Beaucoup pensent que naître, vivre, se divertir, travailler, passer son temps et mourir aux côtés d’une famille issue d’un milieu aisé est plus simple que n’importe quelle chose au monde. Et nombreux sont les enfants tellement gâtés que la moindre parole s’extirpant de leurs lèvres pourrait faire vomir n’importe quel individu lambda, et qui pourraient, de ce fait, donner raison à cette idée préconçue.

Ce ne fut néanmoins pas le cas pour moi. J’ai eu la chance, peut-être, d’être conçue par des parents aimants et passionnés. Je reconnais que c’est une caractéristique qui ne va certainement pas de soi, et c’est sans aucun doute la chose la plus positive que ma famille possède. Après l’argent, évidemment.

Je suis née un mercredi 17 juin 2009, à Cambridge, en Grande-Bretagne. Ayant finalement réussi tant bien que mal à me dégager du cocon interne maternel, j’ai dû subir des dizaines de baisers gluants et de sourires parfois sincères, parfois hypocrites, quelques minutes après seulement. Mes parents, Gladys et Arcan Gillies, vivaient à l’époque dans cette somptueuse ville. L’adjectif « somptueuse » prenant place dans cette phrase dans un but esthétique uniquement, étant donné que je n’ai jamais connu Cambridge. Nous avons déménagé peu après ma naissance pour Londres, où le monde serait peut-être plus enclin à nous accueillir.

J’ai grandi et fait mes premières bêtises dans une demeure de laquelle émanait le luxe et la richesse. Contrairement à ce que les gens croient habituellement, l’argent investi dans cette maison n’a pas provoqué un manque affectif risible. Il est vrai que beaucoup d’habitations possédées par de riches hommes d’affaires peuvent être froides et austères, en ressemblant simplement à des magazines de décoration. Mais il n’en était rien. Des photographies, peintures et dessins d’enfant ornaient toujours les murs ; et la cheminée, cette incroyable cheminée dans laquelle papa créait un feu lorsqu’il neigeait un dur soir d’hiver, ou dans laquelle il s’engouffrait et disparaissait à travers de chaleureuses flammes vertes lorsqu’il devait se rendre à un rendez-vous, je m’en souviens parfaitement de cette foutue cheminée.

Mes parents m’ont toujours gâtée les premières années de ma naissance. Ils m’achetaient de magnifiques vêtements puérils qui avaient dû leur couter des dizaines de gallions, et s’extasiaient à l’idée de me les enfiler pour les journées qui suivraient. Mais cela dura uniquement quelques années.

Lorsque j’eus six ans, la porte commença à émettre un son harmonieux. Une longue mélodie continua, prévenant calmement que quelqu’un attendait patiemment sur le seuil. Tout était calme avant cet épisode de ma vie, tout était bonheur et euphorie. Après avoir ouvert la porte et salué les invités, mon père ne revint jamais dans cette maison. Deux hommes appartenant à la Brigade de la Police Magique l’emmenèrent, et ce que j’entendis, ce fut ma mère, qui sanglotait et demandait des explications au mur.

La raison de cette arrestation, pourtant, ma mère la connaissait. Elle demandait des explications dans le seul but de parler, de se calmer et de s’apaiser, mais elle n’attendait pas de réponse. Arcan et Gladys ne se cachaient jamais rien.

Mon père n’était pas un mangemort, non. Il était partisan du « Seigneur des Ténèbres », mais il ne l’avait jamais rencontré, ne lui était jamais venu en aide. La seule chose qui l’en empêchait, c’était ma mère et moi. Il savait que Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom s’en prendrait aux familles le jour où ses subalternes douteraient de lui, et il décida d’éviter ce désagrément.

La cause du déménagement, vous la connaissez maintenant. Ma mère, qui a voulu faire au mieux afin que j’évite ces moqueries et ces regards terrifiés ou narquois qui devenaient incessants, a décidé de m’emmener dans cette bonne vieille Londres. Cela peut paraître stupide de partir vivre dans une grande ville avec un but tel que celui de mon évasion de la prison que peut être le harcèlement.

C’est à 8 ans que mon corps a décidé de me dévoiler ses propriétés magiques. Ma mère s’y attendait, bien sûr, et se préparait à la catastrophe silencieusement. Lorsque c’est arrivé, nous n’en avons que très peu parlé.

Elle avait décidé de me punir parce que j’avais eu à l’esprit l’incroyable idée de grimper sur une de nos étagères. Vous la connaissez cette étagère n’est-ce pas ? Cette étagère dont le dernier étage est essentiellement composé de pots à friandises. Maman avait toujours l’habitude de m’en donner une ou deux par jour. J’avais le choix : chocogrenouille, dragée surprise ou patacitrouille notamment. Mais j’en voulais toujours plus. Elle me donnait sa main, je voulais son bras. J’ai donc grimpé, déterminée à avoir un troisième dessert. Finalement, l’étagère s’est écroulée sous mon poids. Même si un simple coup de Reparo a pu remettre l’étagère en place, le sortilège n’a malheureusement pas pu réparer ma bêtise et mon attitude, j’ai donc été consignée l’espace de quelques heures.

Finalement, ce pot de chocogrenouilles, je l’ai eu sans le moindre effort. La porte de ma chambre s’est ouverte à la volée et la jarre de friandises a suivi le mouvement, lévitant gracieusement vers moi, presqu’en dansant. Ma mère occupée n’avait pas remarqué le subterfuge et marcha vers ma chambre pour lever la sanction. Quand elle découvrit la situation, elle ricana en marmonnant quelque chose, par fierté envers sa tendre fille, mais avec un soupçon de rancune. Elle, elle a le soupçon, moi j’ai hérité de tout le reste.

La lettre pour Poudlard arriva tout naturellement à mes 11 ans pour le début de l’année qui suivait, et je pus partir, le cœur gros de quitter cette enfance qui m’avait semblée bien longue.


Avec l’âge, durant les vacances de Noël de ma deuxième année à Poudlard, maman accepta enfin de m’expliquer de manière détaillée pourquoi mon père croupissait dans une cellule.

- « Laisse-moi te servir un peu de ce thé que j’ai préparé à l’occasion de ton retour, puis installe-toi ma belle. »

Je m’étais assise, et j’ai pu savourer ce thé légèrement fruité. Puis les explications ont commencé.

- « Vois-tu, il est normal que ces interrogations te tourmentent, et je pense que tu es en âge et plus particulièrement en droit de savoir de quoi il retourne. Sache que je te dirai toute la vérité, mais Arcan et moi n’avons jamais voulu t’imposer notre opinion. Tu as parfaitement la liberté de te créer ton idée sur ce que je vais te dire. »

J’ai acquiescé, impassible, mais sentant les larmes me monter aux yeux.

- « Ton père n’est pas quelqu’un de mauvais. Il a toujours soutenu les idées que Voldemort aurait aimé imposer en ce monde. Et il avait ses raisons. Il hait profondément les moldus, ainsi que leur progéniture, qu’elle possède des pouvoirs magiques ou non. Je sais à quel point tu aimes écrire, tu tiens cela de lui. Il en a écrit des manuscrits à propos des moldus et de leurs enfants sorciers. Il n’a jamais rien osé dévoiler au grand public, car il savait le danger qui était lié à cette décision. »

- « Donc il n’a pas suivi ses ambitions ? »

- « Garence… Quand on a fondé une famille, tu apprendras que certaines libertés ne peuvent plus exister. Il faut penser aux autres, ceux qui nous sont chers au moins. »

J’ai acquiescé, non plus convaincue.

- « Il a néanmoins eu quelques contacts avec quelques mangemorts. Il a accepté de leur venir en aide pour certains petits travaux. Rien qui ne le mêlait à des combats ou quelque chose de ce genre, mais de petites choses qui pouvaient être réalisées de manière discrète et qui pouvaient changer le cours des choses. »

- « Attends, maman… Il y a quelque chose que j’ai du mal à saisir. Pourquoi en voulait-il tant aux moldus ? »

- « Les moldus ne sont que le chaînon manquant entre l’animal et le sorcier. Il les trouvait ridicules, inutiles. Toutefois, il a été sage en ce fait qu’il a compris, de manière objective, leur potentiel. Ces moldus… Ils créent des choses étranges et parfois dévastatrices. Depuis qu’il y a de la vie sur Terre, chaque espèce s’est adaptée pour survivre et en a éradiqué d’autres pour les surpasser. Il craignait que les moldus réussissent à écraser les sorciers si une guerre se déclarait. Il savait qu’ils n’hésiteraient pas. De la même manière, les nés-moldus sont les pires. Recevoir l’honneur de posséder des pouvoirs magiques en provenant d’une famille aussi répugnante, c’est une honte. Ils ont un grand pouvoir de révolution, sont plus nombreux que nous, et sont aussi mesquins et malveillants que certains d’entre nous. N’oublie pas que peu importe notre sang, nous restons humains malgré tout. »

Après cette discussion, j'ai fondu en larmes. Peut-être ma mère avait-elle joué de manipulations pour me convaincre de les suivre, mais malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de ressentir le goût amer de l’injustice, injustice envers ce monde, envers les sorciers, envers ma famille.

Depuis ce jour, les idées de mon père ont réussi à s’évader de prison, et vivent désormais à travers ma seule présence.

J’ai pu par la suite commencer à écrire mes propres lettres à mon père. Il les recevait parfois avec beaucoup de retard, Azkaban étant sans aucun doute très stricte au niveau des permissions. Mais il répondait toujours. Recevoir ce simple bout de parchemin avec quelques mots me réchauffe à chaque fois le coeur, et en envoyer me permet de lui dire combien je l'aime et que je le soutiens chaque jour davantage. Cela n’effacera jamais la rancœur que j’éprouve envers cette espèce d’incapables que sont les moldus, mais cela m’apaisera toujours néanmoins.


Je déposai la plume sur le long parchemin, et me rendis compte que j’avais écrit de nombreuses lignes, durant un très long moment. Tombant de fatigue, je décidai de soulever ma couette et de m’y glisser dedans. Je me surpris presque à sourire, tellement la sensation de chaleur du lit soulageait mon cœur.

Nous attendions tous comme des abrutis. Des abrutis, c’est bel et bien le mot. Une foule de nouveaux élèves se tenait devant la porte de ce qui devait être la Grande Salle. Maman m’avait évidemment prévenu de la situation à Poudlard, mais elle s’était bien gardée de lui conter tous les détails, sans quoi ceux-ci n’auraient plus eu aucune valeur. Elle avait eu raison de le faire. Désormais une excitation palpable me parcourait, et simultanément, un véritable agacement qui prenait à chaque minute d’attente davantage de puissance.

Punaise ce serait quand qu’on saurait ce qu’on vaut, qu’on aurait nos premiers cours et qu’on profiterait du magnifique domaine qu’est Poudlard ?

- « Salut. C’est un peu agaçant d’attendre autant, t’es pas d’accord ? »

Un type aux cheveux d’un châtain qui évoquait la couleur d’une noisette se tenait à côté de moi, et me dévisageait avec un petit sourire en coin. Il semblait aussi impatient que moi.

- « Oui c’est clair. »

Il sourit de plus belle à mes paroles sincères, mais continua de me fixer du regard, avec insistance.

- « Tu t’appelles comment ? Moi c’est Dent. »

- « Garence. »

Un silence pesant s’en suivit, et je compris que peut-être j’avais pris la liberté de lui répondre trop froidement. Je renchéris donc, tournant mes yeux vers lui.

- « Ouais je sais c’est un nom bizarre, c’est un nom qu’on entend plutôt en France. Enfin je crois. »

Il lâcha un petit rire.

- « Ça va c’est cool je trouve comme nom ! Sérieusement, le plus dur dans le fait d’attendre, c’est de n’avoir aucune idée de ce qu’il va se passer derrière cette porte. »

- « On va être répartis dans des maisons, d’après ma mère. »

- « Des quoi ? »

- « Des groupes qui nous définissent en quelque sorte. Tu savais pas ça ? »

Il eut un sourire gêné, visiblement intimidé par mes connaissances sur le sujet.

- « On va dire que mes parents ont eu un choc quand j’ai reçu cette lettre, ils ont rien compris. Ils n’avaient jamais entendu parler de la magie ni de cette école d’ailleurs. »

Un léger malaise s’en suivit. J’avais déjà entendu ma mère parler de nés-moldus, mais ce fait devenait une réalité à Poudlard. Il y avait quelque chose d’irritant désormais chez ce garçon qui me paraissait sympathique au premier abord. Ce manque de connaissances m’irritait, tout simplement. Il n’avait même pas pris la peine de se renseigner.

Heureusement, les portes s’ouvrirent enfin dans un bruit sourd, dévoilant la Grande Salle aux yeux de tous.

La foule commença à avancer, et je fus forcée de suivre le mouvement, sans pouvoir admirer plus longtemps le paysage. Je jetais des coups d’œil partout, tentant de détecter la moindre chose que je n’avais pas encore regardé attentivement.

Éprise par la décoration et la magie qui habitait cet endroit, je ralentissais la marche et ne cessait de me faire bousculer, et ma pauvre robe de sorcier toute neuve devait déjà subir les semelles du sorcier qui me suivait.

Finalement, nous créâmes un arc de cercle autour de ce vieux chapeau posé sur un tabouret. Il y eut quelques rires et quelques gloussements avant que le silence ne s’installe, puis le chapeau s’anima.

Il nous adressa un discours étrange, visant à nous expliquer les caractéristiques de chacune des maisons.

Des applaudissements suivirent, et je tournai la tête pour admirer cette masse d’élèves assis, mais tout ce que je vis, ce fut le visage du né-moldu de tout à l’heure. Il m’adressa un sourire rayonnant, et je lui répondis d’un horrible rictus qui tentait de se faire passer pour un sourire. Puis je me retournai, me promettant de ne plus le regarder, craignant de devoir lui transmettre les connaissances que ma mère m’avait inculquées sur cet endroit, des années durant. Je n’avais pas que ça à faire après tout.
Les noms de chaque élève furent cités à voix haute, et chacun alla s’assoir sur le tabouret qui semblait bien vétuste. Le chapeau choisissait parfois instantanément la maison, et parfois semblait hésiter et prenait davantage de temps de réflexion. Il arrivait néanmoins toujours à répartir chaque élève.

C’est alors qu’une crainte dont je n’avais même pas supposé l’existence m’assaillit. Y avait-il déjà eu des élèves qui ne pouvaient pas être répartis ? Sûrement. Des gens qui ne correspondaient techniquement à aucune maison ? Sans doute. Mais qu’était-il advenu de ces sorciers ? Est-ce qu’ils avaient été mis à la porte ? Etaient-ils contraints de porter une marque, un symbole, ou quelque chose indiquant qu’ils n’étaient pas capables d’être répartis ? La honte. Et si ça m’arrivait ?

Il était trop tard pour y réfléchir malheureusement. Je n’avais pas été assez prévoyante. Une voix perça le silence qui s’installait habituellement entre chaque étudiant :

- « Gillies Garence ! »

Mes jambes ne voulaient plus bouger. On répéta mon nom une seconde fois, mais la crainte qui s’était installée en moi quelques secondes auparavant s’était attachée à moi et ne voulait plus me lâcher.

Et si ma mère était déçue de ma répartition ?

Pour la première fois depuis tout à l’heure, je tournai la tête vers Dent. Il m’encouragea de son sourire et me fit un geste de la main, allant de ma position au chapeau.

Finalement, j’avançai alors et posai mes fesses sur le tabouret, et une main brutale posa le chapeau sur mon cuir chevelu.