-ce que trois pauvres lettres comptaient comme du harcèlement ? Elle répondait, après tout, non ? C’était un peu facile de continuer systématiquement à répondre en espérant qu’il ne le fasse pas. Si elle avait gardé le silence, il ne se serait pas acharné plus que ça. Oh, bien sûr, il ne promettait pas qu’il n’aurait pas retenté sa chance un peu plus tard dans l’année mais il ne lui aurait pas envoyé quinze mille lettres en espérant qu’elle finisse par répondre à son appel. Là, il n’avait fallu que d’une fois pour que s’en suive une vague correspondance, aussi rassurante que désagréable. En dehors de ça, il n’avait pas tort : il aimait bien l’idée qu’elle résiste (une idiote rougissante des étoiles plein les yeux n’avait absolument aucun intérêt) et la frustration commençait clairement à se faire sentir. Et le forçait, mine de rien, à se remettre en question… S’il n’avait jamais prétendu rien qu’un instant faire partie du haut du panier, il en venait à se demander s’il ne moisissait clairement pas tout au fond. Est-ce qu’il ne valait rien, à ce point ? Sans intérêt, sans qualité, sans rien ? Jusque là, ça ne l’avait pas vraiment effleuré. Sa soeur semblait s’en satisfaire et il ne lui avait jamais rien fallu de plus… Mais doucement, la confiance naïve et enfantine qui l’avait toujours habité commençait à s’effriter. Bien sûr que l’avis de Mallory comptait plus que tout au monde mais celui des autres parvenait enfin à se frayer un chemin dans sa carapace et celui de Sherwin plus encore… Un nouvel haussement d’épaules lui échappa alors qu’il jetait un oeil aux très faibles notes qu’il avait prises, histoire de dire qu’il ne venait pas avec rien. Du temps de perdu, visiblement, quand on voyait la brèle qu’il avait en face de lui. S’il comprenait parfaitement où il voulait en venir, depuis le début, il persista sur le seul chemin qu’ils auraient dû emprunter aujourd’hui : leur devoir de botanique.

— T’comptes t’y mettre ou…? Perso, j’m’en balance, c’juste pour savoir si ça sert d’me casser l’cul à pondre un truc ou pas.

Mais la confiance régnant, il ferait quand même la moitié du travail. Et correctement. Plus que correctement, même… Juste pour être sûr qu’on ne lui reproche rien. Et pouvoir l'enfoncer un peu plus au passage...

ft. @Misha A. Bradford et Cameron Brown

C’était une conversation de sourd mais quiconque passerait dans la bibliothèque à ce moment-là ne pourrait que remarquer que Cameron faisait l’effort d’essayer de travailler. Ou du moins, de s’intéresser à leur devoir, ce qui n’était pas le cas de l’abruti qui lui faisait face. Dans d’autres circonstances, il se serait fait un plaisir de faire partir son sourire de sa sale gueule mais les circonstances n’étant que celles-là, il prenait sur lui, rongeait son frein et espérait de tout son coeur que ça se termine vite. Non pas qu’il ait envie de se faire démonter la tronche en plein milieu de la bibliothèque, il pouvait toujours s’en passer, mais au moins il pourrait aller chercher des ennuis sur un autre terrain, beaucoup moins incertain que celui-ci. Quelque chose aux saveurs légales et administratives… Ça craignait de voir à quoi il en était réduit, tout de même… Jamais en arrivant à Poudlard il n’aurait pensé jouer sur ce plan. Même pas cette année ! Il s’était battu avec Shepherd dans le train, elle avait essayé de l’étrangler et à aucun moment il n’avait envisagé de la dénoncer. Bien sûr, il avait fallu, il aurait fait semblant pour la pousser à partir et à récupérer sa place mais il ne l’aurait jamais fait. Parce qu’il n’était pas une balance débile. Mais là, c’était un autre level. Il n’avait pas le choix. S’il voulait que ce connard de première retourne d’où il venait, il fallait frapper fort et surtout avec de l’aide. Seul, il ne pourrait rien. Et c’était bien dommage, évidemment…

— J'ai aucune idée de la matière concernée et j'ai pas l'intention de m'y pencher dans l'immédiat si tu veux tout savoir !
— Génial, soupira le Serdaigle alors qu’il fermait son bouquin (ouvert que pour la forme) et fourrait son crayon dans sa trousse.

Il n’avait pas l’intension de s’éterniser avec cette face de rat. Il ne voulait pas bosser, et bien soit, mais qu’il n’espère pas qu’il resterait là à le regarder dans le blanc des yeux en attendant. Il s’apprêtait à fourrer son parchemin dans son sac lorsque son camarade imposé posa les yeux dessus. S’il espérait récupérer de quoi remplir sa propre partie du devoir, il risquait d’être déçu ! Déjà c’était difficilement lisible tant son écriture était chaotique (plus encore lorsque ça n’était destiné à personne) mais il n’avait pas vraiment fait l’effort de pousser le travail très loin. Quelques phrases récupérées dans le manuel, une bribe de cours et des flèches dans tous les sens avec des numéros qui ne voudraient probablement jamais rien dire pour qui que ce soit.

— Mais je vois que tu ne t'es pas trop foulé non plus !

Cameron haussa les épaules avec un détachement difficile à conserver et glissa finalement son brouillon dans son sac. L’attente avait été plus longue que le travail en lui-même. Enfin… « travail »… Même quarante guillemets ne seraient pas assez pour laisser sous-entendre quelle perte de temps ça pouvait être.

— C’toujours plus que toi.

C’était un simple constat que n’importe qui aurait pu faire à sa place et que Misha lui-même faisait depuis le début. Pas d’insultes, pas de remarques désobligeantes…. Rien de tout ça. C’était particulièrement difficile alors que la seule chose qu’il voulait à présent était de lui faire bouffer la table.

— J'vais pas passer dix ans ici. C'est pas que tu m'ennuies mais presque !

Lentement, en appuyant suffisamment pour que le message passe clairement, il regarda tour à tour les affaires qu’il était en train de ranger et le décérébré qui lui faisait face. Parce que là, tout de suite, maintenant, il donnait l’impression d’avoir envie de rester ? Dans deux minutes, il s’était tiré et aurait rejoint Mallory. S’il pouvait juste la fermer durant ce temps, ce serait parfait. Il ne cherchait pas à fuir la « correction » administrée à distance par Sherwin mais il fallait bien reconnaître que ça tardait à venir. On lui avait pas dit qu’on demandait à Bradford de lui faire la conversation avant… Ça cassait clairement toute la dynamique du truc et il n’en retiendrait sûrement que l’absence de travail effectué du côté jaune. Triste histoire… Une vraie perte de temps pour tout le monde…

— On m'a chargé de te remettre les idées en place pour que t'arrêtes des conneries et c'est bien ce que je compte faire.

Il le vit se remettre debout et reprit son rangement. C’était vraiment ridicule, tout ça. Une mise en scène foireuse et du blabla inutile… Il ne savait pas où il avait été élevé, celui-là, mais c’était décevant. Presque autant que la chute de Bluebell dans son estime… Soit il n’avait pas l’habitude de jouer les hommes de main pour des divas pathétiques (ce qui vu sa tronche patibulaire l’aurait étonné), soit il essayait de se faire bien voir par l’entourage bosseur qu’ils avaient, ce qui ne servait pas à grand chose…

— Viens par ici !

Les doigts sur son col, le Poufsouffle le força à se relever. Cameron leva les yeux au ciel en soupirant. On ne dit rien, on est sage et innocent. C’était de plus en plus compliqué, vraiment. Il serra les poings le long de son corps et planta son regard clair dans celui qui l’était tout autant de son vis-à-vis.

— Je te conseille d'oublier Bluebell.

Qu’il se rassure, il ne risquait rien. Sa copine n’avait d’yeux que pour lui, Misha par-ci, Misha par-là… Ça n’était pas deux pauvres mots sur un parchemin qui y changerait quoi que ce soit. Néanmoins, le conseil avait le mérite d’être clair. Stupide, certes, mais clair. Si l’adolescent refusait de le voir comme ça, question d’honneur, c’était un peu comme demander à un enfant d’oublier le Père Noël. Elle n’avait qu’à entrer dans son champ de vision pour lui faire oublier toutes ses bonnes résolutions. Et honnêtement, les bonnes résolutions étaient plus facilement oubliables que la raison de leur existence…

— Elle n'est pas intéressée et elle ne le sera jamais, Freak ! T'es un putain de dégénéré consanguin. Tu la dégoûtes et ta simple vue lui donne la nausée ! Alors t'es gentil et tu retournes jouer les incestueux avec ta soeur ! C'est certainement bien la seule qui voudra de toi !

La suite fut plus compliquée à encaisser. S’il se fichait éperdument de ce qu’un crétin pouvait bien balancer sur son compte, qu’on crache sur sa soeur ne passait pas si bien. Les mâchoires serrées, le regard assassin, il dut faire un effort sur-humain pour ne pas lui foutre son poing dans la tronche. N’empêche, s’il s’amusait à insulter tous les gens qu’il rencontrait, ça n’était pas étonnant qu’il n’ait que Sherwin comme ami. Il ne lui avait jamais adressé la parole et se permettait déjà de se rabaisser à ça. Il était plus indigne d’intérêt encore que ce qu’il avait bien pu croire de prime abord. Cameron haussa les épaules et se défit de son emprise d’un geste brusque.

— Ok. J’verrai ça avec Mal' alors.

Sous-entendu, ma soeur sera ravie d’apprendre que tu la prends pour une dégénérée consanguine. Il risquait au moins d’être sûre qu’elle n’accepterait pas un rencard ou quoi que ce soit qui y ressemble avec cette raclure de la pire espèce… Cette entrevue avait au moins eu un intérêt, ce qui n’était pas négligeable vu comment c’était parti.

— Je ne le redirai pas, c'est mon seul avertissement, la prochaine fois, je te fais bouffer tes dents !

Il imaginait quoi ? Qu’il allait le supplier en pleurnichant ? Quand même, c’était vexant. Il se contenta de soupirer exagérément fort et d’attraper son sac. Il glissa ce qui lui restait d’affaires dedans et le posa sur son épaule.

— C’est bon ? T’as fini ?

Si le ton était ouvertement cordial, pour donner le change, quoi que trop lisse pour paraître sincère, son sourire moqueur, le même qu’on aurait offert à un gamin insupportable qui nous colle aux basques, donnait une toute autre lumière à ces deux pauvres phrases. Il ne le prenait pas au sérieux, bien évidemment. Sa chère Bluebell serait ravie d’apprendre qu’elle avait eu affaire à une fiotte même pas foutu de faire le job correctement. Au moins, ils s’étaient pas trop mal trouver, tous les deux, c’était déjà ça…

ft. @Misha A. Bradford et Cameron Brown

Honnêtement, plus les secondes passaient, moins Cameron savait avec certitude pourquoi il était là. Ça avait commencé par un devoir de groupe, obligatoire et imposé évidemment, pour lequel on avait eu le malheur de le mettre avec ce tocard de première… Mais maintenant, ça n’était plus grand chose… Misha avait reconnu qu’il n’avait pas l’intention de travailler et à part perdre du temps à attendre une « correction » de la part de Sherwin qui n’avait de toute façon pas l’air de venir, ça ne servait à rien. Il voulait bien être gentil et n’avait même pas ciller face à la menace potentielle que représentait l’arrivée de Bradford mais il n’allait pas non plus être le dernier des abrutis et attendre patiemment qu’il se décide enfin. Alors il commença à ranger ses affaires, le plus normalement du monde. Qu’importe ce que pouvait bien en penser le Roi des Bouffons ou ce qu’en penserait Bluebell quand elle apprendrait que son pauvre caniche n’avait pas été foutu de faire le sale boulot à sa place ! Il fallait espérer pour elle qu’elle n’avait pas déboursé grand chose pour qu’il accepte la mission, sinon elle s’était fait arnaquer en beauté ! Enfin… Après tout, ça ne le regardait en rien. Ça n’était qu’une connasse stupide, il ne savait même pas pourquoi elle était toujours là à hanter ses pensées. Il espérait bêtement que ça finirait par changer sans réussir à y croire pour autant. En deux longues et interminables années, un peu plus maintenant, ça n’était jamais arrivé. Pourtant, elle ne lui avait jamais laissé le moindre doute sur ce qu’il pouvait en attendre. Sans même qu’il n’ait osé vraiment lui adresser la parole avant cette année, tout le dédain qu’elle lui avait offert à chaque regard croisé avait hurlé l’évidence… Mais il avait toujours refusé de la voir. Juste… au cas où ? Ils ne se connaissaient pas, peut-être que ça changerait si ça arrivait un jour, non ? Mais non, évidemment… Déjà, ils ne se connaîtraient jamais davantage et puis quand bien même… Elle n’irait jamais au-delà de son sang et lui ne pouvait rien faire contre ça…

Le blabla de Misha semblait enfin terminé. Il n’y avait pas eu grand chose à en tirer, bien sûr, mais difficile d’attendre quoi que ce soit d’un type pareil. Il n’aurait sûrement jamais le cran d’aller jusqu’au bout. Il avait juste voulu faire le mec pour impressionner Bluebell, jouer des muscles en mode « je peux te protéger Bébé » et maintenant qu’il se retrouvait à devoir le faire, il essayait de noyer désespérément le poisson. Il croyait quoi, hein ? Qu’il allait se mettre à pleurnicher en se répandant en excuses débiles qu’il ne pensait même pas seulement pour lui éviter d’avoir à se salir les mains ? Qu’il n’espère même pas ! Alors avec toute la délicatesse possible dans un moment comme celui-là, coincé entre son envie de ne pas faire de vagues dans cette bibliothèque pleine de monde et celle de montrer à son abruti de camarade qu’il n’avait en aucun cas peur de lui, l’adolescent tenta de prendre congé. Son sourire moqueur et son air de ne pas y toucher ne plurent cependant pas au Poufsouffle… En plus, Monsieur était difficile. Peut-être s’était-il seulement rendu compte qu’il était en train de perdre la face et qu’il allait avoir bien du mal à expliquer à Sherwin pourquoi le crétin de sang-de-bourbe qu’il était avait eu le temps de s’échapper sans l’ombre d’un bleu…? Il aurait donné cher pour avoir la discussion en direct ! « J’ai pas réussi à connecter mes deux neurones pour réussir un truc aussi simple que lui foutre mon poing dans la tronche. » Mais à la place, il se contenta d’esquisser un sourire en coin, qui ne le fit paraître que plus stupide encore et lâcha un simple :

— Non !

Et le coup partit aussitôt. Alors enfin on y était ?! Le pauvre Cameron commençait à perdre patience et jouer les élèves modèles alors qu’il n’avait qu’une envie : lui rentrer dans le lard. Il n’eut même pas le temps de respirer que Misha reprenait son col en main et le maintint fermement le temps de lui asséner une deuxième droite. Autour d’eux, les chaises commençaient à bouger et le calme habituel du lieu n’était plus qu’un lointain souvenir. C’était un mauvais moment à passer. Juste un mauvais moment à passer. Ce serait plus agréable ensuite, lorsque ce fils de pute devrait s’expliquer auprès de tout ce que Poudlard faisait d’autorité. Il irait dire quoi, hein ? Qu’il avait été frappé quelqu’un juste parce qu’une fille lui avait demandé ? S’il s’en sortait indemne, de celle-là, il n’y avait plus rien à tirer de cette école ! Jamais, de sa vie, il n’avait compté sur quelque adulte pour régler ses histoires et cette fois plus que n’importe quelle autre, il bouillait littéralement d’envie de se débrouiller tout seul. Mais ce serait contreproductif…

— La prochaine fois, c'est ta soeur que je frappe…

Contreproductif mon cul, ouais ! Qu’il s’en prenne à lui tant qu’il le voulait, il s’en foutait éperdument mais c’était quoi le délire, là ?! Incapable de réfléchir rien qu’une seconde alors qu’il était question de sa soeur, l’adolescent répliqua aussitôt qu’il eut retrouvé sa liberté, faisant fi tant des bonnes et nobles intentions qui l’avaient poussé à garder un semblant de calme que des regards braqués sur eux qui lui promettaient au moins autant d’ennuis que son agresseur risquait d’en avoir. Au diable ses projets foireux ! Sans se démonter rien qu’une seconde, pas impressionné par la tête de taulard qu’il avait en face de lui, il planta son regard clair dans celui du Poufsouffle et oublia jusqu’aux pas qui semblaient se presser dans leur direction.

— T’s’ras mort avant d’l’approcher, Connard.

Il pouvait presque entendre d’ici le désespoir de ses tuteurs en recevant la notification des emmerdes qui se profilaient mais ça n’avait aucune espèce d’importance. Personne au monde, absolument personne, ne pouvait menacer impunément Mallory. Et, sans doute inspiré par Shepherd qui en avait probablement fait sa marque de fabrique, il lui cracha à la tronche. Elle pourrait au moins se vanter d'être l'une des plus pitoyables influenceuses de Poudlard, celle-là...