Les jours se succédaient et se ressemblaient tous. Janvier fut mouvementé, tout comme février. Le souvenir de sa confrontation avec Silas avait laissé un goût d’amertume dans sa bouche. Une part d’elle voulait sa vengeance, lui faire payer de l’avoir fait plier si facilement. Une autre, le fuyait comme la peste pour ne pas reconnaître ce qui s’était passé ce jour-là. Si la raison n’avait pas eu le dessus, elle se serait sans doute retrouvée à l’infirmerie. Qu’en aurait pensé ses parents ? Sa mère sans doute aurait montré de l’inquiétude, mais son père, ça aurait été bien différent. Elle ne souhaitait pas rentrer dans la provocation avec ce dernier, ce n’était pas son rôle. Encore moins quand l’angoisse d’une nouvelle pouvait tomber à tout moment. Fichu oreilles traînantes, si seulement elle avait pu rester dans l’incertitude de son début de sixième année. Les mises en garde de sa mère avaient été suffisantes pour réveiller le doute. Mais désormais, elle savait ce qui l’attendait et l’attente marquait ses insomnies, mentalement plus que d’apparence et Isadora sentait la fatigue qui venait faire peser un poids intense sur ses épaules. Heureusement pour elle, l’excuse de son état passait même aux oreilles des plus sots de ce château. Les révisions. Elle remettait sans cesse la faute sur ses études, parfaite couverture qui offrait l’échappatoire de la vérité. Après tout, il n’y avait rien d’étonnant d’observer son visage cerné dû à de longues sessions le nez plongé dans des livres poussiéreux, c’était même ce que tout le monde s’attendait d’elle. Alors elle ne se priverait pas de continuer à utiliser cette carte pour nier l’angoisse et ses propres problèmes.

La quiétude de la bibliothèque lui permettait de souffler, de se réfugier dans sa solitude tout en prenant le contrôle de ses pensées. Si étudier était l’excuse de ses cernes, le mensonge n’était pas si proche de la vérité. Afin de faire taire ce qui l’assiégeait mentalement elle avait redoublé sa présence dans ce lieu de connaissance. Travailler plus, pour oublier plus. Une devise qui n’avait rien de malsain sur le papier, mais qui pourtant jouait sur ses nerfs et sa patience légendaire. Aujourd’hui, n’échappait pas à la règle, et une fois ses cours terminées elle était venue se terrer ici, prétextant à son frère un devoir de botanique à finir. Elle n’aimait pas lui cacher ses angoisses, mais tant que rien n’était officiel, la benjamine de la famille MacMillan préférait demeurer dans le silence. Ce n’était sûrement pas juste, mais bien plus simple pour lui permettre de nier la vérité. Sa main tira un des livres de botanique posée sur la table où elle s’était installée devant ses yeux afin de vérifier un point avant de venir gratter de la pointe de sa plume son parchemin. La concentration se lisait sur son visage et ses camarades savaient qu’il ne valait mieux pas la déranger, sans doute, car ils savaient le risque qu’ils encouraient à s’y oser.

Le bruit des pas se rapprochant d’elle éveillèrent ses instincts primaires, un rapide regard jeté à la dérobée pour apercevoir Keylan FitzGerald, un gryffondor de son année, marcher dans sa direction. Il lui était assez étrange de le voir entre ses murs, lui qui semblait ne connaître que le mot : Quidditch. L’étonnement dura une demi-seconde sur son visage avant qu’elle ne fronce ses sourcils en reportant son attention sur le livre sous ses yeux. Peut-être s'était-il tout simplement perdu, ou avait-il rendez-vous avec une personne de la gente féminine. L’idée de le voir ici pour travailler lui semblait juste inconcevable. Noircissant son parchemin, sa plume se retrouva en suspens au-dessus du papier en entendant la chaise face à elle être tirée contre le sol. Le bruit lourd l’irrita et sa mâchoire se crispa une demi-seconde avant qu’elle ne lâche un soupir. Pourquoi elle ? Agacement profond, elle garda pourtant au fond d’elle une remarque désobligeante à l’encontre du jeune homme. Pourquoi l’attaquer ? Il s’était contenté de s’asseoir sans un mot. Il finirait bien par partir de lui-même, après tout la rouge et or ne lui donnait pas longtemps avant qu’il n'abandonne cette lubie passagère de travailler. N’avait-il pas mieux à faire, comme faire l’idiot sur un balai ? Où encore baver sur de vieux joueurs de Quidditch. Isadora ne le détestait pas, non, mais rien n’était fait pour qu’elle puisse l’apprécier pour autant. Alors, elle décida de l’ignorer et de se replonger sur son étude des plantes vénéneuses pour le cours de Botanique avec Griffith. Puis, s’il décidait de l’ennuyer elle pourrait toujours l’utiliser en cobaye. La pensée lui fit relever son regard sur le gryffondor face à elle et un rictus se posa sur ses lèvres. « Je pensais qu’on apprenait à écrire avant d’entrer à Poudlard. » Sarcasme bouillant, elle venait laisser ses yeux juger le parchemin vierge d’encre de son camarade. Peut-être que si Isadora prenait le temps de s’intéresser au gens, elle serait surprise de pouvoir les apprécier. Pourtant, elle semblait fuir toute interaction qui déplairait à sa famille. « Ne te donne pas de mal, pas besoin d’un cerveau pour faire mumuse sur un balai. » Sport barbare. Elle ne parvenait pas à comprendre l’engouement qui tournait autour, à la grande déception de son paternel.

Poudlard perdait de sa grandeur, loin d’être toujours en adéquation avec les idées de son paternel, la demoiselle ne pouvait qu’être en accord sur ce point-là. Il suffisait d’observer les dernières promotions d’élèves, la réussite passait bien après l’amusement. Le comportement de ses camarades le témoignait, son frère lui-même en était un exemple parfait. Pourtant, elle fermait les yeux sur lui, le suivant parfois dans ses âneries et s’offrant un peu de légèreté. Car oui, Isadora était studieuse, mais il arrivait de la voir embarquée au côté d’Azraël dans une stupidité sans nom. Cela n’enlevait pour autant pas la réalité qui était bien là. Poudlard n’était plus et depuis bien longtemps, tout comme de nombreuses famille venait disparaître dans l’oubli. Pour la sienne, Isadora n’avait pas le droit d’échouer, alors elle passait une majorité de son temps la tête dans les livres, essayant d’oublier la pression qui reposait sur ses épaules. Si l’échec venait de pointer son nez, ça en était fini pour elle et sans doute pour Azraël. Elle s’était mise en tête, que pour permettre à son aînée de vivre la vie qu’il entendait, elle se devait d’être doublement parfaite. Ozwald, l’aînée de la famille MacMillan l’aidait à porter le poids du destin familial, mais la peur n’en restait pas moindre.

Griffonnant sur son parchemin, la rouge et or, souhaitait terminer sa recherche pour passer au cours suivant. Libre d’alléger son emploi du temps, elle avait gardé presque toutes ses matières. Ça n’avait étonné personne au vu de ses résultats. Alors elle avait cherché la quiétude de la bibliothèque pour avancer bien plus rapidement dans ses tâches et surtout pouvoir se retrouver seule. L’arrivée de Keylan avait chamboulé ses plans et éveiller en elle sa gentillesse fulgurante par des remarques qu’elle aurait pu taire. Tout aurait pu se dérouler sans un mot si elle avait tenu sa langue, mais la tentation avait été bien plus forte. Après tout, oublié de tremper, sa plume avant d’écrire restait stupide. Isadora scrutait son camarade avant de rouler ses yeux face à l’exaspération de ses mots. Exaspérant, mais amusant, peut-être que ses devoirs mettrait plus de temps à se faire, mais peut-être son esprit resterait-il plus longtemps occupé loin de ses problèmes. Le gryffondor était souvent une bonne distraction avec leurs échanges fréquents de piques. Toutefois, elle n’allait pas lui souhaiter pour autant la bienvenue et se reconcentra sur son occupation première : son parchemin de botanique.

Une vague de mot percuta de nouveau son espace vital et elle décida finalement de reposer sa plume contre la table. Elle venait lui offrir un minimum de considération, espérant ainsi entendre un peu moins de bêtise sonore, il déblatérait à un rythme rapide des mots qui venait percuter sa peau sans pour autant la marquer. Libre, en fuyant les problèmes, étrange concept de la liberté songea-t-elle alors qu’elle assistait à une démonstration presque théâtrale. Son menton fini par se loger dans la paume de sa main, observant le garçon sans s’en cacher. Peut-être Keylan devrait-il abandonner le Quidditch pour se lancer dans le théâtre. Pensée fugace qui fut chassée par des mots aux allusions grotesques, bien qu’amusantes de l’irlandais. « Waho, quelle classe dis moi. » Son sourire, dans le coin de ses lèvres témoigna cependant de l’amusement de ses mots.

La jeune MacMillan ne le haïssait pas, à vrai dire, elle n’avait jamais vraiment haït quelqu’un dans le château. Son comportement pouvait parfois démontrer le contraire avec ses mots acéré soigneusement utilisé, mais c’était surtout une forme de paraître et de protection. Le cas de Keylan restait tout de même différent, il l’agaçait sincèrement parfois, mais une part d’elle parvenait à l’apprécier et sans doute, car il venait lui tenir tête sans jamais laisser un manque de respect pointer le bout de son nez et rien que pour ça, elle veillait à faire de même. « Plus sérieusement, qu’est-ce que tu fais ici ? »

Scrutant son camarade de maison du bleu de ses yeux, Isadora se vit parcourir d’une interrogation sans importance. Ça ne dura qu’une fraction de seconde, mais assez pour la rendre intensément pensive. Les barrières de son esprit tombaient parfois pour laisser l’étrangeté de son être prendre le dessus. Si Keylan basculait en arrière, s’il venait à se fracasser le crâne contre le sol, se verrait-il couvert de honte ou bien nierait-il l’embarras comme si rien ne s’était produit. Un coup de baguette et ses doutes pouvaient s’envoler, pourtant, elle ne fit rien, gardant ses mains loin du bout de bois qu’elle savait utiliser avec une habilité certaine. Keylan était peut-être habile sur un balai, elle, elle l’était d’autant plus avec sa baguette. C’était la continuité de son bras, l’arme fatale qui venait picoter trop souvent ses doigts. C’est le son de la voix du jeune homme qui l’éloigna de cette chaise qui ne tenait plus que sur deux pattes et de ses pensées loin d’être douce.

Procrastination. Digne d’une faiblesse d’esprit, Isadora était parfois elle-même face à une procrastination inconsciente. Après tout, il est humain de vouloir prendre la direction d’un plaisir immédiat contre celle des tâches difficiles. La gryffondor n’échappait pas à la règle. « Il est vrai que c’est le lieu propice à ton art. » Railla-t-elle avec sarcasme alors qu’elle fermait son livre devant elle. « Peut-être qu’en prenant une table non-occupée ça pourrait t’aider à l’avenir ? Enfin, ce n’est qu’une idée. » Si elle désirait encore travailler, la rouge et or, comprit qu’une pause forcée venait de pointer le bout de son nez. C’était loin d’être un plaisir pour elle et qui souhaitait rester occuper le maximum. Toutefois, elle soupira, se résignant de la situation qui lui échappait par se face à face avec Keylan. Peut-être allait-il au moins parvenir à l’occuper un tant soit peu. C’était désormais sa mission.

Mouvement de recul, elle souhaitait garder le peu d’espace vitale possible. Si Keylan se trouvait face à elle, ce n’était pas dû à son bon vouloir, le garçon s’était imposé de lui-même. Ainsi, elle releva l’un de ses sourcils à sa question, qu’est-ce qu’elle faisait ? N’était-ce pas évident avec ses livres de botaniques sur la table et son parchemin - bien qu’à l’envers pour ses yeux - portant le titre de 'cours de botanique' ? Elle fut alors tentée de répondre à côté de la question, encore du sarcasme et de l’agacement non dissimuler de sa part. Rien de très étonnant venant de la jeune MacMillan. À la place, ce fut tout autre. « J’étudie les plantes mortelles, afin de mieux te tuer ensuite, dans ton sommeil. » Sincérité dérangeante dans sa voix, c’était là où ses mots pouvaient devenir dangereux. Menteuse experte par nécessité puis devenue par choix, elle s’y plaisait. Demi-mensonge, son étude restait vraie poussée par son obsession des plantes vénéneuses qui elle l’espérait sincèrement lui serait un jour d’une grande aide. Après, de là à vouloir assassiner le jeune homme, c’était exagéré. Toutefois, laisser penser le contraire lui arrachait un sourire en coin souligné par l’amusement qui pétillait dans ses yeux.  

Elle n'avait qu'à lui dire. Elle roula des yeux face à l'ineptie qui venait de passer les lèvres de son camarade de maison. L'idiot. Pensait-il vraiment qu'elle n'oserait lui répondre ? «  Tu me gênes. » Elle ne sourcilla pas en prononçant ces quelques syllabes. Une vérité qui tendait petit à petit vers le mensonge. Mi-vérité, mi-mensonge, elle ne lui laissa pas pour autant l'occasion de savoir ce qui se tramait dans sa tête. Si Keylan avait perturbé sa petite session de révision, elle appréciait tout de même la présence de son camarade de maison. Il apportait un soupçon de saveur à sa journée bien fade et éloignait ses pensées saccageuses. Car tapie dans l'ombre, elle ne restait jamais loin, prête à surgir et à l'ensevelir sous une épaisse couche d'angoisse.

«  C'est peut-être déjà trop tard, » lâcha-t-elle, sous-entendant que le crime avait déjà été commis. Elle lança un petit sourire en coin au jeune homme pour accompagner ses mots avant de replacer une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « Des découvertes passionnantes, figure-toi, notamment sur les Tentacule vénéneuse. Elles sont fascinantes et j’aimerais beaucoup m’en procurer un pied. Mais c’est compliqué car elle fait partie des substances interdites à la vente.» Elle savait pertinemment qu'il se fichait bien de ses recherches, encore moins de botanique, mais peut-être qu'ainsi elle parviendrait à l'agacer assez pour le faire fuir. Car bien qu'elle appréciait sa présence, la demoiselle était prête à retourner à son occupation première avant qu'il n'arrive. Elle s'apprêtait à lui livrer ses découvertes, celles qu'elle s'autorisait à partager, quand elle se retrouva nez à nez avec le jeune homme. Elle ne l'avait pas vu se rapprocher si près, si bien que la proximité la surprit. Il était bien trop près à son goût, bien trop pour que le rouge ne vienne teinter légèrement ses pommettes. Il ne pouvait pas lui parler sans empiéter sur son espace vital ? Elle resta silencieuse, s'impatientant dans un regard un peu noir, toutefois elle ne recula pas. Sûrement par fierté, pour ne pas subir une remarque de la part de Keylan.

Elle fronça les sourcils à sa question en secouant négativement la tête. Il venait de raviver la flamme de la curiosité en elle. Ça crépitait à mesure que l'intérêt gonflait et illuminait ses pupilles. «  Non, bien sûr que non... » Elle pinça ses lèvres en venant à son tour regarder autour d'eux afin de s'assurer que personne n'écoutait. S'il se fichait de se faire prendre, ce n'était pas son cas. « Qu'as-tu derrière la tête ? » demanda-t-elle curieuse, alors qu'une petite idée germait dans son esprit. Au fond, Isadora avait beau paraître studieuse, il ne lui fallait que quelques mots pour réveiller son instinct d'aventure. Elle aimait rester discrète, mais si elle pouvait s'aventurer vers l'interdit, elle ne disait rarement non. Il ne lui fallait que quelques mots pour la faire craquer.