Je n’avais pas franchement envie d’aller à ce dîner. Mon père avait insisté pour que nous nous rendions chez un couple de collègues du Ministère pour fêter Noël et comme si ça n’avait pas l’air assez ennuyant comme ça, il avait fallu que leur fils fasse partie du corps enseignant de Poudlard. Quel intérêt de revenir à la maison pour les vacances si c’était pour que l’école vienne avec ? Certes, Alexander ne comptait pas parmi mes professeurs puisque je ne suivais plus les cours d’Etude des Moldus depuis que ceux-ci étaient redevenus facultatifs - ayant une mère moldue, ces leçons n’avaient aucun intérêt pour moi - mais ça risquait d’être tout de même un peu gênant, comme ambiance. Et s’il me parlait de l’école pendant tout le dîner ? J’étais sûre que les profs n’avaient toujours que ce sujet à la bouche : les études, les leçons, les cours. À croire qu’ils ne connaissaient rien d’autre. Pitié.

Je n’aurais même pas mon frère pour traverser cette épreuve à deux. Mon jeune frère, Gavin, pas l’autre idiot de Callum, celui-ci ayant coupé les ponts avec nous depuis un bon moment, je ne le considérais même plus comme appartenant à notre fratrie. Mais Gavin avait eu l’idée merveilleuse de subir l’effet secondaire d’une potion foireuse en plein cours la veille du départ de Poudlard et avait dû rester à l’infirmerie pour les vacances. Je l’avais plaint, jusqu’à ce que j’apprenne l’existence de ce dîner - là, j’avais presque envie que l’on échange nos places. J’avais tenté de négocier avec mes parents pour rester à la maison ce soir-là, mais ils n’avaient rien voulu entendre. Pas le choix, j’allais devoir affronter ce moment chiant.

La porte s’ouvrit - comme par hasard - sur le prof Alexander et mes parents sourirent poliment lorsqu’ils les invita à entrer. J’étais toujours un peu étonnée de voir ma mère aussi à l’aise dans une maison de sorciers, elle qui n’avait jamais connu de magie avant de rencontrer mon père. Mais elle avait sûrement dû s’y habituer vite en faisant la connaissance des MacMillan. Elle et mon père suivirent Alexander senior qui venait d’arriver dans l’entrée et les emmenait vers le salon pour discuter comme de bons vieux amis, me laissant donc seule avec le professeur d’Etude des Moldus. Génial. Qu’est-ce que j’étais censée lui dire ? On se connaissait déjà au moins de nom, ce qui rendait les présentations inutiles, et je ne me voyais certainement pas discuter avec lui comme si l’on pouvait être potes. Je finis par lâcher simplement :

« Bonsoir. »

J’esquissais un mince sourire, poli quoiqu’un peu forcé. Je n’avais pas envie d’être là et cela se voyait certainement dans ma posture, mais je ferais au moins semblant, pour mes parents. En espérant qu’il y mette un peu du sien, lui aussi.

« Pitié, dites-moi juste que vous n’allez pas passer la soirée à parler de cours. »

Pas que ce serait forcément plus ennuyeux que les sujets portant sur le travail de mon père et de ses parents au Ministère de la Magie, mais au moins je ne serais pas le centre de l’attention pour cela et j’aurais le droit de ne pas écouter. Sinon… la soirée allait être longue.

J’avais toujours eu un peu de mal avec les profs, qu’ils soient de Poudlard ou de l’école moldue à laquelle j’allais avant ma première année. Je n’aimais pas leurs cours ni leur autorité de manière générale. J’étais toujours l’élève perturbante, la dissipée qui ne faisait jamais ce qu’on lui demandait parce que ça la faisait chier. Je n’aimais pas les profs et rares étaient ceux qui m’aimaient bien en retour. Alors passer un dîner de Noël avec l’un d’entre eux me semblait être aussi excitant qu’une après-midi remplie de cours - c’était une corvée. Pourtant, quand Alexander réagit à ma plainte par un grand sourire, il ne ressemblait pas plus à un professeur qu’un autre adulte normal et sa réponse me détendit un peu. À croire qu’en dehors de Poudlard, les profs étaient simplement des sorciers comme n’importe qui d’autre. Et puis, sa remarque n’était pas fausse : même s’il espérait me donner un cours particulier, je n’en aurais pas tiré grand-chose. J’avais eu une éducation moldue avant d’entrer à Poudlard et assez d’interactions avec des moldus du côté de ma mère pour en savoir un peu sur leur monde, je n’avais vraiment pas besoin de leçons sur ce sujet-là.

Alexander avait aussi l’air plus décontracté, moins coincé que lorsque je le croisais dans les couloirs de l’école. C’était l’un des plus jeunes recrues du corps professoral de Poudlard, alors la plupart des élèves le trouvaient généralement plus cool que les autres vieux croûtons qu’on pouvait trouver, mais il n’en restait pas moins un prof qui pouvait vite vous tomber dessus si vous n’étiez pas parmi les élèves les plus sages. Mais là, c’était différent. Une main dans l’une de ses poches, il m’indiqua de l’autre la cuisine en me proposant à boire. Peut-être que je pourrais oublier son autre visage, le temps d’une soirée. Peut-être que ce dîner pouvait être moins chiant que je ne l’avais imaginé au départ. Je hochai la tête et le suivit dans la pièce où il m’emmenait.

« Vous avez de la bière ? » puis, pour me justifier : « J’ai dix-huit ans. »

Depuis quelques mois, je n’avais même plus besoin de mentir sur mon âge pour consommer, c’était l’avantage d’être parmi les plus anciennes de ma promo. Et franchement, je ne me voyais pas débuter cette soirée sans un peu d’alcool, il me fallait au moins ça pour survivre au dîner. Je notai le tutoiement lorsqu’il reprit la parole - il l’avait déjà utilisé plus tôt, mais j’étais alors sûrement trop tendue pour le remarquer - et même si cela me faisait bizarre, je supposai que c’était une manière de détendre un peu l’atmosphère. Nous n’étions pas un prof et une élève, ce soir, mais simplement deux personnes assistant au même repas. Tout de même, j’espérais qu’il ne s’attende pas à ce qu’on devienne potes. Ça restait un mec capable de m’envoyer en retenue ou de me retirer des points de maison s’il me voyait en train de jeter des bombabouses dans une des salles de classe.

Comme l’avait fait remarquer Alexander, nos mères avaient l’air très intéressées par ce qu’on faisait. Sûrement que la mienne se disait que je ne trouverais pas cette soirée si déplaisante en fin de compte. Ça, pour m’inventer des vies et me taquiner, elle était douée. Son second talent après la chanson. Pas grave, mais le directeur des Gryffondors avait raison : un jour ou l’autre, il faudrait bien que l’on se joigne à eux. Suivant ses conseils, je m’installai à l’écart de nos deux paternels, puisqu’ils semblaient déjà s’être lancés dans une longue discussion à propos de leur travail au Ministère ; ce qui me contraint à m'asseoir pas trop loin du jeune professeur. Sirotant mon verre, gorgée par gorgée, je priais pour que le temps passe plus vite, changeant de positions régulièrement, ne sachant pas quoi faire de mes jambes. J’avais toujours eu du mal à rester en place, surtout dans des endroits comme celui-ci où je ne me sentais justement pas à ma place. La soirée allait être longue.

« On peut mettre un peu de musique ? » lâchai-je finalement à l’intention de mon prof.

Ce serait déjà plus supportable comme atmosphère, s’il y avait un peu de son en arrière-plan. Je ne savais pas ce qu’avaient l’habitude d’écouter les Alexanders mais ce serait toujours mieux que les discussions inintéressantes sur le boulot de mon père. Et puis, ça pourrait peut-être me détendre assez pour réussir à passer la soirée sans avoir envie de m’enfuir par la cheminée.

Pas franchement à l’aise, coincée entre des parents plongés dans des conversations d’adultes ennuyeux et l’un des professeurs de mon école, je passais le temps à me goinfrer en silence et à boire dans mon verre, en espérant que la bière puisse m’aider un peu à supporter cette soirée interminable. Si au moins mon frère était là, ou même mieux, mon cousin, le dîner aurait sûrement été plus amusant. En fait, pour tout vous dire, j’aurais même préféré une soirée en tête-à-tête avec ma cousine… et ce n’est pas peu dire. Finalement, Alexander junior me tira de mon silence inhabituel pour me demander si ça m’allait et, perdue dans mes pensées, je ne captai pas tout de suite de quoi il parlait avant de le voir gestuer de la tête vers mon verre. Il ajouta que son père ne buvait que de ça, mais que si je n’aimais pas, on pouvait toujours aller en acheter d’autres à l’épicerie du coin. En fait, la bière n’était pas mauvaise, et l’idée d’aller faire des courses avec un prof ne m’enchantait pas des masses, mais ça battait quand même celle de rester assise là pendant toute une soirée à écouter mon père parler de son travail sans se lasser. Alors, l’un dans l’autre, ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée.

« Ça va, ce n’est peut-être pas la meilleure que j’ai pu goûter, mais ce n’est vraiment pas la pire non plus, clairement ! Par contre, je ne dirais pas non pour me dégourdir un peu les jambes, à un moment. »

Tenir assise sur un fauteuil à boire une bière en silence, ça m’allait bien deux minutes, mais je serais bien incapable de rester en place plus d’une heure, encore moins toute une soirée. Même si, je devais avouer, les petits fours de Mrs Alexander étaient une vraie tuerie. J’étais encore en train de les déglinguer quand le jeune professeur m’adressa de nouveau la parole, pour aborder le sujet des vacances, sûrement dans une tentative de lancer la conversation. Tant qu’on ne parlait pas de cours, c’était bon pour moi, même si je faillis m’étouffer en entendant la fin de sa phrase. Je ne m’y attendais pas, mais ça me fit un peu rire. À croire qu’il avait lu exactement dans mes pensées - ou tout simplement qu’il se faisait chier autant que moi. Terminant ma bouchée, je répondis finalement :

« Mon dieu, non merci, une c’est déjà suffisant. Ma mère voulait que l’on se fasse une semaine en montagne, mais comme Gavin, mon petit frère, est tombé malade entre temps - accident de potion, je ne vous raconte pas - on a décidé de décaler à une prochaine fois. Alors à la place, ouais, en fait, on fait pas grand chose. Enfin, je sors pas mal, j’ai été voir quelques concerts et j’ai été voir des potes, mais bon, ça ne vaut pas du ski, quoi. Et vous, alors ? Ça ressemble à quoi, des vacances de prof ? »

Je l’imaginais surtout passer des soirées à corriger des copies… en fait, j’imaginais mal des professeurs faire autre chose que de corriger des copies. Ils avaient toujours l’air si sérieux, à Poudlard, c’était difficile de croire qu’ils savaient faire la fête eux aussi, de temps en temps. Je ne savais pas non plus s’il fallait que je lui explique ce qu’était que le ski, mon père avait été fasciné, la première fois que ma mère lui en avait parlé, mais en tant qu’enseignant en Etude des Moldus, je supposais qu’Alexander était au moins capable de visualiser ce que c’était. Encore une chose qui aurait fait grincer des dents mon grand-père paternel, s’il avait su que l’on avait passé des hivers entiers à glisser sur la neige avec des bouts de bois aux pieds comme des moldus. Cheh.

Ayant terminé mon verre, je le déposai sur la table basse et, par réflexe, me retournait en direction de la cuisine. Ça ne se faisait peut-être pas de demander à être resservie aussi vite ? Je me questionnai encore quand mon regard fut attiré par les cadres photos qui décoraient les murs du couloir et je ne pus m’empêcher de m’exclamer :

« Eh ! Mais c’est vous, dans les cadres ? J’y crois pas, vous étiez trop mignon ! »

J’avais complètement oublié ma quête de la bière et m’étais levée sans attendre de permission pour m’approcher des photos animées. Le petit garçon qui figurait sur la plupart d’entre elles était indéniablement la même personne que l’homme qui nous avait ouvert la porte en entrant ici, tout à l’heure ; mais il devait bien avoir vingt ans de moins. J’avais presque envie de les faucher pour les ramener à Poudlard. Sûre que ça ferait le tour de l’école en moins de deux.

Finalement, Alexander semblait bien connaître le ski ce qui le crédibilisa un peu plus en tant que Professeur d’Etude des Moldus. Au moins, il ne faisait pas partie de ceux qui enseignent des choses qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes.

« Alpin, je préfère. C’est plus dynamique à mon goût. »

J’étais également curieuse de savoir ce qui constituait des vacances, chez les profs. Je n’imaginais pas grand-chose de vraiment fou, puisqu’ils avaient tous l’air si sérieux la majorité du temps, c’était difficile de penser qu’ils puissent se lâcher un peu en-dehors de la période scolaire. Or, la réponse d’Alexander me conforta dans cette idée. Il revenait à Poudlard tous les soirs pour ses horaires de garde ; en même temps, c’était logique, il y avait quelques élèves qui passaient Noël au château. C’était un peu décevant comme réponse, mais au moins, ce n’était pas l’intégralité de ses vacances puisqu’il partait skier lui aussi. Et il lisait. Normal, pour un prof.

« Ah, je vois. De bonnes vacances en perspective. »

Je n’avais pas grand-chose d’autre à répondre à ça, la conversation m’ennuyait déjà et j’avais du mal à cacher mon sarcasme. À la place, mon regard trouva des cadres photos sur le mur près de la cuisine, qui représentait très certainement le petit Jaime Alexander quand il n’était encore qu’un enfant. Avec un sourire un chouilla moqueur, je me levai pour m’en approcher et les contempler de plus près. C’était quand même plus intéressant que toutes ces discussions d’adultes qui se passaient encore au salon. Je pointai du doigt l’une d’entre elles, sur laquelle il arborait une magnifique grimace tournée vers l’objectif.

« Je crois que celle-là, c’est ma préférée. Quoique, celle-là n’est pas mal non plus. » ajoutai-je en désignant une photo de lui, le visage tout barbouillé dans un arbre.

Je gloussai doucement, difficile de se dire que ce petit garnement enseignerait des cours à Poudlard quelques années plus tard. Alexander avoua qu’il trouvait gênant que je vois ça, mais il riait également.

« Aw, faut pas avoir honte, vous étiez adorable. »

Il revint de la cuisine avec deux nouvelles bières et m’en tendit une. Je le remerciai et but une première gorgée tandis que son attention se reportait sur un autre cadre, où il posait près d’une voiture en mauvais état avec un objet en fer dans les mains. Je n’étais pas sûre de ce que c’était, mais je supposais que c’était un outil moldu pour le bricolage - j’avais beau avoir une mère moldue, les travaux manuels n’étaient pas vraiment sa tasse de thé, alors je m’y connaissais un peu moins sur le sujet. Alexander m’expliqua que son père et lui avaient comme projet de la réparer. Austin Healy, ça aussi c’était un mot étranger pour moi, mais je déduis du contexte que c’était le nom de la voiture. Il proposa de me montrer.

« Carrément, ouais. Je ne m’y connais pas trop en voiture, mais j’aimerais bien voir la tête qu’elle a, maintenant. »

Et puis, ça serait une bonne manière de passer le temps - je n’avais pas vraiment envie de retourner dans le salon à me goinfrer en regardant l’heure tourner. Ma bière toujours en main, je détachai finalement mon regard des cadres photos pour suivre le jeune professeur. Dommage, j’en aurais bien subtilisé une, mais ça aurait sûrement été un peu trop grillé.

Je suivais Alexander jusqu’au garage qui se trouvait derrière une porte camouflée. Le jeune professeur me suggéra de faire attention aux marches, ce qui n’était pas une mauvaise idée en soi, mais bon, quand on avait l’habitude des escaliers capricieux de Poudlard, descendre quelques mètres à peine jusqu’à un garage ordinaire était plutôt un jeu d’enfant. Je refermai la porte derrière moi après qu’il m’en donna la consigne, puis le rejoignis à l’entrée de la pièce pour en découvrir son contenu. Au centre, une grande bâche dissimulait ce que je supposais être l’Austin Healy de la photo, entourée d’établis et d’outillage en tout genre. D’après Alexander, tout fonctionnait à l’électricité ici, ce qui expliquait qu’il valait mieux tenir notre magie à l’écart. Je hochai la tête, compréhensive. J’avais une certaine appétence pour foutre le bordel un peu partout où je passais, mais j’avais quand même mes limites, et faire exploser le sous-sol d’un de mes professeurs de Poudlard en même temps que de mettre un terme à un projet sur lequel il travaillait depuis son enfance avec son père se situait au-delà de cette ligne. Ma baguette était bien rangée dans ma poche et je ne comptais pas la sortir pour cette fois.

Alexander s’approcha de la bâche et la retira d’un coup sec, faisant voler un peu de poussière. Vraiment dommage que la magie ne soit pas autorisée ici, ça aurait été plutôt utile pour y faire un peu de ménage. Enfin, ça aurait pu être pire, alors quelle importance ? J’étais plutôt intéressée par le véhicule moldu qui se trouvait au-dessous. Il y avait eu quelques améliorations apparentes depuis le jour où la photo avait été prise, mais il ne paraissait pas encore complètement achevé. Le directeur des Gryffondor s’excusa pour l’accumulation de la poussière.

« Pas de problème. Normal, j’imagine, ça doit faire un moment que vous n’êtes pas venu ici, avec Poudlard et tout. »

Je fis le tour de la voiture. Au moins, la bâche l’avait protégée de la poussière, contrairement au reste de la pièce. Marrant, il y avait toutes les vitres sauf celle à l’avant, et il devait manquer encore quelques bouts de métal pour recouvrir toute la machinerie. Je jetai un coup d'œil à l’intérieur mais pour être franche, je n’aurais pas su vraiment décrire ce que j’y voyais. Cela dit, ce n’était pas non plus ce qui m’intéressait le plus.

« Elle fonctionne ? Vous pouvez la faire démarrer ? Ou c’est juste pour la déco et vous comptez pas vraiment l’utiliser ? »

Car c’était bien beau, d’avoir une voiture dans son garage et de la remettre en place, mais si c’était pour la garder éternellement sous une bâche toute poussiéreuse, je n’y voyais pas tellement l’intérêt. À moins de l’utiliser comme sujet d’un de ses cours, peut-être. J’ouvris l’une des portières et m’installai sur un siège pour tester l’intérieur. Ce n’était pas aussi confortable qu’un bon fauteuil, mais ça battait quand même largement les chaises d’école, alors c’était au moins ça. Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire ensuite. Je savais que le gros truc circulaire à l’avant s’appelait un volant et que ça permettait de diriger le véhicule, mais pour le reste, je n’y connaissais rien du tout. J’aurais pu être face à un énorme panneau avec une centaine de boutons identiques sans aucun étiquetage que ça aurait été pareil. Je me décalai sur le siège passager et lançai un regard amusé vers Alexander.

« Vous avez le permis ? »

Ma mère l’avait, mais en dehors de la fois où nous avions déménagé de l’Ecosse à l’Angleterre il y avait au moins dix ans, je l’avais rarement vu conduire. Quelques autres rares fois, en vacances - mais la plupart du temps, on y allait en portoloin, ou alors en transports en commun moldus. Alors, je me demandais quand même bien si Alexander était à ce point dédié à sa matière d’enseignement pour être carrément capable de conduire une voiture. En vérité, c’était plutôt amusant de l’imaginer rouler là-dedans.

Dommage, il manquait le moteur et je déduisis du nom que c’était un élément important pour démarrer une voiture. J’aurais bien aimé la voir à l’action, ou au moins bouger un peu d’ici, mais tant pis. Je me demandais à quel point c’était difficile de dénicher un moteur et de l’installer, mais peut-être que ça dépendait aussi du modèle du véhicule. En fin de compte, je n’y connaissais pas grand-chose, mais moi ce qui m’intéressait le plus dans les voitures, c’était quand elles étaient prêtes à rouler. Toutes les étapes avant celles-là, ça me paraissait bien flou. Alexander m’expliqua que de la faire démarrer était dans les plans de son père.

« C’était ? Genre, ça l’est plus, maintenant ? Vous allez en faire quoi ? »

C’était quand même dommage d’avoir autant avancé dessus simplement pour la laisser prendre la poussière ici pendant encore des dizaines d’années. Triste destin pour une voiture. Alexander prit place devant le volant et resta un moment à contempler l’intérieur. Je me demandais combien de temps s’était écoulé depuis la dernière fois où il l’avait vue. Je me demandais aussi surtout à quel point elle avait changé. Pas beaucoup, j’imaginais. Au vu de la poussière, je doutais que son père ait beaucoup travaillé dessus après son départ pour Poudlard. Quelques traces révélatrices du temps qui passe, tout au plus. Je l’interrogeais sur son permis et fut amusée de savoir qu’il l’avait effectivement passé quand il était aux États-Unis. Il savait conduire des vraies voitures moldus. Ça avait quand même un peu de style, fallait bien l’avouer.

« Ah ouais ! Mais du coup, c’est pas tout-à-fait pareil ici, non ? Comme ils roulent à l’envers, là-bas. »

Je n’y étais jamais allée moi-même mais j’avais pu le voir dans certains films américains que me montrait ma mère quand j’étais plus jeune, ou pendant les vacances. Rien que les voitures étaient construites avec le volant à gauche, je m’en étais rapidement étonnée. Apparemment c’était le cas aussi dans d’autres pays européens. Quelle idée bizarre. Alexander me raconta un peu sa façon de voyager et me précisa qu’on appréciait mieux un pays en le regardant défiler. Je hochais la tête. Certes, les portoloins avaient un côté bien pratique mais il y avait aussi des avantages aux trajets non instantanés. Cela dit, j’aurais bien du mal à rester des heures assises dans une voiture à attendre que l’on arrive enfin à destination. Même si j’apprenais à conduire, je finirais par m'ennuyer sur les lignes droites.

« C’est vrai. Mais à choisir, je préfère encore prendre le balai, ou voler à dos d’hippogriffe. Ou pour rester sur les moyens de transports moldus, j’aimerais vraiment tester la moto. »

J’en avais vu quelques-unes passer dans les rues pas loin de notre maison et je les trouvais plutôt cool. Je m’étais souvent dit que ce serait l’une des choses à tester avant de mourir. Ça avait quelque chose d’un peu plus dangereux que la voiture, mais c’était justement ce qui m’attirait. L’adrénaline, le frisson. Et puis, ça avait quand même un peu de gueule. J’espérais que l’expérience ne serait pas décevante, quand je m’y trouverais enfin l’occasion d’en faire.

« Vous en avez déjà fait ? C’est quoi, votre moyen de transport préféré ? Les, euh… Austin Ellie ? »

Je n’étais plus sûre du nom mais c’était bien quelque chose dans le même genre. Dans tous les cas, je serais bien impressionnée s’il me disait qu’il avait déjà fait de la moto. Encore plus s’il en avait une cachée dans un coin du garage.

Notre discussion me donnait des envies de voyage. J’avais toujours eu cette idée de découvrir le monde, parler avec des habitants des quatre coins de la planète, photographier les plus beaux paysages. Filer de ville en ville sur des routes à perte de vue ; quel que soit le moyen de transport. Parfois, je rêvais d'être une musicienne pour partir en tournée dans tous les pays du monde. Livrer des concerts dans chaque capitale, ce serait le pied. J’étais de plus en plus impatiente de terminer l’école pour enfin, peut-être, accomplir mes rêves les plus fous. Moi aussi, je pourrais partir aux Etats-Unis, voir à quel point les américains étaient incivilisés et peut-être même passer le permis là-bas. Quoique… est-ce que j’aurais vraiment besoin de me prendre autant la tête pour un petit papier ? Je n’aurais qu’à m’en fabriquer un faux, un coup de baguette magique et personne ne verrait la différence, puis j’apprendrais à rouler en moto sur le tas, après tout il n’y avait rien de mieux que la pratique pour comprendre comment les choses fonctionnaient. Et puis, ça ne pouvait pas être beaucoup plus compliqué à manier qu’un balai volant. Les moldus aimaient parfois un peu trop se complexifier la vie pour pas grand-chose.

Mon visage s’illumina lorsque Alexander approuva mon souhait de tester la moto, au moins une fois dans ma vie. Sa réponse impliquait qu’il en avait déjà fait lui-même et qu’il avait apprécié, ce qui ne faisait qu’augmenter mon envie d’essayer. Je hochai la tête poliment quand il parla des tapis volants, mais je n’avais plus que les motos en tête. Est-ce qu’il en avait une ? Est-ce que je pourrais monter dessus ? Est-ce qu’il pourrait m’apprendre ? Je ne tardai pas à avoir ma réponse, puisqu’il m’incita à le suivre à l’extérieur du garage. Je lui emboîtai énergiquement le pas, marchant dans la neige jusqu’à une remise à jardin près de laquelle stationnait un engin motorisé comme j’en avais rêvé.

« Ouah ! »

Je m’approchai sans plus attendre, tâtant d’une main la selle et de l’autre le guidon, pour la voir d’encore plus près.

« La vache, elle est trop belle ! J’en veux une pareil ! »

Je devais clairement avoir l’air d’une enfant qui découvre son cadeau de Noël, mais à ce stade-là, je m’en fichais un peu. Je n’avais qu’une envie, enfourcher cette moto et filer à travers le vent.

« Je peux monter dessus ? »

J’avais déjà quasiment le pied sur le support, attendant juste une permission pour lever l’autre jambe et la passer par-dessus. Je n’avais aucune idée de comment la faire fonctionner, mais je me disais qu’il n’y avait qu’à appuyer sur un bouton ou quelque chose comme ça pour la faire démarrer, et la diriger avec le guidon. Ça ne pouvait pas être beaucoup plus compliqué que ça. Je m’y voyais déjà, une vraie biker moldue comme j’en avais déjà vue dans les séries télé que regardait ma mère. Ce serait vraiment l’une des expériences les plus cools de ma vie. J’avais déjà hâte de raconter à Azraël que j’avais fait le tour de la ville en moto pour le rendre vert de jalousie.

J’avais envie de filer à travers le vent. Comme dans les films d’action. Est-ce que ce serait aussi excitant que de voler sur un balai ? C’était encore à voir, après tout une moto ne pouvait pas voler, du moins tant qu’elle n’était pas enchantée. Mais je me disais que c’était tout de même une expérience à tenter au moins une fois dans sa vie. Malheureusement pour moi, il me manquait les clés de l’engin pour le démarrer ; heureusement pour Alexander, car s’il me les avait laissées, je n’avais aucun doute que je serais partie avec sans hésitation. Je voulais bien rester un peu sage pour ne pas trop ruiner les relations de mes parents avec les collègues de mon père, mais on ne pouvait décemment pas me laisser quelque chose d’aussi cool devant les yeux et espérer que je reste bien droite sans en profiter. Peut-être qu’avec un petit coup de baguette magique, la moto pourrait démarrer sans clé. Mais le temps que je sorte ma baguette et que je réfléchisse à un sort, Alexander n’aurait aucune difficulté à m’arrêter avec que je n’agisse, d’autant plus que je n’étais pas toujours très douée avec les enchantements. Tant pis. Il faudrait que je me contente de rester dessus sans la faire bouger.

J’essayais de m’imaginer ce que cela donnerait, de rouler avec sur la route. Je m’amusais à tourner les vitesses sur les poignées comme m’avait montré Alexander et à prendre différentes positions comme si je me déplaçais réellement contre le vent. J’eus quelques déséquilibres par moments, mais rien qui ne m’empêcha de revenir dessus à chaque fois. Finalement, l’enseignant me suggéra que l’on aille faire un tour dessus, tant qu’on rentre à temps pour le dîner. Je lâchai les poignées et laissai mon pied droit revenir au sol, déjà prête à rentrer prendre mon manteau pour ressortir aussitôt.

« Ouais, t’inquiète. Putain, j’ai cru que t’allais jamais me le proposer. »

La familiarité était venue toute seule et je ne n’en pris conscience qu’après avoir terminé ma phrase. Il fallait dire que la perspective de rouler en moto m’avait un peu fait oublier que j’étais en compagnie d’un professeur de Poudlard. Et puis, j’ignorais l’âge exact de Jamie, mais il ne me semblait pas qu’il puisse avoir beaucoup plus que moi. Il ne devait pas y avoir plus de dix ans d’écart, je dirais. Au pire, on n’était pas à Poudlard.

Je passais en coup de vent dans le salon pour prendre mon manteau, prenant à peine le temps d’expliquer à mes parents la situation que par un simple « on va faire un tour en moto, on revient » et en deux minutes, j’étais déjà de retour devant la réserve où se trouvait l’engin. Je posai les mains dessus, prête à l’enjamber de nouveau, avant de me tourner vers Alexander pour demander :

« C’est tout bon, on y va ? »

S’il ne voulait pas qu’on manque le dîner, autant partir tout de suite pour avoir le temps de profiter un maximum tout de même.