Le couloir est à peine éclairé par une ou deux torches rougeoyantes. Je n'ai pas pris la peine d'allumer ma baguette, pourtant je la tiens fermement dans ma main, prêt à la brandir en cas de besoin. Besoin de quoi, j'en sais rien, mais dans le doute... Le silence est parfait, seulement brisé par mes pas. Pourtant, je fais ce que je peux pour être silencieux mais ça ne suffit pas. Chaque bruit rebondit sur les murs encore et encore. Si je me fais pas repérer rapidement, ce sera un miracle. Je ne crois pas vraiment aux miracles, malheureusement... Il ne fait pas très chaud, en plus. Je regrette de ne pas avoir pris de pull. Mon tee-shirt est une bien maigre couverture. Je regrette à peu près tout, en réalité. De n'avoir rien sur le dos ou presque, d'avoir quitté mon dortoir, de m'être embarqué là-dedans. Moi, sérieusement. Je ne suis pas le garçon le plus exemplaire du château, j'imagine, mais je n'ai jamais vraiment enfreint le règlement. Pas lorsqu'il ne le fallait pas vraiment, en tout cas. Et là, honnêtement, il ne le faut pas vraiment. J'aurais très bien pu m'en passer. Un rat s'enfuit, rapidement suivi par un chat, manquant de me faire avoir une crise cardiaque. Je m'arrête un instant en tâchant de calmer mon cœur. Ça me rappelle les vacances et le château hanté qu'on a visité avec Bella. Sauf que ça faisait peur mais que c'était drôle. Là... Là il n'y a rien d'amusant. Pire que tout, je risque des ennuis. Je n'ai pas envie que ma mère reçoive une lettre pour lui apprendre que j'ai fini en retenue pour m'être baladé en pleine nuit. Cette fille me rendra complètement taré. Rosenbach, je veux dire, pas ma mère. Ni Bella. Dans le fond, j'aurais mieux fait de la dégager quand elle est arrivée dans ma soirée, la dernière fois, ça aurait arrangé tout le monde. Je n'aurais pas manqué de me faire tuer par une armoire à glace vivante, je ne me serais pas laissé aller à embrasser la tortionnaire de ma meilleure amie (je ne la mérite pas, je sais, je culpabilise plus que vous le pensez) et je ne serais pas là, à me balader dans les couloirs d'une école endormie. Tout ça à cause d'un jeu stupide. Vraiment stupide même... J'entends encore sa voix me lancer un nouveau défi... « Cap ou pas cap de passer la nuit dehors, tu parles ! Quelle conne, j'vous jure. » Ce n'est qu'un murmure lâché dans l'espoir qu'entendre quelqu'un me rassure, quand bien même ce n'est que moi. « C'est vraiment glauque ici... Quelle idée d'y foutre des gens, sérieux... » J'ai l'impression que mes pas résonnent bizarrement, limite deux fois, alors je me tais et accélère la cadence.

Le meilleur moyen d'éviter les préfets, c'est de bouger, non ? Franchement, j'en sais rien, mais c'est la meilleure technique que j'ai trouvé. Ça m'évite de trop penser. De trop stresser. Alors depuis je sais pas combien de temps, je me balade. Oh, au début, elle était avec moi mais visiblement, surveiller que je faisais bien son défi de merde l'ennuyait alors elle est partie en me plantant là. Je ne sais même pas pourquoi je reste, moi. Elle a sûrement rejoint son dortoir, je devrais sûrement faire la même chose. Ouais, c'est ça, je devrais retrouver mon lit. Keagan va se demander ce que je fous d'ailleurs, c'est vraiment pas mon genre de découcher. Enfin, si. Mais pas à Poudlard. En deux ans qu'on partage notre chambre, j'ai pas manqué une seule nuit. Sauf celle-là. Elle n'est pas complètement finie, encore. Je pourrai peut-être grapiller quelques heures de sommeil avant d'aller prendre mon petit-déjeuner, demain matin. Heureusement, c'est vendredi soir, demain, j'aurai pas cours. J'aurais pas été assez bête pour accepter son défi en pleine semaine. Je suis pas vraiment convaincu, j'avoue. C'est bon, ça me saoule ! « Tant pis pour son défi, je rentre. » Faut vraiment que j'arrête de me parler, moi. J'arrive au bout d'un couloir et ralentis. Le plus tôt j'arrêterai ce truc mieux ce sera. Faut vraiment que j'arrête de me faire entraîner dans les conneries de Rosenbach, sérieusement... J'ai à peine le temps de faire demi-tour que j'étouffe un cri. Je suis plus aussi seul que je le croyais. Duke Selwyn est là, juste derrière moi, et vient de me filer la peur de ma vie. Entre lui et le rat de tout à l'heure, je vais finir par croire qu'on veut ma mort. C'était finalement peut-être pas que mes pas que j'entendais depuis tout à l'heure. Ou alors j'étais trop occupé à me faire la discussion pour y faire attention. Depuis combien de temps il est là ? « Tu me suis, toi, maintenant ? » Je frissonne. Le froid. Ou une certaine inquiétude, je sais pas trop. Je me sens pas en danger, qu'on soit bien d'accord, il est un peu chiant ce gars mais je crois qu'il m'apprécie. Enfin, moi, j'ai rien contre lui en tout cas. Mais c'est jamais très agréable de réaliser que quelqu'un a rien d'autres à faire de sa vie que ça... Surtout la nuit. Et dans les cachots. Franchement, tout est beaucoup plus flippant ici et maintenant... J'ai vraiment été stupide.

Sa baguette pointée sur moi, je ne me sens pas particulièrement fier. Je ne sais pas si un jour il y aura des films d'horreur sorciers, mais cette scène-là pourrait être récurrente sans problème. Je mets quelques secondes à réaliser que je ne risque pas ma vie avec un lumos mais le mal est fait. Et lui, il se fout bien de ma tronche. Je soupire en secouant légèrement la tête, l'air passablement dédaigneux. Du château tout entier, il a fallu que ça tombe sur lui, pauvre idiot content de m'avoir fait peur pour rien. Génial, merci le soutien. Dans le fond, je ne sais même pas s'il fait partie des relations positives de mon existence. Il n'a jamais fait partie de madite existence, en réalité. Juste un camarade de classe là au mauvais endroit au mauvais moment et étonnamment plus présent depuis. N'allez pas vous faire d'illusions, sa présence reste vague, on ne se parle pas quotidiennement et c'est pas le meilleur ami que j'ai au monde. Je ne sais pas ce qui a changé. Je ne sais pas vraiment où se situe son intérêt. Je veux dire, d'accord, il en sait malheureusement plus que d'autres à mon sujet, mais il n'y a rien d'extraordinaire pour autant. Je pense même qu'il se fait des idées, en réalité. Qu'il voit dans ce secret plus qu'il n'y a à y voir. Peut-être qu'il m'imagine même une double vie incroyable au sein même du château, quelque chose du genre élève le jour et amant de nos charmantes enseignantes la nuit ? Je ne sais pas. Je sais juste qu'il est probablement loin du compte. Et que, dans le fond, ça me dérange un peu. Je n'ai aucune envie qu'on s'intéresse à moi pour ça. Pas ici. Je donne assez dans ce registre à la maison. Qu'il y ait au moins un endroit sur cette planète où les gens cessent de voir en moi avant tout ce que je fais plutôt que ce que je suis. Je me remets péniblement de ma frayeur tandis qu'il commence à se déshabiller au beau milieu du couloir. Je croise les bras en frissonnant une nouvelle fois, suivant ses gestes avec attention sans parvenir à les comprendre. « Qu'est-ce que t... » Je n'ai pas le temps de finir ma question qu'il remet sa cape et me tend son pull. « Déjà mets ça le Poufsouffle ! » Je tends machinalement la main vers le vêtement, peu convaincu. « C'est gentil mais pas nécessaire. Je remonte me coucher. » Qu'importe si mon défi tombe à l'eau. Je vois pas trop comment elle le saura, déjà, et puis ses gages ne me font plus très peur. Lui balancer des info inédites à mon sujet, c'est dans mes cordes. De toute façon, je n'ai pas grand chose à cacher, ma vie tient presque du domaine public, dans son ensemble.

Mon regard se perd dans l'observation du blason cousu sur son pull. Je ne suis pas particulièrement fier de mes couleurs. Je m'en fiche même plutôt pas mal. Je fais ce qu'il faut pour ne pas faire perdre de points pour rien (sauf ce soir où je ne peux que croiser les doigts pour que personne ne nous tombe dessus) mais je ne vais pas dénigrer les autres maisons ou la jouer coup bas pour gagner quoi que ce soit. Ça ne m'intéresse pas. Cela dit, je n'ai jamais enfilé d'autres uniformes que le nôtre et l'idée de passer pour un traître ne m'enchante pas vraiment. « Puis après je pensais que tu allais voir une cliente… » Je grimace malgré moi. Soit la discrétion n'est pas son fort, soit il a clairement décidé de me faire chier. Dans les deux cas, ça marche très bien. Je me crispe légèrement et lui lance un regard assassin. « Parle plus fort, tout le monde a pas entendu. » C'est plus un grognement las que la digne suite d'une conversation mais qu'importe, il fera avec. « …curieux et amusé de ce qu’il allait se passer je te l’avoue, voilà. » Je lève les yeux au ciel. « Curieux et amusé » ? Parce qu'il a des doutes sur comment ça fonctionne, peut-être ? Qu'il ne compte pas trop sur moi pour lui apprendre comment on fait les bébés. Un nouveau frisson a raison de mes doutes et je finis par enfiler son pull. Je fronce légèrement les sourcils alors qu'une odeur s'impose plus franchement. Je ne sais pas ce que c'est que son parfum mais il sent bon. Je trouve ça perturbant de sentir autre chose que moi, mais ce n'est que l'espace d'un instant, ce n'est pas dramatique. Pour un peu qu'il me suive jusqu'à l'entrée de ma salle commune, je n'aurais même pas à expliquer à qui que ce soit ce que je fabrique avec ce pull qui ne m'appartient pas. En réalité, je me fiche pas mal d'avoir à débattre sur le sujet de la nécessité d'accepter ou non qu'un Serdaigle presque inconnu joue les preux chevaliers (ce qui sous-entend malheureusement que je suis la damoiselle en détresse) mais je pourrai certainement survivre sans en passer par là. « En tout cas, désolé de te décevoir, mais tu fais fausse route. » Il mord dans sa pomme tout en souriant. Je ne sais pas pourquoi je reste à lui faire la conversation. Déjà, on est même pas vraiment amis, en plus, si jamais un préfet ou un professeur passe dans le coin il y a fort à parier qu'il me laissera me débrouiller voire me fera clairement porter le chapeau s'il en a la possibilité, et comme si ça ne suffisait pas, je serais sûrement bien mieux sous ma couette qu'à moisir au beau milieu des cachots les plus humidement glauques de tout Poudlard. « Je rejoins personne, elle vient de partir. » Techniquement, ça fait un moment. Et niveau cliente, c'est pas trop ça. Mais qu'importe, il n'est pas obligé de savoir que je joue les rats de laboratoire pour faire plaisir à la pire idiote du château. Mes doigts finissent par s'emparer de son fruit avant que je ne croque dedans à mon tour, comme si j'étais chez moi. « Et toi, alors ? C'est la seule envie de me voir qui t'a poussé à te lever en pleine nuit peut-être ? » J'ose espérer que non, mais il faut bien avouer que ce serait plutôt flatteur...

J'aurais mille et une raisons de le planter là mais je ne le fais pas. Mon dortoir m'attend, pourtant. La chaleur rassurante de ma couverture m'appelle, je l'entendrais presque d'ici. Là, à attendre que le temps passe au milieu de nulle part, je risque seulement de croiser le chemin de quelques détenteurs de l'autorité Poudlardienne. Les points en moins et les heures de colle n'ont jamais vraiment fait partie de mes hobbies favoris. Je vois d'ici débarquer une Burgess échevelée et en rogne d'avoir été réveillée par nos conversations inutiles. Le spectacle ne m'enchante pas. Je sens son regard suivre chaque geste que je fais pour enfiler son pull comme le mien avait suivi les siens lorsqu'il l'a retiré. Le degré de compréhension est bien plus élevé dans mon cas, pas la peine de me fixer comme ça, il sait très bien ce que je fais puisqu'il me l'a lui-même conseillé. « Qui viendrait nous écouter si tard dans la nuit ? » Il semble s'amuser de la situation et il faut bien reconnaître que ça ne m'étonne pas. Je le trouve un peu bizarre. Rien que sa présence ici, en fait. Moi, je sais que je peux me l'expliquer mais lui... La coïncidence sûrement mais tout de même. Le château est grand, pourquoi maintenant, pourquoi ici ? « Qui sait ? Je ne m'attendais déjà pas à ce qu'on me suive si tard dans la nuit, je serais plus à ça près. » Honnêtement, sa présence ne me dérange plus autant qu'au début. Sa baguette est loin de moi et il n'a plus l'air d'un dangereux psychopathe seulement là pour me faire choper une crise cardiaque. Il met fin à son sort, laissant l'obscurité reprendre ses droits sur le couloir. Je ne dis rien mais je ne suis pas particulièrement rassuré. Les torches qui m'éclairaient se sont quasiment éteintes. Je bouge de quelques centimètres dans sa direction, le plus silencieusement et innocemment du monde, comme si je voulais seulement me dégourdir un peu les jambes. En réalité, je suis surtout prêt à m'en servir comme bouclier humain en cas de besoin. Cette technique a déjà fait ses preuves avec Baskerville, durant l'été. Traumatisme quand tu nous tiens...

Je regrette presque aussitôt d'avoir ouvert la bouche pour laisser filer des informations à moitié fausses. Ou pouvant mener à plusieurs interprétations, en tout cas. Parce qu'il n'y a rien de faux dans le fait que je ne rejoins personne ou que Rosenbach vient de me planter là comme un crétin. Tout est vrai. Mais je laisse planer le doute sur nos activités et le doute en question n'a rien de réel. Ni même de légitime. Si j'ai bien essayé de faire de notre relation (encore faut-il que c'en soit vraiment une, ce dont je ne suis pas sûr, elle n'est rien pour moi, juste une fille rencontrée malheureusement à une soirée) autre chose qu'un jeu de mômes, ça a été un échec lamentable. Je ne lui en veux pas, qu'on soit bien d'accord, et je la comprends parfaitement mais cela ne change rien au résultat. Elle n'est ni une cliente ni une amante, rien qui puisse aller dans le sens de ce qu'il a l'air de croire. « Donc ta cliente est une Serpentard, en voilà une info’ croustillante ! » Je hausse les épaules. C'est aller bien vite en besogne, ça. Il est sûr de lui et son assurance m'amuse. Est-ce qu'il croit vraiment que je serais assez stupide pour rester sur les lieux d'un délit en attendant qu'on vienne m'y cueillir sagement ? Qu'une pauvre fille me demanderait de la rejoindre à deux pas de sa salle commune et pire encore que j'accepterais ? La discrétion n'est définitivement pas son fort. Brouiller les pistes, rester vague... C'est la base. Surtout dans un endroit clos comme l'est l'école. Je n'ai rien fait ici, jamais, mais ça ne m'a jamais empêché d'y penser. Au début, surtout. L'angoisse que la frontière se brouille et que je ne sois plus à jamais que le mâle serviable et obéissant que je suis en dehors. Je croise les bras sur mon torse. Le tissus de son pull se tend un peu et laisse voir plus clairement l'aigle cousu. « Y'a rien d'étonnant. Tout le monde sait que les demoiselles les plus désespérées de l'école sont vertes. » Les plus jolies, aussi. Je repense malgré moi aux nombreuses photos que j'ai de Knight, sans même qu'elle ait conscience de la moindre, au sourire ravageusement rare de Rosenbach ou aux jolies boucles blondes de Tajero...

Tout cela ne m'apprend rien sur les raisons de sa présence ici. Est-ce qu'il y en a une, au moins ? Je commence à en douter. Peut-être qu'il n'a bougé que pour me suivre. Que le hasard l'a foutu sur mon chemin bien plus tôt et qu'il joue les ombres silencieuses depuis de très nombreuses minutes. Heures, peut-être même... L'obsession n'est pas quelque chose qui me flatte beaucoup. Au contraire... C'est même un peu flippant. « Je crois que c’est pas un secret sur l’amour que je porte à ma maison non ? Alors je m’éloigne le plus de ces boulets. » Je reste interdit. Ça n'a pas beaucoup de sens. Pourquoi partir à l'autre bout du château pour s'éloigner de gens qu'il retrouvera dès le lendemain matin ? Et puis... On est au beau milieu de la nuit, les gens dorment, sa salle commune lui aurait sûrement offert le calme et l'éloignement dont il semblait rêver. La nôtre, en tout cas, est déserte 95% des nuits de l'année et je suppose que c'est la même absolument partout. « Tu peux avouer que tu voulais qu'on passe un moment en tête-à-tête au lieu de te trouver des excuses, je ne t'en voudrai pas. » Je ponctue ma plaisanterie (admettons que c'en soit une) d'un clin d’œil aguicheur. Je jette un regard désintéressé bien qu'un peu inquiet autour de nous. La nuit et les pierres sombres des murs de ces maudits cachots ne m'aident pas et je ne vois pas grand chose alors j'esquisse un pas vers là d'où je viens, bien décidé à rejoindre le Hall et, bientôt, mon dortoir. « J'ai pas l'intention d'attendre qu'un prof nous tombe dessus. Tu viens ? » Autrement dit « raccompagne-moi ». De toute façon, c'est sur son chemin alors ça ne lui coûte rien, n'est-ce pas ? Je n'ai pas très envie de me balader dans les couloirs de cette vieille bâtisse tout seul. Les souvenirs du château hanté des vacances me restent et assassinent le peu de courage que je pouvais avoir. « Mais dis moi, pour quelle raison fais-tu ça toi ? » Sa question me surprend. Elle me dérange. Elle me force à réfléchir à des choses que je n'aime pas. Je hausse vaguement les épaules. Il s'attend à quoi, sérieusement ? Si j'étais honnête, j'avouerai que je n'en sais rien. Parce que j'ai été stupide une fois dans ma vie et que le destin a voulu me le faire payer. Parce qu'on avait besoin d'argent et que c'était un moyen simple et efficace d'en ramener à la maison. Parce que ça me donnait l'impression d'être important pour quelqu'un rien qu'un moment et que j'en avais besoin d'attention autant qu'elles. Mais je ne le suis pas alors ma réponse est tout autre. « Y'a plus déplaisant que d'être payé pour se taper des jolies filles, non ? » J'aimerais que ça ne soit que ça. Et que ça soit vrai, également. Si seulement...