4 mars.

L’agitation de la grande salle, assourdissante, Isadora, s’était tenue à l’écart de ses camarades. Une fois de plus. Assise au bout de la table des gryffondor, elle fut aux premières loges lorsque les portes de la grande salle s’ouvrir sur ce vampire soi-disant végétarien. Mensonge. Son regard, cerné de noir, l’avait guetté, obstruant les murmures de la pièce, pour se concentrer sur sa personne. L’idiot fier, il restait le prédateur absolu de cette école et tous semblait l’oublier en montrant leur soudain intérêt. Elle avait pris le temps de surveiller les réactions des élèves quand son regard s'était lassé du spectacle du vampire. À croire qu’un sourire pouvait faire vriller les cerveaux des plus faibles. Admiration et peur, mélange désordonné provoqué par l’arrivée du jeune homme.
— Une note et c’était à son tour de vriller, laissant la curiosité venir chatouiller son esprit brumeux et chaotique.

..

Observation. — captive de sa curiosité grandissante l’adolescente, c’était fondu dans les recoins des couloirs. Loin des regards, ses yeux bleu vif brillaient de questions insoupçonnées par ses camarades. Poussée par la note anonyme, elle agissait à l’envers, comme si c’était plus simple de s’approcher de l’interdit que d’en rester éloigné. ’Ne t’approche pas du nouveau, c’est quelqu’un de nocif. Crois-moi, c’est pour ton bien.’ Le but était clair, la protéger, mais ce fut l’inverse qui s’opéra. Isadora était de nature obéissante, si vous écoutiez son père. Elle l’était, par pression, par angoisse de la figure paternelle, ici, c’était différent. Intriguée par l’anonyme et par ce vampire dont elle devait se méfier. En quête d’occupation, —égoïstement, elle voulait taire ses propres problèmes — on venait de lui en servir une sur un plateau d’or : Lucius Byrne. Telle une ombre, elle errait dans les couloirs, disparaissant d’un mouvement agile entre les élèves. Dix jours, c’est le temps que dura son petit manège. Elle vacillait entre l’idée de lui parler et prendre un peu de recul face à cette arrivée particulière. Il était le grand méchant loup, gesticulant entre les brebis du château. Merlin que le ministre devait être idiot, à moins que tout cela avait un but bien plus grand ? Le monstre semblait prétendre aussi bien qu’elle, si ce n’est mieux. Après tout, il avait bien des années d’expériences dans ce domaine. Elle se tenait en retrait, le regard scrutant la silhouette de l’inconnu des lieux. Ses habitudes, sa façon de se déplacer, d’observer les élèves de l’école. Tout. Elle observa dans le moindre détail poussé par cette curiosité qui petit à petit devenait malsaine. Malsaine, car c’était aussi une façon de faire taire ses propres problèmes et d’oublier cette fameuse lettre qu’elle tenait enfermée dans un tiroir de sa table de chevet. Incapable d’ouvrir et de faire face à la vérité elle préférait prétendre qu’elle n’existait pas. C’était toujours la solution avec Isadora, prétendre et mentir. Une seconde nature.

14 mars.
20:47

Nuit noire, sous la lune montante. Douceur raisonnable d’une saison en quête d’un printemps proche. Isadora patientait sur le rebord d’un muret, un carnet soigneusement dans ses mains où elle venait noter ses dernières expériences en tête sur les plantes vénéneuses. Sans doute, aurait-elle été plus à son aise à la bibliothèque ou même dans son dortoir. Sans doute, mais elle attendait sa venue. Convaincu, qu’il finirait par fouler l’herbe avant de vaquer à ses occupations dignes d’une sangsue à croc, elle patientait. À force de le suivre de loin depuis plusieurs jours, elle s’était amusée à venir se loger discrètement sur son passage, en veillant chaque fois à ne pas éveiller de soupçon chez le Serpentard. Étrangement, elle était parvenue à rester discrète, du moins elle en était persuadée. La Gryffondor ne doutait pas de ses talents de discrétion, mais un vampire, n’avait-il pas des sens plus accru qu’un être humain ? Pensive, elle releva son visage au bruit grinçant d’une porte menant au parc. L’ange blond sorti, le voilà. Satisfaction personnelle, son carnet se ferma dans un bruit sourd. Il était temps. Non, sans une hésitation, elle se redressa, animée par la curiosité, quittant habilement son muret pour s’approcher du vampire. Tête haute, sourire en coin et la voilà à prétendre de nouveau pour se donner une certaine contenance.

Croisement des regards, elle n’était pas sotte au point de le confronter dans un couloir abandonné du château. Les fenêtres donnaient sur le parc et les élèves continuaient de s’y balader, malgré l’heure tardive. Loin des oreilles indiscrètes, mais assez proches pour se faire entendre si un débordement arrivait. Et Isadora avait beau paraître calme, elle était prête à montrer le contraire au moindre signe de travers du jeune homme. « Lucius, c’est exact ? » S’enquit-elle d’une voix neutre. Elle ne laissa pas l’inquiétude et ou l’avide curiosité qui bouillonnait en elle déborder. Étrange mélange qu’elle contenait à garder au calme pendant que ses yeux restèrent poser sur le visage du vampire.  Quel gâchis de l’avoir tué si jeune. Soupir, sa main glissa dans la sacoche qui pendait à son épaule, d’une part pour y glisser son carnet, d’autre part pour vérifier que l’intrigante note s’y trouvait bien. Parfait, elle y était. Peut-être qu’il pourrait lui éclairer sur l’identité de cette personne. « Tu sembles t’être déjà fait des ennemies. » Un brin de sarcasme dans la voix, car c’est incontrôlable pour Isadora de faire sans. « Tu le savais ? »

Question stupide, réponse tout aussi semblable. Rien qui ne l’étonna, juste une envie personnelle de s’insulter elle-même, car ça ne lui ressemblait pas. Toutefois, peut-être valait-il mieux passer pour une idiote. « Il est vrai. » Absente au loin de ses pensées, le jeu du paraître avait commencé à la minute où elle avait bondi du muret. Alors, oui, elle semblait pensive, mais la réalité était tout autre, au fond, elle restait attentive — sur ses gardes — à chaque geste et mots du vampire et à leur environnement. Loin d’être sourde, elle avait parfaitement entendu sa question : « Et tu es ? » Elle l’ignora volontairement, déviant son regard une fraction de seconde sur un petit groupe d’élève un peu plus loin, Lucius avait-il vraiment envie de savoir ? Garder cette information, son identité, pour elle lui provoquait un sentiment fort, l’impression de contrôler un minimum la situation, bien qu’elle était consciente du monstre face à elle. Toutefois, peut-être faisait-il partie de ces tueurs en série qui désirait connaître le nom de leur victime avant d’agir. Pensée naïve d’une adolescente avec un trop-plein d’imagination, au fond le vampire devait bien s’en foutre de son identité.
Elle délaissa le groupe d’élève qu’elle guettait pour reposer son regard sur le vampire. Tant qu’ils étaient là, Isadora se sentait assez en confiance. Loin d’être une grande courageuse, la jeune fille n’avait pour autant pas froid aux yeux, mais elle n’était pas stupide à se jeter dans la gueule du loup sans précaution, elle avait étudié attentivement le moment qui lui semblait opportun. Et l’idée d’être à l’abri des regards n’était pas envisageable. Ainsi, au moindre départ du dernier membre du groupe, il serait temps pour elle de faire de même. Elle n’avait aucune envie de se retrouver seul en tête à tête avec un vampire. Elle ne comprenait toujours pas comment la direction et le ministère avait été conquis par cette idée de faire rentrer un suceur de sang dans les rangs des élèves. La théorie qu’un vampire puisse être végétarien sonnait bien naïvement aux oreilles de l’adolescente. Après tout, on ne pouvait pas lui reprocher d’être ce que sa nature primaire lui demandait d’être. Un monstre. Sanguinaire et assoiffé de sang. Alors s’il venait à commettre une tuerie en plein Poudlard, elle n’en serait pas étonnée, le pauvre vampire. N’allez pas croire qu’Isadora éprouvait pour autant une sympathie face au jeune homme, elle ne le connaissait pas. Toutefois, la curiosité qui l’avait piquée venait grandir de jour en jour et une part d’elle désirait en savoir plus sur sa personne. Elle en avait des questions pour le vampire, mais elle les gardait bien au fond pour elle pour le moment. Ce n’était pas le plus important à l’heure actuelle.

Ignorant les sarcasmes, la téméraire gryffondor ne s’arrêta pas, gardant son calme, comme si elle ne le craignait pas. Quel beau mensonge entre ses regards à la dérobée sur les élèves encore dans le parc et sa méfiance sur les gestes du Serpentard. Peut-être aurait-elle dû écouter les mots griffonnés sur ce bout de parchemins. D’ailleurs, la note venait picoter le bout de ses doigts, la brûler, alors qu’elle s’approchait de la vérité. Elle triturait le bout de papier dans son sac avant de discrètement le sortir, le glissant dans le creux de sa main, bien enfermé à l’abri des regards. Rictus qui venait mordre ses lèvres rosées à la remarque du jeune homme. Raclement de gorge. « J’aurais dû être plus précise. » Lâcha-t-elle sans se défaire de son sourire alors qu’elle venait soupirer doucement. « Je pensais plus à un ennemi dont tu connaîtrais potentiellement l’identité. » Elle patientait après le moment opportun pour lui tendre. Hésitante face à la vérité de l’identité. Isadora était loin d’avoir une ribambelle d’amies, si bien que cette note anonyme l’avait intrigué au plus haut point tout en l’agaçant. Elle, qui aimait tout savoir, se retrouvait face à une énigme et elle se devait de trouver la réponse. « Tu n’aurais pas croisé quelqu’un que tu connaîtrais d’avant ? » Dans son hypothèse, Lucius était la clé pour la mener à sa réponse alors elle comptait bien se servir du vampire pour y accéder. Elle se décida enfin à lever le bout de papier qu’elle tenait dans sa main, le coinçant entre son index et majeur avant de l’agiter sous les yeux du Serpentard.

« Oui, d’avant. » Agacement — Son soupir venait la trahir, ça ne l’amusait pas de répéter, mais elle insista convaincue d’être sur la bonne direction. Une question d’intuition qui bouillonnait dans sa tête. Le sursaut qui suivit, elle n’avait pas pu le retenir. Un geste inattendu, trop rapide pour la laisser impassible quand le mot lui fut arraché des doigts. Ne connaissait-il pas la délicatesse ? Isadora tenta de garder un minimum de contenance alors que son cœur, sous la surprise avait manqué un battement. Dissimuler les émotions derrière un regard elle savait faire, mais elle avait conscience qu’ici, elle ne jouait plus sur son terrain habituel. Ce n’était plus ses camarades qu’elle avait face à elle, mais un monstre d’une centaine d’années. Elle s’obligea à retenir ses remarques qui venaient lui brûler le bout des lèvres. Si elle voulait son aide, c’était sûrement mieux ainsi. Et puis la crainte ne voulait définitivement pas la lâcher, restant vissée dans ses entrailles. Elle récupéra le mot et bien qu’il ne lui était plus d’aucune utilité, elle se garda bien de le jeter, le glissant de nouveau soigneusement dans son sac. Parce qu’au fond, on ne sait jamais.
Un chasseur de vampires. Ses yeux se posèrent de nouveau sur le jeune homme, le scrutant dans l’espoir de déceler une information, mais rien. La réponse ne lui semblait pas correcte, ça résonnait étrangement au fond d’elle. « Je doute que ce soit ça. » Intuition intime et parce que les mots soigneusement écrits sur ce parchemin laissaient sous-entendre un message bien précis. L’inconnue connaissait Lucius et elle en était convaincue que lui aussi.

« Nous ne sommes pas là pour juger mes capacités. Mais trouver un nom. » Un sourire de politesse força ses lèvres alors qu’elle croisait ses mains dans son dos. Elle lança un regard au groupe d’élèves qui venait de diminuer, le couvre-feu approchait. Et bien qu’elle restait prudente, une part d’elle était presque tentée de désobéir à ses propres réserves pour obtenir une réponse avant la fin de la soirée. “Me trompé-je si j’émets l’hypothèse que tu n’as pas beaucoup d’amies ? ’’ Bingo. Le vampire venait de taper dans le mille. Isadora n’avait pas beaucoup d’amies et ce n’était un secret pour personne. Toutefois, là ou elle aurait pu se sentir vexée, peinée ou bien même honteuse, il n’en était rien. Cette remarque la laissait indifférente. « Outch, c’est blessant. » La gryffondor posa sa main contre son cœur prétextant grossièrement être blessée par ses mots. Jouer un peu de ses émotions avait le don de venir la détendre et calmer son angoisse qui s’amusait à parcourir son corps depuis le début de leur conversation. Puis, ça devait l’aider à continuer de passer pour une idiote, alors tout lui semblait parfait. Depuis son arrivée à Poudlard, elle n’avait jamais réellement couru après l’amitié, celle de son frère suffisant amplement. Évidemment, il lui arrivait de converser avec les élèves de sa maison, même de son année, mais de là à penser ses relations comme des amitiés ça lui semblait compliqué. Une amitié ne devait pas être basée sur une construction solide de sincérité ? La menteuse qu’elle était en était incapable. Isadora veillait à calculer ses relations par simple intérêt. Prenez Azure, elle tournait autour de la jeune préfète dans le simple bute de la faire tomber. Parce que l’incompétence lui sortait par les yeux, et qu’elle désirait ce que sa cadette possédait, un simple titre qui manquait à sa collection. Une perte de temps au fond, mais c’était un autre débat.  

« Mon entourage féminin est assez restreint. » Il y avait Salem et Agatha en première ligne, l’une étant sa cousine et la seconde partageant le même dortoir qu’elle. Toutefois, elle doutait que Salem soit l’initiative de cette note, elle lui en aurait directement parlé. Quant à Agatha, la question ne se posait pas pour elle, Isadora ne se considérait pas assez proche de sa camarade. Peut-être au fond, il n’était question que d’une camarade de classe qui l’appréciait sans qu’elle n’y fasse attention. Après tout, elle n’était pas toujours détestable, il lui arrivait d’avoir ses bons jours. « Et en dehors de ma cousine et ma colocataire de chambre... Mais je doute que ce soient elles. » Ne pouvait-il pas renifler le bout de papier et trouver la personne qui se trouvait derrière tout ça ? Un air moqueur glissa sur son visage à cette pensée. Il restait un animal, un chasseur alors tout comme un chien, il devait être en mesure de se servir de son odorat. Pinçant ses lèvres un moment, elle tenta, ses yeux le scrutant pour attraper la moindre information. « Une Salem MacMillan ou une Agatha Kline ça te parle ? » Elle ne risquait rien de poser la question, au pire, cela venait confirmer ses pensées et dans le cas contraire de nouvelles questions viendraient frapper à la porte.

Les mots de trop, ça lui donnerait presque la nausée si son ventre n’était pas si vide. ‘‘Je ne vais pas te manger’’ Elle esquissa une grimace, mi-dégoûtée par l’idée même de se nourrir de sang. Était-ce vraiment si délicieux ce goût de fer en bouche ? Au fond, elle se doutait bien d’être dans l’incapacité de comprendre ce régime alimentaire, parce qu’elle était vivante, elle. Fuis. La voix dans sa tête venait de reprendre du service alors qu’elle l’observait. Elle aurait dû fuir, toute comme elle n’aurait jamais dû se mettre en quête de lui parler, mais la curiosité l’avait guidé jusqu’ici. Et à cet instant, c’était cette même curiosité qu’il la laissait vissée sur place.

L’amitié. La conversation glissait sur un chemin délicat et désagréable à mesure que les mots sortaient. Il lui était insupportable de reconnaître que Lucius marquait un point. Les barrières fièrement érigées dans sa tête s’effritaient à mesure que le sujet tournoyait entre eux. Elle avait beau prétendre, se moquer d’avoir des amies, inconsciemment ça la pesait. Le souci, c’est qu’à trop mentir; elle, c'était elle-même perdu dans les méandres de ses émotions. Elle est seule et c’est un fait, mais cette solitude elle ne se la devait qu’à elle-même. Alors bien qu’elle prétendît une blessure, au fond d’elle, cette dernière existait. Elle refusait juste de l’accepter. C’est sans doute pourquoi les mots du vampire éveillèrent chez elle une douce lueur dans ses yeux. Des mots soigneusement choisis et elle venait sans le savoir plonger la tête la première dedans. Isadora restait parfois bien naïve. « J’imagine que tu as plus des fanatiques, que des amis non ? » Un peu de compassion, même sa voix s’était adoucis inconsciemment. Et bien qu’ils soient diamétralement différents, elle ne put réprimander la comparaison qui s’insinuait dans sa tête. Ça n’avait rien de bon, définitivement rien de bon pour elle, mais il était trop tard pour faire marche arrière maintenant que la graine venait de germer dans son esprit.

Alors elle admet ne pas côtoyer énormément la gente féminine, parce qu’elle n’a rien à cacher sur ce sujet. Il suffit de demander aux restes de Poudlard pour obtenir la même réponse à propos d’elle. Isadora l’avait accepté, sans doute, car ça lui a toujours permis de cacher qui elle était réellement, et depuis peu, dissimuler un mal-être grandissant. Toutefois, la réponse ne sembla pas la satisfaire autant qu’elle l’aurait cru. Méfiantes, face aux mots du vampire, pourtant, elle n’y décelait que la vérité. Alors, c’est un soupir, un peu désespérer de ne pas assouvir la curiosité qui grandissait dans ses entrailles, qui s’échappa de ses lèvres. Pourquoi ne pouvait-elle pas obtenir cette identité d’un claquement de doigts ? Sa tête se retrouva rapidement mise à rude épreuve, assiégée par des pensées désagréables face à son incapacité de trouver. L’idée de lui proposer de renifler le mot glissa de nouveau dans sa tête, hésitation ultime. Isadora ne pouvait pas se résoudre à demander un tel service, et ce, pour diverse raison. La première, elle craignait sa réaction, la seconde un vampire avait-il vraiment un si bon odorat ?

Pensive, elle se battait inconsciemment dans sa tête. Brillante d’ordinaire, elle ne supportait pas se retrouver face à un problème sans réponse. Elle se vit rapidement rappelée au moment présent lorsqu'il vint une fois de plus se moquer d'elle. C’était mérité, mais à la place de se taire elle roula ses yeux et esquissa un sourire en coin. « Qu’est-ce que je risque ? T’offrir une indigestion ? » Sarcasme, peut-être aurait-elle dû éviter, pourtant, elle laissa sa langue librement dévoiler ses pensées. Sans doute que la fatigue venait aussi impacter sa capacité à être totalement prudente. Ou alors c’était les potions soigneusement données par l’infirmière de Poudlard. Deux choix de réponses plausibles. Elle s’apprêtait à rajouter quelques mots soigneusement choisis quand il se pencha subitement dans sa direction. La proximité. Si elle parvenait à contrôler son visage, évitant ses joues de rougir, ses yeux eux, la trahir une fraction de seconde. Elle déglutissait, mais contre toute attente elle ne prit pas la fuite. Parce qu’elle n’avait pas envie de perdre la face, peut-être aurait elle dû. Puis il y avait quelque chose d’étrange qui la poussait à garder son regard fixé dans le sien.
« Oui. » Vérité. Sans doute des deux. Elle n’avait aucune raison de mentir, surtout qu’elle se doutait qu’il le soit, car Lucius n’était pas un élève comme un autre. Le monstre face à elle avait piqué sa curiosité depuis la note. Toutefois, s’il n’avait pas été un vampire, se serait-elle lancée dans ce petit jeu d’observation ? Aurait-elle tant voulu savoir l’autrice de cette missive ? Elle connaissait la réponse. Elle resta immobile, poussée par un courage qu’elle ne se connaissait pas, appelé : inconscience. Ses yeux passant de ses dents, trop blanche à ses yeux en contrastes si sombres. Elle n’avait aucune envie de finir avec une morsure, mais s’il lui était possible de trouver l’identité de son inconnue et d’observer le vampire de plus prêt, elle était prête à signer. « Tu m’aiderais à trouver cette personne ? »

Aveuglée par son propre ego, il lui semblait impossible de tomber la tête la première dans un piège. C’était impossible parce que sa confiance en elle, son orgueil écœurant la poussait à ne pas douter. Elle était persuadée d’être assez maline pour déceler le vrai du faux. Si elle savait à quel point, elle se trompait. Il avait réussi à venir semer en elle un semblant de sympathie. Un exploit. La graine fleurissait, laissant la compassion s'instiller dans ses veines, et jusque dans sa tête. Et elle n’y voyait que du feu, encore plus lorsqu’il vint confirmer ses mots. Elle imaginait bien, la confortant dans ses idées et que peut-être n’étaient-ils pas si différent. — Il restait un monstre et pourtant, durant un instant elle l’omit. Oubliant qu’il aurait pu la briser en une fraction de seconde pour nourrir un simple ennui. Elle n’était à cet instant qu’une innocente qui venait glisser naïvement dans un venin indolore, incapable de sentir l’étau se resserrer autour d’elle. Il était temps qu’elle ouvre les yeux.

Là où elle n’était plus maître de la situation, son subconscient tentait lui, de l’alerter. Une gifle mentale, tel un seau d’eau glacée, elle ferma ses yeux une fraction de seconde. Le dégoût au bord des lèvres, parfait pour venir lui remettre un semblant d’idée en place. “Il me faut bien trois ou quatre corps pour commencer à être barbouillé.’’ Un monstre. Isadora était loin d’être écoeurée facilement, des corps sans vie, du sang, les récits de son grand-père en étaient remplis. Toutefois, ils étaient bien différents car les morts n’avaient pas pour but de nourrir. Peut-être que c’était sa façon inconsciente de garder en mémoire face à qui elle se trouvait. Mais l’image qui venait s’imposer dans sa tête, provoqua une étrange répugnance envers elle-même. Une pointe de curiosité se dessinait derrière cette horreur. Elle l’ignora, gardant son joli sourire sur ses lèvres, pour ne pas se trahir, ne pas dévoiler ses pensées baignant dans une curiosité grandissante. C’était un problème pour un autre temps. « Mais tu ne peux pas avoir comme des… Intoxications alimentaires avec certains sangs ? » Elle tenta, question idiote, pour occuper le vampire et laisser de côté ce qui s’immisçait dans sa tête. Au fond, une partie d’elle restait sincèrement intéressée. Isadora était persuadée que la réponse pourrait lui être utile, un jour, ou l’autre. Et puis, il restait une mine d’or d’un savoir qu’elle ne détenait pas encore.

Puis tout vacilla. Idiote — à trop joué avec le feu, il finit toujours par nous brûler, ne le savait-elle pas ? Ses sens s’affolèrent, elle était prête à signer, mais à quel prix ? Isadora sentait la situation lui glisser entre les doigts, si elle pensait jusqu’ici la maîtriser un minimum, cette fois-ci, la vérité la foudroya. Il dominait. Brutale, désagréable, comme une explosion d’émotion qui venait saccager sa tête. Ça l’empêchait d’aligner des pensées cohérentes, alors qu’immobile, elle fixait le vampire devant elle. Lucius venait de briser la barrière de son espace vital, dernière bâtisse de sa zone de sûreté. Sans pouvoir le contrôler ses joues prirent une teinte rougeâtre, venant contraster avec sa peau déjà si pâle d’un manque de sommeil affligeant. La gêne, la peur, tout venait se mélanger dans sa tête. Le regret s’immisça, pourtant personne ne l’avait pousser à lui poser sa fichue question. Elle tenta de tenir tête, de ne pas bouger malgré la peur qui l’immobilisait. Ça ne dura qu’une fraction de seconde, le temps que les crocs deviennent visibles sous ses prunelles tétaniser. Pathétique. Un simple mot de mise en garde, une curiosité maladive et la voilà dans une mauvaise situation. “Et qu’est-ce que j’obtiens en échange ?” Rien. Qu’avait-elle à lui offrir ? L’idée était bien présente dans sa tête, mais elle se refusait de lui donner. Et puis même si elle avait voulu, elle en aurait été dans l’incapacité, car l’angoisse venait la clouer sur place. Elle se sentait comme un bout de viande alors qu’il lui arracha un frison désagréable en venant toucher sa peau. Dégoût. Et si jusqu’ici la peur avait gardé ses pieds solidement attaché dans le sol, son corps, lui, fini par basculer. Elle tomba en arrière, sur ses fesses, car à trop basculer pour s’éloigner de ce monstre, c’était inévitable.— Tétanisée, elle était tétanisée.

« Oh. » Dommage, l’inverse aurait pu lui être utile. Peut-être que par précaution devrait-elle veiller à s’intoxiquer elle-même le sang avant de venir pousser les prochaines conversations, juste en cas où il lui mentirait. Et si toutefois, il y en avait.

— La chute suivit. Tétanisée, incapable de faire fonctionner ses neurones correctement. Une part d’elle se demandait s’il ne bluffait pas, pourtant, elle avait bien fini au sol.
La peur, ce n’était pas un sentiment inconnu. La jeune sorcière était familière à cette sensation, mais de là à se retrouver tétanisée, c’était une grande première. Isadora se retrouva au sol, rouge de honte et ravagé par ce qui la tenaillait. Elle en vomirait presque alors que son corps entier explosait face à la douleur des tremblements qui la saisissait. Jamais elle n’aurait pu penser réagir de la sorte. La fuite était bien souvent sa carte maîtresse. Elle l’employait à longueur de journée alors pourquoi pas cette fois ? Pourquoi quand son corps lui hurlait de disparaître, elle n’y parvenait pas ? Quand ses pieds avaient refuser de lui répondre Isadora avait comprit que quelque chose clochait. C’était elle le problème ? Sa tête était à ce point cassé qu’elle ne parvenait pas à bouger ? Au fond, bien au fond elle savait, pourtant ça ne voulait pas remonter à la surface, venant la torturer un peu plus. Elle frotta ses mains contre sa jupe, grimaçant face aux égratignures qu’avait provoqué sa chute. C’était douloureux, mais bien plus pour son ego. Il y avait la peur, mais il y avait aussi la honte qui ne voulait pas la laisser en paix. Pourtant, ne devrait-elle pas remercier sa maladresse de l’avoir envoyé sur l’herbe ? Elle venait de lui éviter le pire. Elle resta longuement, silencieusement, déviant son regard des prunelles du vampire à ses pieds. Submerger par l’émotion et l’incompréhension de ses réactions, ses paupières venaient papillonner, troublées par la tournure étrange de la situation. Elle qui ne voulait trouver qu’un nom, finissait dans un état pathétique. Et à cet instant elle n’avait qu’une envie : s’enterrer sous terre. Ironie alors qu’elle se retrouvait littéralement face à un mort.

Et la pourriture qui venait s’esclaffer de la situation. Amertume qui glissa dans ses veines à mesure que son rire résonnait dans ses oreilles. Aurait-il préféré qu’elle se laisse docilement faire ? La griffonne ne faisait pas partie de ceux qui rêvaient secrètement de goûter le baiser d’un vampire contre sa chair. “Je crois qu’on peut dire que je suis renversant !” Elle releva ses prunelles encore dilatées par la peur sur le vampire. Il a de l’humour et à sa place, elle rirait sans aucun doute de sa propre personne. Mais elle n’y était pas, elle avait platement échoué et se voyait déjà rentrer bredouille. Il lui reste désormais plusieurs options, fuir et oublier cette rencontre. Où rester et espérer ne pas se faire croquer ? Serait-ce possible que tout cela ne fût que pour s’amuser d’elle ? De sa peur bien trop visible ? L’espoir, naïf de n’être pas qu’un énième bout de viande. Et si c’était lui l’auteur, espérant éveillée la curiosité d’élève dans le simple but de se remplir l’estomac. Toutes les hypothèses passèrent dans sa tête, mais aucune ne tenait la route et c’était le plus rageant. « Renversant. Oui. » Répéta-t-elle entre ses lèvres pincés. Il l’était, et dire qu’elle avait un peu plutôt ressenti un début de compassion envers sa carcasse sans âme. Elle passa une main sur son visage, la glissant jusque dans ses cheveux qu’elle tira en arrière pour les ordonnés un minimum. « J’imagine que… » Elle soupira, allait-elle vraiment avoir des réponses contre son sang ? N’était-ce pas possible de trouver une autre solution ? Elle resta au sol, debout ou ici, elle ne se sentait pas plus en sécurité. Et puis elle n’était pas certaine que ses jambes soient dans la capacité à la tenir, encore tremblante d’émotion.

♪

Le danger - Le souffle du vent glissa dans ses cheveux, emportant avec lui l’effluve de son parfum de violette dans l’air, mêlé à celui de son sang. Elle n’en avait pas conscience encore à cet instant, mais tout bascula rapidement. Indolore pour son nez de sorcière, la voix du vampire, sifflante, la figea. Elle cessa de frotter ses mains contre son vêtement, avant de regarder ses dernières. Écorchures partielles, pourtant l’air piquant sa chair fut nécessaire pour la réveiller. Ça ne dura qu’une fraction de seconde, alertée par les mots du vampire qui venaient résonner dans sa tête. Elle tira sur ses manches, tentative hâtive et inutile pour cacher les plaies causées par sa chute. Jusque-là, Isadora ne semblait pas vraiment consciente de la gravité de la situation. C’était comme si son instinct vital était éteint, profondément endormi. Ou peut-être l’avait-elle perdu ces dernières semaines.

Lucius recula, il plaqua son bras contre son visage, offrant un affreux spectacle qui resserra l’étau de sa peur autour de son cœur. Il lui sembla même entendre un gémissement s’échapper de sa bouche, tandis qu'Isadora se figea. Tic.Tac. Elle n’était plus vraiment certaine de ce qui se passait, tout était flou autour d’elle à l'exception du monstre, debout devant elle. La seule chose dont elle prenait petit à petit conscience, c’était sa position de proie bien trop facile. C’est alors que l’étincelle s’alluma dans sa tête, elle devait fuir. Si jusqu’ici elle s’était retrouvée tétanisée par sa peur, les jambes tremblantes, incapable de bouger, son corps sembla enfin reprendre le contrôle. Il s’empara des commandes sans même que sa tête ne s’en aperçoive. Alors que tout semblait flou autour d’elle et que son champ de vision se limitait au vampire, elle se retrouva debout.

Le groupe d’élèves avait disparu depuis bien longtemps, ils ne restaient plus qu’eux dehors. Ce lieu, au croisement des regards, avait désormais un goût d’échec, porté par l’angoisse qui accélérait son rythme cardiaque. Tic.Tac. Isadora recula d’un pas, son sac sur son épaule menaçant de tomber. Un autre pas, alors qu’elle avalait difficilement sa salive. Sur ce plan aussi, elle avait échoué, comme une enfant qui tente de mentir pour la première fois. Lucius avait tout déchiffré et elle, rien. Les manches tirées contre ses écorchures se relevaient alors qu’elle pivotait. Isadora, l’angoisse au ventre, tourna le dos au vampire, pressant le pas pour s’enfuir. Et d’une marche rapide, elle se retrouva à courir à toute allure. Tic. Tac. Très rapidement, une sensation de brûlure glissa dans sa cage thoracique. Le manque d’air étant la cause première, elle ne savait pas bien respirer et sa condition physique n’était pas très élevée. Elle n’aimait pas le sport, elle n’avait jamais aimé, alors son endurance ne pouvait pas suivre. Pourtant, poussée par ce sentiment de danger, elle ne fléchissait pas. Ses muscles la tiraient, ils étaient passés de figés et contractés par la tétanie à courir comme si sa vie en dépendait. Au fond, n’était-ce pas le cas ?

Idiote, elle n’avait pas songé que cette rencontre tournerait à l’horreur ; que la curiosité se transformerait en effroi. Les mots apposés sur ce bout de papier ne l’avaient-ils pas mise en garde ? Isadora ferma ses yeux, essayant de calmer les palpitations de son cœur qui n’avaient cessé d’augmenter à mesure qu’elle s’éloignait du vampire. Et alors qu’elle venait se laisser tomber contre le mur froid du couloir, pantelante, elle ne parvenait pas à éradiquer ce sentiment de compassion qu’il avait fait naître en elle.