Les premières heures de la journée chatouillèrent le nez de Selene, accompagnées d'un doux parfum de vanille, celui de la bougie qui avait brûlé jusque tard hier soir tant elle peinait à trouver le sommeil. C'est que le lointain mirage qu'était Pré-au-Lard se précisait à mesure que le temps filait, perspective confuse dont les contours s'aiguisaient, même si le village sorcier — dont elle avait tout oublié — n'était pas vraiment celui qu'il fallait pointer du doigt pour désigner le coupable de son agitation. Le petit mot de Dashiell était tombé comme un pétale de fleur sur un lac paisible : avec une douceur capable de provoquer de longs et nombreux remous. La soirée dans les cachots avait laissé de nombreuses traces, certaines plus scintillantes que d'autres, parmi lesquelles cette certitude étouffante d'être de trop dès qu'il s'agissait de ce trio dont elle était proche sans parvenir à l'être assez, ou ce rejet blessant qui saignait encore un peu. Alors quand l'invitation jetée l'air de rien sur un bout de parchemin lui était parvenue, Selene était passée de la joie à la perplexité, des doutes à la félicité, répondant finalement avec entrain à cette proposition de passer du temps tous les deux. Son petit nuage s'était émietté en un million de flocons cotonneux lorsque, la veille au soir, deux filles qui bavardaient joyeusement avaient brutalement ramené Selene a une réalité qu'elle ignorait. Ça sonnait comme Il m'a proposé d'aller boire un verre à Pré-O' demain, c'est clairement un rencard, je suis trop excitée ! et ça l'avait laissée les yeux dans le vague, avec un cœur qui battait tout de travers. Dashiell lui avait simplement proposé une sortie, ce n'était en aucun cas un rendez-vous… Est-ce que c'en était un ? Impossible. Elle savait désormais ce que cachait les portes closes du placard dont le jeu tirait son nom, alors s'il avait chiffonné le petit papier pour s'éviter un tête-à-tête fébrile, ce n'était sûrement pas pour en provoquer un autre quelques jours plus tard. Sa raison avait beau clamer haut et fort qu'il ne s'agissait que d'une sortie banale, entre deux potes quelconques, le doute l'avait maintenue éveillée assez longtemps pour que, au petit matin, elle se contente de s'étirer sous ses draps pour mieux s'y enrouler. Ils ne se retrouvaient qu'après le déjeuner, alors elle avait encore largement le temps.

Quand elle émergea une bonne fois pour toute et qu'elle retrouva sa chambre après s'être longuement immergée sous une eau bien chaude, Daisy n'était nulle part en vue. Une légère appréhension lui noua l'estomac à l'idée qu'elle puisse avoir changé d'avis. Si elle avait mieux à faire — ce qui ne pouvait qu'être le cas — et qu'elle décidait de ne pas l'aider à se maquiller, en fin de compte ? Selene doutait de pouvoir reproduire les gestes légers et gracieux après les avoir seulement observés une fois. Pour se changer les idées, elle plongea dans son armoire et se retrouver face à un tout autre dilemme : comment s'habiller ? Elle ne savait pas ce qu'il convenait de porter pour un tel événement — elle ne savait même pas définir ce dernier — et elle n'avait personne à qui poser la question. Face aux cintres qui pendaient en silence, elle se retrouva submergée par cette solitude glaciale dont elle avait désormais l'habitude, celle tapie dans l'ombre qui attendait le meilleur moment pour lui susurrer des idées noires. Après de longues hésitations — ceci était trop, trop coloré, trop habillé, trop court, trop long, trop négligé ; cela n'était pas assez, pas assez réfléchi, pas assez joli, pas assez marquant — elle parvint enfin à croiser les prunelles bleues de son reflet sans les baisser aussitôt de dépit. Sur sa droite, la porte s'ouvrit, l'arrachant à ses questionnements infinis et un désespoir tout nouveau l'abattit. Quoiqu'elle fasse, elle ne serait jamais aussi belle que Daisy. Impossible de rivaliser avec ses traits de princesse qui avait tout pour elle et tout le monde à ses côtés. « Salut ! Toujours partante pour m'aider ? » lui demanda-t-elle dans un sourire tiraillé, tout en se questionnant sur les raisons qui le poussaient à aller boire un verre avec elle plutôt qu'avec Daisy ; immédiatement cette petite voix désobligeante lui souffla la même réponse improbable qu'elle repoussa d'un battement de cils. « Assieds-toi là. » chantonna-t-elle dans une brève habitude. « Avec ce pinceau, mets-en un peu, un peu plus, comme ça, en estompant vers le haut. » Sous les doigts de fée de sa camarade, Selene parvint à poudrer ses paupières et à les souligner d'un fin trait noir, juste ce qu'il fallait pour faire ressortir le bleu de ses yeux. Leurs regards se croisèrent dans le miroir et un même sourire les relia en même temps que l'envie de tout partager avec cette amie oubliée s'épanouissait dans sa poitrine, pour mieux faner la seconde d'après, ses espoirs brisés mourant sur ses lèvres rehaussées d'une touche de gloss au goût de fraise. « Encore merci. » souffla-t-elle avant qu'elles ne se séparent, bien trop vite à son goût, quand bien même il était sot de souhaiter plus.

Un joli soleil brillait haut dans un ciel automnal réverbéré par la magie de la Grande Salle, pleine d'adolescents affamés. Selene toucha à peine à son assiette, bien trop tiraillée entre sa hâte de sortir en compagnie de Dashiell et le trac de ce qui était plusieurs premières fois. Que ce soit se rendre à Pré-au-Lard ou le faire aux côtés de quelqu'un qui n'était pas une figure parentale, c'était nouveau pour elle. À l'heure convenue, elle repoussa la porcelaine blanche encore pleine d'une purée de carotte à peine consommée, attrapa sa veste sur le banc et se dirigea vers l'entrée. Là, adossée à un mur qui lui permettait de ne pas gêner les allées et venues de ses camarades tout en lui offrant une vue parfaite sur les escaliers et la salle de laquelle elle venait, elle tâcha de faire bonne figure, quand bien même l'anxiété grimpait. Ne pas avoir l'air trop pressé, ne pas avoir l'air trop détaché non plus, elle ne savait juste plus comment se comporter. Un doute subit la gifla sans sommation : est-ce que Daisy et Silas venaient, eux aussi ? Le Gryffondor avait proposé de faire un truc, pas de le faire à deux seulement. Ce n'était pas totalement illogique, quand elle y pensait : pourquoi se contenter de sa seule présence quand il pouvait inclure ses deux meilleurs amis dans cette sortie. L'idée l'attristait. Le beau tableau aux couleurs chatoyantes de l'automne qu'elle se faisait de cet après-midi s'assombrissait à mesure que deux têtes blondes se dessinaient aux côtés de Dashiell, repoussant Selene loin dans les ombres qui les bordaient. C'est la silhouette tant attendue du garçon qui l'en tira. Seul, il s'avançait dans sa direction, faisant briller quelques étincelles dans ses yeux jusque-là voilés, étirant ses lèvres en un sourire qui allait en s'agrandissant à mesure que la distance les séparant se réduisait. Elle le salua avec un enthousiasme sincère qui fit danser le ruban dans ses cheveux et se glissa dans ses pas en direction de la sortie avec un naturel qui frisait l'impudence. « À quoi est-ce que t'as occupé ton samedi matin ? » s'enquit-elle, ignorant les arbres qui déclinaient des couleurs plus resplendissantes les unes que les autres pour porter toute son attention sur le Rouge et Or à ses côtés. Seulement ensuite elle se laissa porter vers l'avant où se situait un petit village qui lui paraissait aussi exceptionnel que le bout du monde, sa curiosité s'épanchant en direction de Dashiell. « Ça prend combien de temps pour y aller ? T'as envie de faire quoi en premier ? » Parce qu'en ce qui la concernait, elle était prête à se laisser guider sur tous les petits chemins dont pouvait bien regorger la sortie préférée, et unique, des élèves de Poudlard. « J'ai trop de questions, désolée. » fit-elle presque aussitôt, sans se départir de son sourire, en portant ses paumes à ses lèvres comme pour s'empêcher de déverser toutes celles qui lui passaient par la tête.

@Dashiell Dashner

L'apparition de sa tignasse blond vénitien éveilla des émotions complexes teintées de soulagement. Il était là, il était seul. Pas de princesse aux prunelles changeantes, ni d'acolyte à l'assurance déstabilisante, aussi les lèvres de Selene s'étirèrent-elles en un sourire heureux, ses yeux étincelant à l'unisson. Jusqu'à ce qu'elle contemple Dashiell s'avancer dans sa direction, sans personne à ses côtés pour ombrager le joli tableau qu'elle était en train de se figurer, elle ne s'était pas tout à fait rendu compte des espoirs secrets qui l'habitaient ; sans aucun doute par peur qu'ils ne se transforment en déception. Mais voilà qu'ils étaient comblés, accueillant gaiement l'adolescent, douce sensation qu'elle ne chercha pas à étouffer. Le sourire qu'il lui retourna parvint même à effacer cette impression de ne pas être assez bien pour lui ; pour personne en réalité, mais les autres ne comptaient pas en ce moment. Quelles que soient ses raisons et ses intentions, pour l'heure, c'était à ses côtés qu'il quittait Poudlard, visiblement aussi ravi qu'elle l'était, sans même un regard en arrière qui aurait pu laisser penser que Daisy ou Silas allaient lui manquer.  Ce n'était pas qu'elle soit jalouse d'eux — oh, bien sûr, elle enviait leur complicité évidente et ces liens indéfectibles qu'ils avaient forgés — simplement, quand ils étaient tous les deux ou tous les trois, sa place se brouillait et la sensation brûlante d'être de trop la consumait. Comme une enfant qui perdrait pied en s'enfonçant dans la mer, elle regardait de loin ses camarades s'amuser au creux des vagues, bien plus à l'aise sur le sable blanc, en compagnie d'une seule et unique personne pour construire un château éphémère. C'était insensé de se croire à la hauteur des vraies princesses de ce monde, mais enfin, le désenchantement serait pour plus tard.

Les charmantes couleurs automnales leurs allaient bien, soulignant leur entrain d'une déclinaison flamboyante de rouge, jaune et orange. Dashiell lui résuma brièvement sa matinée et Selene lâcha un « Trop bien ! » enthousiaste avant même qu'il ne minimise la qualité de ses occupations, tout en se demandant combien il pouvait en avoir pour que ça lui prenne la matinée. « Et toi ? » Selene se sentit faiblement rougir alors que le fil de la première moitié de sa journée s'emmêlait dans son esprit. Elle ne pouvait pas lui dire qu'elle avait littéralement passé son temps à essayer de trouver une tenue qui ferait honneur à son invitation, mais elle ne pouvait décemment pas se montrer aussi peu intéressante qu'un rien du tout. Impossible que Dashiell partage son embarras à l'idée de ne pas être assez bien vêtue pour lui ; s'il n'avait pas la confiance troublante de son meilleur ami, il n'en parcourait pas moins les couloirs de l'adolescence avec une mine tout aussi résolue, quoique dans des notes plus chaleureuses. Non, il ne partagerait pas ses incertitudes, mais il pouvait les comprendre, en tout cas ne pas lui faire sentir qu'elle était bien bête de s'imaginer des choses. Du moins, elle le croyait aussi fort qu'elle l'espérait. « Pas grand chose. C'est comme si j'avais le temps de me concentrer sur rien parce qu'on devait se retrouver juste après midi, alors j'ai traîné au lit puis après j'ai essayé de bien m'habiller et, finalement, c'était déjà l'heure. » conclut-elle avec un petit rire maladroit, ne se laissant pas arrêter par les quelques hésitations qui avaient voulu faire vaciller sa voix. Dans sa poitrine, son cœur s'emballa, appréhendant la réaction de Dashiell. Ce n'était pas qu'elle parvienne à l'imaginer capable de méchanceté, non, c'était juste une crainte timide de ne rien comprendre à tout ça, de se tromper sur toute la ligne, et de devoir faire bonne figure pour pas qu'il ne pense qu'elle se faisait des idées. Ses espoirs étaient plus hauts qu'elle ne l'avait cru et ils craignaient de dégringoler. Quand, comment, pourquoi ? Selene n'avait aucune de ces réponses. C'était Dashiell, aux sourires qui réveillaient les siens, aux petits mots qui venaient la trouver à chaque fois qu'elle en avait besoin, sans même qu'il ne le sache vraiment, au naturel qui appelait le sien. Sauf que c'était Dashiell, le meilleur ami de Daisy, chevalier servant dans des contrées lointaines auxquelles elle n'avait pas accès, l'ami de tout le monde, peut-être plus encore. Dans tout ça, Selene était déjà heureuse de tenir entre ses mains les ébauches d'une amitié, elle qui ne croyait pas ça possible, alors s'imaginer tresser plus... Elle ne possédait ni l'arrogance, ni la confiance nécessaires. Enfin, jusqu'à ce qu'il l'invite à visiter le petit village sorcier, qu'elle entende deux filles glousser sur une situation similaire et qu'elle obtienne la confirmation qu'ils seraient bien tous les deux. Comme si le ciel voulait lui envoyer un signe.

Tandis qu'ils cheminaient tranquillement en direction de Pré-au-Lard, tout s'avérait aussi naturel, en un peu différent, mais leurs bavardages se poursuivaient, alimentés par les nombreuses questions qui agitaient les lèvres de Selene, sans qu'elle ne prête grande attention à l'imposant portail qui marquait la fin de l'enceinte de l'école, ni aux sangliers dotés d'ailes qui ponctuaient chichement le sentier. Elle n'en avait que pour Dashiell qui n'avait pas l'air de lui tenir rigueur de sa bêtise et de son manque de connaissances. Il lui sembla même sentir leurs mains se frôler et ses doigts à elle restèrent fébriles quelques longues secondes après ce contact qu'elle avait peut-être imaginé. « Du coup, on met genre vingt minutes p't'être, un peu moins si on s'grouille. Et j'sais pas trop... On peut aller boire un truc aux Trois-Balais avant qu'ce soit bondé ? Et après on peut faire l'tour des boutiques... T'vois c'qu'y'a un peu ou pas du tout ? » Selene secoua la tête pour lui signifier que non, avant de se reprendre. « J'ai bien entendu d'autres élèves parler de chocolats et de bièraubeurre, mais c'est tout. » Au moment où elle disait ça, ses yeux clairs qui s'étaient égarés pensivement à la recherche de ce qu'elle avait déjà entendu sur le petit village tombèrent sur ce dernier. Plus loin, en contrebas, les toits des chaumières dégageaient ici et là un doigt de fumée et on pouvait distinguer quelques silhouettes aussi petites que des fourmis. La moue de Selene se mua en une surprise appréciative alors qu'elle profitait du paysage qui se déroulait sous leurs pas. « S'tu veux, on pourra s'prendre une glace et aller faire un tour dans la campagne avant d'rentrer ? Y'a des endroits canons en vrai. 'Fin, c'juste une idée hein, en vrai on fait c'qui t'fait plaisir, hein ! » Croisant le regard chocolat de Dashiell, elle se désintéressa du panorama pour lui retourner un sourire rayonnant. « Ah non mais ça me va, de toute façon ça me fait plaisir d'être avec toi, puis tu connais mieux le coin, je te fais confiance ! » Ses mots vibraient d'une excitation visible qu'elle ne cherchait même pas à contenir. Ici, dans l'intimité de leur tête-à-tête, il n'y avait personne à qui elle risquait de déplaire en se montrant trop expressive, aucune prunelle noire susceptible de la réduire à néant.

« Je peux te confier un truc ? » lança-t-elle en relevant son nez baissé vers le bout de ses chaussures, chassant les pensées tristes qui affluaient toujours lorsque les réminiscences paternelles surgissaient. « J'ai pas vraiment quitté ma maison depuis… depuis mon accident, à part pour aller faire les courses de rentrée, et pour venir ici. Ça peut paraître bête, mais du coup la campagne ça a l'air incroyable, c'est un peu… » Sa petite grimace se chiffonna jusqu'à devenir une moue inspirée. « Un peu comme si je pouvais compléter un livre d'images avec de nouveaux endroits. » Des souvenirs qu'elle était censée posséder mais qui n'existaient plus, ne laissant qu'un cadre vide sur des pages entières du livre de sa mémoire. Elle pourrait en remplir certains aujourd'hui et ça lui faisait un bien plus grand que Dashiell ne pouvait se l'imaginer. « Du coup je suis partante pour toi : les Trois-Balais, les boutiques, la glace et la campagne, dans l'ordre que tu veux. » Prise d'une inspiration subite et pétrie du besoin de s'assurer qu'il ne faisait pas tout ça par pitié, mais bel et bien parce que ça lui faisait autant plaisir qu'à elle, elle leva son petit doigt dans sa direction, le reste de ses doigts repliés sur sa paume. « Que si tu promets que ça te fait envie aussi. » La Selene du passé avait plusieurs fois griffonné ce petit rituel qui scellait une promesse entre deux personnes, l'associant éternellement à Daisy, jamais à personne d'autre, mais cette sortie était des premières fois, après tout.

@Dashiell Dashner

Aussi aisément que ça — ça ou plus précisément ce grand sourire et ces yeux chocolats — simplicité et évidence se tutoyèrent jusqu'à se fondre et ne faire plus qu'un. Un tout surprenant pour Selene qui était plus habituée à faire attention à chacun de ses pas qu'à suivre ceux d'un autre sans se poser mille et une questions. Bien sûr, il en restait quelques unes — que pensait-il réellement de ce tête-à-tête ? est-ce qu'il n'allait pas la trouver trop bête ? que pouvait-il bien trouver dans sa compagnie que d'autres, plus sympas, plus jolies, n'avaient pas ? — mais toutes ne concernaient que Dashiell et sa présence à ses côtés, en aucun cas ces interrogations n'effleuraient ses envies à elle de se trouver ici ; dans le fond, qu'importe les réponses qui les attendaient quelque part, elle profiterait pareillement de chaque seconde. C'était différent, avec lui, quand ils n'étaient que tous les deux ; plus naturel, plus spontané, plus facile. À lui, elle pouvait bien avouer avoir passé sa matinée à penser à leur après-midi ; à lui, elle n'avait pas de raison de cacher ce temps consacré à trouver une tenue à la hauteur. À défaut qu'il ressente la même chose, elle avait foi en sa compréhension. « P'tain, j'compatis ! J'ai vidé toute mon armoire j'te jure, l'chat était grave content, ça lui a fait un nid limite. » La surprise retoucha un brin ses joues colorées, transformant le rouge écarlate en un rose plus doux. Ah bon ? Lui aussi ? Les craintes se firent diaphanes et les espoirs raffermirent leur emprise tandis qu'un petit rire répondait au sien, laissant les sous-entendus de leurs vagabondages matinaux virevolter gaiement. Selene garda sous silence ses efforts de maquillage tout en se demandant s'il avait remarqué ses yeux légèrement accentués de mascara et ses lèvres rehaussées de gloss, avant de s'interroger sur l'importance que cette réponse revêtait. Daisy avait bien dit que, quitte à se maquiller, autant que des regards en profitent, mais sûrement qu'elle ne pensait pas à celui de Dashiell, alors que Selene ne se préoccupait plus que de celui-ci. Ils croiseraient bien du monde, à Pré-au-Lard, mais elle s'en fichait autant que des petits nuages qui parcouraient le ciel.

Les préparatifs laissés derrière eux, à l'ombre du grand portail qu'ils traversèrent sans le considérer, le programme à venir leur succéda. Il avait visiblement des choses en tête qui emplissaient celle de Selene d'images nébuleuses qu'elle avait hâte de remplacer par de vrais souvenirs, de quoi de plus tangible que des échos dans les couloirs et de l'encre dans des grimoires. « C'tait dans nos plans, c'parfait ! » Le nous lui tortilla agréablement le ventre. « Parfait », répéta-t-elle avec un sourire qui goûtait tous les contours de ces deux petites syllabes. Les perspectives qui se déclinaient lui semblaient parfaites, la présence de Dashiell était parfaite, les couleurs automnales et le soleil réconfortant qui les accompagnaient étaient parfaits. Avait-elle jamais senti son cœur aussi rebondi ? Il lui semblait capable de sauter si haut qu'il pourrait confier à l'astre diurne que cette journée s'annonçait la plus belle de celles dont elle se souvenait ; peut-être bien des autres aussi. Selene voulait qu'il sache qu'elle n'exagérait quand elle disait prendre du plaisir à sa compagnie, alors elle lui demanda si elle pouvait lui confier quelque chose, autant pour le préparer lui que pour se donner un peu d'élan. Elle se sentait toujours un peu idiote quand venait le temps d'effleurer son amnésie et les conséquences de celle-ci, parce que ça revenait à avouer sans détour qu'elle n'avait rien de très intéressant à offrir. Bien moins jolie que Daisy, bien moins intelligente que Silas, bien moins perspicace, bien moins cultivée ; elle était incapable de s'exclamer Oui, je connais ! et d'enchaîner sur un sujet avec cette facilité qu'ils avaient tous autour d'elle. Elle faisait ses premiers pas maladroits dans un monde qui courait loin devant et, quand elle y pensait, souvent le soir, souvent seule, le désespoir de ne jamais être capable de les rattraper la terrassait, tandis que luisaient de toute leur noirceur les prunelles familières. Pour la première fois, elle exposa un tout petit bout de cette angoisse indescriptible, pas assez néanmoins pour qu'il prenne conscience de sa profondeur. Ce n'était pas le but, elle ne voulait pas l'accabler de ces idées qu'elle commençait à peine à effleurer, juste lui décrire avec ses mots le bonheur enfantin que cette visite lui procurait et à quel point tout lui allait. Peut-être aussi pour lui offrir une chance de prendre conscience de l'ampleur de son ignorance et de se rétracter avant qu'il ne soit pieds et poings liés dans une excursion sans intérêt pour lui. Ses réactions encourageantes la poussèrent à lever la main dans sa direction. S'il lui promettait le vouloir, peut-être pas autant qu'elle mais au moins un petit peu, est-ce que ce doute lancinant accepterait enfin de se taire ? Son petit doigt tendu se sentit bien léger quand le sien s'enroula autour. « J'te l'promets. » C'était symbolique, c'était très sérieux. Ça lui rappela cette promesse qu'elle s'était faite au début de l'année, celle de cesser de douter de ses amis. Si Dashiell ne rentrait pas dans cette catégorie — voire la surpassait, mais c'était une autre histoire — personne ne le pouvait non plus, alors avec lui avant tous les autres, il fallait qu'elle apprenne à leur faire confiance quand ils affirmaient des choses qui la concernaient.

Son cœur loupa un battement quand le reste de ses doigts se glissèrent entre les siens, l'entraînant doucement sur le chemin. La petite voix suspicieuse était prête à l'assommer d'un millier de questions mais elle la baillonna et celle de Dash la renvoya dans des tréfonds oubliés. Pas maintenant. « Mais du coup allez, viens ! On aura b'soin d'toutes les s'condes possibles si on veut avoir l'temps d'tout faire ! » Tiens, elle se rendait compte qu'elle avait un début, mais aucune idée de la fin. « On a le droit de rester jusqu'à quelle heure ? » Loin d'elle l'envie de déjà se projeter au moment où il faudrait rentrer et se séparer, mais si le temps leur était compté, elle voulait en effet profiter de chaque seconde à son maximum. Sa prise se resserra légèrement autour de la main de l'adolescent par crainte de la lâcher et de ne plus être capable de la retrouver et pressa le pas pour que ses doigts ne glissent pas loin des siens. Ça lui faisait un peu bizarre, mais pas en mal, même plutôt en bien. C'était une image nouvelle, celle de leur fine étreinte, la première de cette journée, qui venait se glisser tout en haut du cahier de ses pensées. « 'Fin si on a pas l'temps, on pourra r'venir au pire, ça va pas s'barrer... Ou t'pourras finir avec quelqu'un d'autre s'tu veux... 'fin t'as compris quoi. » Selene secoua la tête, repoussant l'idée de faire ça avec quelqu'un d'autre. « Non, on reviendra. Ça doit être chouette en hiver aussi, » fit-elle rêveusement, essayant de se figurer les toits pentus recouverts de leur plus beau manteau blanc. Ils étaient arrivés au village sorcier, preuve en était les maisonnettes serrées paisiblement les unes contre les autres. La rue principale serpentait devant eux, parées d'enseignes diverses et variées, mais c'était calme, bien plus calme que Poudlard, bien plus que le Chemin de Traverse aussi. Ça lui allait bien, ça lui plaisait beaucoup.

Ils ralentirent le pas devant une auberge aux pierres grises entrecoupées de quelques fenêtres. « La Bièraubeurre, c'est là ! T'veux t'poser où ? » lui demanda-t-il après avoir poussé la porte pour la faire entrer, la laissant grincer dans leurs dos alors qu'elle découvrait les lieux, ses yeux clairs se promenant sur les boiseries qui masquaient le ciel extérieur. « Proches de la fenêtre, ça te va ? » Elle désigna une petite table pour deux personnes accolée à l'une des vitres, aussi parfaite pour contempler l'extérieur et profiter des belles lumières de la journée que pour s'imprégner quand même de l'ambiance inconnue des Trois-Balais. Ce n'est qu'au moment de tirer sa chaise et donc de lâcher la main de Dash qu'elle réalisa qu'ils se l'étaient tenue jusque là. Ses paumes devinrent moites comme pour mieux souligner cette séparation, aussi Selene les coinça-t-elle sous ses cuisses pour les faire disparaître. Elle ne pensait pas qu'il soit possible de suer à grosses gouttes de cette partie-là du corps, mais elle aurait l'air bien bête si elle se trompait. Ayant assommée sa voix intérieure, elle ne se posait plus vraiment de questions, profitant de l'instant présent comme s'il n'existait que lui, dans un principe des plus reposants. Ses prunelles passèrent de Dashiell à la vue qu'ils partageaient, de l'auberge à la femme derrière le comptoir, des inscriptions gravées dans le bois de leur table à Dashiell. L'endroit n'était pas très bondé et rapidement la dame s'était aventurée jusqu'à eux, les saluant d'une voix joviale et leur demandant ce qu'ils désiraient boire. « Une… Deux bièraubeurre ? » répondit Selene en laissant le temps à son camarade de confirmer que c'était bien ce qu'il voulait. « C'est quoi ta saison préférée ? » demanda-t-elle à Dashiell une fois que la silhouette de la tenancière ne fut plus qu'un récent souvenir. « Je pensais aux jolies couleurs de l'automne et à ce à quoi ça devait ressembler, en hiver… » ajouta-t-elle bien vite, comme pour justifier sa curiosité soudaine. C'est qu'elle ne savait pas grand-chose de lui, dans le fond, ou en tout cas qu'elle n'en savait plus que ce que les quelques moments passés ensembles lui avaient appris. C'était aussi qu'elle voulait en savoir plus, combler les pages blanches dans son carnet de faits dont elle était certaine, découvrir qui il était en dehors du prince charmant éternellement aux côtés de Daisy. Aussitôt que les deux verres plein d'un liquide ambré furent posés sur leur table, Selene enroula ses doigts autour du sien et le leva en direction de celui de Dashiell. « Première image. » Et son sourire joyeux se fit plus complice.

ft @Dashiell Dashner

Aussi fragiles que ce fétu de chair vainement jeté dans les airs, ses espoirs se dépouillèrent de leur cocon craintif lorsque Dashiell enroula son petit doigt autour du sien et déployèrent leurs ailes irisées quand sa main glissa dans la sienne, osant soupirer plus fort ces souhaits qui rosissaient ses joues. Selene s'envola à la suite de ce garçon qui la faisait drôlement sourire, ses cils papillonnant en direction de leur agréable étreinte, le temps de quelques battements, juste assez pour sentir son cœur faire une embardée. Ça pouvait vouloir dire un millier de choses comme n'en signifier aucune, mais toute à ce nouvel élan mû par la douce chaleur qui se dégageait de cette paume pressée contre la sienne, Selene n'avait pas la tête à se laisser étourdir par la ritournelle familière des questions sans réponses. Elle leur préférait, sans le moindre doute, celles qu'elle pouvait poser à Dashiell dont les dires semaient de bien jolies perspectives, comme celle de faire exprès d'étirer les limites pour profiter de cette sortie jusqu'à ce qu'ils n'aient plus d'autre choix que rentrer. Vingt minutes, ce n'était pas grand-chose ; elle se surprenait pourtant à rêvasser de ces minutes volées et ce qu'ils pourraient en faire. Des pensées timides qui caressaient l'idée lointaine de prendre son temps, finalement, d'étirer chaque instant afin d'en faire un souvenir impérissable, afin d'avoir une excuse tressée d'or pour revenir plus tard. En hiver, par exemple, lorsque les toits des maisonnées qui se dressaient au bout du sentier seraient recouverts de neige, lorsque leurs pas laisseraient derrière eux la preuve tangible qu'elle n'était pas en train de tout imaginer, lorsque leurs doigts gelés se noueraient derechef pour se réchauffer. « Mais trop ! Et puis c'trop drôle d'aller mettre des traces d'pieds dans les ch'mins tout blancs là ! Et les batailles d'boules de neige aussi ! » Un sourire rêveur, un hochement de tête enthousiaste… oui, Selene s'y voyait bien. Au printemps aussi, en été encore et puis l'automne prochain pour que les premières fois se transforment en douces habitudes. Avait-elle vraiment le droit de rêver aussi loin ? Ses souhaits vulnérables regardaient vers le présent mais lorgnaient vers le futur ; peut-être était-ce trop arrogant. Mieux valait profiter de l'instant présent et ne pas croire que cette chance se répéterait aussi facilement.

Arrivés à Pré-au-Lard, Dashiell les guida habilement jusqu'à leur première destination, sans jamais lui lâcher la main. Tout le monde pouvait les voir et alors, qu'en penseraient des yeux curieux ? Qu'en pensaient-les siens, seulement ? C'était aussi confus que plaisant, et plaisant, ça l'était vraiment. Pour une fois, la petite lune pouvait briller en plein soleil, entraînée à la suite de cette étoile filante qui semblait capable d'exaucer le moindre de ses vœux. Il ne fallait pas qu'elle espère trop fort, au risque que la chute soit trop violente pour jamais s'en relever, mais comment s'en empêcher ? Dans l'ombre jetée par la porte des Trois-Balais qu'il ouvrit devant eux, Dashiell rayonnait sans la moindre peine, au point que Selene devait se faire violence pour se rappeler qu'elle n'était pas dans un conte de fées et qu'il n'était pas un génie capable de lui faire grâce de trois souhaits, certainement pas un chevalier servant, ni un prince charmant. Il aurait été égoïste de le draper d'un rôle aussi pesant alors qu'il méritait de pouvoir voler où bon lui semblait, sans que rien ne l'entrave, pas même cette petite main blottie dans la sienne qui se retrouva bien seule lorsque vint le temps de s'asseoir chacun d'un côté de la table qu'elle venait de choisir. Le rire étouffé de Dashiell fit danser un sourire gêné sur ses lèvres sans qu'elle ne s'attarde sur le pourquoi de l'un, ni de l'autre. Ils étaient là, attablés devant une grande fenêtre grâce à laquelle ils pouvaient contempler la rue principale de Pré-au-Lard jusqu'à s'en lasser — non pas que ça lui paraisse possible — et c'était bien tout ce qui comptait. Ça et cette sensation de légèreté qui la faisait se sentir à sa place, ni de trop, ni pas assez. L'invitation de Dashiell lui avait fait plaisir autant qu'elle l'avait remuée, par peur de ne pas faire ce qu'il fallait, de ne pas être à la hauteur de son camarade, par incompréhension de ce qui le poussait à choisir sa compagnie à elle pour cette si belle après-midi. Mais maintenant qu'ils étaient là, ça n'avait plus vraiment d'importance, les pourquoi s'étaient effacés quelque part sur le chemin, entre leurs doigts entrelacés, laissant toute la place à son désir de profiter. L'égarement de ses pensées cessa de lui-même lorsqu'une dame s'approcha d'eux pour prendre leur commande, repartant aussi vite qu'elle était arrivée une fois celle-ci déposée entre les mains de son bon vouloir. Selene n'avait aucune idée de si elle allait aimer la bièraubeurre ou non, mais elle était là pour tout essayer, les boutiques comme les boissons incontournables, les silences tranquilles comme les bavardages qui lui tenaient à cœur. Si elle n'osait pas avec Dash, alors avec qui ? Elle avait envie de savoir des choses aussi futiles que sa saison préférée, ce qu'il aimait et ce qu'il détestait, d'être capable de sourire avec entendement en entendant Silas parler de son meilleur ami ou de ne pas être toujours prise de court face à un Daisy qui le connaissait mieux que quiconque. C'était une convoitise de trop, bien sûr, un penchant orgueilleux qui ne lui ressemblait pas, mais ce n'était rien de très mauvais, n'est-ce pas ? Il ne s'en offusqua pas, en tout cas, répondant avec un entrain qui fit pétiller les yeux clairs de Selene tandis qu'elle l'écoutait un brin d'admiration face à tant de conviction. « L'automne à dix mille pour-cents ! Mais l'début genre, quand y'a des feuilles mortes par terre mais encore des vertes dans les arbres, t'vois ? » Elle hocha la tête avec un enthousiasme qui ne pouvait espérer parvenir à la cheville du sien, mais qui se voulait volontaire et, plus que tout, sincère. « Mais c'canon en hiver, j'avoue. Surtout qu'i' décorent pour Noël et tout... J'suis sûr t'kifferais grave ! » S'il le pensait, alors elle en était sûre aussi. Elle avait bien vu quelques tableaux et la période de Noël semblait des plus jolies. « ...sinon du coup, c'quoi ta saison pref à toi ? » Selene ne repensa même pas à cette question presque identique que le psychologue de l'école lui avait posée en  début d'année, comme si personne d'autre n'était capable de s'immiscer dans leur tête-à-tête, prenant une moue concentrée tandis qu'elle réfléchissait à quelle réponse lui donner. « J'aime pas trop l'été, » Il faisait trop chaud pour qu'elle puisse porter ses pulls préférées dont les manches détendues témoignaient de sa manie à tirer dessus et cette saison était synonyme d'un retour désavoué à la maison. « et j'aime beaucoup l'automne, surtout les feuilles de toutes les couleurs, c'est vraiment trop joli, mais l'hiver a l'air tellement… doux ? et au printemps il y a toutes les fleurs qui éclosent, ça aussi ça doit être sympa. Je peux en choisir trois ? » conclut-elle avec un petit rire qui n'en disait pas assez sur cette tendance un peu grise qui se dessinait chez elle, incapable de dire ce qu'elle aimait là où elle était plus assurée des choses qui lui déplaisaient.

Sur ces entrefaites, la tavernière émergea des contours nébuleux du reste du monde pour déposer deux chopes entre eux, sans s'attarder au milieu de cette complicité adolescente qui ne la concernait guère. Selene leva son verre en direction de celui de Dashiell, assortissant son geste de deux petits mots qui en disaient vraiment beaucoup sur l'importance que ce moment revêtait pour elle, puis trempa ses lèvres dans le liquide mousseux. C'était tiède avec une saveur caramélisée prononcée. Rien de ce à quoi elle s'attendait, quand bien même elle n'aurait pu décrire ce qu'elle imaginait. « Y'en a v'là les autres qui t'attendent ! T'sais c'que tu voudrais faire en premier ? ...j'pense Honeydukes et Zonko c'est là où y'aura l'plus d'monde en vrai. Donc s'tu veux pas t'faire marcher d'ssus... p't'être faut pas y aller trop tard. » Elle savait que le premier était une boutique de confiseries mais le second ne lui disait pas grand-chose. « Honeydukes alors, ça me dit bien. » De toute façon, elle n'était plus si pressée que ça, préférant profiter de chaque secondes avec son camarade plutôt que de courir partout et nulle part à la fois. Ils reviendraient, alors ça n'était vraiment pas grave s'ils n'avaient pas le temps de tout faire aujourd'hui. En réalité, elle l'espérait même un petit peu, juste pour que la suite se dessine d'elle-même à la fin de cette journée, comme une continuité à laquelle ils ne pouvaient pas échapper. « On termine ça et on y va avant que ce soit trop plein ? » proposa-t-elle en tapotant sa bièraubeurre, juste avant de replonger une deuxième fois, laissant le goût imprégner sa langue et son palais. Sans être mauvais, elle n'était pas sûre de trouver ça très bon pour autant ; peut-être que froid ce serait meilleur, mais est-ce que ça se faisait seulement ? En fait, la saveur de sa boisson n'avait pas trop d'importance, elle ne pouvait pas nuire à celle de son après-midi. Ils firent ensuite comme ils l'avaient décidé : tout en discutant d'un peu de tout et d'un peu de rien, ils vinrent à bout de leur verre et ne s'attardèrent pas plus longtemps aux Trois-Balais. Les pieds de leurs chaises raclèrent à l'unisson sur le sol en pierre et Selene se retrouva bien sotte à ne pas savoir quoi faire de ses bras ballants et de sa main qui pendait bêtement. Devait-elle glisser ses doigts entre ceux de Dash ? Le pouvait-elle ? Le voulait-elle ? Cette dernière question était de trop, elle en avait très envie, ça avait été très agréable et l'idée de poursuivre leur promenade ainsi était séduisante. Encore fallait-il oser. Ça avait été si simple, un peu plus tôt, ils étaient là à se faire une importante promesse et, la seconde d'après, ils filaient en direction du village, main dans la main. Devait-elle lui faire promettre autre chose pour que l'histoire se répète ? Non, ça paraissait encore plus idiot. Et si lui ne voulait pas ? Peut-être que c'était pour être sûre qu'elle ne se perde pas qu'il avait fait ça, rien de plus. Les doutes, malins, s'étaient glissés dans la première faille à leur portée pour inonder les pensées de Selene de questions qui dansaient sans s'arrêter, tant et si bien qu'ils arrivèrent à la boutique de bonbons sans qu'elle n'ait prêté grande attention à leur chemin.

Impossible de se méprendre : l'endroit était le royaume des friandises. Les étagères pleines de bocaux colorés montaient jusqu'au plafond, au point que Selene chuchota « Tu crois qu'ils font tenir ça grâce à la magie ? » à Dashiell alors qu'ils passaient devant un étalage plus que branlant. Il y avait beaucoup de sucreries, donc, mais aussi plus de monde qu'elle ne le pensait. Dash avait vu juste et ils avaient bien fait de venir aussitôt leur boisson terminée, car elle n'osait imaginer comment ils étaient censés se mouvoir dans cet espace aussi restreint avec plus d'élèves encore. « Tu me conseilles quoi ? » demanda-t-elle à son camarade alors que ses yeux ne savaient plus où donner de la tête. Entre ses recommandations et ses papilles curieuses, Selene parvint très aisément à remplir un sachet qui lui fit dépenser un gallion complet, plus deux mornilles posées rapidement sur le comptoir pour rajouter deux exemplaires d'un bonbon que Dash avait nommé comme un de ses préférés tout en refusant qu'elle n'en achète pour lui. Ça lui faisait plaisir et elle tenait à partager ça avec lui, en plus de tout le reste passé et à venir. Sortir de la boutique étriquée était une véritable bouffée d'air frais qui lui souffla une idée et un sourire de connivence. « T'en dis quoi si on prend ça, » Elle leva le sachet rebondit à hauteur de leurs yeux. « ou une glace, ou les deux, et on va voir la campagne ? » Elle était à peu près certaine qu'on lui avait marché trois fois sur les pieds — elle-même avait écrasé ceux de Dash par inadvertance alors qu'une fille la poussait pour atteindre l'étagère des suçacides — et elle avait bien cru qu'elle allait étouffer. L'extérieur paré des jolies couleurs d'automne l'attirait encore plus après s'être enfermée dans la boutique au parfum sirupeux. Et puis, ça voulait aussi dire être seule avec Dashiell, loin de la foule, et cette idée lançait joyeusement son cœur.

ft @Dashiell Dashner

Sans personne pour agiter les filins de la jolie poupée, celle-ci ne pouvait s'en remettre qu'à elle-même. Le goût de la liberté avait quelque chose d'à la fois grisant et affolant, parce qu'il n'y avait personne pour lui dire comment se comporter, quoi dire ou quoi penser, mais justement parce qu'aucune tutelle ne lui indiquait dans quelle direction pousser. Ça devenait plus facile une fois accrochée aux doigts de Dash ou pendues à ses lèvres, mais sitôt le silence venu les envelopper, ses envies se heurtaient à ses indécisions et les doutes dépeignaient ses souhaits comme dérisoires ou présomptueux. Connaître sa saison préférée n'était qu'une petite goutte dans un océan bien plus vaste que d'autres parcouraient déjà sans s'inquiéter de détails si insignifiants. Malgré tout, Dashiell s'empressa de répondre avec un enthousiasme qui lui réchauffa le cœur. Quand bien même elle l'était, lui ne trouvait pas sa question bête ; il ne lui faisait pas remarquer, en tout cas. Il l'interrogea en retour et Selene adopta un air songeur tandis que ses pensées parcouraient le peu des saisons qu'elle connaissait vraiment, son choix passant de l'une à l'autre. L'automne et ses jolies feuilles colorées, l'hiver et ses neiges princières, le printemps et ses fleurs en plein éveil. Ce n'était pas vraiment du jeu mais pouvait-elle en choisir trois ? « Bah ouais, t’peux mais l’été i’ va être vexé d’être l’seul qu’t’aimes pas. » Son rire chatouilla le sien. Selene avait beau chercher, rien ne lui plaisait dans l'été, probablement parce que les seuls souvenirs qui s'y trouvaient dataient de cette succession de journées qu'elle avait passées, enfermée entre les quatre murs d'un appartement vide, ces nuits d'angoisses à se perdre entre les réminiscences tirées de ses carnets, ces matinées indolentes à contempler l'extérieur sans pouvoir y mettre le pied. Définitivement, l'été n'avait rien de plaisant, alors que l'automne s'étalait en nuances rouges et jaunes, lesquelles mettaient joliment en valeur tous les beaux souvenirs qui s'y associaient déjà ; celui d'aujourd'hui tout en haut de la liste. Toutes les images et les premières fois qui naissaient de leur escapade lui paraissaient être les plus belles de toutes, si discordantes de celles qu'elle s'était figurées à l'aide de ses journaux, si différentes de ce à quoi elle s'était habituée. Ils topèrent leur verre l'un contre l'autre et Selene plongea ses lèvres dans sa toute première bièraubeurre, s'attendant à tout et à rien à la fois. Peu lui importait y avoir déjà goûté, dans ce qui lui semblait être une autre vie qu'elle n'avait pas vécue, c'était celle-ci qui comptait. Et, malgré les saveurs étranges qu'elle n'était pas certaine d'apprécier, Dashiell aurait pu lui proposer de boire un tonneau entier que l'idée l'aurait séduite par la seule complicité qu'elle impliquait. Heureusement, ils n'avaient pas que les Trois-Balais à découvrir : la liste ne s'arrêtait pas là. Selene avait un peu peur que Dash s'ennuie à ses côtés — elle n'était ni Daisy, ni Silas, et lui connaissait certainement par cœur le petit village dont elle aurait aimé explorer tous les recoins — mais il semblait aussi emballé qu'elle par la perspective de terminer son verre pour aller à Honeydukes avant que la foule ne rende l'expérience désagréable — quand bien même Selene se demandait sincèrement si quoi que ce soit pouvait l'être, aujourd'hui, tant elle avait la sensation de flotter sur un petit nuage que rien ni personne ne pourrait faire disparaître. « Go pour faire ça ! » conclut donc l'adolescent, faisant naître un sourire ravi sur le visage de sa camarade, laquelle s'appliquait à ne pas gâcher les silences légers qui les accompagnaient parfois de ses doutes par milliers. Il était là, il semblait bien décidé à rester à ses côtés au moins pour le reste de l'après-midi, il ne fallait pas qu'elle gaspille cette chance en s'empêtrant dans ses craintes et sa perplexité.

Dash abandonna quelques pièces sur la table qu'ils délaissèrent bientôt, invitant une Selene à la fois gênée qu'il dépense de l'argent pour elle et un brin contente d'avoir l'occasion de lui dire, tout naturellement : « Merci ! La prochaine fois, ce sera pour moi. » Plus tard, une fois seule dans son lit, elle se couvrirait certainement le visage de sa couverture pour disparaître de la surface de la terre, mortifiée d'avoir eu une telle témérité, se repassant chacun des traits du visage de son camarade pour essayer de deviner ce qu'il en avait vraiment pensé. Pour l'instant, elle trouvait la vision aussi douce que leur promenade et ne se laissa pas avoir par quelques chuchotements insidieux qui lui demandaient pour qui elle se prenait. Le chemin jusqu'à la boutique de friandises lui parut insupportablement long — elle avait l'impression que ses doigts frôlaient constamment ceux de Dash, sans être capable d'y mêler les siens, son esprit tournant en rond, bloqué sur un carrousel qui n'allait nulle part — et très court en même temps — si elle avait eu quelques minutes de plus, rien qu'une ou deux, elle aurait sûrement osé lui prendre la main, ou peut-être qu'il l'aurait fait de nouveau. Ils poussèrent la porte de Honeydukes sans que rien ne se passe et Selene se sentit un peu déçue, espérant très fort que ce n'était pas parce qu'il n'avait pas aimé lui tenir la main sur le chemin jusqu'au Trois-Balais qu'il s'était abstenu de le faire. Peut-être qu'il pensait que c'était elle qui n'avait pas aimé ? Mince, et si elle lui avait envoyé une mauvaise impression sans s'en rendre compte ? Comme Dash l'avait prévu, l'endroit était bondé, la moiteur et l'espace restreint empêchant ses réflexions de les suivre plus loin. Pourtant, serrés l'un contre l'autre, collés comme s'ils craignaient de perdre l'autre de vue, les occasions de glisser ses doigts entre les siens, l'air de rien, se multiplièrent. Mais ça n'avait aucun sens, non, de se tenir par la main en pleine boutique de bonbons ? Les bavardages qui résonnaient sous le plafond bas et les corps qu'ils devaient contourner pour parcourir les rayonnages étaient franchement déplaisants tant ils mettaient à mal la bulle charmante dans laquelle ils s'étaient eux-mêmes enfermés. Autour d'eux, les étagères branlantes se confondaient avec les silhouettes informes de leurs camarades dont les visages lui importaient peu. Des friandises par dizaines se déclinaient en une succession de couleurs plus appétissantes les unes que les autres. Tout de même, ici et là, Selene se demandait comment le tout pouvait tenir sans s'effondrer : les adolescents passaient si proches qu'ils faisaient tanguer dangereusement les étals qui ployaient déjà sous le poids des sucreries. La magie était à l'œuvre, elle ne voyait pas d'autre possibilité, et Dashiell abonda dans son sens. « Obligé ! Ça s’pèterait la gueule toutes les trois s’condes sinon ! » Selene gloussa légèrement en s'imaginant le tout dégringoler, comme elle le partagea avec le garçon à ses côtés. « T'imagines venir acheter des bonbons et tu te prends une étagère sur la tête ? L'angoisse. » Puisqu'elle était en compagnie du meilleur guide possible, Selene s'abandonna à ses goûts pour se décider. Il y avait trop de choix, trop de possibilités et la tête lui tournait déjà. Pensif, Dashiell s'abîma dans une réflexion immobile et silencieuse, causant le mécontentement d'un jeune élève qui lui rentra dedans, laissant tout le loisir à Selene de se perdre dans les traits affectueux de son visage concentré. Même là, il avait l'air habité d'une confiance à toute épreuve qui n'enlevait rien à la douceur de son regard. C'était un peu perturbant et agréable en même temps, de le contempler comme si c'était la première. Du moins, ça le fut jusqu'à ce qu'il relève brusquement la tête et qu'elle ne détourne la sienne, les joues plus roses qu'une minute plus tôt ; sûrement la faute à la chaleur de la boutique, rien d'autre. « Y’a des trucs t’peux pas passer à côté. Genre les fondants du chaudron, les dragées surprises, les chocogrenouilles. Mais les meilleurs c’quand même les chocoballes et les souris glacées. Surtout les souris glacées, c’est grave sous-coté ! » Au fur et à mesure qu'il énumérait les incontournables, Selene remplissait un sachet de taille moyenne récupéré sur l'une des étagères. Deux fondants parce qu'ils avaient l'air d'être au chocolat et qu'elle n'aimait pas ça, deux chocogrenouilles pour les mêmes raisons, des dragées de toutes les couleurs qui semblaient promettre bien des surprises, des chocoballes dont la garniture débordait et semblait sucrée comme il fallait, puis des souris, plus de souris parce que Dashiell avait l'air d'aimer vraiment ça et que, si elle comptait de toute façon partager tout le contenu de son paquet avec lui, elle tenait à lui acheter en plus quelques bonbons qu'il adorait.

Ils payèrent, ils sortirent, et Selene se sentit tout de suite mieux. Un soupir de soulagement fila entre ses lèvres alors que l'air frais lui caressait le visage, éliminant toute trace de la lourdeur intérieure, rapidement remplacé par une proposition osée, encore une fois, mais il lui semblait que si elle n'essayait pas avec lui, c'était peine perdue avec les autres. Dashiell avait toutes les qualités auxquelles Selene pouvait bien penser. Avec lui, les sourires étaient naturels et les rires spontanés, les conversations faciles, et même si sa présence lui tirait, ici et là, quelques rougissements révélateurs de ses émois, ça n'était jamais rien de désagréable, au contraire. « Meilleur programme. I’ font des bonnes glaces dans la rue d’derrière s’tu veux. » Son cœur se rasséréna, arrêtant de battre furieusement dans sa poitrine comme pour protester face à tout ce qu'elle lui faisait vivre de dangereux. « Trop cool ! » Son exclamation marqua le top départ. Ils délaissèrent Honeydukes pour s'engouffrer dans une ruelle moins passante, Selene calquant ses pas sur ceux de l'adolescent à ses côtés. Dans sa main gauche, elle tenait bien serré son sachet de bonbons, quant à sa main droite, eh bien, elle souffrait en silence, pendant pitoyablement. Maintenant qu'ils étaient de nouveau dehors et qu'ils comptaient y rester un peu, ça n'avait rien de déplacé, de lui prendre la main, n'est-ce pas ? Malheureusement, Selene pouvait se poser autant de fois la question qu'elle voulait, il n'y avait personne d'autres que la voix personnifiée de ses doutes pour prendre le temps de lui répondre. Ils se turent brusquement et ses muscles se bandèrent quand elle sentit la peau de Dash frôler la sienne. Enfin, c'était plus qu'un frôlement, c'était… comme une invitation ? Ses yeux clairs se posèrent sur leurs doigts qui se tournaient autour et laissa son envie prendre le dessus. Tant pis pour les considérations par dizaines qui avaient bien envie de décortiquer le pourquoi du comment du pour et du contre. La chaleur de l'étreinte réveilla celle de ses pommettes alors que ses prunelles croisaient celles de Dash, sans savoir quoi dire qui ne soit pas complètement idiot, à l'instar de son sourire, tout à la fois heureux et troublé. Elle devait avoir l'air parfaitement stupide mais le glacier lui servit une échappatoire sur un plateau d'argent. « C'est celui-là ? » demanda-t-elle en désignant l'échoppe dont un pan du mur était ouvert sur l'extérieur pour permettre aux clients de commander directement leurs glaces. Ils s'en approchèrent, sans se lâcher la main, et Selene se fit la promesse silencieuse que, s'il la gardait tout du long, c'était qu'il en avait autant envie qu'elle. Après tout, il y allait avoir plein d'opportunités de récupérer ses doigts s'il n'aimait pas l'endroit où ils se trouvaient. « Bonjour », chantonna-t-elle en réponse au monsieur qui les accueillit avec un sourire chaleureux. Voyait-il la timidité de leurs mains accrochées l'une à l'autre ? Pouvait-il lire sur le visage de la Serdaigle toutes les interrogations qui lui passait par la tête ? « Hm, j'vais prendre… vanille et puis… noisette ? Dans un cône, oui, merci. » Elle déclara ensuite payer les deux et laissa Dashiell commencer, ses pensées s'évadant malgré elle vers ces bruits de couloirs qui avaient laissé son cœur tout retourné. Plus le temps passait, moins il s'éloignait, plus le mot rencard grossissait, prenait de l'ampleur et se teintait d'une vérité pas désagréable à contempler. Selene attrapa sa glace de sa main gauche, le sachet de bonbons maladroitement retenu par son auriculaire. Hors de question de lâcher la main de Dash parce qu'elle n'avait aucune idée de comment elle ferait, ensuite, pour la récupérer, sachant très bien que si c'était elle qui mettait fin à ce contact qu'elle aimait vraiment bien, elle ne cesserait de se demander si lui en avait aussi envie. Tranquillement, ils s'éloignèrent du centre de Pré-au-Lard, main dans la main, portant leur glace à leurs lèvres à intervalles réguliers, perdus dans une discussion aussi paisible que leur duo — du moins, temps qu'on ne tenait pas compte des battements un brin trop rapide du cœur de Selene. Si c'était un rencard, qu'est-ce qu'elle devait faire ? Est -ce qu'elle faisait bien, depuis le début ? Est-ce qu'il y avait des règles qu'elle ne connaissait pas ? Est-ce qu'elle gâchait tout ? Ses pensées furent interrompues par la campagne à perte de vue qui se révéla bientôt à eux. « C'est trop beau », s'émerveilla-t-elle, comme une enfant qui sortait de chez elle pour la première fois. « T'as vu les couleurs de l'arbre là-bas ? Elles sont presque fluo. C'est un peu à ça que ça ressemble, chez toi ? » Rien à voir avec la vue de sa fenêtre, qui n'était qu'une déclinaison de toits sombres mouillés par la pluie anglaise. « Une nouvelle belle image », ajouta-t-elle, ses yeux prenant une photo de cet instant, d'un côté puis de l'autre, à gauche et à droite, avec au centre ce petit îlot de sérénité que les vents tentaient bien de déstabiliser. Mais puisqu'il lui tenait la main, elle n'allait pas basculer. Elle lui faisait confiance.

ft @Dashiell Dashner

« Ouais. Ça t'va ? » Selene hocha la tête. Oui, ça lui allait, comme tout, absolument tout, dans cette belle après-midi d'automne. Du moment où elle l'avait retrouvé dans le hall d'entrée, son grand sourire et ses yeux chocolat lui laissant entrevoir qu'il désirait ce moment peut-être presque autant qu'elle jusqu'à leur corps tout serrés dans la boutique de bonbons qu'ils venaient de quitter, ses pensées maladroites ne pouvaient se poser sur aucun des instants partagés sans que ses joues ne se réchauffent et que son cœur ne se mette à battre un peu plus vite. Le chemin de Poudlard à Pré-au-Lard était passé en un clin d'œil et, pourtant, elle avait eu la chance de lui tenir la main durant une petite éternité. Le goût de la bièraubeurre n'était déjà plus qu'un lointain souvenir parce que celui de leur conversation discontinue et naturelle prenait toute la place. Et que dire de cette étreinte renouée depuis quelques secondes à peine qui lui faisait déjà tourner la tête. Elle n'avait pas rêvé, il avait bien frôlé ses doigts à elle, lui offrant une chance inespérée de glisser les siens à une place qui paraissait à la fois juste et douce ? Même si elle s'était imaginé des choses, il ne retirait pas sa main ; c'était un signe, ça, non ? Selene voulait bien composer avec la ritournelle incessante des questions sans réponses si ça signifiait se sentir aussi bien. C'était la première fois que les heures s'égrenait avec cette lenteur étourdissante, les milliers de grains de sable perdus dans le sablier prenant tout leur temps pour glisser du haut vers le bas afin de lui en offrir le plus possible pour qu'elle puisse savourer chaque seconde. Et son cœur battait gaiement et son sourire ne faiblissait pas, sans que ça n'ait vraiment à voir avec les glaces vers lesquelles ils se dirigeaient. Son esprit l'avait bien compris, lui qui observait déjà les minutes à venir pour ne pas avoir à délaisser la main de Dash, planifiant comme le plus grand des tacticiens ; après tout, quoi de plus stratège qu'un adolescent amouraché quand il s'agit de l'heureux élu du moment.

Devant eux, le vendeur leur retourna leurs sourires, quoique dénué de lueur idiote qui brillait à l'identique chez Dashiell et Selene. Cette dernière se demanda brièvement ce qu'il pensait en les voyant : pouvait-il deviner que leur après-midi avait prise cette folle tournure insoupçonnée ou bien se les figurait-il comme un couple notoire profitant de leur première sortie loin de Poudlard ? Cette possibilité ajouta un peu plus de chaleur sur ses pommettes qui n'avaient pas dérougi depuis qu'elle avait osé glisser ses doigts entre ceux de son camarade. Comment savait-on si un couple en était vraiment un ? À quel moment considérait-on la frontière entre l'amitié et ce quelque chose de plus franchie ? Est-ce qu'il fallait que les deux parties se le disent sans qu'il ne subsiste aucune équivoque ou bien la chose était-elle moins formulée, laissée aux mains des œillades entendues et des caresses qu'on ne partageait pas avec tout le monde ? Véritable chevalier servant venu tirer Selene de sa profonde confusion, le glacier s'enquit de ce qui leur ferait plaisir, et parce qu'il n'était décemment pas possible de déblatérer ce qui lui passait par la tête, à la lisière de sa conscience, la jeune fille se contenta des parfums de glace qui s'étalaient sous ses yeux clairs. Fraise, framboise, citron, ça n'était pas vraiment des saveurs qui se prêtaient à cette journée toute en déclinaison d'oranges et de marrons, chocolat, pouah, mais vanille par contre, et noisette… « Elle est trop bonne la noisette. » Contente qu'il approuve, Selene lâcha un petit rire satisfait tandis que son estomac s'impatientait. Elle lui aurait bien proposé de goûter mais il en commanda aussi, remplaçant seulement la vanille par du chocolat. Ses quelques doigts de libres qui n'étaient pas occupés à empêcher le sachet de choir au sol s'empressèrent de glisser quelques mornilles à l'adulte — lequel leur souhaita une belle journée, sans avoir la moindre idée que c'était la meilleure de toutes, de l'avis de Selene — avant de récupérer son cône serti de deux boules de crème glacée, maintenu adroitement — et précairement — entre son petit doigt et son sachet de bonbons. Tout pour ne pas avoir à lâcher la main de Dashiell. « Bon... bah merci alors. Mais faudra vraiment une aut' fois hein, parc' que j'te dois une glace maint'nant, j'oublierai pas. » Ça voulait dire que lui aussi, il avait envie d'une prochaine fois ? Toute à l'instant présent, Selene n'avait même pas trop le temps d'y penser, mais elle avait déjà promis de lui offrir une bièraubeurre, la prochaine fois, et voilà que Dash réitérait, pour une glace cette fois. Elle ne savait pas si c'était le hasard qui glissait autant d'opportunités de formuler, l'air de rien, le souhait de recommencer, mais elle le remercia en son for intérieur. « J'oublierais pas non plus, promis ! » fit-elle d'un air sérieux et joyeux à la fois. Ce n'était qu'une glace, ça ne voulait rien dire du tout, mais cette petite voix ne parvenait plus à atteindre la raison de Selene, supplantée par une autre qui lui chuchotait à l'oreille de toutes autres idées.

Ils prirent la ruelle en sens inverse, continuant leur chemin en direction de cette destination promise, leur conversation ne s'arrêtant qu'ici et là, quand ils plongeaient les lèvres dans leur glace — elle lui donna d'ailleurs raison : la noisette était vraiment trop bonne — ou quand l'un disait une bêtise prompte à faire rire l'autre. C'était tellement facile que Selene se demanda, un court instant, si fugace qu'il avait disparu avant même qu'elle ne le remarque, si elle ne rêvait pas. N'ayant jamais rien connu de tel, tout lui paraissait magique et magnifique, chaque instant enveloppé d'une sensation de légèreté que la main de Dashiell contre la sienne ne faisait qu'amplifier. Comment ne pas être heureuse alors que, pour la première fois, la page journalière de son petit carnet promettait d'être noircie de bons souvenirs. Il s'était écoulé une seconde ou peut-être dix minutes quand ils dépassèrent les dernières maisons qui marquaient la fin de Pré-au-Lard, la campagne environnante s'offrant généreusement à eux. C'était différent de tout ce dont elle avait l'habitude. Quand bien même les plus hautes fenêtres de Poudlard lui donnaient un aperçu de ce qui se trouvait à ses pieds, tout devenait plus majestueux quand elle n'avait que son mètre soixante pour les contempler. Les arbres étaient plus grands, les champs plus étendus, les arbres plus chatoyants, les maisonnettes plus perdues. Et eux deux, les plus seuls au monde. « J'étais sûr qu'tu kifferais. » Selene tourna un regard étonné vers Dash qui s'était déjà replongé dans sa glace, ses grands yeux bleus reflétant la douce émotion qui s'était lovée dans sa poitrine. Il était sûr comme lorsqu'on est proche de quelqu'un ? Suffisamment proche pour connaître ses goûts et savoir ce qui lui ferait plaisir, du moins ? Selene avait l'impression de flotter sur un petit nuage, sans se rendre compte que, plus haut elle s'envolait, plus terrible la chute serait. Pour l'instant elle se laissait bercer par cette sensation nouvelle, ce bonheur aussi doux que le plus pur des cotons. Même la petite voix perfide n'était pas capable de l'atteindre et ternir son bonheur en lui soufflant qu'elle, en revanche, aurait été incapable d'entraîner le garçon à sa suite avec la même certitude, parce qu'elle ne le connaissait pas assez bien, qu'elle le découvrait à peine, qu'il perdait vraiment son temps à ses côtés. Mais Dash semblait content de la voir contente et elle n'aurait pas su dire pourquoi ça la touchait à ce point, ses doigts qui pressèrent délicatement les siens ajoutant un peu plus de tendresse à l'instant présent. Curieuse de savoir si c'était un peu à ça que ça ressemblait, chez lui, elle l'écouta lui décrire l'endroit dans lequel il vivait une partie de l'année, celui dans lequel il avait grandi, s'imaginant la maison dont il parlait au milieu du champ qui leur faisait face. C'était un peu un premier pas pour mieux le connaître, de quoi rajouter à ce portrait lointain que celle qu'elle était cet été avait dressée en recueillant les miettes abandonnées ici et là entre les pages de plusieurs carnets. « Si un jour t'passes par Dublin ou quoi, j'te montrerai s'tu veux. » « Carrément ! » s'exclama-t-elle du tac au tac, sans trop savoir si ce n'était qu'un éclat enfantin — car quelles étaient les chances qu'elle aille un jour à Dublin ? — ou un souhait qu'elle formulait de cette façon, espérant très fort qu'il se réalise un jour. « En vrai, jaune c'est déjà une couleur, plus que les toits tout gris de Londres », ajouta-t-elle après une seconde de réflexion, persuadée que le charme de la maisonnée de Dashiell surpassait en tout points le décor aseptisé dans lequel elle avait passé ses vacances.

Selene resta là encore un moment, silencieuse, avec juste la fin de son cornet qui craquait entre ses dents, s'imprégnant de cette image qui se muerait bientôt en souvenir, jusqu'à ce que le Gryffondor l'entraîne doucement sur un petit sentier qui disparaissait plus loin entre les herbes folles. « Viens, y'en a une plus belle encore en montant là, t'vas voir ! » Elle le suivit sans se faire prier, ses longs cheveux blonds flottant dans le vent alors qu'ils grimpaient une pente légère, rien de très haut, juste ce qu'il fallait pour qu'ils surplombent les alentours, aussi plats qu'un oeuf abandonné dans une poêle. Là, les champs s'étendaient d'un côté à perte de vue, une cabane branlante se découpant entre des arbres centenaires ; et de l'autre la surface lisse du lac qui léchait les pieds du château dont ils avaient quitté le parc quelques heures auparavant. C'était magnifique, un paysage comme elle n'en avait aucun autre dans sa mémoire, et une image dont elle voulait définitivement se souvenir ; mais ça n'avait vraiment plus aucune importance car Dash venait d'abandonner sa main pour placer la sienne dans son dos, ses doigts arrachant au passage toutes les couleurs de ce joli tableau automnal pour les déposer sur cette proximité maladroite. Elle ne savait pas trop ce que ce geste appelait comme réaction : qu'elle en fasse de même, qu'elle pose sa tête sur son épaule, qu'elle se blottisse contre lui ? Tout ça lui paraissait très enviable et absolument hors de sa portée. Doucement, ses yeux glissèrent vers les quelques centimètres de vide qui les séparaient encore et, finalement, ça ne lui sembla pas si irréalisable que ça. Doucement, son buste s'inclina en direction du garçon, jusqu'à ce que leurs épaules se touchent et qu'elle sente la glissière en fer de son blouson peser contre sa hanche. Doucement, elle sentit son souffle bloqué dans sa poitrine se faufiler jusqu'à ses lèvres, soulagée de constater qu'il ne la repoussait pas en lui demandant ce qui lui prenait. « Y'a plein d'aut' beaux coins mais j'crois qu'c'est lui mon pref. C'comme si on était les maîtres du monde un peu, j'trouve. » Un vrai grand sourire s'éleva jusque dans le bleu des prunelles de Selene. Ça lui semblait impensable de connaître l'endroit préféré de Dash, et pourtant, c'était bel et bien le cas. Ça paraissait encore plus incroyable d'imaginer que c'était probablement aussi le sien, qu'ils avaient quelque chose en commun, au-delà des quelques tâches de crème glacée sur leurs doigts et au coin de leurs lèvres, de ces sourires qui n'en finissaient pas, et de cette chaleur qui se nourrissait d'elle-même. « Même de là, Poudlard paraît super impressionnant, et pourtant, hop », Selene tendit la main et ses doigts fins s'enroulèrent autour du château sans le moindre effort. « il peut rien faire et nous on peut le faire disparaître comme ça ! » Bien sûr, il n'était pas vraiment porté disparu, mais ce n'était pas quelque chose que Dash s'empresserait de lui faire remarquer, elle en était certaine. Pas lui, pas comme ces deux yeux noirs qui brillaient dans les ombres les plus recluses et qui trouvaient toujours le moyen et la manière de lui faire comprendre quelle honte elle était. Ici, il n'y en avait aucune, même quand elle racontait les sottises les plus folles ou qu'elle se perdait dans des considérations aussi imaginaires que celles-ci. Ses yeux revinrent à ceux de Dashiell, dont les lueurs chocolatées ne laissèrent aucune place à d'autres, son sourire perdant un peu de sa contenance quand elle constata à quel point ils étaient proches, contrairement à Poudlard dont elle avait déjà tout oublié. « Tu sais, ça m'a vraiment fait plaisir quand tu m'as proposé qu'on fasse un truc et… » Sa voix se perdit entre les hésitations inaudibles, son esprit déconcentré par cette main qui la gardait tout contre lui et contre son regard qui semblait bien plus profond qu'elle ne l'avait perçu. « euh, t'as, t'as du chocolat, ici. » se reprit-elle, son sourire revenant à la charge alors que cette moustache glacée redonnait un peu d'insouciance à tout ceci, sentant ses joues devenir trop chaudes pour qu'il ne le remarque pas, et passa un doigt sur ses lèvres, à l'endroit où celles de Dash étaient surmontées d'un trait chocolaté.

ft @Dashiell Dashner

Ils délaissèrent Pré-au-Lard sans un regard en arrière, semant sur leurs talons rires et promesses comme on le ferait de petites miettes de pain. Tout était nouveau pour ces jolis yeux clairs qui se posaient ici et là, sur le paysage qui se transformait lentement, passant d'un petit village de campagne à cette dernière toute entière. Si elle était déjà venue par ici dans le passé, elle n'en avait trouvé aucune trace dans ses petits carnets ; en réalité, qu'importe que ce soit le cas ou non, cette journée avait un goût de première fois qu'elle n'oublierait pas de si tôt. Ça et leurs bavardages qui ne trouvaient aucune fin, leurs rires qui se répondaient gaiement, son cœur qui battait un peu plus vite quand elle croisait son regard, et sa main dans la sienne qui lui assurait qu'elle ne rêvait rien de tout cela. Elle avait encore un peu de mal à croire en sa chance qui lui offrait une si belle journée, comme ça, sur un plateau doré, mais était décidée à en profiter au maximum. Ce que Dashiell lui trouvait était un mystère tout entier, alors avant qu'il ne remette les pieds sur terre et ne se rende compte que le château regorgeait de personnes qui valait bien mieux qu'elle, Selene voulait savourer chaque seconde, apprendre à mieux le connaître, se sentir plus proche de lui encore, parce que rien ne lui semblait plus doux que d'être considérée par ce regard chocolat. Le temps de quelques secondes, un petit bout d'Irlande se superposa à l'étendue écossaise qu'ils arpentaient, une main occupée à tenir leur glace, l'autre soigneusement réservée à une étreinte réconfortante. Les champs et les plaines à perte de vue allaient bien à Dashiell ; elle l'imaginait libre de courir ici et là, de prendre soin des serres dont il lui avait parlé, de parcourir la nature comme s'il en était le roi. C'était définitivement un tableau plus doux à contempler que de l'imaginer sur les pavés suintants de pluie de Londres, entre ces grands immeubles gris percés de fenêtres tristes, sous ces lampadaires qui aspiraient toute joie de vivre pour projeter un peu d'une lumière clignotante aux oiseaux de nuit. Comment ne pas préférer l'un à l'autre ? Comment ne pas sentir une pointe d'excitation lui vriller la poitrine à la proposition du garçon, quand bien même ce n'était qu'un fantasme qui disparaitrait aussitôt cette journée terminée ? Tant pis si ce n'était qu'éphémère, Selene avait bien envie de se laisser bercer par cette belle possibilité, chassant les ombres sérieuses qui tentaient de ternir ce rêve enfantin de considérations plus adultes. « T'as t'jours habité à Londres, genre ? » Un interlude noiseté lui offrit quelques secondes pour réfléchir à sa réponse. Elle n'avait jamais fait mention d'aucun déménagement, dans ses journaux de cuir, d'aucun changement de ville ni de maison, alors probablement que oui. En tout cas, elle y avait passé tout son été, dans cette chambre qui se faisait plus étouffante à mesure que les jours passaient, avec pour seule vue les toits de Londres qui devenaient très vite ennuyants pour une jeune fille laissée à elle-même. « Je crois bien, ouais. Mais j'ai des cousins qui vivent plus en campagne, et je sais que j'y passais un peu de temps chaque été. Ça vaut sûrement pas l'Irlande, mais au moins ça change de la ville. » Allait-elle être autorisée à y retourner ? Son front s'ombragea quelque peu à cette question. Son amnésie était sa faute, à elle et à elle seule, mais c'était tout de même arrivé pendant qu'elle était en vacances avec cette partie d'une famille dont elle avait tout oublié, il n'était pas impossible que le patriarche Paulet décide de ne pas réitérer l'expérience et de la cloîtrer tout l'été durant dans sa chambre.

Mieux valait ne pas trop y penser. L'automne ne faisait que commencer, il lui restait encore presque toute une année à profiter de Poudlard et de ce que le château avait à offrir, avec seulement un retour à Londres pour les vacances de Noël, mais ce n'étaient que deux petites semaines de rien du tout qu'elle ne verrait même pas passer, n'est-ce pas ? Après ça, elle serait de retour pour profiter de l'hiver puis du printemps, et continuer de se balader main dans la main avec Dashiell, s'il le voulait bien, pour découvrir à quoi ressemblait ce petit bout de paradis au fil des différentes saisons. Pour l'instant, il n'y avait pas à dire, c'était absolument magnifique, encore plus lorsqu'ils arrivèrent au sommet de cette butte, pas bien haute mais suffisamment pour que le décor plat autour d'eux s'offre tout entier à leurs yeux ravis. Le charme de l'instant s'effondra quand le garçon retira sa main de la sienne, la laissant seule et froide à pendre bêtement contre son flanc, mais c'était seulement pour devenir plus fort encore, sous couvert d'une étreinte qui les rapprocha un peu plus. Le temps s'arrêta, son cœur maladroit se cogna partout dans sa poitrine, son souffle se bloqua et ses yeux partirent à la découverte de cette proximité qu'il avait initiée ; c'était donc qu'il en avait envie, parce qu'elle ne l'avait obligé à rien, il aurait pu continuer de lui tenir la main des heures entières ou même la lui lâcher sans que Selene n'ose lui en vouloir, elle qui se trouvait déjà assez chanceuse d'avoir pu profiter de tout ça. Mais non, rien de tout ça, et maintenant ses doigts reposaient sur sa hanche et il lui semblait très naturel de se laisser aller contre lui, ça n'était rien qu'un petit mouvement, un mouvement parfaitement terrifiant. Il ne la repoussa pas et son estomac se mit à danser une valse endiablée qui lui donnait chaud au point d'en avoir les joues toutes rosées. Elle devait avoir un sourire immensément stupide accroché à ses lèvres, mais tant pis, elle n'avait pas franchement envie de s'en débarasser. Elle l'aimait bien, lui et les sentiments qui l'accompagnaient, comme une ribambelle de petits fanions accrochés les uns aux autres qui dansaient gaiement dans les airs. Loin là-bas, Poudlard semblait les observer, impressionnant comme à l'accoutumée. « T'l'ferais vraiment disparaître s'tu pouvais ? » Son petit poing fermé se délia pour faire réapparaître le château. Il était la cause de toutes ses insomnies, alors que la fin de l'été approchait et que la rentrée se profilait ; lui et toutes les personnes qu'il abritait entre ses murs de pierres, lui et tous les doutes qu'il faisait jaillir, les peines et les chagrins. Pourtant, la réponse était une évidence qui s'accrocha à Selene de toutes ses forces. « Non, jamais. J'avais super peur de la rentrée », avoua-t-elle un ton plus bas. « mais maintenant que je suis là et que je commence à m'y faire, je m'y sens plutôt bien. » Bien mieux que chez moi. Ça, elle se contenta de le penser très fort, surprise d'en être si fortement convaincue. Tout ça était très prétentieux de sa part, elle sentait confusément qu'elle prenait plus que ce à quoi elle avait le droit — Silas qui promettait de l'aider et la protéger, Dashiell qui lui tenait la main et l'emmenait découvrir les plus beaux coins de Pré-au-Lard, Jin qui était comme un pilier rassurant au milieu de toutes ces nouveautés — vraiment plus, et qu'on lui retirerait ce trop plein, tôt ou tard. Néanmoins, elle avait quand même envie d'en profiter, le temps que cela pouvait durer, se voilant la face sur ce qui l'attendrait après, quand elle serait de nouveau seule sans personne à qui se confier. Au moins aurait-elle de jolis souvenirs auxquels se raccrocher.

Une confession sur le bout des lèvres, elle releva la tête pour croiser le regard affectueux de Dashiell, essayant d'oublier son cœur qui battait la chamade et cette chaleur qui ne quittait pas son visage, pour lui avouer à quel point tout ça comptait beaucoup pour elle, à quel point il rendait cet automne plus coloré, à quel point il faisait de Poudlard un lieu où elle avait envie de rester. Ils étaient proches, vraiment proches, si proches qu'elle pouvait contempler tous les détails étincelants que recelaient ses prunelles, compter ses tâches de rousseur légèrement rougissantes, sentir son souffle se mêler au sien… Elle était en train de s'égarer sur des chemins qui ne lui étaient pas autorisés, aussi se raccrocha-t-elle à la première idée qui lui traversa l'esprit, aidée par les traces de chocolat qui témoignaient de leur pause sucrée. « Ah merde, désolé ! » Selene se contenta de rire doucement, l'air de dire que ça n'avait rien de grave, que c'était juste marrant. Il lui sembla que le regard de Dashiell se fit plus sérieux le temps d'un instant, se posant sur ses lèvres, laissant un petit silence s'installer. Elle aussi avait de la glace ? Mince, elle se sentit un peu bête, en plus ils étaient vraiment plus proches encore qu'elle ne l'imaginait, il lui faudrait s'éloigner de lui pour s'essuyer, et elle n'en avait pas très envie. « Je... euh... 'fin... est-c'qu'j'ai l'droit d't'embrasser...? » Hein ? Elle avait bien entendu ce qu'elle venait d'entendre ? Il m'a proposé d'aller boire un verre à Pré-O' demain, c'est clairement un rencard, je suis trop excitée ! La conversation surprise par hasard la veille au soir lui revint à l'esprit avec force. Alors c'était vraiment un rencard ? Il venait vraiment de lui demander s'il pouvait l'embrasser ? Il en avait envie ? Est-ce qu'elle en avait envie ? Son cœur qui ne savait plus où se mettre, ses joues devenues écarlates, cette chaleur qui enveloppait son corps tout entier lui hurlaient une réponse évidente. Elle hocha la tête, de haut en bas, tout doucement et en même temps avec précipitation, avant de se dire que ça n'était pas assez, que ça pouvait être mal interprété, qu'il ne fallait surtout pas qu'il se méprenne parce qu'elle n'aurait jamais le courage de souffler sur les braises de l'instant pour rallumer, d'elle-même, une telle flamme. « O-Oui, je… Oui. » Grâce à Teddy, elle savait à peu près comment ça allait se passer, alors pourquoi est-ce qu'elle avait l'impression que les quelques centimètres qui les séparaient encore équivalaient à un saut dans le vide sans aucune protection ? Tant pis pour la chute, la petite lune s'était laissée prendre aux lois de l'attraction et la gravité l'attirait inéluctablement en direction du garçon, dont elle sonda le regard avant qu'elle ne ferme les yeux et que leurs lèvres ne se trouvent, sa main se posant sur la sienne pour ne pas perdre l'équilibre. C'était un peu pareil que dans le placard, c'était en même temps complètement différent. La première fois, c'était comme un exercice, un premier apprentissage, ça n'avait pas vraiment de conséquences, pas vraiment de sentiments non plus. Ça avait été agréable quand même. Là, elle sentait son cœur prêt à sortir de sa poitrine, c'était sûr et certain que Dashiell pouvait l'entendre, tout comme il devait sentir la chaleur qui se dégageait de ses joues. C'était doux, un peu maladroit peut-être, plus agréable qu'elle ne l'aurait jamais imaginé. Elle voulait bien rester ici pour toujours, mais tout début avait une fin, leur baiser trouva la sienne et leurs regards se retrouvèrent, plus gênés encore, si c'était seulement possible.

ft @Dashiell Dashner