la princesse et le dragon (SELENE ☉ JACK)

la princesse et le dragon

Dans ce qui était devenu une habitude depuis le début de l'hiver, Selene quitta son dortoir en direction de son premier cours de la journée, sans passer par la case petit-déjeuner. Pleine de bonne volonté, la petite lune quitta le château, ignorant le brouhaha qui résonnait entre les murs de pierres, témoignage vivant de l'agitation qui habitait la Grande-Salle. Elle voulait profiter du calme matinal dans les serres de Botanique pour se vider la tête et prendre soin de ses petites plantes qu'elle avait rempotées en début d'année et qui grandissaient depuis à toute vitesse sous ses yeux émerveillés. Ce n'était en rien grâce à elle, elle ne faisait que les arroser et leur raconter des choses sans intérêt, comme si elles pouvaient l'entendre, mais elle se plaisait à croire que ses bons soins rendaient leurs larges feuilles plus vertes et leurs tiges plus résistantes. Ce matin, le programme était d'autant plus important qu'il s'agissait de les changer de pots. Le début du printemps était synonyme de croissance et il fallait qu'elle leur donne plus de place si elle voulait qu'elles la dépassent.

Comme elle l'espérait, la serre était vide de toute présence humaine, seules les plantes, magiques ou non, et les fleurs par centaine commençaient déjà à profiter des premiers rayons du soleil qui filtraient à travers la verrière. Selene se dirigea dans le coin où les deux qu'elle considérait comme les siennes se trouvaient et contempla, charmée, la nouvelle feuille encore toute entortillée sur elle-même qui venait de pousser. Du bout du doigt, elle la caressa avant d'aller chercher tout le matériel nécessaire : des gants, de la terre, un pot deux fois plus grand, et tout le reste également. Là, assise à même le sol, un manuel ouvert à ses côtés qui expliquait, pas à pas, comment bien rempoter, ses cheveux tressés à la va vite pour ne pas la déranger, une Selene occupée chantonnait doucement quand une autre silhouette adolescente pénétra dans les lieux.

Selene ne la remarqua pas tout de suite, trop occupée à mesurer la quantité d'argile dont il fallait tapisser le pot, mais ses yeux clairs trouvèrent ceux de sa camarade lorsque celle-ci déplaça bruyamment un tabouret pour s'installer à une paillasse et commencer à déplacer les outils qui s'y trouvaient. Elle semblait avoir le même âge que la Serdaigle, pourtant cette dernière était incapable de se rappeler l'avoir déjà croisée. Peut-être avaient-elles une année d'écart, à moins qu'elle ne soit nouvelle ? Est-ce qu'elle avait raté une annonce en n'allant pas petit-déjeuner ? Autant de questions sans réponse qui entouraient une certitude : l'adolescente était en train de faire une grave erreur que Selene hésitait à lui mentionner. Néanmoins, elle ne pouvait pas rester sans rien faire et culpabiliser si sa camarade se faisait prendre alors, quand leurs regards se croisèrent, la Serdaigle lui adressa un joli sourire qui se transforma rapidement en une petite grimace désolée. « Tu devrais pas utiliser cette paillasse, c'est celle de la prof et… » Ses yeux clairs s'égarèrent du côté de l'entrée de la serre, comme pour vérifier que Griffith ne pouvait pas l'entendre. Elle ne comptait rien dire de méchant, juste la vérité, mais l'enseignante dégageait une aura si terrifiante que Selene préférait l'éviter. Pourtant, elle devait avoir un très bon fond puisqu'elle avait proposé à Teddy de l'aider, cet été, mais même en sachant ça, la Serdaigle ne pouvait se figurer autre chose qu'un dragon prêt à cracher son feu brûlant sur les élèves qui auraient l'audace de commettre la moindre erreur. « si elle te voit toucher ses affaires, tu vas passer un sale quart d'heure. » Brrrr, rien que d'y penser, un frisson l'agita.

Selene ft @Professeur J. Griffith

( La princesse et le dragon )

‎‎ ‎ Ces histoires de rajeunissement avaient fichu une pagaille invraisemblable parmi les élèves et le personnel ! Tout le monde semblait prendre la chose avec une gravité qui paraissait très exagérée à Jack, dont la jeunesse retrouvée lui insufflait une bonne humeur contagieuse. Bonne humeur qui ne fit qu’enfler lorsque, sur le chemin menant aux serres, un adolescent se mit à la draguer. Ah, tous ces bons souvenirs de sa scolarité qui se rejouaient sans même qu’elle ne les provoque ! Bon, évidemment, une fois le malentendu dissipé, l’élève s’était ratatiné sur lui-même, puis carapaté aussitôt – mais ça aussi, ça la mettait de bonne humeur. Rien de tel que de se sentir belle et puissante pour croquer la vie à pleines dents ! Non, vraiment, elle ne comprenait pas pourquoi ses collègues paraissaient si catastrophés. Encore que, si elle se mettait à leur place une poignée de secondes, il fallait bien admettre qu’ils n’avaient pas tous été gâtés par la nature comme elle. Tragique… mais ce n’était pas son problème, après tout.
‎‎ ‎ Chantonnant sans se soucier des regards sur son passage, elle pénétra dans les serres d’un pas joyeux et fut surprise d’y trouver une élève sur le sol, occupée à rempoter une plante. Elle aussi paraissait bien lunée et fredonnait ; expression fort à propos, puisqu’il s’agissait de la délicate Selene Paulet. Ces derniers mois, elle lui avait semblé particulièrement éteinte – pas qu’elle ait déjà dégagé une énergie monstrueuse auparavant, mais disons plus molle que d’habitude. C’était presque étonnant que Caerwyn ne soit pas déjà venu chouiner dans ses jupes qu’une de ses élèves se portait mal. Bah… Elle lui demanderait quand elle le recroiserait – du moins, si son humeur s’améliorait, puisqu’elle était exécrable actuellement. Pour le moment, elle se contenta de s’installer à sa paillasse pour s’assurer qu’elle avait de quoi transformer les cours de la journée en cours commun généralisé. L’idée de travailler sur les cosmétiques dérivés de plantes lui avait traversé l’esprit en s’admirant dans le premier miroir venu – et en avisant que tous les adolescents n’avaient pas la chance d’avoir d’aussi jolis minois. Il fallait bien leur donner les moyens de briller un peu, non ?
‎‎ ‎ Il faudrait d’ailleurs qu’elle indique à Paulet que le cours qu’elle attendait était annulé. Probablement ne s’était-elle pas rendue dans la grande salle pour l’ignorer. Et, lorsque leurs regards se croisèrent, elle s’apprêtait à le lui signaler, mais elle fut prise de court par la jeune fille… qui la prenait pour une élève ! L’espace d’un instant, Griffith avait déjà oublié qu’il était aisé de la confondre avec une étudiante, à la façon de cet adolescent flippé qui s’était enfui sans demander son reste après avoir appris son identité. Bien sûr, elle aurait pu dissiper le malentendu. Cependant, le coup d’œil prudent qu’elle jeta autour d’elles pour s’assurer que “la prof” n’était pas dans les parages l’en dissuada. Il y avait évidemment de quoi s’amuser juste sous son nez. Et elle ne s’en priva pas.
‎‎ ‎ Croisant élégamment ses mains sous son menton en s’appuyant sur la paillasse, elle étira un petit sourire en réponse à l’avertissement de Selene. “Tu exagères, elle n’est pas si terrible.” Distraitement, elle observa la plante de l’adolescente, ainsi que son visage pâle piqué de deux yeux délavés. Quelle étonnante créature, tout de même. Un coup de vent aurait pu l’emporter. “Tu crois que le podcast a raison, pour elle et Bevans ?” l’interrogea-t-elle innocemment. “Je crois que ça a rendu Senna furieuse.” À la pêche aux ragots, il n’y avait que ça de vrai ; ça, et ce que ses élèves pouvaient bien penser d’elle.

ft. @Selene O. Paulet

credit; Salaï (code); Charlotte Major Wyllie (icons)

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la princesse et le dragon

Bercée par le calme de la serre et les notes qu'elle fredonnait pour elle-même, Selene aurait pu — aurait du — passer un doux début de matinée ; après tout, elle s'occupait sagement et n'avait rien fait qui puisse justifier un retour de bâton. Pourtant, le destin, joueur, décida de placer quelques pièges sur son chemin. Enfin, un piège du moins, dans lequel elle plongea tête baissée. La journée était belle, son humeur apaisée par les tâches botanistes qui occupaient ses mains, et elle ne souhaitait pas que le ciel s'assombrisse de réprimandes si sa camarade, qui venait de s'installer à la paillasse réservée à Griffith, se faisait prendre par cette dernière. Elle lui partagea donc une brève mise en garde, s'assurant d'un regard circulaire que personne — surtout pas la première concernée — ne pouvait les entendre. « Tu exagères, elle n’est pas si terrible. » Ses gants terreux suspendus au-dessus du pot qu'elle remplissait, Selene haussa les épaules et répondit d'un ton peu convaincu : « Non, j'imagine… » Mais pouvait-elle nommer un enseignant plus effrayant qu'elle ? Là-dessus, l'adolescente était à peu près convaincue que tout le château partageait son avis : Griffith faisait frémir même les plus endurcis. « 'fin, certains disent quand même qu'elle aurait du sang de dragon… » Évidemment, c'était impossible. Les demi-géants et les demi-vélanes existaient peut-être, mais elle n'avait jamais entendu dire qu'une telle chose était possible avec un vrai dragon, mais ça aurait au moins le mérite d'expliquer comment leur professeure était capable d'être si effrayante. D'un autre côté, elle allait permettre à Teddy de ne pas passer l'été chez elle, là où son père pourrait la malmener. C'était facile à oublier, ça en disait pourtant forcément beaucoup sur quel genre de personne c'était. « Elle a forcément bon fond, quand même », se reprit-elle donc, après quelques secondes à mâchonner ses pensées.

Derechef, la voix de sa camarade, dont elle était incapable de se rappeler le nom, ni même si elle l'avait déjà croisée avant, s'éleva entre les plantes silencieuses. « Tu crois que le podcast a raison, pour elle et Bevans ? Je crois que ça a rendu Senna furieuse. » Elle faisait probablement référence à la rumeur qui courait à propos d'une possible relation amoureuse entre les deux enseignants et l'effet que ce commérage comme il y en avait tant avait eu sur la fille de Griffith. Selene ne la connaissait que de vue, mais personne n'ignorait leur lien de parenté, pas plus qu'on ne pouvait passer à côté de sa réaction quand le podcast avait été diffusé, pour peu qu'on se trouvait à ce moment-là dans la salle commune des Serdaigle où un petit groupe l'écoutait assez fort pour que toutes les personnes présentes puissent en profiter… Senne y compris. « Elle avait pas l'air ravi, c'est clair », confirma Selene en lorgnant du côté de sa camarade pour voir si elle pouvait repérer un badge, un insigne, ou n'importe quoi aux couleurs de sa maison ; en vain. « Pour Bevans et Griffith, je sais pas… C'est possible, ils passent toute leur année à Poudlard, eux aussi. Mais il paraît tellement plus… calme. Et toi ? » Pour ce qu'elle connaissait des relations amoureuses, elle ne pouvait pas franchement parler. Les sentiments, les raisons pour lesquelles ils se développaient et tous les comment associés étaient un vrai mystère. Ajoutant une dernière motte de terre, elle tira la plante à elle, armée d'une petite pelle pour la retirer de son vieux pot.

Selene ft @Professeur J. Griffith

( La princesse et le dragon )

‎‎ ‎ L’occasion était trop belle pour ne pas être saisie. Quand aurait-elle à nouveau l’opportunité de sonder ses élèves à leur insu ? De se prendre pour l’une des leurs comme une vieille carne mélancolique courant après sa jeunesse ? A priori pas de sitôt, alors c’était décidé ; elle lui jouerait un petit tour de son cru. D’autant qu’elle n’appréhendait pas le moins du monde les réponses de la jeune Paulet – une élève discrète, timide, qui n’avait jamais un mot plus haut que l’autre. La douceur semblait s’incarner dans ce délicat oiseau effarouché par la première pétarade venue. Aussi Griffith ne craignait-elle à aucun moment de s’emporter ou de devoir sévir, ego blessé en pavillon de sévérité.
‎‎ ‎ Un premier hameçon lancé récolta ce qu’elle avait escompté ; ton dubitatif, moue hésitante qui alla dans son sens sans pour autant sembler très sûre d’elle. Un certain agacement poignit entre les sourcils haussés de Jack, dont le sourire se fana légèrement – brutale envie de secouer cette poupée de son pour lui insuffler un peu de personnalité. “Tu n’as pas l’air convaincue” fit-elle innocemment remarquer. Un rire la secoua inévitablement face à la rumeur de sang de dragon. Elle ne la connaissait pas, celle-là ! “C’est absurde” releva-t-elle en levant les yeux au ciel, bras négligemment croisés sur son établi. Cependant, elle se laissa déstabiliser par son affirmation suivante. Bon fond ? Haussant un sourcil aigu, elle ouvrit la bouche, la referma, puis demanda : “Ah oui ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ? C’est surtout une peau de vache.” Cette réplique ne la fit même pas frémir. Elle savait pertinemment que sa réputation oscillait dangereusement sur ce pilier-là ; et elle ne s’en émouvait pas, c’était exactement ce qu’elle avait voulu. Lorsqu’on était une femme, il fallait être deux fois plus sévère qu’un homme pour espérer imposer son autorité. Aussi n’hésitait-elle pas à l’être quatre fois plus – au cas où quelqu’un oublierait qu’elle n’était pas juste une peau de dragon tannée, mais bien capable d’imposer sa volonté où qu’elle aille. Elle était Jack Griffith, bon sang !
‎‎ ‎ Choisissant d’aborder le sujet brûlant du moment – aka le podcast sulfureux qui semblait impatient de caser tout le corps enseignant –, elle laissa sa question infuser dans la caboche de la gamine avec un faux air ennuyé. Jack remarqua immédiatement le regard interrogateur de Selene, qui cherchait quelque chose sur elle ; sans doute ne la reconnaissait-elle pas et commençait à se poser des questions. Elle devrait donc être efficace avant que la supercherie soit percée à jour. Ainsi, elle ne rebondit pas sur son euphémisme – pas ravie, c’était le moins qu’on puisse dire –, et se contenta de répondre à la question miroir qui lui fut adressée. “Tu as raison, ils n’ont pas l’air d’avoir vraiment d’atomes crochus. Et puis, ils ont quelque chose comme dix ans de différence.” Elle se serait probablement giflée si elle avait été seule. Que cherchait-elle, au juste ? À être rassurée par une ado de quinze ans ? Ridicule. De toute façon, ça n’avait aucune importance puisque ça n’avait été l’histoire que d’une seule fois. “Enfin, tu me diras… Il y a bien un vampire centenaire qui se promène parmi nous.” Au fond, le jeu l’amusait beaucoup : mettre sur la table tous les sujets fâcheux du moment et récolter les fruits juteux avec la certitude qu’aucune barrière professorale ne les pourrissait.

ft. @Selene O. Paulet

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la princesse et le dragon

Sa camarade ne semblait guère s'inquiéter d'être installée à la paillasse attitrée à leur enseignante ; en fait, elle semblait même s'en amuser, questionnant nonchalamment Selene sur ce qu'elle pensait de Griffith comme si elle ne craignait pas les représailles éventuelles qui leur tomberait dessus si l'objet de leur conversation pointait justement le bout de son nez. « Tu n’as pas l’air convaincue », releva l'adolescente, accoudée comme si de rien n'était, habillée d'un calme confiant que la petite lune trouvait déstabilisant. « Non non, c'est pas ça… Mais, quand même, parmi tous les profs, c'est elle qui fait le plus peur. » Preuve en était, certains élèves arguaient même qu'elle avait du sang de dragon en elle ; d'autres juraient avoir déjà vu un peu de fumée s'échapper de ses lèvres un jour où elle était vraiment contrariée. Fadaises, évidemment, mais ça en disait long sur sa réputation. « C’est absurde. » Selene hocha la tête, trop concentrée sur la plante qu'elle déposait soigneusement dans son nouveau pot pour acquiescer à haute voix. Absurde, oui, parce que personne n'avait jamais fait mention d'êtres humains à demi-dragon. Si c'était le cas, elle aurait sûrement des écailles, en plus, ou quelque chose qui rappellerait son ascendance, un peu comme les demis-géants étaient très grands. Enfin bon, même si elle faisait assurément plus peur que le commun des professeurs, elle avait forcément bon fond : quelqu'un de réellement méchant n'aurait pas tendu une main secourable à Teddy, ne lui aurait pas offert un foyer pour l'été, ne lui aurait pas ouvert une porte de sortie pour fuir les violences paternelles. « Ah oui ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ? C’est surtout une peau de vache. » Selene grimaça — alors que c'était elle qui l'avait associée à un dragon la première ; mais peau de vache, ça faisait vraiment pas sympa — et entreprit de recouvrir les racines par du terreau humide. « Elle a aidé une amie à sortir d'un mauvais pas. Une vraie peau de vache ferait pas ça, non ? » Du coin de l'œil, elle jaugea la réaction de sa camarade avant de revenir à son ouvrage. Ça allait, elle n'en disait pas trop pour qu'une élève lambda puisse identifier Teddy, ne sachant pas si cette dernière apprécierait vraiment qu'elle se balade à droite et à gauche pour faire la promotion de leur enseignante à ses dépends.

Puis la discussion glissa de ce qu'elles pouvaient bien penser de l'enseignante aux derniers potins qui fleurissaient dans le château. On ne s'ennuyait jamais, si on laissait son oreiller traîner, encore moins dans les jours qui suivaient la diffusion du podcast le plus écouté. À commencer par la rumeur qui était sur toutes les lèvres, ou presque : la relation entre Griffith et Bevans. C'était vraiment étrange de se figurer ces deux adultes en train de batifoler et se couvrir de mots d'amour tant leurs élèves n'avaient à faire à eux qu'à titre de professeurs. Ça devait être bien différent pour leurs enfants, à commencer par Senna, dont la pensée à ce sujet n'était pas restée secrète dans leur salle commune. « Tu as raison, ils n’ont pas l’air d’avoir vraiment d’atomes crochus. Et puis, ils ont quelque chose comme dix ans de différence. » « Bon, après on sait pas comment c'est quand ils ne sont pas là, à donner des cours », tempéra Selene en dodelinant doucement du visage, comme pour éprouver l'idée saugrenue du couple dont elles parlaient. « Puis dix ans… C'est pas tant que ça, à leur âge, non ? Ça fait, quoi, comme s'ils avaient quarante et cinquante ans ? C'est du pareil au même, non ? » Évidemment, à ses yeux, les vieux étaient tous vieux, les adultes placés sur une ligne temporelle qui ne laissait guère place aux subtilités. Qu'est-ce qu'elle en savait, elle, de toute façon, de l'amour et de ce que cela impliquait ? « Enfin, tu me diras… Il y a bien un vampire centenaire qui se promène parmi nous. » Ah, oui, ça aussi, c'était au cœur de bien des bavardages, l'arrivée d'un nouveau camarade plus âgé que le couple Griffith-Bevans additionné. « Ah, oui, Lucius je crois ? Tu lui as déjà parlé ? » Après tout, elle semblait un petit peu plus âgée, probablement une sixième ou septième année, et le nouveau venu jouait dans cette cours-là.

Selene ft @Professeur J. Griffith

( La princesse et le dragon )

‎‎ ‎ L’agacement avait surgi instinctivement, sorti du tréfond d’entrailles trop habituées à bousculer les gens, à les presser comme des citrons pour en extraire la substantifique moelle. Jack pressentait que Selene en avait davantage dans le ventre que ce que cette réserve affichée en permanence pouvait laisser entrevoir. Cette gamine devait s’affirmer. Comment ? Bonne question, mais tous les adolescents disposaient de leurs propres leviers ; il ne restait qu’à trouver celui de Paulet. Un sourire aux commissures aiguës vint se dessiner sur son visage rajeuni lorsque l’adolescente – la vraie – affirma que Griffith était la plus effrayante des professeurs de Poudlard. Voilà un titre bien mérité ! “Peur, carrément ?” releva-t-elle, un rien de rire dans la voix. Évidemment qu’elle faisait peur, mais à quel point était une question intéressante. Jusqu’où s’étendait son aura sur les élèves ? Jusqu’à quel point pouvait-elle les pousser dans leurs retranchements, les contraindre à affronter le mur pour non pas opérer un demi-tour mais passer par-dessus ? Bien sûr, on pouvait dire d’elle qu’elle était cruelle, trop exigeante, fantasque dans ses demandes, mais ça n’avait jamais été parfaitement gratuit. Les adolescents avaient besoin d’être secoués pour avancer – autrement, ils s’enfonçaient dans une inertie confortable, mais néfaste pour leur développement. Qu’importe ce que pensaient ses collègues ou les petites têtes blondes, Griffith était persuadée du bien-fondé de ses méthodes.
‎‎ ‎ La jeune fille acquiesça à son exclamation dédaigneuse, sans toutefois rebondir dessus. Qu’y avait-il à dire, de toute manière, sur sa prétendue ascendance draconique ? Elle espérait sincèrement que la totalité des étudiants répandaient cette rumeur par amusement, sans croire à cette absurde légende. Le contraire la ferait singulièrement désespérer concernant leur niveau intellectuel. Jack se trouva toutefois davantage interloquée par l’affirmation de Selene sur son soi-disant bon fond. Bien sûr, elle l’amena à développer, haussant un sourcil intéressé. La réponse la déstabilisa davantage encore. Teddy ! Ainsi, cette dernière était suffisamment proche de la petite blonde délavée pour lui confier ses déboires familiaux. Griffith nota soigneusement cette information dans un coin de sa tête. “Je suppose” admit-elle précautionneusement. “Mais qui te dit qu’elle ne fait pas ça dans son intérêt ?” Allez, ma petite, réfléchis un peu. La façon dont Paulet paraissait voir le monde en noir et blanc piquait quelque chose en elle ; non pas parce qu’elle ne distribuait pas les choses en bien et mal, mais parce qu’elle semblait trop attachée au bien qu’elle discernait dans les gens pour faire preuve de clairvoyance. Et ça, Jack le savait un peu trop bien, c’était un défaut fatal ; d’autant plus lorsqu’on était une jeune femme.
‎‎ ‎ La discussion s’allégea toutefois en bifurquant vers les potins superficiels qui agitaient le château en ce moment. Impossible de passer à côté des rumeurs qui la liaient à Caerwyn ; et impossible de ne pas tâter le terrain puisqu’elle en avait l’occasion. Contrairement à ce qu’elle avait anticipé, Selene n’abonda pas dans son sens, préférant nuancer, arrondir les angles ; toutes ces choses qui horripilaient Jack. Et pourtant, quelque part, elle se sentait stupidement un peu soulagée d’entendre la jeune fille évacuer le sujet de l’âge avec un désintérêt nonchalant. La doyenne savait pertinemment que pour une jeune personne, les adultes de plus de quarante ans étaient tous logés à la même enseigne ; alors pourquoi réagissait-elle de la sorte ? Ce n’était pas son genre d’éprouver la moindre difficulté à prendre de la distance. “Peut-être” se contenta-t-elle de lâcher du bout des lèvres, préférant changer de sujet à présent que celui-là devenait trop inconfortable. Heureusement, un vampire sanguinaire constituait une excellente source de distraction, dans laquelle Paulet s’engouffra sans demander son reste. “Oui, Lucius. Un peu, pas beaucoup” admit-elle en haussant une épaule pensive. Elle préférait observer la bête plutôt que de la laisser approcher trop près. Si elle éprouvait un rien de pitié pour cette créature vraisemblablement là contre son gré, source de toutes les angoisses sourdes, elle demeurait parfaitement consciente qu’entre un vampire et un loup-garou, les instincts différaient très largement. La longévité des premiers nuisait souvent à leur équilibre mental, attisant leur imprévisibilité et leur manque d’empathie. “Je ne sais pas trop quoi penser de lui. Il est dangereux, bien sûr. Mais on connait si peu de choses des vampires…” Après avoir travaillé toutes ces années sur les lycanthropes, Jack ne pouvait pas ignorer complètement la petite voix qui lui chuchotait que, peut-être, leur méfiance et leur défiance prenaient racine dans un manque de connaissances qu’ils rechignaient à collecter ; et peut-être un peu aussi dans l’absence de volonté des vampires de se distancier de leur nature, contrairement aux loups-garous bien plus coopératifs. “Et toi ? Tu lui as déjà parlé ?”

ft. @Selene O. Paulet

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