La braise rougeoyante disparut contre le tronc de l'arbre dans un bruissement presque inaudible, sûrement assassiné par celui du vent dans les feuilles. Dashiell étira ses jambes de chaque côté de la branche sur laquelle il avait élu domicile et fit passer la droite avec la gauche avant d'entreprendre de redescendre. L'entreprise fut un peu moins propre qu'à son arrivée, ses appuis légèrement plus hasardeux. Il n'y avait pas de meilleur endroit de ce parc que dans les grands arbres qui y étaient plantés ! Sauf peut-être quand il rejoignait Daisy sur les bords du lac et qu'il posait sa tête sur ses genoux pour se laisser dorloter. Franchement, ça bataillait sévère pour la première place ! La seule pensée de sa meilleure amie lui tira un sourire idiot, comme à chaque fois qu'il pensait à elle, ou à Silas, ou à Teddy... Ce sourire d'abruti heureux, où transparaissait sans aucun mal le bien-être le plus simple... et aujourd'hui, un brin artificiel peut-être. Il épousseta distraitement son jean du plat de la main, à moins qu'il ne s'essuie les mains sur son jean – vu les taches d'herbe qu'il y avait aux genoux et aux fesses, le pauvre n'était sûrement pas à quelques traces de sève près puis jeta un regard un peu hébété autour de lui. Il n'avait pas la moindre idée de combien de temps il avait passé dans son arbre. Il y était monté un peu après déjeuner et là... son estomac disait qu'il était bientôt l'heure de dîner mais c'était à peu près ce qu'il disait toute la journée, alors il n'était pas convaincu de pouvoir le croire. Dans le pire des cas, il pouvait toujours passer voir... et s'il n'y avait rien qui ressemblait à des gens en train d'attendre pour bouffer, il pousserait jusqu'à la bibliothèque où, peut-être, sa tête d'ampoule de meilleur pote serait occupé à faire ses devoirs. Ce fut fort de ce plan somme toute infaillible que  l'adolescent s'éloigna de son perchoir de fortune, les mains négligemment enfoncées dans les poches de son pantalon. Mais avant qu'il n'ait eu le temps d'aller bien loin, une silhouette floue sembla foncer droit sur lui. De ce qu'il en distinguait, c'était une fille. Rousse. Ça en éliminait pas mal. Il plissa les yeux alors qu'il ralentissait l'allure. Ah ! C'était Kathleen ! Cette constatation lui arracha un ricanement stupide tandis qu'elle arrivait à sa hauteur.

— Salut Dash !
— Salut Kath, la salua-t-il avec enthousiasme alors qu'il agitait mollement la main comme s'il avait fallu rajouter un deuxième bonjour au premier.
— Comment tu vas ? Ça s'est bien passé la fin de tes vacances ? T'as fait des trucs cool avec la famille ?

Waw, ça faisait beaucoup de questions d'un coup ça. Il commença par hausser les épaules, réponse généralement efficace à n'importe quoi, qui voulait tout à la fois dire « oui », « non », « peut-être », « je sais pas », « prends la réponse qui te convient, moi je m'en fous ». Mais bon, c'était pas hyper sympa de se contenter de ça, surtout que Kathleen faisait partie de ces gens profondément gentils qui s'inquiéteraient de cette absence de « oui ». Mais en même temps, est-ce qu'on pouvait vraiment dire « oui » à une seule de ces questions ? On ne pouvait pas dire que c'était la meilleure rentrée de sa vie. Oh, bien sûr, il était content d'être là et le retour de Silas était sûrement la meilleure chose qu'il aurait pu espérer... mais en même temps, c'était devenu... oppressant, ces derniers jours. Angoissant. La flamme d'innocence qui avait toujours ardemment brûlé dans le regard de chiot du Gryffondor avait été soufflée en une semaine. ...en une journée, s'il avait fallu être parfaitement exact. Et il n'était pas non plus certain que les vacances aient été géniales. Il avait fui autant qu'il avait pu. Comme à Noël. Il avait passé des journées entières à l'herboristerie, des heures à sillonner les environs sur son vélo, perdu la notion du temps sur la banquette arrière de la vieille bagnole de feu son grand-père... La réalité s'imposa avec une violence inouïe : en fait, il avait vraiment une vie de merde ces derniers temps. Ça lui passa l'envie de ricaner une nouvelle fois. Une seconde de silence puis un hochement de tête lent mais affirmatif. Il réitéra son geste avec un peu plus d'entrain, comme pour se convaincre lui-même de ce qu'il prétendait.

— Ouais, tranquille.

Ouais tranquille mon cul, grinça-t-il aussitôt. Son pote était en PLS, sa grand-mère devenait un légume... Et il ne comptait même pas les trucs chiants mais pas dramatiques comme le manque de Daisy parce qu'il n'avait plus l'habitude de la voir si peu, sa colocation hasardeuse avec August, le lien qui se tissait entre Silas et Teddy et qui lui faisait craindre de rester sur le bord de la route des deux côtés, les embrouilles qu'il y avait déjà et qui risquait de l'éloigner de Kenneth alors qu'il l'aimait bien, les profs qui cassaient déjà les couilles avec les BUSEs, et sûrement tellement d'autres choses encore qu'il ne s'en souvenait même plus... Et lui tout ce qu'il trouvait à dire, c'était « ouais, tranquille » ?! Bouffon.

— On a fait que dalle. Entre l'voyage et les courses de rentrée et tout et tout bah...

Nouvel haussement d'épaules, assorti d'un sourire faiblement désolé. Il n'avait pas grand chose à raconter.

— Et toi ? Ça a été ? T'en as fait, des trucs cool ?

Franchement, il lui souhaitait. Après tout, l'humanité tout entière ne pouvait pas avoir une grosse VDM d'un coup d'un seul, tout de même, si ?  

L'air que Kathleen affichait alors qu'il se débattait péniblement avec les constatations violentes qui s'imposaient à son esprit embrumé ne trompait personne sur son manque évident de crédibilité... mais Dash y fut parfaitement hermétique. Il savait bien qu'il n'était pas un excellent menteur... en général, on lisait ses pensées sur son visage et son regard reflétait tout ce qu'il taisait. Même sans comprendre réellement ce qu'il se passait bien à l'abri de son crâne, on savait, sans même le connaître vraiment, si c'était en phase avec ce qui passait ses lèvres. Mais peu importait.

— T'es sûr ?
— Bah ouais, s'obstina-t-il en hochant à nouveau la tête, peut-être un peu moins convaincu qu'il ne l'avait été jusque là.
— Tu fais quand même une drôle de tête.

L'adolescent ne put retenir un gloussement idiot. Ouais, ça c'était possible. Mais ça ne voulait pas dire grand chose en soi. Ça lui arrivait souvent d'avoir des drôles de têtes et ça ne voulait pas dire qu'il était au bout de sa vie pour autant. C'était seulement la coïncidence, cette fois, voilà tout. Rien de dramatique en soi. De toute façon, il s'en remettrait. On finissait toujours par se remettre de tout, non ? Et puis, ça passerait. C'était une rentrée pourrie, c'était un fait, mais ça n'allait pas pouvoir continuer comme ça jusqu'à la fin de l'année, n'est-ce pas ? En tout cas, il n'espérait pas. Il ne donnait pas cher de sa santé mentale, sinon...

— Si jamais t'as besoin de parler, je suis là, ok ?

Un sourire touché étira doucement ses lèvres alors qu'il hochait à nouveau la tête.

— Ouais, t'inquiète.

Il avait de la chance, quand même. Enfin, il fallait le dire vite mais bon... Disons qu'au milieu des trucs pourris de ces derniers temps, il y avait encore des choses positives : la présence de ses amis, par exemple. Et il fallait dire que, s'il ne les avait pas vraiment choisis, le destin s'était appliqué à l'entourer des personnes les plus adorables qu'il avait pu croiser un jour.

— Merci... et t'sais qu'si t'as besoin, j'suis là aussi, finit-il par rajouter dans un sourire plus grand, avant de lui retourner un peu machinalement sa question.

Quand ils étaient mômes, ça leur arrivait de se croiser ici ou là, dans un autre contexte que celui de Poudlard. Leurs parents se connaissaient, se voyaient encore après toutes ces années... mais maintenant, c'était plutôt rare. Sûrement que leurs parents se voyaient encore, là n'était pas la question, mais il était probable qu'ils le fassent alors qu'eux étaient coincés entre les murs du château.

— Je ne suis pas partie non plus, après à la sortie scolaire. Ça ne laisse pas trop de temps pour des vacances en famille.

Nouvel hochement de tête. C'est vrai qu'un mois sur deux, en plein milieu en plus, c'était pas rien. Ça n'avait jamais été un choix pris à la légère, à la maison. On le leur laissait, bien sûr, mais il se souvenait de l'échange de lettres interminables qu'il y avait eu, la première fois, parce que Gil et Eireen avaient voulu être sûrs qu'il avait parfaitement conscience de ce que ça impliquait. Mais il n'avait jamais regretté. Et cette année plus que les autres encore, ça lui avait paru être la meilleure solution. La fuite était toujours la meilleure solution, de toute façon.

— Mais il y a pas mal de choses à faire autour du château et notamment de belles balades. Avec ma sœur et mes parents, on aime bien se balader dans la forêt qui jouxte notre domaine. Et puis, on a quelques amis au village.

Dash gloussa de plus belle en l'entendant. Ça n'était pas moqueur, seulement surpris et taquin. « Le château » « notre domaine », c'était un peu un autre monde, un monde bien loin du sien. C'est que sa maison et les champs au milieu desquels elle était posée faisaient pâle figure à côté !

— Des fois j'oublie qu'vous êtes un peu proutprout, j'te jure.

On pouvait dire ce qu'on voulait, c'était quand même l'avantage de Poudlard. Brasser les milieu et les cultures, tout planquer sous un uniforme un peu moche... Quand on vous agitait pas sous le nez ce genre de détails, on pouvait facilement faire comme s'ils n'existaient pas.

— Ça avait l'air cool quand même, c'chouette. Pas trop déçue d'être rev'nue ?