Un doux parfum de biscuits sucrés, des chandeliers illuminant la pièce, des flammes voletant dans la cheminée, des éclats de rire au détour du canapé, une douce musique servant une atmosphère légère. Voilà comment il aimait imaginer les vacances de noël lorsqu’il n’était encore qu’un enfant, emplis de rêves et d’espoirs. Mais les désirs d’un enfant ne semblaient être désormais qu’un lointain souvenir. Les vacances prenaient fin, et avec elles, un soupir de soulagement de s’en aller pour quelques mois dans le château froid mais accueillant du monde magique. Peut être s’était-il bercé d’illusions en pensant que la situation ne pouvait s’empirer. Peut être que l’atmosphère festive à Poudlard les jours précédent la pause hivernale l’avait empli d’une légèreté et d’un optimisme aussi stupide qu’illusoire. Dans le train le menant à son école, le garçon prit place dans un wagon et s’avachit sur l’une des banquettes. Il ne prit pas la peine de relever la tête lorsque des camarades d’école entrèrent à leur tour. Il ne bougea pas, se contenta simplement de fermer les yeux, et de s’enfermer dans un monde qu’il ne connaissait que trop bien. Seul. Silencieux. Immobile. Ses traits tirés et son corps fatigué acceptèrent sans rechigner ce moment de repos qu’on lui offrait. Si bien qu’il n’ouvrit les yeux que lorsque les voix remplis d’excitation à l’arrivée ne pouvaient plus être ignorés.

Il n’avait pas accepté la proposition d’Eléonore de venir passer les vacances chez elle. Et cela pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il ne le pouvait pas. Après tout, il n’était qu’un gamin, et sa mère prenait encore les décisions pour lui, et elle ne daignerait certainement pas mettre un centime pour l’envoyer chez une fille qu’elle ne connaissait pas. La vérité … il ne lui avait même pas demandé. Lui demander aurait eu comme conséquence de se nourrir d’espoir avant qu’elle n’écrase cette proposition, et il n’était pas du genre à se faire de faux-espoirs. Et il ne tenait pas à impliquer sa mère dans ses relations hors demeure familiale. Il ne voulait pas tout mélanger. Il s’était résigné à rentrer tout en ne jouant pas franchement franc-jeu avec El. Elle avait sans doute compris de toute manière, sans qu’il n’eût besoin de lui donner trop de détails.

Au déjeuner, il retrouva la table des Serpentards, et les mets divins que préparaient les elfes de maison. Pour autant, Bailey ne semblait pas avoir faim. Il jouait avec sa fourchette poussant d’un côté puis de l’autre de l’assiette sa nourriture. Fatigué, courbaturé, l’adolescent ne se sentait pas très bien. Il n’avait décroché que bien trop peu de mots depuis qu’il était arrivé à l’école. Mais personne ne semblait s’en inquiéter, et il n’avait pas l’intention de le faire remarquer à qui que ce soit. Il aperçut El au loin, à sa table, avec les autres poufsouffle. Il lui fit un signe de tête poli et leva une main. Une douleur à l’épaule le fit grimacer. Et il se reconcentra sur son assiette qui ne diminuait pas. Les retours à Poudlard semblaient de plus en plus difficiles. Il ne comprenait pas réellement pourquoi. Avant, il rêvait de ces moments pendant des jours, des semaines, mais cette année … revenir allait de pair avec les nuits sans sommeils, la fatigue intense, le stress … et toute sorte d’émotion compliquée à gérer. Alors quand il comprit que son assiette resterait intouchée, il se leva et quitta la table. Il s’étira comme pour essayer de se débarrasser de quelques douleurs énervantes, puis abandonna la Grande Salle.

Assez vite, il se retrouva dehors. Son visage fut frappé par le froid mordillant de l’hiver désormais bien installé. Il souffla. Puis il se dirigea vers un coin du parc, assez éloigné de l’entrée pour que ne vienne pas trop l’importuner. Il s’installa sur le sol froid et dur, et sortit une cigarette de son sac. Rien que cela pourrait lui faire gagner la première retenue de l’année. Mais pour le moment, il s’en fichait. Il l’alluma et prit une première bouffée. Et il eut l’impression de pouvoir respirer à nouveau. Il ferma les yeux un instant … et les ouvrit presque aussitôt lorsqu’il sentit la présence d’une personne à ses côtés. Eléonore venait de prendre place sur le sol, près de lui. Il lui offrit un faible sourire, un peu mal à l’aise. Gêné peut être parce qu’ils n’avaient pas eu beaucoup de contacts depuis qu’il lui avait confié l’un de ses secrets. Pas nécessairement parce qu’il ne lui faisait pas confiance (si c’était le cas, il ne lui en aurait pas parlé), mais parce qu’il avait lui-même du mal à assumer ses mots et la portée que ceux-ci pouvaient avoir sur une fille aussi solaire que sa camarade. Il espérait néanmoins qu’elle ne soit pas trop fâchée de son apparente froideur, il avait simplement parfois du mal à gérer ses propres émotions face à lui-même.

Elle lui souffla un salut. Mince. Il devait réellement avoir une sale tête pour qu’elle le salue de cette manière. Mais elle ne lui laissa le temps de rien avant d’enchainer à toute vitesse pour délivrer le message qui lui brûlait les lèvres.

Il ouvrit de grands yeux ronds, comme première réaction, et il resta figé un instant. Un instant qui lui parut une éternité. Des pensées envahirent son esprit et il sentit son cœur s’accélérer, comme si le stress le comprimait et menaçait de l’étouffer.

– Non. Non. Non.

Les mots résonnaient dans sa tête, et avaient visiblement passé la barrière de ses lèvres.

– Qu’est-ce que t’as dit exactement ?

Demanda-t-il alors que son regard se bloqua dans celui d’Eléonore. Vaine tentative de reprendre le contrôle sur une situation qui semblait lui avoir totalement échapper. Le calme apparent pour récolter les informations au lieu de s’abandonner immédiatement à une colère qu’il n’était pas certain de savoir maitriser.

– Putain.

Souffla-t-il cherchant à contrôler cette chaleur qui montait en lui.

– Mais qu’est-ce qui t’es passé par la tête

Il se releva rapidement, incapable de rester une seconde de plus assis tranquillement sur le sol alors que l’équilibre de son monde menaçait désormais de s’écrouler. Et entre la peur, la colère, et le stress, il ne savait quelle émotion pouvait prendre le dessus. Ce sentiment de panique était pour le moins insupportable. Il prit une autre cigarette. Recherchant avec envie cette sensation qu’il avait eu quelques minutes plus tôt, cette impression de respirer alors qu’il manquait désormais cruellement d’air.

@Eléonore G. Wright

Il ignorait ce qui se passait dans sa tête et n’arrivait pas à rationaliser les raisons pour lesquelles Eléonore s’était empressé de courir vers le directeur de l’école. Son aveu eu le même effet qu’un coup de point dans le ventre. Non, en réalité, cela semblait presque pire. Il en avait déjà reçu, mais celui-ci venait des mains d’une personne en qui il avait confiance, une personne auprès de qui il avait abaissé sa garde. Peut-être aurait-il dû s’y attendre. Après tout, la demoiselle avait un insisté sur le fait que cette situation était anormale, qu’on ne pouvait rester sans rien faire. Alors pourquoi se trouvait-il maintenant surpris qu’elle ait agi au lieu de rester les bras croisés. Peut-être pensait-il avoir été assez clair lorsqu’il lui avait annoncé de vive voix qu’il ne souhaitait pas en parler à qui que ce soit. Était-ce sa décision de ne pas venir chez elle pendant les vacances qui avait précipité cet acte ? L’adolescent laissa échapper un juron, avant de se relever du sol froid pour pouvoir bouger librement. Une cigarette pour essayer de se calmer, de respirer, dans un monde qui chaque jour l’opprimait un peu plus. Que lui avait-il pris ? Il laissa ses paroles en suspens, alors que de nombreuses pensées envahirent à nouveau son esprit. Comment allait-il s’en sortir ? Comment faire disparaitre cela sans que ça ne remonte aux oreilles de sa mère. La panique s’installait doucement alors qu’il pensait aux conséquences que tout cela pouvait avoir pour lui. Il venait de sortir de deux semaines d’enfer, et visiblement le cauchemar allait continuer. Il venait à en espérer que cela soit une vaste blague, ou bien que le dirlo ne soit qu’un bon à rien sans grande envie de bouger son petit doigt.

Et s’il avait ressenti une fatigue intense depuis qu’il avait posé un pied au château, celle-ci était maintenant absorbé par le flot d’information et de questions dans sa tête. Il prit une grande inspiration, histoire de garder son calme, peu décidé à se laisser aller devant Eléonore. Malgré cela, il était clair que le serpentard avait du mal à rester en place. Tout son corps semblait tendu. La voix de la jeune femme retentit à nouveau. Elle lui expliqua qu’elle ne savait plus quoi faire face à la destination. Il fronça les sourcils, et elle lui tendit des lettres avant qu’il n’eût le temps de lancer une réplique cinglante. Le garçon les attrapa avant de poser ses yeux sur les bouts de parchemin.

Il ne pût s’empêcher de lever les yeux au ciel en lisant la réponse du directeur de l’école. Il l’agaçait, même s’il ne comprenait pas réellement pourquoi. Rien. Mais peu importe. Même s’ils ne pouvaient pas faire grand-chose, en ouvrant la bouche, Eléonore avait elle-même ouvert une brèche. Le directeur garderait un œil ouvert, peut-être même allait-il en parler au reste des professeurs ou à l’infirmière de l’école. On le regarderait différemment, comme s’il était une pauvre petite chose qu’ils devaient protéger tout en ne faisant pas grand-chose. Et peu importe ce qu’il ferait ou dirait, il ne pouvait pas revenir en arrière. Même s’il pouvait les convaincre que tout allait bien, n’auraient-ils pas tout de même un petit doute ?

Eléonore reprit en lui indiquant que sa parole était insuffisante tant qu’il ne parlait pas. Se voulait-elle rassurante en lui indiquant que rien ne se passerait ? Bien sûr qu’il ne parlerait pas. Mais cela, elle le savait sans doute déjà, ce qui expliquait pourquoi elle avait balancer dans son dos, sans essayer elle-même de le convaincre d’y aller.

– Si je parle de quoi ?

Lâcha-t-il, las, froid. Aveuglé, étouffé par son monde en constante balance, il se demandait réellement comment elle avait pu croire un instant qu’elle l’aiderait en agissant de la sorte. Car lui ne voyait que les ennuis qui se multiplieraient. Et la dernière chose qu’il avait envie de connaître était la colère noire de sa mère quand elle apprendrait ceci.

– J’t’ai dit que je gérais. Il me serait rien arrivé.

Ajouta-t-il visiblement plus en difficulté pour contenir sa frustration. Tout n’était pas rose à la maison, il s’en rendait bien compte. Les mauvais jours étaient significativement plus nombreux que les bons jours. Mais cette vie, il la connaissait, il savait la naviguer la plupart du temps. Et il savait aussi qu’il ne lui arriverait rien de grave. Et qu’elle ne puisse pas le voir ou le croire semblait le rendre fou. Peut-être l’était-il déjà.

– J’vais me faire défoncer.

Souffla-t-il pour lui-même plus que pour Eléonore. Parce que maintenant, il devrait limiter la casse en priant tous les dieux et Merlin que cette accusation n’arrive jamais aux oreilles de sa mère.

– Mais pourquoi ?

Pourquoi quoi ? Même lui n’en était pas sûr.

– T’as pas idée dans quelle merde tu me mets.

Lâcha-t-il d’un ton glacial. Cette phrase n’avait de but que de la blesser. Il s’en voulut presque immédiatement.

La colère, l’impatience, l’anxiété, la peur des conséquences. Bailey se trouvait perdu dans un flot d’émotion qu’il ne se sentait pas prêt à affronter. Pourquoi diable avait-elle pensé lui faire une faveur en courant dans le bureau du directeur ? Il ne comprenait pas. Il n’arrivait pas à donner du sens aux actions d’Eléonore, alors qu’il lui avait fait confiance. Chose qu’il regrettait sans doute à ce moment précis. Il se sentait étouffé, enfermé dans son propre corps, dans lequel une force intense semblait prendre plaisir à appuyer sur sa poitrine. Il prit une grande inspiration. Hors de question de se laisser aller à une crise de panique maintenant. Il devait garder la face, il devait se reprendre, il devait commencer à réfléchir comment se sortir de cette situation dans laquelle elle l’avait jeté. Il fallait qu’il parle, lui dit-elle, sinon sa parole n’aurait aucun crédit. De quoi ? Lâcha-t-il d’un ton las, rejetant d’un revers de la main toutes les suppositions qu’elle se faisait. Elle savait pertinemment qu’il mentait. Il le savait aussi. Mais à ce moment précis il n’y avait que sa parole contre la sienne, et Bailey ne semblait certainement pas prêt à délier sa langue.

Il prit une seconde inspiration. Il sentait cette boule d’air brulant se former dans son estomac, il avait l’impression que ses pensées traversaient bien trop vite son esprit, que son air se faisait plus rare. Une réaction physique à un mal purement psychologique. Ses mains bougeaient le long de son corps, comme s’il était incapable de rester totalement immobile, trahissant cette anxiété qui montait en lui. Il allait se faire défoncer. Si cette histoire arrivait aux oreilles de sa mère … il ne savait pas comment elle pourrait le prendre, quelles seraient les conséquences. Et pour être honnête, il ne tenait pas réellement à le savoir. Dans sa normalité, il savait comment gérer sa vie, comment gérer ses émotions, comment gérer ses actions la plupart du temps pour obtenir la meilleure réaction, ou du moins la moins pire. Eléonore avait relancé les cartes, et il n’avait plus la main sur le jeu, chose qui le terrifiait.

Elle lui rappela qu’il était toujours blessé quand il revenait des vacances, et qu’il était bien trop vieux pour n’être considéré que comme un gamin un peu casse-cou. Il bougea la tête sans réellement poser son regard sur elle. Que pouvait-il bien dire pour sa défense ? Il savait qu’il ne pouvait pas la convaincre du contraire, elle était bien trop têtue sur le sujet.

– Justement, j’ai jamais fini à l’hôpital. Rien d’ingérable. Jusqu’à maintenant.

Maintenant … sous-entendu depuis qu’elle a pris la liberté de tenir quelqu’un au courant. Pour lui, ça n’avait jamais été trop grave, rien qui justifiait d’aller chez le médecin, aller à l’hôpital. Il avait toujours géré, et il pouvait le faire.

– Je peux encaisser, n’aie pas peur pour moi.

Dit-il d’un ton sérieux. Parce qu’il y croyait réellement. Pour lui, il ne mentait absolument pas à Eléonore en lui disant cela. Et il ne comprenait pas qu’elle ne puisse pas le croire, qu’elle ne puisse pas le comprendre alors qu’il avait l’impression d’être clair et stable. Ce qu’il n’était pas vraiment finalement. Son langage corporel le trahissait bien plus qu’il ne s’en rendait compte.

Il était peut-être trop dur avec elle. Bien sûr que ce qu’il lui arrivait chez lui n’était pas de sa faute à elle. Mais le fait que la situation allait devenir plus compliqué était malheureusement lié au fait qu’elle avait parlé, et cela, elle devait s’en rendre compte. Elle se détourna de lui, prête à partir. Il posa ses yeux sur le dos de la jeune fille un instant. Il prit une inspiration, essayant tant bien que mal de calmer ses nerfs, mis à rude épreuve aujourd’hui. Mais elle fit finalement demi-tour et se planta devant lui avant de reprendre la parole …

– Je n’ai pas de porte de sortie, El, c’est ma seule famille.

Lâcha-t-il après quelques secondes de silence. Sa voix était moins dure parce qu’il ne pouvait commencer à imaginer ce qu’elle avait pu ressentir dans cette sombre période de Poudlard. Il ne pouvait pas se mettre à sa place pour ça. Et il ne cherchait absolument pas à comparer sa douleur à la sienne. Il savait pertinemment qu’elle avait sans doute plus souffert que lui. Mais il était coincé.