Ninni Pattersen et Bjørn Ethergsen étaient un couple heureux, leurs familles un peu moins. Alors, quand elle annonça sa grossesse, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Tout deux reniés et haïs pour des motifs qui leur semblaient vraiment flous et injustifiés - quelque chose en rapport avec le statut social peut-être -, ils quittèrent leur Oslo norvégienne natale pour rejoindre la belle Londres anglaise et salvatrice sans un regard en arrière. Mariés dans la foulée, ils recommencèrent leur vie simple, élevant leur unique fils, Charli.
L’enfant brun à la peau d'albâtre grandit sans rien savoir des sorciers, de la magie, ni même de sa famille. La seule chose qui le rattachait encore au pays d’origine de ses parents, c’était la nourriture et ce léger mais pourtant si résistant accent qu’il traînait encore à cause de l'influence de ses parents. A l’école, il n’était pas le premier, ni le dernier, mais il n’était certainement pas celui qui avait des amis. Terrassé par sa banalité, il s’échappa de ce monde si commun en plongeant dans les livres, de jour comme de nuit. Ni sa mère, professeur de mathématiques au lycée, ni son père, chauffeur de taxi, ne savaient d’où venait cette soudaine passion pour la littérature qui lui aspirait son temps et sa vie sociale. Néanmoins, ils ne s’y opposèrent pas, eux-mêmes trop habitués à braver les interdits pour en imposer à leur tour.
Souvent, les mots dansaient sur les pages, et souvent, Charli blâmait la fatigue et son imagination débordante bien trop nourrie par son avidité pour la lecture. Déjà insomniaque à un si jeune âge, il passait ses nuits entre les piles de livres qu’il avait déjà lus plusieurs fois. Habitué des bibliothèques et des librairies, il lui arrivait même de s'enfuir de l’école pour s’y rendre. Il avait beau se croire invisible et insignifiant, les professeurs et le directeur le voyaient toujours. Alors ils appelaient son père, pour le convoquer, pour faire le point, comme ils disaient. Pas parce qu’il était mauvais non, pas perturbateur non plus. Juste un peu… absent. Et sécher les cours dès l’école primaire, ça n’était pas de bon augure.
Après ça, son père avait été furieux. Juste un peu trop en colère pour ne pas réussir à freiner à temps, alors que Charli était à l’arrière du taxi avec un client trop pressé pour attendre que le chauffeur de dépose son fils à la maison. Et en une fraction de seconde, le monde avait tourné dans le mauvais sens. Charli avait vu les éclats de verre et de métal tuer son père, tuer le malheureux client, et l’éviter de justesse. A ce moment là, il n’entendait plus rien, sa vision était devenue floue et imprécise, et c’était comme si le temps avait arrêté de s’écouler.
Deux morts et une entorse, c’était vraiment un coup de chance monumental pour lui. Ou peut-être pas.

Une année et demie s’écoula avant qu’il ne reçoive la lettre. Charli avait d’abord cru à une mauvaise blague, avant d’en recevoir encore une. Puis une autre. Et peut-être des dizaines. Et il se souvint de l’accident qu’il avait tant espéré oublier, des mots qui dansaient sur les pages la nuit. Est-ce qu’il était vraiment si chanceux que ça ? Dans sa confusion, il fit exploser l’ampoule de sa lampe de chevet.
Il lança un regard terrifié aux éclats de verre fin qui gisaient à coté de lui, et se coupa en les ramassant. Pas un rêve, ni une hallucination, ni quoique ce soit.
A ce moment là, il n’eut plus vraiment de problèmes pour convaincre sa mère, qu’il sentit sombrer dans des abysses de dépression, déjà bien entamée par la mort de son mari. Il se débrouilla seul, complètement. Il n’allait pas l’impliquer d’avantage.
Il se rendit au chemin de traverse. Effrayé, ignorant et perdu. Quand il fut choisi par sa baguette, il n’eut droit qu’à un “vous devez avoir beaucoup de chance, pour avoir été choisi par une baguette pareille”. Il leva un sourcil et acquisa mollement, sans comprendre. Il finit ses emplettes magiques, encore plus perdu qu’avant.
Une fois à Poudlard, il y eut l’épreuve du Choipeaux. Il avait fini par lire toutes les lettres explicatives, mais rien qui ne l’aurait préparé à la réalité. Silencieux parmi les autres élèves, il s’assit et attendit quand son tour vint enfin. A la fois excité et particulièrement angoissé, le chapeau magique posé sur ses boucles brunes attendit un long moment avant de crier “Serpentard !”. Il s’était levé doucement, et avait rejoint sa table. Un né-moldu au milieu des “fils de”, il pouvait déjà sentir les regards désapprobateurs, voire même méfiants. Il leva les yeux au ciel et lança un sarcasme à qui voulait bien l’entendre.
“Ça tombe bien, vert ça a toujours été ma couleur.”

Avide et curieux d’apprendre, il passait tout son temps libre à la bibliothèque de Poudlard. Déjà, ça lui permettait d’échapper à l’ambiance pesante chez les Serpentards dès qu’il mettait les pieds dans une pièce, et ensuite, il pouvait enfin satisfaire son insatiable soif de connaissance et rattrapait peu à peu son retard par rapport aux autres. S’il avait été très mauvais élève dans ses premières années - surtout en cours de vol - il avait fini par devenir brillant. Il fut même un des rares élèves assez fous pour garder sept matières même dans ses dernières années.
Il continua sur sa lancée, à l’université. Excellent en potions, études des runes et arithmancie, il se contenta de continuer à étudier ces matières sans réel but. Au final, il finit ses études haut la main et se dévoua aux archives du bureau de désinformation du ministère de la magie. Durant les rares visites qu’il avait dédiées à sa mère, pendant ses vacances à Poudlard et après, Charli l’avait vu se laisser ronger par les angoisses et les insécurités - la plupart dues à la découverte de l'existence de la magie. Désolé pour elle mais incapable de lui lancer le moindre sortilège d’oubli, il essayait simplement de lui montrer qu’il allait bien. En parallèle, il avait multiplié les conquêtes sans lendemain, n’espérant rien de plus et n’attendant seulement qu’un moment de chaleur humaine. Il n’avait jamais été très beau, mais il était plutôt grand, fin et séduisant; il y avait un charme ravageur derrière toutes les imperfections de son visage.
Un jour, il avait senti l'étau se resserrer autour de lui. Avant même que les choses ne se gâtent au ministère, il avait démissionné. Il s’était caché au milieu des moldus, et se savait en danger de part son sang. Incapable de choisir entre se battre et rester caché, il avait cédé à la lâcheté et avait travaillé comme bibliothécaire classique, observant le monde magique depuis l’ombre. Quand l’accalmie s’imposa enfin en 2023, il proposa ses services à Poudlard. La magie lui manquait, les livres lui manquaient, et au vu de la réputation qu’il avait en tant qu’élève, il ne fallut pas longtemps au directeur pour l’inviter à rejoindre l’école.
Même s’il détestait les enfants, et encore plus les ignorants bruyants qui prenaient la bibliothèque pour leur quartier général à complot d’adolescent, il avait été un jour celui dont on avait dit qu’il avait lu tous les livres présents entre ces murs. Il comptait bien rendre cette rumeur vraie à présent, même s’il lui faudrait probablement plus que le temps d’une vie pour ça. Plus que ça, il avait maintenant bien l’intention de faire régner l’ordre dans sa bibliothèque, du haut de son imposant mètre quatre-vingt-treize.

Fils unique de Ninni et Bjørn Ethergsen, Charli n’a pas d’autre famille. Suite à l’immigration de son foyer autrefois Oslovien vers Londres, il n’a pas vraiment eu d’amis d’enfance non plus ou même de contact avec des parents éloignés. Fuyant les conflits d'intérêt entre les deux branches de la famille, les deux jeunes partirent de Norvège vers l'Angleterre pour se marier, juste avant la naissance de leur enfant.
Le père de Charli, Bjørn, était chauffeur de taxi. C’est certainement de lui qu’il tient son penchant pour les belles voitures et les cigarettes, mais il ne l’a connu que brièvement. Il est décédé dans un accident de voiture, impliquant son très jeune fils et un client. Charli est le seul à s’en être sorti, par chance surement.
Sa mère, Ninni, n’était qu’une simple moldue elle-aussi. Professeur de mathématiques par vocation, il n’a eu pour elle que du respect, et encore plus quand elle a du finir de l’élever seule. C’est elle qui lui a transmis ses goûts particuliers pour les produits norvégiens comme le yaourt glacé, absolument immangeable pour les non-initiés. Quand Charli s’est révélé être un sorcier, elle a sombré dans une profonde dépression, incapable de discerner la réalité et les fantasmes, ravagée par l’inquiétude et l’angoisse. Il lui rend visite, parfois, mais ne sait jamais trop quoi lui dire.
Hormis les quelques rares amis qu’il s’est fait pendant ses études, ses collègues et les amants et amantes qu’il collectionnait fut un temps, Charli est un solitaire et célibataire endurci qui ne se déplait pas tant que ça dans son statut. En somme, June est la seule présence de vie dans son quotidien, et aussi la seule personne autorisée à parler quand il lit. Et c’est un chat. Ça ne parle pas, un chat.

Charli referma la porte derrière lui, faisant semblant d’y faire attention. On lui montrait les lieux de son nouveau travail, bibliothécaire à Poudlard, comme s’il ne connaissait pas déjà l’endroit comme sa propre poche. Il était arrivé un jour en retard au volant de sa voiture avec la nonchalance qu’on lui connaissait, et avait ainsi raté la rentrée et le banquet. Sans son uniforme, avec un sac jeté sur son épaule et sa fidèle compagne à poils noirs, il s’était présenté à son poste en coinçant sa baguette dans la poche arrière de son pantalon.
Désireux tout de même de garder son nouvel emploi plus de vingt-quatre heures, il s’était abstenu tout sarcasme et commentaires. Alors Charli était là, à avancer lentement entre les étagères, à laisser glisser ses doigts sur les tables déjà poussiéreuses, et à respirer l’odeur caractéristique qu’il appréciait tant. L’école avait été reconstruite, il le savait, mais la bibliothèque était presque identique à celle qu’il avait connue plus jeune.
Il souffla sur le bout de ses doigts pour se débarrasser de la couche de poussière qu’il avait accumulée et elle vola en milliers de paillettes à travers la pièce, rendues scintillantes par la très faible lumière orangée du soleil qui pénétrait la salle depuis les fenêtres. Il n’écoutait rien de ce que l’autre lui racontait. Ce n’était pas grave, il savait exactement ce qu’il avait à faire ici, c’était comme une deuxième maison. Il leva les yeux au ciel quand il entendit un vague sermon sur ses vêtements et son langage, auquel il devrait maintenant faire attention. Il se demandait quel mouche avait bien pu le piquer. Vouloir travailler dans un endroit rempli d’enfants, et de son plein gré, ça ne lui ressemblait pas. Comme quoi, l’amour - des livres - ça rendait bel et bien stupide. Il était donc là, trentenaire endurci avec l’impression d’être redevenu un adolescent. Comme quoi, tout arrivait.

Il remarqua une jeune fille qui portait les couleurs de Serdaigle, peut-être en deuxième ou troisième année seulement, visiblement très concentrée sur l’énorme volume sur lequel elle était penchée. Il délaissa la longueur ennuyante de la visite guidée pour une activité bien plus intéressante. Sans bruit, il s’assit sur la table et sortit un gros pot de yaourt glacé et commença à le dévorer, les pieds indécemment posés sur la chaise devant lui. Elle ne semblait pas l’avoir remarqué, et il pouvait presque deviner la sueur sur son front et ses méninges qui chauffaient beaucoup trop. Il tripota les oreilles de June pendant quelques instants, mais finit par s’impatienter.

“Qu’est-ce que vous faites là mademoiselle ? Vous n’avez pas cours à cette heure-ci ?” demanda-t-il, sur un ton chargé de reproches et de taquineries, bien trop heureux de pouvoir enfin exercer une autorité certaine à son tour.

Elle sursauta vivement, perdant sa page et faisant tomber ses notes au passage. Elle s’empressa de remonter ses lunettes qui avaient glissé sur le bout de son nez et se leva brusquement sans pouvoir le regarder dans les yeux.

“D-désolée.” bégaya-t-elle, les joues rougies par la surprise et la honte de s’être fait prendre. “J’avais simplement du retard à rattraper.”

Elle baissa les yeux et ramassa ses affaires, impressionnée et déstabilisée. La jeune élève s’enfuit sous le lourd regard de jais de Charli, et déposa le livre sur une étagère en s’échappant de la bibliothèque.
Il se leva à son tour, s’étira, lécha la cuillère comme il se devait et referma son pot, gratifié par un air désapprobateur de la part de sa chatte - elle-même bien trop épaisse pour avoir ce droit. Il passa calmement entre les étages, jusqu’à arriver au niveau de celle où la fille avait laissé son livre. Il déglutit difficilement et afficha une mine mi-dégoûtée mi-irritée en voyant qu’elle ne l’avait pas rangé au bon endroit. Il fit la moue.
Putain de gosses.