Cette année commençait très bien. Le banquet de rentrée tombait un samedi, ce qui leur laissait une journée entière avant de devoir retourner poser son séant dans des cours plus ennuyeux les uns que les autres. Un début de fainéant comme Saige les aimait ! Elle comptait bien profiter de son dimanche au maximum, retrouvant ainsi toutes ses marques dans cette école qui, mine de rien, lui avait manqué. Les heures d’enseignements la rebutaient toujours autant mais il y avait tellement d’autres choses à faire plus plaisantes qu’elle ne pouvait qu’appréhender sa cinquième année avec la plus grande joie. En conséquence de quoi, elle s’était faite toute une liste de choses à faire d’ici le souper car ça n’était pas parce qu’il n’y avait pas de cours aujourd’hui qu’elle comptait procrastiner toute la sainte journée... du moins, la matinée si, mais pour le reste, elle avait de quoi s’occuper !

Sitôt levé, aux alentours de 10 heures, elle avait farfouillé dans le fond de sa valise pour retrouver les granulés qu’elle laissait toujours en friandise à sa mère, le grand faucon qui était déjà de sortie. Elle était sûrement partie chasser une proie. L’adolescente n’était de retour dans son dortoir que depuis quelques dizaines d’heures mais une seule nuit avait suffi à ce que le bazar s’installe un peu partout, ce qui compliquait drastiquement sa recherche. Elle tira pleins d’affaires de sa valise, le jetant nonchalamment sur son lit – le rangement n’était pas inclus dans sa liste de choses à faire – pour enfin mettre la main sur le petit sachet qu’elle recherchait et en déverser le contenu dans un récipient au bord de la fenêtre. Une première étape de faite, il était à présent temps de passer à la plus importante de sa journée ! Ni une ni deux, elle enfila un jeans et un t-shirt avant de se ruer hors du dortoir, dépassant le première année qui traînait un peu trop dans l’escalier, pour s’engouffrer hors de la salle commune.

Tout ici lui avait manqué, même les interminables escaliers qui séparaient la tour des gryffondors de la grande salle où quelques trainards devaient encore terminer leur petit déjeuner. Chaque rentrée, c’était le même ballet amusant et elle devait admettre qu’un soupçon de fourberie l’animait lorsqu’elle apercevait au loin des petits nouveaux pris en otage par les marches capricieuses de Poudlard. En son temps, elle aussi avait connu quelques déboires avec, ça n’était que pure justice de pouvoir à son tour admirer le spectacle clownesque des nains de l’école. Elle, en revanche, connaissait désormais les aléas de l’école comme sa poche et n’eut aucun mal à trouver le chemin le plus direct pour rejoindre le rez-de-chaussée. Il y avait beaucoup d’élèves en bas, des voix provenant du hall et un fort brouhaha de la grande salle, comme toujours. Saige ne pouvait guère être plus enjouée qu’aujourd’hui : toute cette agitation était jouissive. À la table de sa maison, les rires côtoyaient les jets de nourritures – bon ça ok, c’était moins marrant – et un groupe de camarades avait rapporté ces bonbons qui vous faisaient pousser des cris d’animaux. L’un d’eux venait d’avaler une pastille, commençant à faire des bruits de ce qui semblait être un bonobo et mimait d’une façon très caricaturale le comportement d’un singe. Charmant (en vrai, elle trouvait ça plutôt drôle). Mais rien de tout ceci ne l’intéressait vraiment : elle prit à la place la direction de la table des serdaigles, un brin plus civilisée que la sienne, pour apercevoir le visage délicat de son ami. « Salut le meilleur préfet de Poudlard. » salua-t-elle en se glissant sur la place juste à côté de Ashton, un immense sourire aux lèvres. S’il y avait bien un garçon qui lui avait manqué, c’était lui. Depuis sa première année, et surtout depuis qu’elle lui avait tout dit sur sa malédiction, il était sans aucune doute l’une des personnes en qui elle avait le plus confiance. « C’est trop cool qu’ils t’aient refilés l’insigne, tu peux te balader comme tu veux, t’as accès à la salle de bain des préfets, je suis jalouse ! » Chez les gryffondors, c’était Azure qui en avait hérité, choix sûrement plus pertinent qu’elle puisqu’elle n’était pas tout à fait l’élève modèle, mais tout de même, elle était un peu frustrée... Qu’importe, cette année, elle allait être dans l’équipe de quidditch, elle y croyait, l’état d’après était de récupérer l’insigne de capitaine. L’ambition n’était pas que l’apanage des serpentards ! « Comment était ton été ? » Le sien avait été terriblement banal, mais elle aimait tout ce qui était banal ; cela signifiait pas d’ennuis, ou peu, et surtout une vie normale !

Parmi les innombrables plaisirs de Poudlard, l’un d’eux était de retrouver certains de ses plus proches amis, comme Ashton. Son ainé d’un an était devenu comme un grand frère pour elle, un garçon gentil et accueillant avec qui elle aurait dû aller à son premier bal et qui était passé de potentiel cavalier à confident en quelques mois. Il n’y avait pas beaucoup de personnes qui étaient au courant pour sa malédiction, mais lui avait été le premier de ses camarades à qui elle en avait parlé et ça n’était pas pour rien. C’était également l’une des meilleures idées de sa courte vie que de lui dire toute la vérité. Le revoir était donc un grand moment, comme chaque année après des vacances passées loin de l’école.

La gryffondor s’installa à côté du nouveau préfet, qui lui avait laissé un peu de place, ignorant royalement un petit serdaigle de première ou deuxième année – fichtre ce qu’ils étaient petits, c’était difficile de savoir ! – qui lui faisait les gros yeux, visiblement scandalisé de voir une fille arborant les couleurs d’une autre maison s’asseoir à sa table.

- Comment ça « pas fait le bon choix ? », s’offusqua-t-elle faussement, tapant mollement du poing sur la table. « Tu oses sous-entendre que ma parole n’est pas objective et pertinente quand je te qualifie de meilleur – elle insista bien sur le mot – préfet de Poudlard ? »

Au-delà de la blague et de son affection pour Ashton, elle trouvait réellement ce choix plutôt pertinent. Il était mûr, plutôt bon élève à défaut d’être toujours respectueux du règlement, et apprécié de beaucoup de membres de sa main, ce qui était tout de même le plus important pour arborer son insigne.

- J’y comptais bien ! Je dois nettoyer un peu mes plumes de piaf, une salle de bain comme celle-ci sera PAR-FAITE !

Ou plutôt qu’elle escomptait rester bien humaine à nager en long, en large et en travers dans le jacuzzi – devait bien y avoir des bulles là-dedans, non ? – et l’eau chaude. Mais il était encore trop tôt pour s’atteler aux réjouissances aquatiques et aux nombreux privilèges que cet insigne promettait ; Saige voulait connaître les derniers ragots de la vie de son ami, les meilleurs instants de son été ! Elle n’avait certainement pas autant de choses à raconter, passant le plus clair de son temps à jouer sur sa console et sortant parfois se balader sur la plage, mais elle avait bien une ou deux soirées à son compteur, rien de bien extraordinaire mais c’était déjà ça. Lui, en revanche, elle n’imaginait pas qu’il n’ait rien eu à faire. Et son instinct fut bien vite récompensé par la réponse du serdaigle, pleine de mystères et d’excitation.

- Oh ça tease, en plus !

Elle avait parlé plus fort qu’avant, attirant des regards courroucés autour d’elle. Moqueuse, elle tira la langue au premier aiglon dont elle croisa du regard, avant de se tourner à nouveau vers son interlocuteur.

- Hmm, pardon. J’ai l’impression de me transformer en fan excentrique, là, arrête le carnage et raconte-moi tout !

De manière un peu exagérée, elle pencha son visage en avant, inclinant légèrement la tête pour lui faire ce qu’elle imaginait un regard de chat potté.

- C’est quoi, une histoire de fille ? Ou de musique ? Les deux ? T’as gagné au loto ?

Le connaissant, la musique était très certainement ce qui pouvait éveiller le plus sa joie mais pour en faire son meilleur été, ce n’était sans doute pas l’obtention d’un instrument tout neuf. Il fallait quelque chose de plus important, de plus gros !

Taquine et fière de l’insigne de son ami – il lui allait si bien après tout – Saige n’hésita pas une seule seconde à le complimenter de la façon la plus exagérée qui soit, à grand renfort d’airs grandiloquents et de paroles catégoriques, comme pour mieux compenser Ashton, qui demeurait un peu plus sur la réserve.

- Oui, je préfère ça, conclut-elle d’un ton presque sentencieux.

Gardant son ton joyeux et décomplexé, elle en vint même à faire référence à sa malédiction... quoique pour qui l’entendait, elle ne faisait sûrement qu’évoquer son talent d’animagus, mais le serdaigle n’était pas dupe et était l’un des rares à savoir ce qui se cachait réellement derrière ça. Avec lui, elle savait pouvoir faire quelques blagues à ce sujet, se permettant un peu de dédramatiser et d’aborder la chose sur un ton plus léger ; elle avait toujours eu cet humour particulier, jouant de son animal intérieur même dans les pires moments. Mais aujourd’hui, elle était heureuse ; heureuse d’être de retour à Poudlard, et surtout d’y retrouver certains de ses plus proches amis, comme Ashton. Il lui avait cruellement manqué.

- Des plumes qui portent bonheur ? Je vais finir par me déplumer avant chaque devoir de potions, moi !

Elle éclata de rire.

- Ou pour les sélections de quidditch, tiens ! Peut-être même que je pourrais les commercialiser ? Ça pourrait me faire un fric de fou, pour acheter mon nouveau balai.

La gryffondor avait longtemps ambitionné de rejoindre l’équipe de sa maison, sans jamais passer réussir à passer le pas ; entre l’échec, et la peur de le réitérer, elle n’avait en fin de compte que rarement tenté l’expérience... mais cette année, elle escomptait bien le faire, d’autant qu’elle l’avait promis à Zola. Elle ne pouvait plus faire marche arrière ; si à 15 ans, elle ne prenait pas ce courage, jamais elle n’en aura l’occasion.

Le changement d’expression d’Ashton fut drastique ; d’un adolescent détendu, rigolant tranquillement des idioties de son ami, il devint un jeune homme aux yeux pétillants d’une passion peu commune. Elle le connaissait, ce regard, c’était indéniablement celui que son ami n’arborait que lorsqu’il était question de musique ; Teddy était pareil, dès qu’ils parlaient de ça, ils devenaient complètement différents... peut-être était-elle comme ça aussi avec le quidditch ?

- Je savais bien que tu étais ma fan number one, fit le plus âgé en clignant de l’œil à son intention.
- Première fan, capitaine du fan club du meilleur préfet rockeur de serdaigle ! confirma-t-elle en souriant.

La lionne prit son verre de jus d’orange, sirotant le liquide fruité tandis qu’Ashton rebondissait sur ses suppositions d’un air amusé. Sa paume claqua sur son front dans une posture un brin théâtrale, digne des plus grandes parodies de Saige. Finalement, il lâcha le morceau, la libérant de cette attente interminable. Son visage brillait d’une lueur qu’elle n’avait que rarement vu chez lui ; une expression de ravissement sans égal, comme si revivait chacun de ses bons souvenirs de l’été.

- Attends quoi ? lâcha-t-elle en reposant son verre sur la table. « Tu me fais marcher, c’est ça ? »

Elle se reprit bien vite, son visage se fendant d’un sourire nouveau.

- Hey mais ça veut dire que je connais une célébrité ! La classe.

L’adolescente se redressa légèrement sur le banc, arborant un air fier, presque vantard. Elle était si contente pour lui ; si Saige aimait la musique – qui n’aimait pas ça, d’ailleurs ? – pour Ashton, c’était pour ainsi dire une raison de vivre. Faire la première partie avec l’un de ses groupes favoris avait dû être si extraordinaire... un instant, très bref, elle se sentit un peu jalouse. Non parce qu’il avait connu et fréquenté The Rose, ça n’était pas le groupe qu’elle affectionnait le plus, mais parce qu’il avait un rêve si beau et commençait à le toucher du bout des doigts, vivant deux mois de cet avenir auquel il aspirait... alors qu’elle même ne se permettait pas de croire en un futur. Ce moment de tristesse, elle le chassa bien vite mais il brilla tout de même dans ses iris durant quelques fugaces secondes.

- T’es le meilleur, mec ! Ta carrière de star commence, c’est tellement cool ! Je veux tout savoir. Comment t’es arrivé à faire leur première partie ? Comment c’était ? Est-ce que j’ai de la concurrence dans le fanclub ?

Elle comprenait à présent que son insigne ne soit guère une préoccupation importante ; il avait eu tellement mieux durant son été !

Pour l’un comme pour l’autre, cette nouvelle année semblait être le commencement de biens des choses. Des projets se créaient petit à petit, des rêves pouvaient devenir réalité ; y avait-il seulement quelqu’un pour les freiner, pour se placer en obstacle entre eux et leurs désirs les plus profonds ? Sans doute... la gryffondor manquait d’argent et de perspective, mais ça n’était pas nouveau et elle avait appris depuis longtemps à vivre avec. Et puisque tout n’était pas immuable, elle voulait croire en sa capacité à remédier aux problèmes les plus triviaux.
 
- De fabuleuses idées, mais pas un grand sens du commerce, à ce que je vois ! le taquina-t-elle en souriant. À ta place, j’aurais demandé à avoir des parts dans ma future entreprise.

Saige n’était une bonne élève ni en magie, ni en connaissances théoriques, mais elle avait parfois de la suite dans les idées et lorsqu’il s’agissait de travailler à augmenter son capital financier, même dans un scenario purement hypothétique, elle pouvait se montrer très débrouillarde. Chacun son domaine de prédilection : Ashton s’intéressait à la musique et pour la gryffondor – quoiqu’elle soit très bon public dès lors qu’il était question de rock – c’était le quidditch et tout ce qui pouvait l’aider à être meilleur sur un balai. Et cela commençait bien entendue par un balai plus efficace que ceux de l’école ! Il lui restait encore un peu de temps pour s’en préoccuper, cela dit. De ce qu’elle avait entendu dire, en laissant ses oreilles fureter, il y avait un nouveau capitaine à la barre, et qui disait changement de direction pensait nécessairement temps d’adaptation. Elle ne doutait pas qu’il faille encore un peu de temps à Shayne Williams pour prendre ses marques.

Machinalement, la malédictus laissa quelques instants son regard balayer la table des gryffondors, un peu plus loin, scrutant tous ceux qui étaient susceptibles de se présenter le jour J, comme autant de concurrent à abattre mais elle s’en détourna rapidement pour poser ses iris sur son fidèle ami, s’exclamant d’une joie pure à l’annonce de la bonne nouvelle. Il l’avait mérité ; Ashton était un passionné et un musicien de talent, le voir monter peu à peu dans l’échelle sociale des rockeurs l’emplissait d’une grande fierté.

- Mais tu es de plus en plus près de la célébrité ! rétorqua-t-elle d’un ton sage.

Son rêve commençait à prendre consistance et devenir réelle ; aux yeux d’une adolescente promise à une courte vie, chaque avancée était une victoire. Si elle se réjouissait autant de la réussite du préfet, c’était sûrement parce qu’elle la vivait un peu au travers de lui et contempler ses yeux émerveillés emplissait son propre cœur d’un fort sentiment de félicité. Autour d’elle, elle avait même l’impression que cet effet était contagieux... mais Ashton avait toujours eu un effet amusant sur certaines personnes. Elle avait vu des garçons sourire béatement lorsqu’il faisait une blague ou répondait à une question d’un professeur.

- La classe... se contenta-t-elle de lâcher lorsque l’aiglon eut fini de raconter son anecdote, ses lèvres faisant presque le tour de sa tête tant il souriait. « Que ça soit eux qui viennent vers vous, c’est la classe ultime ! »

Ça leur était venu comme sur un plateau d’argent... il y avait de quoi être jaloux. Sans doute d’ailleurs allaient-ils, un jour ou l’autre, rencontrer le revers de cette médaille. Derrière tout fan se cachait un autre qui détestait ; pourtant, Saige imaginait mal que l’on puisse percevoir son ami sous un mauvais jour. Il était la gentillesse incarnée, plein de douceur et de bonté.

Comme s’il était conscient des pensées de l’adolescente, Ashton lui tendit une chocolatine tout en changeant de sujet pour s’intéresser finalement à elle ; la lionne avait infiniment moins d’anecdotes extraordinaires à raconter, de réussites glorieuses à vanter, mais elle avait malgré tout quelques projets pour son avenir à venir. Ses notes n’était guère sa préoccupation première et elle n’était pas connu pour ça, mais elle n’avait jamais caché sa passion pour le vol, avec des ailes ou sur un balai, et son amour pour le quidditch.

- Yep, j’ai décidé de prendre mon courage à bras le corps et tenter les sélections ! répondit-elle juste avant de croquer avidement dans la viennoiserie. Les elfes de maisons n’avaient pas lésiné sur le chocolat, pour le plus grand plaisir de Saige. « Ça fait trop longtemps que je me trouve des excuses ; j’ai décidé que rien ne pourrait m’en empêcher cette année, pas même mon piaf intérieur ! »

Cette année, le terrain de quidditch allait la voir souvent et toute l’école apprendrait à la connaître comme l’une des joueuses de l’équipe de gryffondor. Mine de rien, elle avait eu le temps de réfléchir, durant l’été : elle n’était pas une très bonne élève et savait qu’un jour, elle finirait par rejoindre sa mère dans le ciel écossais, mais d’ici là, elle voulait vivre sa vie pleinement.

- Au fait, rien à voir avec le quidditch ! lâcha-t-elle au bout de quelques minutes, après avoir fait disparaître sa chocolatine dans son estomac – ça c’était un tour de magie qu’elle maîtrisait sans mal. « T’as déjà fait de la basse, toi, non ? »