Il neigeait tant, depuis ce matin, que le parc était presque méconnaissable. Même les traces de pas des élèves qui allaient et rentraient de cours de botanique ou de soins aux créatures magiques n’étaient presque plus visibles au bout d’à peine quelques dizaines de minutes. Depuis l’intérieur du château, Dmitri aimait bien cette vue ; la luminosité était jolie et l’extérieur ainsi recouvert de son manteau blanc avait un peu quelque chose de féérique. Il avait passé une partie de son cours à lorgner à travers la fenêtre, la voix distante du professeur de métamorphose parvenant à peine à capter son attention. Ce ne fut que lorsque la classe s’éveilla en un brouhaha désagréable qu’il détacha son regard de l’extérieur pour ranger, à l’unisson de ses camarades, ses affaires de cours et s’extirper de la salle.

Habité par un sentiment mélancolique qui ne le quittait plus depuis ses vacances passées dans le manoir des Hébrides, il avait retrouvé un peu de ce mal du pays qu’il avait connu quelques années plus tôt. Poudlard lui était devenu hostile, non à la façon de sa deuxième année, lorsqu’il était le parjure tant pour les sang-purs que pour ceux qui avaient été reclus dans un dortoir, loin des autres, mais d’une manière inédite. C’était plutôt lui qui rejetait le collège de sorcellerie, qui rejetait l’Écosse ; peu importe où il se trouvait, sur l’île des van Aken ou dans l’école, presque tout semblait lui rappeler l’héritage que son grand-oncle avait laissé derrière lui et pour lequel l’aiglon ne se sentait pas de taille. C’était frustrant, angoissant. Il se sentait seul face à ça... et ça l’effrayait. Alors il rejetait tout ce qui le rattachait à cet héritage. Prague redevenait subitement attrayante, son souvenir devenant ce petit havre de paix dont il pouvait rêver, tout en sachant, au fond de lui, qu’il n’y avait plus vraiment sa place. La Tchéquie jouait malgré tout un rôle apaisant dans son esprit. Et d’un coup, c’était comme si le destin avait eu la grâce de lui offrir un peu de douceur slave ; depuis quelques semaines, cette nouvelle élève à l’accent rude de sa terre natale foulait le sol de l’école écossaise, comme pour mieux rappeler au garçon ses origines. Il n’avait au début pas trop prêté attention à elle, plus préoccupé par les vacances de Noël qui approchaient et avec elles, son premier retour au manoir depuis le décès d’Alexander... mais c’était derrière lui, à présent, et la poufsouffle représentait un vent de fraîcheur aux effluves de souvenirs agréables.

Hissant la lanière de son sac par-dessus l’épaule, Dmitri emboîta le pas de ses camarades pour gagner la grande salle où nombre d’élèves s’y retrouvaient pour prendre une collation et grignoter quelques victuailles, entre deux devoirs à rendre. À l’orée de l’imposante pièce, l’aiglon hésita un instant avant de prendre congé de ses compagnons de route – à savoir Silas et son fauteuil, qui libéraient magistralement la route. De toute façon, l’autre serdaigle semblait pressé de rejoindre Dashiell à la table de gryffondor. Le Tchèque, pour sa part, ignora tout autant la table de sa maison pour rattraper une silhouette arborant les couleurs de poufsouffle. Sans prêter gare aux autres blaireaux tout autour de la table, il s’approcha du banc, face à la nouvelle élève.

- Nebude vám vadit, když si sem sednu ? (Ça te dérange si je m’assois ici ?) demanda-t-il en Tchèque à l’adolescente, un léger sourire aux lèvres parce qu’il était heureux de parler à nouveau dans son idiome natal.

Il se délesta de son sac, le laissant glisser de son épaule pour retomber à ses pieds. Que des élèves d’autres maisons viennent occuper les tablées voisines était assez classique ; hormis la rentrée et quelques évènements particuliers, tous avaient pris pour habitude de se mélanger, comme si, finalement, la répartition ne les avait pas séparés.

- Češi do Bradavic nejezdí často (Ce n'est pas souvent que des Tchèques viennent à Poudlard), ajouta-t-il en soulignant l’évidence... et par la même, cette petite joie simple qui émanait de lui en voyant une compatriote.

Dmitri se souvenait du jour où on lui avait dit qu’il n’irait pas à Durmstrang aussi clairement que si c’était hier ; une joie certaine l’avait envahie, quoiqu’accompagnée de frustration et de colère. Quitter son pays n’était pas chose simple et l’impression tenace d’être l’élément de trop dans la famille ne l’avait jamais vraiment quitté. Peu à peu, pourtant, son quotidien s’était vu éclairer d’autres choses... jusqu’à ce que tout ne semble s’écrouler avec le décès d’Alexander et cette menace grandissante de voir sa fratrie fouler le sol du manoir et de l’école comme autant d’envahisseurs indésirables. La perspective était angoissante et sans doute était-ce pour ça que ses parents ne s’étaient pas trop empressés de prendre une décision ; elle restait en suspens, une épée de Damoclès dansant au-dessus de sa tête. Elle n’était pas encore tombée : à la place, c’était une autre chose qui semblait être tombée tout droit de Tchéquie. Une camarade inconnue, une patriote aux intonations slaves très fortes et parfois un peu hasardeuses, comme Dmitri ne les avait jamais eues ; il avait appris la langue de Shakespeare très jeune et bien qu’un accent demeure très facilement audible dans son vocable, l’anglais ne lui avait jamais posé de souci à Poudlard. Retrouver son dialecte natal était malgré tout très plaisant ; en s’adressant à l’adolescente, il réalisait combien ça lui avait manqué.

La poufsouffle sembla un instant surprise mais se para rapidement d’un sourire engageant, laissant implicitement au van Aken la permission de s’installer. Le garçon avisa un instant le carnet qu’elle referma presque aussitôt, assurant que son intervention n’était pas si dérangeante. De toute façon, si elle voulait finir son devoir en paix, sans doute valait-il mieux pour elle de se trouver une place dans la bibliothèque ; elle finirait bien vite par se rendre compte que les anglosaxons étaient très friands des repas bruyants.

- J’ai entendu quelques racontars, mais ces gens ne savent pas reconnaître un accent d’un autre, je le crains. Pour eux, toi et moi ne sommes pas bien différents du Russe de gryffondor, répondit-il en tchèque.

Depuis sa première année, il y avait toujours eu quelqu’un pour confondre son phrasé avec celui norvégien des Sørensen ou le suédois de Thorstein, quand bien même ne roulait-il pas les R de façon aussi caricaturale.

- Il a fallu que je t’entende, en sortant de classe, pour savoir d’où tu venais.

D’autres lui avaient bien dit qu’ils avaient une nouvelle camarade venant des contrées slaves mais cela laissait tant de possibilités, même pour une école comme Poudlard qui n’accueillait d’ordinaire qu’assez peu de personnes venant d’autres contrées, qu’il n’avait guère été avancé par les propos des élèves.

- Je- ça fait longtemps que tu es ici ? Je t'avoue que je suis encore un peu perdue, même si ça fait quelques semaines maintenant.
- Que je suis à Poudlard ? Depuis ma première année, oui. Un peu plus de trois ans, donc.

Il pouvait aisément comprendre combien ce devait être étrange de changer d’école en cours de scolarité ; tous ses camarades se connaissaient depuis longtemps – à l’exception de Yaga qui n’était là que depuis septembre – et chacun avait déjà son cercle de fréquentation. Si tant était qu’elle ne maîtrisait pas suffisamment la langue et elle avait tôt fait d’être complètement perdue. L’aiglon n’était jamais le premier à se ruer vers les nouveaux pour les accueillir ; il était un garçon plutôt réservé d’ordinaire. Assez sociable mais pas pour autant très friand des relations, il laissait à d’autres personnalités le soin de jouer les guides aux nouvelles têtes. Il y avait des préfets pour ça, après tout... mais cette poufsouffle là était différente. Elle méritait son attention parce que sa compatriote ; il se sentait naturellement plus proche d’elle et avait comme l’intuition qu’il était de son devoir d’aller vers elle. Quelques années plus tôt, il aurait aimé entendre sa langue natale l’alpaguer.

- Tu étais à Durmstrang, avant, j’imagine ?

À l’exception des nés-moldu, tous les Tchèques avaient pour coutume d’aller dans cette école et Dmitri avait lui-même longtemps cru y passer toute sa scolarité, comme ses parents, frères, sœurs et cousins.

- Oh fait, je ne me suis pas présenté, honte à moi, ajouta-t-il au bout de quelques secondes, son visage s’éclairant d’une lueur soudaine, comme s’il venait de se rappeler des règles élémentaires de politesse. « Je m’appelle Dmitri. »

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