Quand sa sortie de Saint-Mangouste avait été officiellement envisagée après près de six mois passés entre les murs de l'hôpital, Jesse avait fait tout son possible pour négocier la possibilité de venir passer ses ASPICs à Poudlard comme n'importe quel autre élève. Les médicomages qui s'étaient occupés de lui pendant tout ce temps s'étaient tout d'abord étonnés de le voir plongé dans ses bouquins dès qu'une seconde de libre se présentait et que son traitement le lui permettait. Ca avait été le plus grand drame de son internement, devoir faire un trait pendant un temps sur un partie de ses capacités intellectuelles, trop embrumé par les potions calmantes qu'on lui filait dès que la moindre petite crise approchait. C'était idiot. Il avait passé une dizaine d'années à les gérer merveilleusement bien, ou presque. Alors oui, il angoissait en permanence et il pouvait se mettre dans des états lamentables pour des détails qu'il était le seul à remarquer mais ça n'était pas parce qu'un jour, une fois dans sa vie, il avait réellement pété les plombs que ça allait se reproduire tous les quatre matins. Ca avait duré plusieurs semaines avant que sa psy accepte enfin l'idée de réduire les dosages et de le laisser étudier tranquillement. Parce qu'en fin de compte, c'était tout ce qui lui importait. Il ne sortait pas de sa chambre quand il n'en était pas obligé, n'avait pas cherché à fuir une seule fois et se pliait de bonne grâce à toutes les réunions de groupe débile qu'on pouvait lui imposer, et en échange, il voulait juste qu'on laisse son cerveau en paix afin de pouvoir terminer son année aussi brillamment qu'il l'avait commencée. Il avait finalement eu gain de cause, et après une brève entrevue avec Madame la Directrice en personne – sûrement pour s'assurer qu'il n'avait pas trempé d'une quelconque manière dans les meurtres qui avaient eu lieu, puisqu'il ne fallait pas oublié qu'il y en avait quand même deux sur trois qui n'étaient pas franchement dans ses petits papiers et qu'il avait accessoirement attenté à la vie de son paternel – il avait été convenu qu'il pourrait réintégrer le château pour les examens de fin d'année.

Cela faisait plus d'une semaine qu'il avait rejoint les cachots, plus d'une semaine que sa vie avait repris un visage normal et qu'il pouvait se dégourdir les jambes comme bon lui semblait. Une semaine qu'il regoûtait avec délice à une liberté qu'il n'avait jamais tant appréciée. Bien sûr, son quotidien n'en était pas chamboulé pour autant, il passait le plus clair de son temps à réviser, et le reste à passer ses épreuves d'ASPICs le plus normalement du monde. Les deux trimestres qu'il avait loupé, l'avance qu'il avait toujours réussi à prendre et à garder au fil des années s'était révélée utile puisqu'il n'avait pas accumulé le moindre retard, et de ce qu'il avait cru comprendre en se baladant maladroitement dans les couloirs, il y avait de fortes chances qu'il reste dans le peloton de tête de sa classe. Un soulagement immense quand on savait que son existence toute entière, quand elle n'avait pas servi de base à des ambitions paternelles idiotes, n'avait de sens que par et pour ses résultats scolaires. Installé à une table à l'écart, entouré de toutes les étagères qu'il avait tant survolé durant les sept dernières années, le jeune homme achevait ses révisions d'Histoire. La logique aurait voulu qu'il soit réaliste et qu'il fasse l'impasse sur cette matière tant il passait son temps à lire et relire tous les ouvrages traitant du sujet qui pouvaient être à sa portée mais il n'en avait pas eu le cœur. Il avait tant bataillé pour avoir le droit d'être là et de passer ces examens qu'il se devait de se donner à fond et de ne rien négliger. Absolument rien... Sa plume grattait son parchemin dans un bruit aussi répétitif que stressant – du moins pour quiconque n'était pas Jesse – ajoutant d'une écriture ronde et soignée des précisions qui ne lui seraient absolument jamais demandées sur les révolutions gobelines. Il s'arrêta quelques secondes, aligna correctement toutes les pages de son livre, redressa légèrement son parchemin et reprit de plus belle.

Un bruit de pas puis une ombre. La cadence de son écriture ralentit doucement puis sa plume s'arrêta d'elle-même lorsqu'il put mettre un point à sa phrase. Il releva la tête et croisa le regard d'un garçon de son année, répondant tout aussi silencieusement à ses salutations. Isaac avait été pendant longtemps celui qui partageait ses cours de potions. S'il ne lui adressait jamais la parole quand il n'en avait pas l'obligation, parce qu'il n'était pas censé parler aux êtres impurs de son espèce – balivernes – il avait toujours été rassuré par sa présence à sa table. Ils avaient rapidement compris, l'un comme l'autre, qu'ils partageaient plus qu'une table de cours, ils partageaient jusqu'à la manière de la maintenir en ordre, si bien qu'alors que tous leurs camarades jouaient une troisième guerre mondiale à chaque heure, eux ne faisaient pas dépasser le moindre parchemin et ne laissait pas tomber la moindre goutte de sang de dragon à côté de leur chaudron. Pendant sept ans, jamais il n'avait cherché à savoir d'où venait l'extraordinaire maniaquerie du Gryffondor, se contentant d'apprécier à leur juste valeur les moments de répit que leur coopération lui apportait. Ca n'avait été que deux ou trois jours plutôt, alors qu'il était sortit en panique de son épreuve de Sortilèges avec une tache énorme sur la manche de sa chemise avant de se ruer aux toilettes dans l'espoir de parvenir à réagir correctement, un espoir resté vain, que son camarade était sorti de l'ombre et, non content de l'avoir aidé, s'était révélé être un garçon plutôt intéressant. Il n'avait plus rien à perdre de toutes façons...

« Je peux ? »

Jesse jeta un regard tout autour de lui, vérifiant sans un mot que sa jumelle n'était pas dans les parages et finit par pousser un petit peu ses affaires, les réalignant à la perfection quelques centimètres plus loin. Il ne craignait pas Etalyrae, bien évidemment, elle ne lui faisait pas peur pour deux mornilles mais il n'avait pas envie de lui donner des raisons de fuir et de l'abandonner comme l'avaient fait ses géniteurs. Elle avait toujours eu plus ou moins vent du manque de rigueur qu'il pouvait bien mettre dans ses relations avec les gens qui n'étaient pas dignes d'eux, n'ayant pas de problème de conscience à discuter avec l'assistante bibliothécaire qui, bien que sang-pur, n'avait pas de pouvoirs, ou à demander pardon à un moldu s'il avait le malheur de le bousculer dans la rue, mais il évitait de les lui mettre sous les yeux. Tenter le diable ne servait à rien et il avait bien trop peu d'alliés en ce moment pour se permettre de les négliger.

« Oui, vas-y. » déclara le Serpentard alors qu'il relisait hâtivement les notes qu'il venait de prendre. « Je préfère ta présence à celle d'un insupportable gamin qui aurait pris ma table pour un terrain de jeux. »

Parce qu'il était évident que tout ce qu'il utilisait lui appartenait, et que par conséquent, il s'agissait de sa table. C'était un peu égoïste comme manière de voir les choses mais le jeune homme ne paraissait pas dérangé plus que ça par cette constatation. Il n'y avait pas la moindre trace de sourire sur ses lèvres, et il ne faisait que relever les yeux par intermittence, plus occupé à continuer d'écrire qu'à faire la conversation. Il n'était pourtant pas mécontent de le voir, mais ce n'était juste ni l'endroit ni le moment de le montrer. Quiconque le connaissait un minimum ne s'en étonnerait qu'à moitié, quand il y avait un livre ouvert non loin de lui, son ordre des priorités était toujours le même et ledit livre, quel qu'il soit, avait toujours une importance capitale...

Le blond tira l'une des deux chaises qui lui faisait face après avoir posé ses livres sur la table. Jesse l'observa sans un mot, attendant simplement qu'il ait fini de s'installer pour replonger le nez dans les lignes denses de son propre ouvrage. Il aurait été incapable d'expliquer pourquoi le Gryffondor était venu jusqu'à sa table, pourquoi il avait eu soudainement envie de s'installer ici alors qu'il y avait quelques autres places de libre dans la salle... Ils n'étaient pas franchement amis, avaient simplement passé des années à partager une table sans échanger le moindre mot et s'étaient mis à parler un peu par hasard une poignée d'heures plutôt. Il ne niait pas qu'il avait été agréablement surpris par ce qu'il avait découvert de son camarade, même s'ils ne s'étaient pas aventurés bien loin dans la discussion, qu'il n'avait pas cherché à se montrer ni vraiment curieux ni intéressé et, qu'encore une fois, l'impression qu'il avait pensé lui laisser n'était pas des meilleures... Visiblement, il s'était trompé et ne l'avait pas encore totalement fait fuir. Il fallait reconnaître que les relations sociales n'avaient pas été génétiques, et si ses parents se débrouillaient à merveilles pour se faire bien voir, pour avoir des amis – ou du moins des gens qui faisaient semblant de l'être – et une place plaisante dans le monde, il n'avait pas hérité de tout ça. Il savait bien évidemment jouer les hypocrites quand la situation l'obligeait, comme ça avait été le cas avec Quick et les Néos l'an dernier – que le temps passait étrangement, il avait l'impression qu'une vie entière s'était écoulée depuis sa trahison – mais en règle générale, il ne prenait pas la peine de feindre de s'intéresser aux gens ou à leur vie, les évitant la plupart du temps.

L'espèce humaine le dépassait encore, et il était bien plus pratique d'analyser ses camarades de loin, braves petits cobayes inconscients, et de tirer de ses observations des conclusions souvent inquiétantes sur les comportements adolescents. Il ne s'était jamais vraiment senti à sa place au milieu de tous ces mômes enfermés, livrés à eux-mêmes et aux changements qui s'opéraient dans leurs esprits négligents sans même qu'ils s'en rendent compte, il avait l'impression de se détacher de cette masse joyeusement stupide... Ses préoccupations différentes et ses priorités généralement incomprises l'avaient poussé plus ou moins malgré lui à un isolement qu'il n'avait pas spécialement voulu mais auquel il avait fini par s'habituer. Gamin, il n'était pas particulièrement solitaire pourtant. Il n'avait pas des tonnes d'amis, évidemment, mais c'était dû à son éducation et aux règles parentales strictes qui régissaient ses relations, mais il avait toujours su avoir l'air suffisamment normal pour se lier d'amitié avec quelques enfants des amis de ses géniteurs. Il n'en restait plus rien aujourd'hui... Il avait sombré avec une lenteur si douce qu'il ne l'avait pas remarquée vers un véritable dédain pour ses semblables, encore plus quand ils se laissaient bêtement dirigés par leurs hormones comme c'était souvent le cas entre les murs de Poudlard. Il y avait bien quelques exceptions, naturellement, Wilhelmina en tête. Marlow, aussi... Un soupir silencieux passa ses lèvres à la pensée de la défunte Gryffondor. Qui sait comment ça se serait fini s'il avait véritablement eu le courage de s'opposer à son père quand il l'aurait dû ? Peut-être qu'ils seraient restés ensemble, évoluant à leur rythme vers une romance réelle et qu'il l'aurait embêtée pour passer la journée avec elle, loin de cette fête foraine minable dans laquelle il n'aurait de toutes façons jamais mis les pieds... Peut-être qu'elle serait encore en vie...?

« Je ne peux qu'être d'accord. Je ne comprends pas comment ils font pour réviser ou faire leurs devoirs dans ces conditions... »

Le Serpentard se reconnecta doucement à la réalité, posant sur son camarade un regard un peu perdu, comme s'il venait de réaliser qu'il était là. Il mit plusieurs secondes à comprendre de quoi il parlait, ayant abandonné le fil de leur semblant de conversation au profit de celui de ses pensées. Il n'aurait pas dû, c'était vrai. Sa psy avait été ravie de voir que l'assassinat de son ancienne petite amie ne lui causait pas plus de troubles qu'elle n'en avait attendus, et il l'avait été tout autant mais il fallait reconnaître que depuis qu'il était revenu à l'école, il lui était difficile d'y faire abstraction. Heureusement, personne n'avait eu vent de leur relation, ce qui lui évitait les regards compatissants et bourrés d'une pitié dont il ne voulait pas, il lui était déjà difficile de faire face à la curiosité de certains. Non, un préfet n'était pas censé disparaître au beau milieu de l'année sans que personne ne puisse savoir réellement où il avait atterri. Ca ne se faisait pas, ce n'était pas correct. Si seulement il avait eu le choix... Au prix d'efforts incroyables, il parvint à chasser la jolie blonde de son esprit. Elle n'y avait plus sa place. C'était terminé. Depuis longtemps... On lui avait expliqué à plusieurs reprises que ça ne servait à rien de faire comme si elle n'avait pas existé, que c'était une partie de sa vie importante puisqu'elle lui avait permis d'admettre que ne pas fuir sans cesse les autres pouvaient être bénéfique et qu'il s'était laissé aller à avoir la vie d'un garçon de son âge, loin de la pression que ses parents avaient pu exercer sur lui. Grâce à elle, il avait été un adolescent de seize ou dix-sept ans comme tous les autres, cherchant à attirer l'attention de la fille qui lui plaisait, s'endormant en pensant bêtement à elle et espérant pouvoir l'embrasser un jour. Un jour qui n'était absolument jamais arrivé... A l'heure actuelle, il n'arrivait pas à se convaincre que cette histoire n'avait pas été une erreur. Pourtant, lorsqu'il avait dû en parler, sûrement encore sous l'effet des potions qu'on lui faisait avaler chaque jour il ne s'en souvenait plus très bien, il n'avait que des souvenirs plaisants, quelques disputes bien sûr mais qui s'étaient toujours arrangés, des bribes de lettres ou de conversations qui lui tiraient des mois après des sourires déçus et attristés mais des sourires tout de même. Elle lui manquait. Parfois...

« Je ne pense pas, très honnêtement, qu'ils y accordent la moindre importance. Le désordre qui règne dans leur environnement n'est que le reflet de celui qui règne dans leur tête en fin de compte. Ils ne sont pas à même de le remarquer... »

Son regard sombre se posa sur l'une des tables non loin de la sienne. Elle était occupée par ce qui semblait être des cinquième année en pleine révision de BUSEs, des bouquins s'étalaient sur toute la longueur du meuble, des parchemins étaient éparpillés par dessus et ils chuchotaient tous en même temps en désignant des pages différentes, leur plume à la main sans jamais prendre la moindre note. Ils hochaient la tête, chuchotaient à nouveau, s'arrêtaient un instant pour lire deux lignes et reprenaient comme s'ils ne s'étaient pas arrêtés. Pouvait-on seulement retenir quelque chose dans de telles conditions ? Il n'en était pas convaincu. Jesse remonta ses lunettes, remit correctement les pages de son livre et laissa sa propre plume reprendre sa danse étrange sur le parchemin. Plongé dans son travail, il faisait totalement abstraction des plus jeunes qui chuchotaient toujours à côté mais également des pensées et des souvenirs qui tâchaient de revenir en surnombre parce qu'il avait eu le malheur d'en laisser entrer quelques uns. Il regardait l'encre s'étaler avec une régularité parfaite sur sa feuille, bien conscient qu'il lui faudrait bientôt abandonner la compagnie de ses livres pour s'ouvrir réellement aux autres. Un minimum... Il n'y aurait plus les remparts rassurants de sa chambre, ni la protection toute relative que lui offraient ses parents. Il lui faudrait accepter, dans sa vie, la présence de personnes qu'il ne connaissait pas forcément très bien et auxquelles il ne faisait pas spécialement confiance... Ce n'était pas tant une question de choix. Il le faudrait parce qu'il ne pourrait pas passer sa vie tout seul et qu'il aurait bien besoin, à un moment ou à un autre, de ce contact humain même si ça lui semblait encore un peu flou. Il sentait parfois le regard d'Isaac se relever vers lui ou se poser sur ce qu'il écrivait. Il ne savait pas si c'était une attention qui lui plaisait ou non. Peut-être un peu... Il trempa sa plume dans son encrier et essuya le surplus de liquide contre le rebord, mettant un soin tout particulier à vérifier qu'aucune goutte ne risquerait de tomber. Il aurait pu passer au plume à encre intégrée, comme c'était monnaie courante à Poudlard désormais, mais il trouvait que la qualité de son écriture en était réduite, si bien qu'il n'avait jamais abandonné les risques de taches...

« Ca porte sur quoi, ton dernier examen ? »

Le brun quitta l'embout métallique des yeux et reporta toute son attention sur le jeune homme qui lui faisait face. Celui-ci s'était replongé dans son travail avant même qu'il n'ait pu ouvrir la bouche. Ca, en revanche, il était certain de ne pas apprécier. Pourquoi poser une question si on se fichait éperdument de la réponse ? Il pouvait tout aussi bien se contenter de réviser sans le déranger, il ne lui aurait certainement pas reproché, qu'il en soit tranquille ! D'un autre côté, s'il avait tellement tenu au calme et à la solitude, il serait resté dans son dortoir. Depuis son retour à Poudlard, la mort de Gallagher le lui avait laissé pour lui tout seul, faisant régner dans la chambre un silence absolu et plaisant qu'il ne lui avait jamais connu. Il y passait d'ailleurs le plus clair de son temps, il aurait très bien pu continuer. Il n'était plus à une heure près. Pourtant, il fallait croire qu'il avait eu envie, pour une fois, de se mêler au monde et de se sentir appartenir à la masse des élèves, cette même masse qu'il avait tendance à prendre de haut. Non, le plus jeune des jumeaux McDermott n'était pas toujours très facile à suivre et il se perdait lui-même dans le flot parfois incessant de souhaits contradictoires. C'était pire depuis qu'il était revenu à l'école, il fallait le reconnaître. Il aimait plus que tout n'être qu'un élève parmi les autres mais regrettait de s'être imposé leur présence, ne rêvait de rien d'autre que d'avoir enfin le résultat de ses examens pour en tirer une véritable satisfaction personnelle mais ne souhaitait pas quitter le château pour l'instant, paniquait à la simple idée d'avoir à se débrouiller tout seul dès qu'il serait de retour à Londres mais avait hâte de se prouver qu'il était capable de le faire malgré tout... Il tira légèrement sur le nœud de sa cravate afin de le desserrer et la lissa machinalement du plat de la main. Elle n'avait aucun pli, évidemment, mais mieux valait prévenir que guérir...

« Histoire. » souffla t-il alors qu'il tournait la page de son livre, vérifiant discrètement que toutes les pages étaient toujours correctement alignées puis repositionnait impeccablement son encrier qui avait eu le malheur de glisser de quelques millimètres à peine, s'éloignant sûrement sans le vouloir d'une rainure du bois. « J'ai abandonné la botanique dès que l'occasion s'est présentée. C'est la seule BUSE qui me manquait... Une stupide histoire de pratique, la théorie avait été plutôt correcte pourtant... »

Son regard s'était posé distraitement sur le livre ouvert devant le Gryffondor, et même s'il était à l'envers, il parvenait tout de même à saisir l'essentiel de ce qui était noté sur ces pages. Ca ne l'intéressait pas le moins du monde et le seul souvenir de ses mains pleines de terre et de l'obligation de faire avec jusqu'à la fin du cours lui tira un frisson désagréable. Ces cinq années avaient été une véritable torture et il n'était pas rare qu'il finisse à l'infirmerie avant même d'avoir mis les pieds dans la serre tant l'angoisse de ce qui pourrait se passer était présente. C'était au dessus de ses forces, littéralement. A chaque fois que son père apprenait qu'il avait loupé un cours ou qu'il avait vent de ses notes plus que moyennes – un véritable traumatisme pour le pauvre Jesse – il n'hésitait pas à lui envoyer des lettres interminables dans lesquelles il se désespérait d'avoir un fils aussi incapable qu'il pouvait bien l'être, demandant au ciel ce qu'il avait fait pour mériter une tare pareille dans la famille... Il n'avait jamais eu la moindre réponse d'ailleurs, mais il fallait sûrement imaginer qu'il était soulagé maintenant qu'il n'avait plus à se soucier des problèmes du garçon. Et Merlin savait à quel point ils pouvaient être nombreux...

Isaac hocha la tête, coupant court à toute discussion. Ca ne le dérangeait pas le moins du monde, en réalité, il n'avait jamais été très doué pour ça et même s'il savait avec une certitude désagréable qu'il lui faudrait apprendre à se comporter correctement en société maintenant qu'il n'y avait plus les imposants murs du manoir pour le protéger, il n'était pas follement pressé de montrer au monde à quel point il pouvait être nul dans ce domaine. Sa propre phrase avait résonné différemment à ses oreilles quand il l'avait prononcée. Ca n'était que le reflet du désordre qui régnait dans leur tête... Il aimait y croire mais force était de constater qu'il n'était peut-être pas sur la bonne voie. Se sentait-il réellement plus ordonné psychologiquement simplement parce que rien ne se trouvait dérangé sur sa table ? Jesse soupira discrètement. Non... Probablement pas. Son séjour récent à l'hôpital n'était là qu'une preuve supplémentaire de la stupidité de ce qu'il venait d'avancer. Il fallait être réaliste, son esprit n'était qu'un amas de pensées décousues et contradictoires, le fruit d'une éducation dépassée et de propres constatations déstabilisantes. Il n'y avait aucune logique, sa vie même n'avait aucune logique et il s'accrochait à des détails insignifiants pour réussir à garder le contrôle sur une existence qui lui échappait totalement. Qui lui avait toujours totalement échappé... S'il parvenait à tenir des raisonnements construits et réalistes, ce n'était pas le résultat d'un quelconque ordre mental mais celui d'une volonté d'atteindre sans cesse la perfection là où il pouvait l'atteindre. Parce qu'il savait parfaitement que son être tout entier ne le pourrait jamais. Peut-être évoluaient-ils dans un bazar permanent mais ils n'en étaient pas moins parfaitement normaux. Eux...

Il détourna les yeux de la table voisine et se reconcentra sur ses notes. Le recul qu'il avait été forcé de prendre ces derniers mois n'avait rien, à ses yeux du moins, de véritablement bénéfique. Il avait une vision critique des dix-huit années qu'il avait passé sur cette Terre, relevant chaque erreur passée et chaque chose manquée, tenant silencieusement la liste de tout ce qu'il aurait dû faire autrement. Parfois, le garçon qu'il avait été avant cette maudite sixième année, l'entrée réelle de Marlow dans son existence, le contrat de mariage signé en son nom par ses propres parents et la trahison des Néo-Mangemorts, lui manquait plus que de raison. Tout allait bien, à cette époque. Oh, bien sûr, il n'était qu'un crétin de Serpentard comme il y en avait des tas, vivant pour accomplir des choses dont il se fichait au nom d'une fierté familiale qu'il n'avait jamais connu, grandissant dans les yeux d'un préfet narcissique et stupide parce qu'il était tout ce qu'il avait toujours rêvé d'être et méprisant la plus grande majorité du monde comme on lui avait toujours appris à faire. Il y avait deux ans, Alphaleonis Jesse McDermott était quelqu'un. Il ne savait pas bien qui, évidemment, mais il avait la confiance de ses camarades, une véritable place au sein de sa maison et sur ses épaules reposaient les bases d'un avenir qui ne lui plaisait pas spécialement mais qui s'annonçait convenable. Quand il se contentait d'être ce qu'on voulait qu'il soit, tout allait bien... Et puis les choses avaient changé. Lentement, très lentement... Il n'avait pas tout de suite vu le problème. D'abord ces fiançailles forcées qui lui avaient fait prendre conscience que ses parents ne voyaient que leur propre intérêt sans jamais s'inquiéter du sien, dégringolant vitesse grand V dans son estime, puis les sentiments qu'il pouvait éprouver pour la Gryffondor avaient pris de l'ampleur le forçant à réaliser que tout ce qu'on avait pu lui apprendre sur les moldus et les nés-moldus et en quoi il ne croyait pas vraiment n'était qu'un interminable tissus de mensonges et que cette gamine aux pouvoirs atrophiés valait finalement tellement plus que la plupart des gens qui prétendaient lui être supérieurs, après quoi Quick avait commencé à faire n'importe quoi, les initiant dans une salle secrète du château et avec la probable bénédiction du directeur aux sortilèges interdits, avec comme cobaye une pauvre fille de Poufsouffle qui s'était acharnée contre un mur jusqu'au sang pour le plaisir de ses camarades de classe, alors il n'avait rien trouvé de mieux à faire de que balancer l'intégralité de la liste des membres de cette organisation stupide et malsaine dans l'espoir que quelqu'un vienne un jour y mettre un terme mais il n'en avait rien été, tout avait continué, encore et encore, jusqu'à ce que la fin de l'année arrive enfin...

Dès lors, rien n'avait plus jamais été pareil. Pour la première fois de son existence, il avait cessé de faire les choses parce qu'on voulait qu'il les fasse, il avait agi en son âme et conscience pour une cause qu'il croyait juste, en sachant pertinemment qu'il risquait gros et que si quelqu'un l'apprenait, personne ne donnerait cher de sa peau... Cet acte d'une lâcheté pure, il n'avait rien fait d'autre qu'agir dans l'ombre pour balancer anonymement tous ses camarades, restait encore à ce jour la chose la plus courageuse qu'il n'avait jamais fait de sa vie... A l'heure actuelle, il ne le regrettait pas vraiment. Il avait au moins pu se rendre compte que le monde ne s'arrêtait pas de tourner parce qu'il désobéissait. Mais d'un autre côté... Il n'avait plus été que l'ombre du môme faussement arrogant et sûr de lui qu'il avait feint être pendant des années. Il s'était éloigné de tous ses amis, la plupart ayant fait partie de ladite organisation et des rumeurs ayant couru sur son dos rappelant à tout le monde qu'il n'était qu'un traître, il n'avait plus vu ses géniteurs que comme d'insupportables et vénales opportunistes auxquels il ne parvenait toutefois pas à s'opposer et il s'était lentement mais sûrement emmuré dans un isolement et une crainte du monde extérieur encore et toujours plus importante. Jusqu'à ce que les nerfs lâchent et qu'il tente de commettre l'irréparable, un acte dont il ne se souvenait pas le moins du monde, à l'exception du regard effrayé et dépassé de sa mère. Sa vie n'était qu'une longue suite d'échecs et de tentatives infructueuses... A même pas encore dix-huit ans, il se retrouvait face à un champ de ruines impraticable sur lequel il devrait – il n'avait pas d'autre choix – bâtir un futur loin de tout ce qu'il avait toujours cru sien.

« La pratique n'est pas toujours facile, de toute manière. C'est comme pour tout, le Quidditch paraît facile en théorie, mais une fois sur le terrain, rien n'est plus pareil. »

Le jeune homme posa délicatement sa plume et s'adossa au dossier de sa chaise, étendant sans un bruit ses jambes sous la table. Il ne savait pas le moins du monde si le Quidditch paraissait facile ou non. Il était capable d'en comprendre les stratégies quand elles étaient expliquées dans les livres et réussissait à voir les failles tactiques les rares fois où on l'avait forcé à aller voir des matchs – ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps – mais c'était toujours bien gardé de dire quoi que ce soit sur le sujet. Il avait arrêté le carnage dès la fin de sa première année... Il ne savait pas voler, c'était un fait. Il n'aimait de toutes façons pas ça et il lui semblait que son balai prenait un malin plaisir à ne pas lui répondre convenablement. Est-ce que c'était de sa faute ? Sûrement... Mais ça n'avait plus la moindre importance désormais. Il avait obtenu son permis de transplanage l'année précédente, un peu par hasard sûrement, et même s'il avait une sainte horreur de la sensation que cela lui procurait, il était apte à se déplacer de manière autonome sans avoir à grimper sur un morceau de bois. Pendant longtemps, ça avait été un problème que de voir le futur dirigeant d'une entreprise spécialisée dans le matériel de voyage haut-de-gamme incapable d'utiliser ce pourquoi tout ce que fabriquait ladite entreprise était fait mais ça n'avait plus grande importance maintenant. Ce garçon était approximativement tout ce qu'il n'était pas. Il fixait son interlocuteur sans vraiment s'en rendre compte, ayant totalement abandonné ses notes et révisions pour ce semblant de conversation qui, dans le fond, ne l'intéressait pas tant que ça. C'était plus le blond qui avait piqué sa curiosité que la botanique ou le Quidditch. Tout avait été si naturel dans les toilettes la dernière fois... Il était arrivé, avait saisi l'origine de sa panique et avait agi comme s'il n'y avait rien de plus normal au monde, comme s'il l'avait toujours fait ou comme s'il était venu au secours d'un ami. Ils ne l'étaient pas, pourtant. Oh, bien sûr, Jesse avait bien conscience que cet inconnu avait toujours eu une place un peu à part dans son existence, il était la terre promise de ses interminables journées de cours, le répit tant attendu qui se dessinait à chaque fois qu'il lui fallait prendre le chemin des cachots, mais c'était bien tout. Il n'était pas convaincu qu'il lui serait venu en aide d'une quelconque manière s'il l'avait fallu. Ce n'était pas vraiment le genre de la maison de se préoccuper des gens qu'il ne connaissait pas. Devrait-il s'y mettre...?

« Je n'ai jamais mis les pieds sur un terrain de Quidditch. Ni de rien d'autre d'ailleurs... Il y a bien un terrain de football dans le village près de chez m... mes parents, mais je me suis toujours contenté de le regarder de loin. Le sport se limite aux échecs dans ma vision du monde. » reconnut-il alors que l'ombre d'un sourire aussi amusé que désespéré par le cliché vivant qu'il était, lui, pauvre intello binoclard, se posait sur ses lèvres. « J'aurais bien voulu prétendre que ça faisait partie de la liste des choses que j'aimerais faire un jour mais je crois que ça ne serait pas crédible pour une mornille. »

Il s'était retenu de justesse de parler de « chez lui » avant de réaliser qu'il n'en avait plus, en réalité. Ca resterait toujours la maison où il avait passé son enfance, le manoir où il avait grandi mais ça n'était plus le cas désormais. Il passa nerveusement la main dans ses mèches brunes et remonta ses lunettes, se massant distraitement la tempe au passage. C'était angoissant de ne pas savoir. Il savait qu'il passerait les grandes vacances au Chaudron Baveur, il avait déjà réservé sa chambre avant de quitter Saint-Mangouste, et qu'ensuite il se trouverait un appartement sur le campus mais ça ne serait jamais véritablement « chez lui », il n'aurait plus la moindre trace d'un vrai chez lui avant des années, ça ne serait que des endroits de passage, plus ou moins agréables, rien d'autre. Il n'avait jamais été particulièrement matérialiste mais s'il y avait bien eu une chose, ces dix-sept dernières années, à laquelle il avait tenue réellement c'était sa chambre. Justement parce que c'était vraiment sa chambre. Elle n'était pas très grande, plus petite que celle de sa sœur ou de ses parents, elle ne ressemblait pas vraiment à une chambre d'adolescent avec sa tapisserie vieillotte et ses impressionnantes étagères remplies de bouquins en tout genre, les cartes du ciel qui ses parents avaient fait encadrer quand il s'était soudainement pris de passion pour l'astronomie – avant qu'il ne réalise que ces étoiles idiotes lui avaient valu un prénom tout aussi idiot – et les meubles d'un autre âge auxquels il n'avait jamais fait attention, mais elle n'en restait pas moins le havre de paix qu'il se plaisait à rejoindre à la moindre occasion. Et dire qu'il allait devoir y retourner, une dernière fois, pour la vider de toutes traces de son passage. Cette idée fit s'effondrer sur lui une vague de mélancolie qu'il n'imaginait pas pouvoir ressentir pour une simple histoire de pièce. Oh, bien sûr, ça allait au-delà de ça, mais il n'avait pas envie de s'en rendre compte pour l'instant. Il en aurait largement l'occasion quand il rejoindrait son dortoir désert et silencieux, quand plus personne ne serait là pour le forcer à penser à autre chose. Que les deux prochains mois de sa vie allaient être interminablement longs...

« Je n'ai jamais réellement accroché à l'histoire non plus, pour être franc... Je préfère apprendre dans les livres, pour cette matière, aussi étrange que cela puisse être. »

Le Serpentard haussa légèrement les épaules avant de ramener ses pieds sous sa chaise de reprendre machinalement sa plume en main, sans pour autant rajouter la moindre lettre sur son parchemin. Il y avait tellement de gens qui n'accrochaient pas à l'histoire de la magie, tellement d'élèves qui n'attendaient que la fin de leur cinquième année pour l'abandonner à tout jamais... Lui n'avait jamais vu ça ainsi. Ce n'était pas seulement une histoire de souvenirs ou d'erreurs à ne pas commettre à nouveau, il n'y avait pas forcément de leçons ou d'enseignements à tirer de ce qu'il y avait à apprendre mais c'était l'une des rares matières où il n'y avait pas que du par cœur et de l'agitation de baguette magique. Evidemment, il fallait connaître toutes les dates et tous les noms, les événements et les lieux mais il y avait surtout un véritable effort de réflexion derrière, et les parchemins qu'il fallait rendre étaient autant d'occasions de prouver qu'il était capable de réfléchir correctement et de pousser ses idées au maximum. Il se souvenait sans mal des heures passées sur son exposé de l'année dernière, du temps qu'il avait passé dans la réserve et des graphiques minutieux qui lui avaient pris un temps fou. Les regards perdus de la plupart de ses camarades et la surprise qui se lisait sur le visage de son enseignant valaient toutes les nuits blanches du monde, au même titre que le O qu'il avait décroché par la suite. Encore aujourd'hui, il s'en souvenait presque parfaitement et devait avoir gardé quelque part les notes qu'il avait prise avec lui uniquement pour se rassurer. Il connaissait son sujet et son parchemin n'avait été là que pour l'aider à canaliser son stress. Déjà à cette époque, alors que l'année venait doucement de commencer, la confiance en lui qu'il avait toujours fait semblant d'avoir se délitait. Il n'avait jamais été particulièrement friand des exposés oraux, n'aimait pas réellement parler en public à cause de la crainte de se montrer ridicule, mais il avait toujours su donner le change et avoir l'air indifférent à tout ce qui l'entourait. Cette sixième année avait sonné le glas de cette indifférence. Il parvenait à la conserver encore, quelques fois, mais c'était de plus en plus compliqué, ses émotions reprenant bien trop vite le dessus...

« Je n'aurais jamais pensé dire ça un jour mais... Les livres ne font pas tout. Oh, pour apprendre ils suffisent, j'en conviens mais... Il est difficile d'avoir un vrai débat avec eux, quand bien même seraient-ils merveilleusement informés sur le sujet. Les professeurs n'ont pas la même connaissance, mais ils sont capables de tenir une conversation généralement intéressante. »

Ce jour était à marquer d'une pierre blanche : Jesse McDermott admettait enfin qu'il y avait quelque chose au-delà des bouquins... Il parut lui-même choqué de ce qu'il venait d'avouer, si bien qu'il se redressa et se remit au travail comme s'il n'avait rien dit du tout. Pour se faire pardonner, rien de mieux que de leur accorder à nouveau toute son attention, n'est-ce pas...?