Je commençais à me dire que ce petit tour sur la Grande Roue était une bien mauvaise idée à laquelle j'aurais dû m'opposer dès le début. Je n'ai pas peur du vide, mes genoux ne tremblent pas avec la hauteur, mais je ne suis pas rassuré non plus de ne pas être plus libre que cela de mes mouvements. Toucher la terre ferme me fait du bien, mais je me rends vite compte que je suis impuissant, ici-bas. Enfin, impuissant, ce n'est pas comme si je savais me battre en duel et que je pourrais leur venir en aide réellement sans baguette magique. J'essaie de visualiser le combat, mais je ne comprends pas forcément ce qu'il se passe avec le manque de recul. Je les attends en bas et m'impatiente devant la lenteur. Pour sûr, je me retrouverais seul dans ce cauchemar, même lorsque la roue aura suffisamment tourné.

Heureusement, nous ne sommes jamais vraiment seuls. J'aurais préféré l'être, en réalité, mais un clown émet un rire hystérique à moitié caché derrière un banc. Il savoure cet instant et mon cerveau passe en mode alerte. Je n'ai pas d'arme, rien aux alentours qui me permettrait de le tenir en joute alors qu'il sort de sa cachette, un couteau dans sa main droite. Je ne sais pas pourquoi ils ont une telle envie de sang, mais je me rends compte que s'ils tournent tous cannibales, je ne donnais pas cher de nos peaux. Il faut une solution sur le long terme, vite, car même si elles arrivent à descendre, je mettrais ma deuxième oreille à couper que d'autres clowns viendraient à nous pour nous découper.
J'essaie de réfléchir, mais mes pensées s'entrechoquent sous l'effet du stress. Je pourrais transplaner en terrain connu, mais ma toute récente désartibulation me reste en tête. Et si, cette fois, sous le coup du stress et de la peur, je me déchirais tout simplement en deux ? Ignoble, ça serait réellement un carnage. Il me fallait une idée, une vraie, et la meilleure qui me venait à l'idée était - pour que tout s'arrête simplement - de vaincre l'illusion en mourrant. Comme dans les rêves qui tournent en cauchemar, souvent, on se réveille en sursaut à deux pas de sa mort. Je ne sais pas si je peux réellement avoir confiance en notre nouveau Directeur, mais Mère a pas mal d'estime pour lui et je reste convaincu que cette situation n'avait aucun sens. C'était Halloween, on nous incitait à vaincre nos démons et dépasser nos peurs, un événement-surprise où nous n'avions reçu aucune explication de ce qu'était notre but. Mais comme toute personne humaine, je tiens à ma vie et je ne laisserais personne me l'enlever. Je sais avoir l'esprit logique et le bon raisonnement, mais devant la peur, impossible de baisser les armes. Alors je prends mon courage à deux mains et je tente de désarmer le clown, qui rigole de plus belle alors que j'attrape ses deux poignets pour les retenir. Je n'ai pas énormément de forces dans mes muscles, j'ai préféré muscler mon cerveau toutes ces longues années. Alors je me rends vite compte que je n'ai aucun moyen de résister en me mesurant à lui physiquement. Il me repousse et la lame du couteau brille avant de se teindre d'un peu de rouge. Automatiquement, je porte mes mains à mon torse pour me protéger et m'informer de cette nouvelle blessure. Mes mains sont déjà écarlates avec mon oreille en moins, mais je me rends bien compte que la blessure est superficielle. Il dégaine à nouveau et je porte mon poignet en avant qui est touché.


1-2 : Je lui assène un poing dans la glotte et enchaîne d'un coup de pied dans l'entrejambe. La surprise lui fait lâcher son arme que je récupère rapidement. J'ai le temps de bondir hors de l'énorme ombre de la nacelle qui se transforme bientôt en réalité, pas le clown, à genoux, qui succombe dans un Sploch peu appétissant.
3-4 : Il est vrai que je n'ai pas l'âme d'un combattant à mains nues. J'enchaîne les blessures superficielles, mon sang se vide petit à petit et ma tension baisse également. J'ai des étoiles blanches qui me troublent la vision jusqu'à la vision de cette nacelle, trop près de moi pour me dégager. Game over.
5 : Les coups s'enchaînent de part et d'autres, l'arme s'envole et la nacelle écrase le clown.
6 : Les coups s'enchaînent de part et d'autres, l'arme s'envole et la nacelle m'écrase. Game over.

« Rien de cassé ? » Je suis satisfait de mon opération. Plus de clown en visuel, et un couteau gagné. C'est que nos chances de survie remontent en flèche ! À cette pensée et le corps de Savannah retombe mollement quelques mètres plus loin. La gorge tranchée, elle saigne abondamment, et si la chute ne l'a pas tuée sur le coup, ce coup portée à la gorge la certainement fait. Sans réfléchir, je m'arrache un nouveau morceau de chemise, dévoilant un peu ma blessure au flanc, pour appuyer contre le cou de la serpentarde. « Savannah ? Sav ? ... »[/b] Je suis un peu paniqué. Je porte deux doigts à sous son oreille pour capter son pouls, mais rien ne me vient. Je me redresse, agacé par cette situation incontrôlable. Cette illusion devait cesser au plus vite, sans davantage de scènes d'horreur. Mes yeux se relevèrent vers Tracy, soucieux.

La nacelle de Frances m'a certainmement sauvé la vie, même si je ne l'avouerai jamais. J'étais entrain de maîtriser ce clown et j'avais tout pour gagner : l'arme en mains et le clown à ma merci. Néanmoins, cette nacelle me fait pousser un cri de soulagement. Je m'inquiète de l'état de la gryffondor, c'est vrai que tomber de cette hauteur dans la nacelle n'avait pas dû être si agréable ... « Cheville foulée, ou même cassée je crois. J'ai écrasé quoi ? Un clown ? » Je me pince les lèvres, embêté. Je ne sais rien faire pour l'aider. Une cheville met du temps et du repos pour aller mieux, sans magie et nous n'avions ni l'un ni l'autre. « Essaie de ne pas marcher dessus. » J'opine au reste et me sens obligé m'adoucir de son intervention, même si en réalité, ça aurait très bien pu être moi, sous cette nacelle, écrasé comme une crêpe. Nous le savons tous les deux, mais je me sens obligé d'ajouter quelque chose. « Ça en fait au moins un de moins. » Le corps de Tracy tombe près d'elle et je ne peux m'empêcher de fermer les yeux pour me contrôler et essayer de rejeter l'idée qu'elles étaient réellement mortes.

Je n'avais jamais eu de rapport à la Mort, et ça me faisait un peu froid dans le dos, de voir Savannah se vider de son sang par la gorge. Je pourrais jurer que je la voyais encore remuer légèrement, mais je devais simplement me faire à l'idée qu'elle était morte, et que ses nerfs devaient simplement se relâcher pour ne plus bouger à jamais. Jamais. Parce que cet état était éternel. Ça me fit penser aux recherches que je menais avec Tracy, sur la quatrième exception à la Loi de Gamp, sur laquelle il était impossible de créer la vie. Créer la mort était si simple, et le monde des morts gravitait sans cesse autour de celui des vivants. Pensez-vous qu'ils sont rattachés à un endroit ? Les vivants vont vers celui des morts, comment faire pour qu'un mort revienne à celui des vivants ? Quel voyage pourrait-on entreprendre ? Je fermai les yeux un instant pour réfléchir, et pour me laisser envahir par cette émotion étrange. Un frisson et à la fois, cette excitation qui naissait sans raison. Je ne savais pas pourquoi dans le fond, je me sentais bien. Si je m'étais senti mal, ça se dissipait, et même si je ne le montrais pas, Savannah avait l'air tellement calme, à présent, bien plus qu'il y a quelques minutes, bien plus qu'elle ne l'a jamais été. Et si le secret de la Mort, c'était que c'était tellement plus intéressant à vivre que la Vie, que tout le monde décidait d'y rester ? Ça en était presque tentant, mais la volonté de vivre était toujours là. Il y avait des choses que je devais encore accomplir sur cette Terre. Et si je devais accomplir quelque chose sur le continent des Morts, cela viendra lorsque mon heure sonnera, pas avant. « Andrea ? » La voix de Frances me sort de ma rêverie, et je ne peux que relever la tête vers elle. « On peut rien faire pour elles. Faut y aller. » Elle a raison. Tout nous pousse à quitter cet endroit, et à la fois, y rester ne me paraît pas si mauvais. La cheville de Frances ne nous permettra pas d'aller bien loin, et la zone est déserte en termes de clowns pour le moment, autant en profiter. Je repose mon regard sur Savannah, relâche la pression que je me forçais d'exercer sur sa plaie béante à la gorge et me relève. Je ne peux m'abandonner à l'idée de laisser Tracy dans cette position, et la décroche de la nacelle. Sa tête, inanimée, tombe en arrière et je l'assois contre la nacelle de couleur vive et lui ferme les yeux. Je me rends compte que mes mains pleines du sang de Savannah et du mien s'étale sur le visage de Tracy que je remets droit. En lui fermant les yeux, du rouge gît également sur son visage. Je serre la mâchoire et pense à un truc. Je tâtonne ses poches et tombe sur l'objet de mes convoitises. Je savais qu'elle l'avait récupérée. Elle ne se serait pas résolue à la laisser. Je la recollerai dès que possible, à l'infirmerie, mais en attendant, je la glisse à mon tour dans ma poche. Vérifiant que le couteau, volé au clown, peut nous servir, je me tourne enfin vers Frances. « Allons-y. » Je lui tends la main et place mon épaule sous son bras pour qu'elle ne pose pas son pied à terre. Je pourrais la porter, mais je veux être libre de mes mouvements au cas où nous aurions à nous défendre encore.

Nous avançons lentement et je ne peux m'empêcher de vouloir continuer en solitaire. Je sais que nos chances sont meilleures ensemble, mais je me fais déjà à l'idée de devoir l'abandonner si la situation se gâtait. Je ne sais plus si tout cela est une illusion, mais j'essaie de garder la raison en me disant que c'est impossible que le Directeur ne nous égare dans une Fête Foraine - avec les souvenirs que nous portions tous en nous. On ne perdait pas quatre élèves innocemment au milieu d'un réel cauchemar, et c'était Halloween. Une mauvaise blague peut-être, mais j'étais certain que c'était une blague. Nous devions rêver ou être plongé dans les souvenirs de quelqu'un. C'était impossible autrement. « J'avais vu une sorte de cabane hantée depuis la roue, je pense que c'est notre meilleure chance. » Je la fixais dans les yeux et elle avait l'air convaincue que ce soit leur chance. Si c'était sa dernière volonté je la respecterais. J'aurais plutôt privilégié le Train Fantôme, où nous n'aurions pas dû marcher avec sa cheville, mais si cette longue route sûrement semées d'embûches inspirait la fougueuse Gryffondor, pourquoi pas ... Après tout, c'est vrai que leur dernier souvenir remontait à la Cabane Hurlante avant d'atterrir ici. Peut-être qu'il était possible de rejoindre la Cabane d'une manière ou d'une autre et de revenir au Château ensuite sans avoir à mourir ... « Je pense que tu n'aimerais pas mon idée de meilleure chance, alors allons-y. » Je trouvais la situation absurde et à la fois, ce mince sourire un peu fou naissait sur mes lèvres sans que je ne puisse le contrôler. Est-ce que je stressais ? Oui. Est-ce que j'avais peur ? Non. Plus on avançait et plus ça semblait devenir un jeu. Un jeu de mauvais goût, mais d'autres jeux n'étaient pas à mon goût et je les supportais très bien jusque-là.

Nous avons été chanceux pour le moment. Je me demande combien ils sont en tout, mais si on calcule le clown qui a mis en marche la Grande Roue et puis l'a arrêtée, celui qui est resté sur la Grande Roue et celui écrasé, cela faisait déjà trois. Avec celui qui manipulait les couteaux près du stand aux fléchettes, ça faisait quatre. Ce dernier passa par-dessus la table qui le protégeait et courut vers nous. Frances n'hésita pas avant de me lâcher le bras pour pouvoir s'enfuir en courant. C'est que sa cheville n'était pas si mal en point si elle pouvait la poser à terre ainsi ! Je ne pus entendre le couteau siffler à mon oreille de moins, mais je le vis bien se planter dans son mollet intact. Elle s'arrêta nettement, et je ne pus que me saisir du décor pour nous protéger du deuxième couteau qu'il tenait en main. Sortant le couteau que je cachais dans ma poche, je me protégeais derrière le panneau en bois découpé dans la forme d'un monstre pour ne pas être touché par un autre lancer. Je l'entendis rire et sentis le choc du couteau qui se planta en plein dans le visage du monstre. Un coup d’œil vers le clown pour voir qu'il avait sorti deux nouveaux couteaux, et se rapprochaient dangereusement. Je devais faire quelque chose pour arrêter son avancée, et si possible le mettre hors d'état de nuire. Sans réfléchir, j'arrachai le couteau planté dans la jambe de Frances pour être à armes égales.
« Restes à couvert ! » Et je sortis de ma cachette pour affronter leur opposant. Si je n'y parvenais pas maintenant, retarder l'heure semblait absurde.

Dés:

Tout se passe réellement vite, et je ne suis pas très doué à l'exercice. Mon premier couteau se plante dans l'herbe, à deux mètres du clown tandis que lui me touche inévitablement au flanc. Je porte ma main libre pour ré-arracher le couteau et presser la plaie. Je sais que je vais perdre énormément de sang encore et ma vision se trouble. Je sens mes derniers instants arriver, mais pour l'heure, je suis bien vivant, et encore à même de changer le futur. Je plisse des yeux pour voir ma cible à travers les taches blanches qui dansent devant mes yeux et vise de nouveau mal, le clown intact. Lui réplique avec son deuxième couteau et touche le carton. J'ai eu peur, mais il n'est pas si doué que ça, au final. Je tousse et crache sans savoir avaler ma salive, serrant ce dernier poignard comme si c'était ma vie. Il fallait que je vive, il le fallait.

Je perdais trop de sang. Je le savais, je n'étais pas idiot, j'étais fini. J'avais beau presser mes mains sur mon abdomen, presser des morceaux de tissus que j'arrachais hystériquement de ma chemise, rien ne retenait mon sang écarlate. Ma vue était brouillée, et bientôt, mes jambes ne savaient plus porter le poids de mon maigre corps, je tombai à genoux, m'effondrant au ralenti sur le sol poussiéreux. Je respirais de plus en plus bruyamment, de plus en plus fort. Je fermai les yeux, car ma vue brouillée ne faisait que trahir mes autres sens. J'entendis des pas qui me dépassèrent. Le clown s'en allait. C'était ma chance. Mais je n'avais plus la force de bouger, plus la force de fuir et de me cacher, ni de répondre à ses lancers parfaits, par les miens risibles. Des gémissements qui cessent soudainement. Je comprends que Frances n'est plus avec moi. Que je suis seul. Que je mourrai seul. Je m'enfonce dans les limbes, doucement. Je n'ai plus assez de sang et je gîs sans plus faire le moindre mouvement. Le clown doit me croire déjà mort car mon cœur a ralenti, mon pouls est extrêmement faible et mon torse ne se soulève plus. Ma tête se tourne sur le côté, le sang qui gicle de mon oreille coule sur mon visage, jusqu'à l'ouverture de mes lèvres et s'écoule, mais je ne réagis plus. Je suis loin. Endolori, mes doutes sont de plus en plus forts et bientôt, je perds espoir de ne jamais me réveiller. Mes pensées vont vers Mère, et moi. Mais dans un sens, je me trouve changé. Je ne sens à présent plus rien, et c'est agréable. Oubliée la douleur, oubliée les clowns, oubliée ce sang et cette oreille en moins, ces plaies béantes sur mon abdomen.

Mes yeux picotent et je me réveille doucement. La cabane hurlante se dessine devant moi, de mes yeux vifs et agiles. Je ne m'agite pas et retrouve cette sensation de vivacité lorsque je bouge les extrémités de mon corps. Mes doigts chatouillent, mes orteils frémissent, et je me sens vivant. J'avais raison. Je suis satisfait de ma logique, qui ne m'abandonne jamais. Oui, j'ai douté de ne plus jamais me réveiller, parce que je sais que je suis mortel, humain et donc, tourné vers l'erreur et la faiblesse. Je devais apprendre à ne plus être humain ... Je vais me concentrer sur mes recherches, en Alchimie, sur la résurrection, et consacrerai mes connaissances à vivre.