Je n'étais pas pressé d'être à demain. Tout le monde ne parlait que de ça pourtant, Halloween par-ci, Halloween par-là... Mais le bordel du dernier bal m'avait largement coupé l'envie de foutre les pieds à celui-là. Je trouverai mieux à faire que regarder Daniela et Fassbach roucouler sous mon nez, Thomas jouer les bouffons avec Potter ou Max oublier totalement l'existence du monde parce qu'il avait une meuf... Non, franchement, le bal, c'était mort... J'en étais là de mes réflexions stupides, vautré sur mon lit, observant sans un mot la silhouette endormie de Quincey qui me semblait quand même vachement loin couché sur le sien quand ça commença à gueuler. Sur le coup, j'avoue, j'ai pas fait gaffe, je pensais seulement que c'était des abrutis qui s'amusaient à se faire peur. La date et la nuit devaient mettre dans l'ambiance. Mais ça a continué un peu plus longtemps. Un peu trop longtemps. Jusqu'à ce qu'on puisse clairement entendre « attaque ». Mon cœur s'est emballé. Comment ça, « attaque » ?! Le bruit ne se calmait pas. De pire en pire, même. Je me suis relevé d'un bond, attrapant ma baguette posée sur ma table de nuit, croisant le regard de Thomas visiblement aussi paumé que moi. C'était n'importe quoi. Dans l'escalier menant aux dortoirs, c'était déjà la merde. Tout le monde sortait en panique, en courant, parlant sans écouter les autres. C'était pas bien difficile de réaliser qu'aucun d'entre nous ne comprenait vraiment ce qu'il se passait. Certains avaient l'air encore à moitié endormi, la plupart toujours en pyjama. Mes doigts se resserrèrent autour de ma baguette et je suivis le mouvement vers la porte. On voulait tous savoir ce qu'il se passait. Si c'était une blague, il y avait fort à parier que le coupable allait prendre cher ! Et j'étais partant pour lui en faire baver jusqu'à la fin des temps, même, s'il le fallait.

À peine le temps de mettre le nez dehors que l'impensable nous frappa tous. Une attaque. Une vraie. Je restais immobile un instant, sous le choc. Ça renvoyait des années en arrière. Un temps qu'on avait pas connu, un autre qui nous en avait fait baver. « Daniela ! » C'est la première chose qui m'est passé par la tête. On était dans la même merde, elle et moi, et je voulais la voir. Maintenant. M'assurer qu'elle allait bien, pouvoir la protéger s'il fallait. J'ai joué des coudes pour avancer plus vite, dégageant sans ménagement les abrutis qui gênaient. Personne ne s'en formaliserait ce soir. C'était l'Enfer. Manque de chance, il fallut oublier mon objectif et ma meilleure amie. Je voyais certains bleus se faire la malle dans les escaliers mais le chemin était désormais bouché. Pas la peine d'espérer rejoindre le premier. « Je sais qu'on vous a toujours dit de ne pas lancer de sorts sans qu'on vous y autorise. Ce soir est un cas particulier, faites tout ce que vous pouvez pour vous défendre. Je reste avec vous pour protéger le couloir, si vous voulez vous réfugier dans la salle commune, allez-y. » La voix de Winslow était quand même rassurante. Je hochai la tête comme pour répondre à son ordre, à moins qu'il s'agisse d'un conseil...? Qu'importe, il avait raison, ce soir, ce serait feu à volonté. Et lui prit mes pensées au pied de la lettre en lançant un sort. Cramer les gens, sérieusement ?! Devant des mioches ?! Un frisson de dégoût et d'excitation me parcourut brusquement. C'était n'importe quoi ! « Y'a des mômes, abruti ! » C'était plus fort que moi, et je ne m'en étais même pas rendu compte avant de m'entendre parler. Insulter un prof, idée foireuse... Je ne pris pas la peine de rester là dessus, j'aurais sûrement pas de sanction là maintenant tout de suite. Mieux à faire. Je brandis ma baguette à mon tour, tâchant tant bien que mal de rester devant les plus jeunes d'entre nous, faire bouclier au besoin le temps qu'ils reviennent sur leurs pas et se mettent à l'abri... « Immobilus ! » Si le couloir pouvait éviter de devenir un cimetière sous les yeux des gamins...

J'imagine que si l'Enfer existait sur Terre, il ressemblerait à ce qu'on a connu cette nuit-là. Se retrouver abrutis au milieu d'un champ de bataille ne fera jamais partie des expériences que j'aimerais revivre un jour. Et pourtant, Dieu sait à quel point je suis partant dès qu'il s'agit de régler des comptes sans avoir à parlementer. Mais pas là. Pas ce soir. Pas alors que le château tout entier devait être dans le même cas que nous, croisant désespérément les doigts pour que l'issue nous soit favorable. Ou pas trop défavorable en tout cas. Si j'espérais qu'il n'arriverait rien à ceux qui me tenait compagnie de force, j'espérais surtout que d'autres seraient indemnes. Daniela et Max en tête de liste. J'espérais même plutôt qu'ils aient joué les lâches et soient restés bien à l'abri mais ça semblait peu probable. « C’est la guerre crétin. Que les gosses se jettent par la fenêtre s’ils ne supportent pas ça. » Inutile de discuter avec ça. Du temps de perdu, rien d'autre. En attendant, nos sortilèges ne servaient à rien, tous repoussés un par un. Qu'est-ce qu'on avait l'air con à brasser du vent, comme ça ! Ça devait bien se marrer, dans l'autre camp, en nous voyant ramer en attendant un miracle. « Mr. Selwyn a raison, dans une certaine mesure. Si on veut protéger ces enfants, nous ne devons pas leur laisser la chance de les attaquer. Je préfère devoir m'occuper d'eux pour ce qu'ils ont vu que devoir dire à leurs parents que je n'ai pas pu les protéger ! » C'était rageant. Ce prof était de plus en plus décevant. Pire que ça, même. Si j'avais eu un tant soit peu confiance en sa jugeote un jour, c'était mort. Définitivement. En espérant qu'on le soit pas bientôt, nous. Bien sûr, je pouvais comprendre le problème, mais c'était un raisonnement complètement con. « C'est Sainte-Mangouste qui les attend, pas un câlin d'leur dirlo avant d'dormir ! » Alors, d'accord, cramer du méchant c'était une idée brillante, mais il y avait d'autres moyens de ''ne pas leur laisser la chance de les attaquer'' ! Des moyens moins traumatisants...

Deux aigles apparurent soudainement dans le couloir. Voilà qui était mieux ! Et en plus, même si ça venait de Winslow, c'était classe ! Un coup d'oeil derrière m'apprit malheureusement que les mômes n'avaient toujours pas rebroussé chemin. Putain mais elles attendaient quoi ?! Si aucun d'entre nous n'avaient envie d'être là – j'espère en tout cas – c'était définitivement pas la place de gamines ! J'avais envie de les attraper par le col de leur pyjama et de les refoutre de force à l'intérieur. Ç'aurait pu être ma sœur à leur place ! Et jamais je l'aurais laissée mettre rien qu'un cheveu à l'extérieur de cette maudite salle commune. Il ne pouvait pas y avoir un génie pour venir les récupérer, non ?! Qu'est-ce que foutait Thompson quand on avait besoin de lui ? Même Potter aurait fait l'affaire. N'importe qui ! Les aigles filèrent vers l'un de nos adversaires. Je le regardai un instant se débattre avant qu'un sortilège ennemi ne s'explose contre un mur à proximité. Ouais, ok, j'ai compris, pas le temps de rêvasser ! Je n'avais jamais tant voulu être chez moi. Ne pas revenir, éviter tout ça. Mais d'un côté, ça voulait dire abandonner Danni et rien que l'idée était juste insupportable. C'était difficile de viser, ça bougeait dans tous les sens, je craignais malgré tout qu'un élève se pointent par hasard et se bouffe les sorts à la place des autres – même si ça ne dérangeait visiblement que moi... « Confundo ! » Loin de moi l'envie de ne pas leur faire payer ce qu'ils nous faisaient subir mais je n'avais pas envie que les mioches terminent leur vie complètement tarées à revoir des cadavres par dizaine à chaque fois qu'elles fermaient les yeux. C'était peut-être la guerre mais ça ne nous obligeait pas à tomber aussi bas qu'eux, en face...

Il y avait souvent eu un fossé énorme entre ma vie sorcière et les principes moldus qu'on avait pu tenter de m'inculquer pendant des années. Je n'avais jamais été très réceptif à tout ça mais on avait jamais été très impliqués dans mon apprentissage. Mes bases avaient toujours été particulièrement floues. Sauf qu'au moment où j'ai vu Sheepard imiter Winslow, j'ai compris que ça n'était peut-être pas pire que les gens d'ici. Chez moi, on ne brûlait pas impunément les gens. Défense ou pas. Honnêtement, avec le nombre de bagarres auxquelles j'avais assisté ou participé, c'était la première fois que je voyais ça. Comme si c'était normal. Sauf que ça ne l'était pas. Quelques choses ne tournaient pas rond, dans leur tête. Il était question de se défendre, pas de faire cramer la moitié du camp adverse ! Comme si tuer des gens dans d'atroces souffrances, c'était quelque chose de banal. Il y avait des dizaines de sortilèges pour les empêcher de nuire proprement, pour pouvoir les conduire direct à Azkaban et laisser les détraqueurs s'occuper d'eux mais non, mieux valait faire le sale boulot nous-mêmes ! Ça collait tellement pas à l'image discrète et froussarde qu'elle renvoyait, la gamine, en plus. Elle aurait dû être là chouiner, à tout faire pour rentrer à l'intérieur, pas jouer les warriors pyromanes sur un champ de bataille ! Et si je pensais avoir assisté au pire, j'ai rapidement déchanté. « Tu vois Overton, les gamins savent se défendre et aiment le feu. » Selwyn avait pris la peine d'ouvrir sa gueule une fois de plus sans que je ne sois assez débile pour répliquer. On avait autre chose à foutre que de se tirer dans les pattes, mieux valait tirer dans les leurs. Ce qu'il fit trois secondes plus tard. En essayant de les faire littéralement exploser. Le regard que j'ai lancé à Winslow en disant long sur ce que je pouvais bien en penser mais lui n'eut aucune réaction. Ah ouais ?! Alors c'était comme ça que ça se passait, ici ?! Il n'y avait finalement pas un camp « gentil » et un camp « méchant », c'était juste deux groupes de gros tarés psychopathes se battant pour des causes passablement différentes – ce sur quoi je n'aurais rien parié. Ils ne valaient pas mieux que ceux qui nous attaquaient.

Je suis désolé, mais je trempe pas là-dedans ! J'avais jamais été un enfant de chœur mais il y avait des limites. J'avais un semblant de conscience, des notions de bien et de mal encore présentes et toute la panique et les guerres du monde n'y changeraient rien ! Sans m'en rendre vraiment compte, je reculai légèrement dans le couloir, mettant une certaine distance entre les trois cinglés et moi. Dire qu'ils me faisaient peur serait mentir, c'était plus du dégoût, une haine violente et inattendue. Je ne voulais pas être assimilé à ça ni même m'y assimiler tout seul. Avant que j'arrête le fil de mes pensées, un sortilège fusa. Je réussis à l'éviter de justesse. Puis un second avant même que le premier ne s'écrase contre le mur. Celui-ci réussit à atteindre sa cible. Sérieuse. Une môme ! Qui devait avoir plus ou moins l'âge d'America. Ils étaient lâches au point de prendre des gamines pour cible ! Des gamines putain ! Ça n'avait pas l'air d'être qu'une égratignure. Heureusement, Winslow pourrait sûrement arranger ça avant qu'on l'envoie à l'abri. « Sheepard, emmenez Call dans la salle commune et trouvez un des élèves qui pourrait la soigner. Ils apprennent des sorts de soin à partir de la quatrième année. Nous, on les retient ici ! » Quoi ?! Il la laissait entre les mains d'autres élèves, comme ça, sans rien faire ?! Sans même savoir s'il y en avait un assez doué pour la soigner correctement ?! Il voulait qu'elle crève ce soir ou ça se passait comment ?! Mes doigts se resserrèrent brusquement sur le manche de ma baguette alors que je me faisais violence pour la fermer. Il devait savoir ce qu'il faisait, il était prof, après tout. Ou pas... Bordel mais quel fils de pute, lui aussi ! Comme ces chiens qui nous prenaient en traître, en surnombre et s'attaquaient à des enfants ! « Stupefix ! » Mais qu'on ne compte pas sur moi pour tomber aussi bas que tout ce beau monde-là...