Je ne peux pas dire que j'aime véritablement la rentrée. Je pense que je suis comme tout le monde et que revenir en sachant pertinemment que les cours reprendront aussitôt ne m'enthousiasme pas particulièrement. Mais d'un autre côté, je n'ai rien contre l'idée de m'enfermer pendant des mois dans ce château loin du monde. Je n'ai rien contre la vie que je mène à Lucan (enfin, si j'ai des choses contre mais pas assez pour me la faire véritablement détester, quoi que j'en dise) mais j'ai l'impression d'être plus à ma place ici. Bien sûr, il y a toujours des moments de flottement pendant lesquels tout me manque mais ils ne durent jamais bien longtemps et je parviens à m'en sortir correctement. Cette année a même un avantage particulier qui me rassure plus que ça ne devrait : je n'ai pas d'examens importants. Contre toute attente, mes BUSEs n'ont pas été une véritable catastrophe. Il y a des matières dans lesquelles je me suis lamentablement planté (j'ai quand même eu un D en potions...) mais j'ai réussi à avoir assez de bonnes notes pour ne pas redoubler ma cinquième année. C'était quelque chose qui me faisait peur, ça, de redoubler une fois de plus. Sérieusement, vous m'imaginez sortir de l'école à quasiment vingt-et-un ans ? Pas moi. De toute façon, si j'avais dû redoubler, je pense que je ne serais pas revenu à Poudlard. Je ne vais pas refaire toutes les classes deux fois. Enfin, toujours est-il que ce n'est pas le cas. Et je ne suis pas non plus Préfet, contrairement à ce que voulait Bella, ce qui ne peut que me faire plaisir ! C'est Milo qui a hérité du poste. L'image que j'ai de lui n'est pas celle d'un leader mais peut-être que je me plante. Il faut bien dire que la seule fois où on a vraiment passé du temps ensemble (entre guillemets parce qu'on ne peut pas franchement rétendre qu'on en avait envie) on était pas à notre avantage, ni l'un ni l'autre. Surtout pas moi. Je ne me souviens pas de tout ce qu'il s'est passé ce jour-là. Je crois qu'on m'a filé un truc pour me calmer quand on est rentrés au camp, et ça a dû laisser des moments flous dans mes souvenirs. En tout cas, j'ai eu du mal à me défaire de l'odeur de Baskerville, elle est restée un moment sans que je sache vraiment pourquoi. Et je crois que je n'ai pas vraiment envie de savoir, en réalité...

La porte de la salle d'étude des Moldus se referme derrière moi sans que je prenne la peine de regarder s'il y avait quelqu'un derrière. Aucune importance. Je remonte mon sac sur mon épaule et entreprends de redescendre jusqu'à Poufsouffle. Ma journée est finie et je compte bien abandonner mes affaires dans mon dortoir. La vitesse à laquelle je survole les marches fait flotter ma cape autour de moi. Je n'aime pas avoir à porter l'uniforme toute la semaine, par principe, mais il faut reconnaître qu'il me va plutôt bien. C'en serait presque élégant. Et j'arrive toujours à me débrouiller pour laisser entrevoir la silhouette élancée que je m'efforce de garder à longueur d'année. Non, je ne suis pas à plaindre, bien moins que beaucoup de mes camarades de classe, c'est certain. Les étages défilent, les élèves aussi. Je garde un sourire un peu hautain accroché aux lèvres, comme si c'était un honneur que je leur faisais d'accepter de les inclure dans mon champ de vision. Dans le fond, je n'ai rien contre eux tous. Je n'en suis pas proche mais je n'en suis pas forcément très éloigne non plus. La plupart m'indiffère. Juste des gens qui ne m'apporteront jamais rien. Un gamin de Serdaigle me bouscule en manquant de tomber, je l'entends baragouiner des excuses avant de disparaître aussi vite qu'il est arrivé. La vie normale de Poudlard. Je ne sais pas si elle m'avait vraiment manqué pendant deux mois. Je ne crois pas. J'arrive au premier et quitte la flopée de marches qui s'étendaient devant moi. Sur ma droite, un tableau se met à glousser. Trois jeunes femmes en robes à crinolines déjeunent sur l'herbe depuis quelques décennies maintenant. L'une d'entre elles m'adresse un coucou de la main avant de glousser de plus belle. J'y réponds en lui adressant un clin d'oeil charmeur et reprends mon chemin, amusé. J'imagine qu'elles sont un peu comme Mimi, clairement en manque d'attention. Ça ne me dérange pas d'occuper ce rôle-là quelques secondes à chaque fois que je passe devant. Après tout, c'est ce que je sais faire de mieux, n'est-ce pas ?

Je pousse la porte des toilettes mais je n'ai pas le temps de faire deux pas à l'intérieur qu'une fois connue résonne dans la pièce. « Dan ! » Hugo. Il a l'air content de me voir, tout sourire. J'enfonce les mains dans mes poches, repoussant négligemment derrière moi les pans couleur soleil de ma cape. « Salut Hugo. » J'apparais nettement moins enthousiaste que lui mais je réponds tout de même à son sourire. Je n'ai rien contre lui, autant le dire. C'est un garçon gentil mais un peu bizarre. Si j'ai eu à le côtoyer pendant un mois et que j'ai fait tout mon possible pour que ça se passe bien, je n'ai jamais eu l'intention d'en faire mon meilleur ami et de passer mon temps avec lui. Le hasard, visiblement, a décidé qu'il était temps de le mettre sur mon chemin. « Ça fait bizarre de se voir en dehors du camp… » Je hoche la tête alors que la porte s'ouvre une fois de plus. Le garçon qui vient d'arriver râle en me voyant juste devant mais je ne bouge pas, l'obligeant à me contourner s'il veut pouvoir entrer. « On est pas obligés d'en faire une habitude, si c'est bizarre à ce point. » Je donne l'impression de plaisanter mais ça n'est pas le cas. Je n'en ferai vraiment pas une habitude, bizarre ou pas. « Tu fais plus vieux sans ton pyjama. » Sa remarque me laisse perplexe. Je finis par hausser les épaules, l'ombre d'un sourire pervers sur les lèvres. « Tu ne sais pas à quel point tu dis vrai. » Je fais plus vieux sans mon pyjama, c'est un fait. Et aucune de mes conquêtes (clientes en réalité) ne prétendraient le contraire. À Poudlard, c'est une autre histoire j'imagine. Il se pousse pour laisser passer un de nos camarades et je l'imite machinalement. Si j'avais su, je me serais abstenu de venir ici. Ça n'était pas si pressé que ça, je pouvais me retenir. « Ta rentrée s’est bien passée ? » Non, dans le fond, c'est pas un méchant garçon, vraiment... Il me paraît presque sincèrement intéressé par ce qu'il demande, comme s'il en avait quelque chose à faire de ma rentrée. On ne se connaît pas, on est pas amis, on s'est parlés quelques semaines en quatre ans et lui s'intéresse visiblement à mon existence. Ça me ferait presque de la peine que ça ne soit pas réciproque... « Comme toujours ! » Inutile de lui faire savoir que certaines ont été une torture. Celle de ma seconde quatrième année, par exemple. « Et la tienne ? Llewellyn se montre plus réceptive à tes charmes ? » De ce que m'en avait dit Bella, ça n'était pas le cas, mais avec lui tout semblait changer si vite qu'ils étaient peut-être déjà fiancés à l'heure qu'il était alors autant se renseigner. Même si ça me serait à tout jamais d'une inutilité totale...

Autant être honnête, au moment-même où la voix du Gryffondor a résonné dans les toilettes, j'ai eu envie de faire demi-tour. Si c'est pour essuyer ses jérémiades, c'est pas la peine. Je viens de me taper une journée de cours, je n'ai pas le courage d'ouvrir le bureau des pleurs. D'accord, peut-être que c'est un peu méchant mais c'est comme ça que je le vois. Heureusement, il n'a pas passé le mois entier à se plaindre, et quand il ne le faisait pas on a vraiment passé des bons moments, mais son air de dépressif du premier soir m'a légèrement traumatisé. Et ce qu'en a dit Bella quand elle est venue à la maison n'a pas arrangé les choses. Qu'il aille voir quelqu'un d'autre pour pleurnicher. Après, son sourire me rassure malgré tout. Il a l'air bien et content de me voir. Peut-être que les quelques secondes (minutes si le destin est fourbe) qu'on va passer ensemble seront agréables. J'espère, vraiment. « Phoebe et moi nous sommes seulement amis. » Je reste interdit. Amis ? Alors qu'il n'abandonnerait jamais blablabla ? Bon, d'accord, il avait déjà changé d'avis avant même d'aller se coucher mais tout de même. Ce garçon est vraiment spécial. J'ai du mal à le suivre et je me demande même s'il arrive à se suivre tout seul. Sa vie, du peu que j'en sais, me semble complètement décousue. Il change d'avis comme de chemise et impose son incapacité à se décider à l'univers tout entier. Il devrait penser à aller consulter, ça devient grave, là. Il reprend comme si rien ne clochait. « J’ai réussi à me rapprocher d’elle mais en tant qu’ami et je pense que c’est mieux ainsi. » Il sourit, j'y réponds machinalement. Il a l'air convaincu parce qu'il raconte et c'est ça qui me perturbe le plus. Llewellyn lui a fait un lavage de cerveau pour s'en débarrasser ? Ça ne lui ressemble pas vraiment, je crois, mais après tout pourquoi pas. C'est la seule explication logique que je peux trouver pour le moment. « Oui, un plan B, c'est toujours mieux que rien. » Ma voix se fait vaguement moqueuse mais c'est presque imperceptible. Il s'est pris le râteau de sa vie et fait ce qu'il peut pour donner le change. Normal. Je n'aurais pas abandonné aussi facilement, à sa place. Il n'y a qu'à voir avec Cooper. Je ne ressens pourtant rien pour elle, bien sûr, mais la voir s'acharner à me repousser me donne forcément envie de m'acharner à m'en rapprocher. Chacun son truc.

Il relève la tête et plante son regard dans le mien. Je le soutiens sans vraiment m'en rendre compte. Je ne le comprends pas. Moins encore qu'avant. Mais on fera avec. « Et toi alors tu as trouvé une demoiselle à te mettre sous la dent ? » Je ne peux m'empêcher de sourire à nouveau. Il a baissé la voix, comme si la conversation tenait du secret. Tout le monde sait que c'est pas le lieu pour ça. Je hausse les épaules et repousse une mèche de cheveux d'un vague geste de la tête. « Une ? Pourquoi si peu ? Poudlard est un vrai terrain de chasse et y'a pas mal de proies intéressantes, ce serait dommage de mettre des limites aussi basses que ça ! » Je lui adresse un clin d'œil entendu, comme s'il partageait forcément mon point de vue, et ris distraitement. Je ne suis pas du genre à m'envoyer en l'air avec tout Poudlard. Ce qu'il se passe à l'extérieur et ce qu'il se passe ici sont deux choses diamétralement opposées et je ne suis pas convaincu d'avoir envie que cela change. Mais en attendant, j'ai une réputation à tenir ! Et même si elle n'est pas brillante, j'y tiens. C'est toujours mieux que rien et je parviens au moins à exceller dans ce qu'elle décrit comme étant mon domaine de prédilection : la drague lourde et gonflante. C'est définitif, heureusement que ça n'est pas comme ça à l'extérieur. « D’ailleurs j’ai appris que tu connais très bien mon amie d’enfance Arabella ? » Je hoche la tête, soudain beaucoup plus intéressé par la conversation. Peut-être que je vais réussir à en savoir plus sur cette histoire. Depuis la venue de Bella à la maison, je n'arrive pas à me sortir son truc de la tête. Je suis passé à côté de quelque chose, j'en suis certain. Tout était bien trop simple pour qu'elle se prenne la tête comme ça. Seulement... Je ne vois pas quoi... « Amie ? Vraiment... ? » Il y a eu ce baiser ou je ne sais quoi qui rend ma question légitime, si jamais il vient qu'à me demander ce que j'entends par là, je suis en mesure de répondre quelque chose de vrai, c'est toujours ça. J'espère qu'il sera aussi bavard qu'il l'a été le premier soir et qu'il me racontera bien sagement ce qu'il se passe avec ma meilleure amie...

Sérieusement, à qui essaye-t-il de faire croire que ce qui s'est visiblement passé avec Llewellyn vient de lui ? Ou même juste d'un commun accord ? Elle l'a dégagé, voilà tout. J'apprécie qu'il garde la tête haute et mente pour éviter de passer pour un gros blaireau, c'est toujours ça. Et puis, au moins, il ne pleurniche pas. Qu'il se convainc lui-même de son histoire si ça m'épargne ça ! C'est dingue le changement qu'il y a eu en quelques jours. On passe de « c'est la femme de ma vie, je vais mourir sans elle, bouhouhou » à « elle veut pas de moi mais c'est cool on est potes ». C'est résumé bien sûr. Mais c'est surtout pathétique. Si je reconnais volontiers que l'évolution a parfois du bon, là, c'est clairement abusé. Soit il a un vrai problème et faut qu'il aille consulter, soit il est au bord de la dépression mais tente de le cacher et auquel cas il faudrait qu'il aille consulter quand même, soit (et je préférerais pour lui) il n'en a jamais eu grand chose à secouer de la Gryffondor. Genre amourette passagère, le genre de débilités par lesquelles on est tous passés. « Tu es un vrai tombeur. » Mon sourire s'élargit. Oui, on peut dire ça. Il faut bien reconnaître que Mère Nature a été suffisamment adorable avec moi pour que je puisse le me permettre. On ne peut pas en dire autant de tout le monde, malheureusement. Mon regard se pose sur Hugo. Il a l'air dans ses pensées. Je l'imagine déjà en train de penser à sa douce et tendre Llewellyn probablement occupée avec un autre mâle de Poudlard. Keagan, par exemple. Lui ou n'importe lequel, d'ailleurs. Elle est loin d'être vilaine, cette petite, bien mieux que sa frangine. Elle pourrait avoir Poudlard à ses pieds si elle prenait la peine de détacher les yeux de mon colocataire. « Je vais essayer de suivre ton conseil maintenant que je ne suis plus sur Phoebe. » Je hausse distraitement les épaules. C'est pas tant un conseil. Plus... Une façon de voir la vie coupée du monde qu'on nous offre ici. « J'ai hâte de voir ça. » Et puis, encore faut-il qu'il ait vraiment tiré un trait sur la Rouge. Peu de chance d'après moi. Après, je peux me planter mais j'ai du mal à croire qu'on puisse faire le deuil d'un espoir aussi énorme que semblait l'être le sien en deux semaines grand max. C'est ridicule. Bon, c'est encore un gamin, ceci explique sûrement cela, mais tout de même !

Finalement, la conversation change de cible et il n'est plus question de s'intéresser même faussement à ses amours déçus mais de se concentrer pour ne rien manquer de la vie d'Arabella. « Oui nos parents se connaissent depuis des années et j’ai souvent eu l’occasion de jouer avec Bella pendant les repas de sorciers. » Il n'a pas compris. Je n'ai jamais remis en cause le fait qu'ils aient pu être amis avant Poudlard. Ça arrive à tout le monde. Je connais les Sullivan depuis des années, il n'y a aucune raison pour que lui ne connaisse pas Bella ou n'importe quelle autre fille de l'école. Ça n'était pas là où je voulais en venir. Je ne sais pas si c'est parce qu'il n'a vraiment pas saisi ou si c'est parce qu'il fait semblant, mais dans les deux cas, ça ne me plaît pas et j'ai bien l'intention d'insister pour avoir enfin une vraie réponse. Mais avant que j'ai le temps de dire quoi que ce soit, il reprend. « Nous sommes amis depuis aussi longtemps que je m’en souviens mais j’ai pas été très juste avec elle cet été. » Je fronce les sourcils malgré moi. Elle a abordé le sujet, oui... Il sourit et ce sourire qui me dépasse me dérange. Ça l'amuse de s'en être pris à ma meilleure amie ? Je ne veux pas faire de plans sur la comète, je ne le connais pas et n'ai eu qu'un bref aperçu de l'histoire mais je n'aime pas son attitude. « Je sais. » Mon ton est peut-être plus sec que je ne m'y attendais. On ne joue pas avec Bella. « Mais c'était pas de ça dont je voulais parler. Je demandais juste si vous étiez am... » Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que la porte s'ouvre une fois de plus et que le garçon qui rentre me dégage de devant en râlant. Je manque de tomber et me rattrape de justesse au bras du pauvre Weasley auquel j'adresse un regard désolé. Je ne me démonte pas, ne cherche d'ailleurs même pas les ennuis c'est pas la peine, et reprends là où on m'a forcé à m'arrêter. « Je demandais juste si vous étiez amis ou si c'était moins... » Ma main glisse jusqu'à la sienne avant que je ne m'incline pour y déposer un baiser théâtral alors qu'un regard aguicheur et explicite coulait jusqu'au sien. Mes gestes sur-joués n'offrent pas beaucoup de doutes, je me fous un peu de lui. Comme s'il était trop bête pour comprendre tout seul. « … moins innocent, si tu vois c'que j'veux dire. » Le sourire que j'affiche laisse entendre à qui le veut que j'ai des informations qui méritent d'être éclaircies. J'enfonce mes mains dans mes poches alors que je reprends mes distances presque instinctivement en espérant qu'il comprenne mieux, cette fois-ci. Difficile de faire plus clair, en même temps...