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Silas était un éternel insatisfait. Personne n’était plus surpris de le voir s’acharner sur des détails ou de répéter encore et encore les mêmes gestes jusqu’à maîtriser parfaitement la tâche qu’il tentait d’accomplir. Aussi, ce matin-là, personne n’essaya de le retenir lorsqu’il rejoignit le terrain de quidditch libre pour s’entraîner seul à pourchasser le vif d’or. Le poste d’attrapeur était de loin celui qui lui convenait le mieux, par son aspect solitaire et concentré à l’extrême ; c’était un rôle coulé pour lui dans les moindres détails. Pourtant, il n’était – évidemment – pas satisfait du résultat jusqu’ici ; il était persuadé de pouvoir faire mieux, de toujours pouvoir faire plus. Après s’être changé dans les vestiaires, il avait décollé en même temps que le vif sans même un regard en arrière pour Bane, qui s’était installé dans les tribunes en couvant son maître de ce regard abyssal qui conjuguait tout à la fois un désintérêt profond et le mystère des arcanes de l’artefact. Le ronronroulant paraissait toujours inexpressif, mais le Serdaigle avait appris à interpréter malgré cela une liste non négligeable de subtiles manifestations vocales et gestuelles qui lui indiquaient l’humeur du chat-qui-n’était-pas-un-chat.

Rapidement, il se trouva enveloppé par la brume qui s’était levée et pesta contre l’humidité qui poissait déjà ses vêtements. D’un autre côté, les conditions étaient intéressantes pour pratiquer. Elles le mettaient suffisamment en difficulté pour affiner sa perception de l’environnement et des éclats métalliques du vif. Et puis, hormis ce froid moite qui le faisait frissonner et augmentait les douleurs de sa jambe, le temps était à l’image de son humeur : gris – ciel chargé de nuages aux contours indéfinis qui donnaient une aura de fantôme à quiconque se perdait dans le brouillard. Cependant, l’adolescent n’eut pas le temps de se complaire dans cette ambiance accordée à son air maussade, car une autre silhouette bleue se découpa bientôt sur le terrain. Un instant déstabilisé, Silas décida de l’ignorer. De toute manière, il n’avait besoin de personne pour s’entraîner et son coéquipier n’espérait vraisemblablement pas d’aide ; autrement, il ne serait pas venu seul.

Une heure passa ainsi, sans que l’attrapeur ne fasse jamais mine de saluer le membre de son équipe. À force de tourner dans le stade sur son balai adapté, il avait fini par reconnaître la silhouette du garçon : Caelan Hunter, un troisième année qu’il ne portait pas spécialement dans son cœur. Ce n’était pas qu’il ne l’aimait pas ; mais on ne pouvait pas dire qu’il l’aimait pour autant. Il s’agissait de l’un de ces élèves passifs et silencieux qui ne prenaient que très rarement la parole et ne s’imposaient jamais – typiquement le genre de personnalités dont Silas avait horreur. Leur relation (ou plutôt leur absence de relation) se cantonnait donc au mépris le plus froid et indifférent. Pour ce qu’il en savait, le sentiment était réciproque. Pour quelle raison Caelan l’ignorait-il tout aussi froidement, en revanche, c’était une bonne question. Enfin, il y avait toute une foule de raisons de ne pas aimer Jørgensen : son caractère flamboyant, sa voix trop forte, ses manières, sa vulgarité, son obsession pour la justice sociale et sa personnalité absolutiste. Le cadet avait l’embarras du choix et, à vrai dire, Silas n’en avait pas franchement grand-chose à foutre. Du moment qu’on lui fichait la paix, ça lui allait très bien.

Le jeune homme s’en tint donc à cette ligne de conduite durant toute la session d’entraînement, avant de revenir à terre pour se diriger vers les vestiaires. Il était trempé à cause de la brume, ce qui plaquait ses cheveux mi-longs en mèches filasse sur son visage anguleux, et son uniforme lui collait à la peau ; si bien que sa jambe tordue apparaissait nettement aux spectateurs de ce moment, chose exceptionnelle puisque Jørgensen s’appliquait toujours à la camoufler sous d’épais et amples vêtements. Sans compter que la fatigue et l’humidité avaient ajouté du ridicule à sa démarche chaloupée et de la peine à sa boiterie. Autant dire qu’il ne se présentait pas au meilleur de sa forme, raison pour laquelle il s’empressa de se réfugier sur le banc près des casiers pour se frotter la tête avec une serviette – histoire de retirer le plus gros des perles d’eau désagréables sur son crâne et sa face. Bane ne tarda pas à sauter sur le banc où son propriétaire s’était assis, allongeant sa mauvaise jambe comme il le pouvait pour la soulager d’avoir été compressée si longtemps dans le fourreau de son balai adapté. Inévitablement, une grimace s’étira alors qu’il massait précautionneusement son genou déformé, laissant la serviette pendre autour de son cou le temps de se délasser un peu. La douche chaude ferait le reste.

Perdu dans ses pensées, il n’entendit pas les pas de Caelan s’aventurant à son tour dans les vestiaires et sursauta en voyant sa silhouette se découper dans sa vision périphérique. Immédiatement, il eut le réflexe de rabattre sa mauvaise jambe près de lui pour la soustraire vainement à son regard, l’air soudain vulnérable.

— Putain, tu m’as collé une de ces frousses, lâcha Silas pour détourner l’attention de son embarras.

Ordinairement, il s’isolait pour se changer et se doucher ; et surtout, il ne laissait personne voir aussi nettement les contours de sa déformation, dont les courbes et les angles se dessinaient clairement à cause du pantalon détrempé qui collait à sa peau pâle.

ft. @Caelan E. Hunter
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C'était comme ça.

Il faisait un temps de chien mais hors de question pour Caelan de remettre son entraînement à plus tard. Ca faisait plus d'une semaine qu'il avait calé cette date, qu'il avait prévu les exercices à accomplir et leur ordre. Pour une fois qu'il consacrait du temps à quelque-chose qui lui plaisait vraiment, une activité qu'il avait lui-même choisie, ce n'était pas un peu de pluie qui allait l'arrêter.

Et le brouillard était son élément. Il dissimulait efficacement bien des choses. Il imposait une vigilance accrue. Il permettait, quand on parvenait à le maîtriser, de nouvelles manières de surprendre ses adversaires. Le petit Hunter en venait à espérer que, s'il était un jour officiellement pris dans l'équipe de Serdaigle, son premier match se déroulerait dans de telles conditions météorologiques. Il aurait au moins un peu plus de chances de s'en tirer contre des camarades bien plus costauds, bien plus rapides, bien plus aguerris que lui au Quidditch.

En attendant, il profitait de ce rare temps à lui pour s'exercer au tir, en variant ses approches des anneaux. Il n'avait pas particulièrement envie de s'entraîner en équipe, convaincu que ce qu'on appelait esprit d'équipe ou cohésion d'équipe ne valait rien face aux compétences individuelles de chacun. Il suffisait d'un élément faible pour perdre le match et il ne voulait certainement pas être celui-là. L'équipe de Serdaigle n'avait jamais vraiment brillé par ses performances en tournoi, sauf pendant la saison 2027-2028. Caelan s'en souvenait très bien. C'était en regardant ses camarades mettre une raclée à Gryffondor qu'il avait eu pour la première fois l'envie de candidater pour rejoindre l'équipe.

Son père s'y était opposé, bien sûr. Et il avait du attendre plus d'un an qu'Irvin fasse des siennes, que l'attention du paternel se redirige sur son grand frère, pour oser outrepasser les consignes d'en haut. Il le paierait à un moment ou à un autre, c'était certain. Mais pour l'instant, il volait sur le balai prêté par l'école, libre d'aller dans la direction qu'il souhaitait. La pluie imbibait sa tenue jusque là immaculée, s'infiltrant jusque dans ses chaussettes. Elle trempait ses cheveux d'ordinaire si bien coiffés. Parfois, quand il lançait le souaffle en direction d'un anneau, le garçon si calme et si sage accompagnait son geste d'un râle rageur.

Il ratait plus de tirs qu'il n'en réussissait mais, après un temps, ça ne le dérangeait même plus. Il se sentait tellement bien. Parfois, il oubliait ce qu'il avait planifié, se perdait dans le brouillard et ne parvenait pas à retrouver son chemin. Il s'amusait même, conscient de ne pas être vu, à plonger de son balai sur le souaffle quand celui ci était à terre. Tout ça l'excitait un peu. Parfois, il voyait au loin la silhouette de Silas, reconnaissable par son balai adapté, qui devait s'entraîner de son côté aussi. Bien loin de Caelan l'idée de vouloir le déranger. Son aîné avait un sacré caractère. Il avait l'impression que s'il abordait le président de l'association des droits des élèves, celui-ci allait lui reprocher d'emblée quelque-chose, comme par exemple de maltraiter son balai, parce que les balais devaient sûrement avoir des droits eux aussi. Ou peut-être de ne pas porter de gants synthétiques ou il ne savait quoi d'autre de farfelu encore.

Mais, plusieurs fois, quand la brume se dissipait un peu, Caelan s'arrêtait pour l'observer poursuivre le vif d'or. Il devait l'admettre : son camarade était loin d'être mauvais et volait même avec une certaine grâce dont il était bien incapable à terre.

Finalement, la fatigue prit le dessus sur l'excitation. Devinant Silas en train de redescendre, le jeune Hunter se demanda quelle heure il était. Sa montre était avec ses affaires au vestiaire, la brume ne se dissipait toujours pas et il avait bien du mal à déterminer depuis combien de temps il virevoltait. Dans le doute, il se dit qu'il était plus prudent d'arrêter là, lui aussi.

En approchant des tribunes, il vit le grand échalas claudiquer et attendit qu'il soit rentré pour se poser à son tour et rejoindre les vestiaires, où il le retrouva dans une position plus qu'intriguante, presque recroquevillé sur lui-même.

Putain, tu m’as collé une de ces frousses.

Caelan resta interdit quelques secondes à le regarder. Irrémédiablement, son regard fut attiré par ce que le grand tentait sans grand succès de cacher. On aurait dit une bête blessée, acculée, à la merci de son chasseur. Le petit Hunter connaissait bien ce sentiment pour l'éprouver assez régulièrement. Alors, quand il comprit que son regard insistant allait sûrement être mal interprété, il se détourna du genou mal formé et alla rejoindre son casier avec pour seul commentaire un laconique : "Pardon."

Dégoulinant, il s'assit sur le banc, retira sa robe maculée de boue et constata de visu qu'il n'avait probablement jamais été aussi sale de sa vie. Ca le faisait sourire un peu. Prendre une douche et se changer pouvait attendre, il avait encore envie de sentir ses vêtements lui coller à la peau, ses mèches gorgées d'eau sur son front, avant de redevenir le Caelan propret et toujours bien mis que ses camarades connaissaient.

"Alors, tu as fini par l'attraper ?"

Il avait relevé la tête vers Silas et l'observait sans montrer d'émotion particulière. Entamer une conversation avec lui n'avait jamais figuré dans ses plans : c'était un sang-mêlé qui se mêlait de tout, trop bavard, trop curieux, trop rebelle... juste trop, de manière générale. Mais la fatigue, la lassitude dans ses muscles semblait avoir raison de sa méfiance. Avoir vu le grand en position de faiblesse aidait assurément. "Tu me lances une serviette ?" ajouta le Troisième Année en pointant du menton la pile de serviettes propres située juste à côté de son camarade.

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La surprise le disputait à la vulnérabilité sur le visage tiré et encore luisant de Silas. Tentant vainement de dissimuler sa jambe sous le banc dans un angle plus qu’inconfortable, il lança une réplique sans réfléchir pour distraire l’attention de son jeune camarade par une discussion superficielle. Malheureusement, Hunter demeura immobile, l’air passablement déstabilisé quant à ce qu’il convenait de faire ; inévitablement, son regard glissa sur le genou déformé de son aîné, mais Jørgensen fut bien en peine de l’interpréter, car s’il demeura de trop longues secondes à le fixer, il se détourna néanmoins en lâchant un simple « Pardon » impavide. Tandis que ses pas le menaient à son propre casier, le quatrième année contempla son dos sans rebondir sur son excuse atone ; pardon pour quoi ? Pardon de l’avoir surpris ? Pardon de l’avoir fixé ? Peut-être un mélange de tout ça à la fois.

Le corps tendu et sur la défensive, Silas n’esquissa pas un geste ou une parole – du moins, jusqu’à ce que Caelan ne s’asseye sur le banc, encore bien trempé, pour retirer sa robe de quidditch et lancer l’air de rien :

— Alors, tu as fini par l’attraper ?

Le garçon releva la tête vers l’attrapeur, impassible. Ni agressif ni moqueur, à tout le moins. Se détendant imperceptiblement, Jørgensen tira sur la serviette qui pendait autour de son cou pour en envelopper son genou trop visible à son goût, prétendant frotter sa jambe humide. Ainsi dissimulée, sa malformation lui causait moins de tensions dans les épaules face à un (presque) inconnu.

— Tu me lances une serviette ? l’interrogea-t-il quasiment aussitôt après sa première question, indiquant d’un geste du menton le linge empilé à côté de lui sur le banc où il était assis.

D’un hochement de tête sec, l’aîné s’empara d’une serviette propre et sèche, puis la lança à son camarade d’un geste habile ; pile entre ses mains.

— Ouaip, confirma-t-il d’un ton un peu distant. Trois fois. Mais c’est pas pareil pendant un entraînement et un match. Là, j’ai le champ libre, pas de cognard à surveiller ou à éviter, pas de joueurs qui volent dans tous les sens et distraient mes yeux, pas de foule qui hurle de tous les côtés… Mais bon, considérant le temps de chiotte, c’est pas si mal, s’accorda-t-il en haussant une épaule molle, une moue boudeuse aux lèvres.

Il aurait pu faire plus ; il aurait pu faire mieux. C’était toujours comme ça. Mais cette pensée ne le tarauda pas autant que d’habitude, car la curiosité s’était allumée dans le bleu de ses yeux perçants, qui dévisageaient à présent la face pâle de son interlocuteur. Se sentait-il obligé de faire la discussion parce qu’il l’avait mis mal à l’aise ? Ou était-ce une véritable tentative de dialogue ? Difficile à dire, dans ce genre de circonstances. C’était souvent la première réponse, et il optait sans trop de mal pour celle-ci au regard du caractère effacé de son cadet. Néanmoins, il n’avait absolument aucune envie de l’épargner en laissant la conversation mourir pour le libérer du sentiment de culpabilité qu’il éprouvait sans doute ; tant pis pour lui, Silas n’avait pas le bon caractère pour brosser les gens dans le sens du poil et leur éviter de pénibles moments passés à ses côtés.

Il croisa les bras, cessant de frotter pensivement sa jambe toujours couverte de la serviette.

— Et toi ? T’as marqué des buts ? C’est pas terrible comme temps, pour s’entraîner, souligna-t-il.

Caelan était débutant ; il aurait mieux valu qu’il perfectionne d’abord ses lancers et ses réflexes avant d’affronter une météo pareille. Peut-être le garçon avait-il finalement un peu moins froid aux yeux que ce qu’avait envisagé Jørgensen ; un point pour lui, si tel était effectivement le cas.

— Sans coéquipier, en plus, ça manque pas un peu d’efficacité ? ajouta-t-il en haussant un sourcil.

N’avait-il donc aucun ami pour lui donner du fil à retordre ? Pour garder les buts, tenter de lui ravir la balle ? Les prunelles de Silas balayèrent les pommettes de Hunter comme pour l’évaluer, déterminer s’il était solitaire ou timide, farouche ou inquiet, buté ou hésitant. Les premières options le rendaient bien plus intéressant qu’il ne l’aurait pensé de prime abord ; mais encore fallait-il que ce soit le cas.

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Le geste de Silas fut si rapide et précis que Caelan n'eut même pas à bouger ses mains. La serviette tomba pile dessus et le Troisième Année ouvrit les yeux de surprise. Ca, c'était une bonne passe, songea-t-il en souriant en coin. Il lui fallut deux secondes au moins pour retrouver un air impassible et commencer à sécher ses cheveux dégoulinants d'eau d'un geste méticuleux, le regard rivé au sol.

Ce n'était pas difficile de faire parler Silas. En général, on finissait par le regretter. Mais cette fois, au moins, son grand camarade ne se lançait ni dans une diatribe enflammée, ni dans une série de remarques acerbes et piquantes. Lui aussi devait être fatigué, en conclut Caelan, mais mieux valait rester vigilant et faire attention à ce qu'il allait dire. Il suffisait vraiment d'un rien avec lui.

Pourtant, le jeune Hunter ne manquait pas d'idées sur quoi rétorquer au blond. En l'écoutant lister tout ce qui pouvait le distraire de son objectif pendant les matchs, il avait eu envie de dire à Silas qu'il réagissait vraiment trop vivement à ce qui se passait autour de lui.

Il ne dit rien à Silas à ce moment là, se contentant de hocher légèrement la tête pour montrer qu'il avait bien entendu. Lentement, sa main droite plaqua la serviette sur son crâne qu'il massa d'un mouvement lent et circulaire. L'envie d'éternuer le prit soudain : son nez le piquait, il se sentait frissonner. Caelan ferma les yeux et se concentra, inspirant et expirant par la bouche jusqu'à ce que l'envie cesse. Finalement, mieux valait ne pas trop tarder à prendre sa douche et se changer, il n'avait aucune envie de tomber malade.

En enlevant ses chaussures boueuses, il observa le petit cinéma de Silas avec son genou. C'était évident qu'il avait mis la serviette là pour le cacher, il se frottait depuis bien trop longtemps. Il voulait lui dire que ce n'était vraiment pas la peine, qu'il s'en fichait pas mal de sa déformation. Mais, alors qu'il ressassait dans sa tête la formulation que Silas prendrait le moins mal, ce dernier le prit de cours en s'intéressant un peu à lui.

Bon, il l'avait cherché en engageant la conversation. Au moins, les questions n'étaient pas trop invasives. C'était le genre de questions auxquelles il était habitué à répondre par des propos un peu flous qui ne l'engageaient personnellement en rien, avec pour objectif final que la conversation meure d'elle-même sans pour autant paraître trop rustre. Une technique qu'il avait eu le temps de peaufiner en deux ans à Poudlard.

"On joue des matchs sous la pluie," fit-il remarquer en haussant légèrement les épaules. "S'entraîner seulement quand il fait beau, c'est bête. Faut bien qu'on s'adapte." L'adaptation n'était-elle pas l'une des bases de la survie ? Chacun s'adaptait et compensait comme il ou elle le pouvait en fonction de la situation donnée. On ne pouvait pas contrôler la météo, à moins d'user de sorts puissants et épuisants. En fait, il y avait pas mal de choses qu'on ne pouvait pas vraiment maîtriser.

Le regard de Caelan retomba sur la jambe blessée du blond, jambe qu'il continuait à frotter et ça commençait à devenir un peu ridicule. Il avait vraiment peur de sa réaction ou il avait juste honte de son handicap ? Alors, après un soupir, le Troisième Année se pencha un peu en avant, darda son regard sur Silas et ajouta : "C'est comme pour ton genou. Tu dois faire avec et ça t'empêche pas d'attraper le vif d'or." Tout en étudiant la réaction du blond, il se défit de sa robe de Quidditch et entreprit d'enlever ses chaussettes humides.

"Et on s'entraînera ensemble plus tard", embraya-t-il presque aussitôt. "Ca me dérange pas d'être seul." Rejoindre l'équipe de Serdaigle, c'était son rêve depuis un an. Il avait profité de l'hécatombe au sein de l'effectif pour se glisser là, comme une sorte de passager clandestin. Sa prestation étonnament brillante pendant les sélections lui avait assuré une place de poursuiveur. Il s'agissait maintenant de préserver l'illusion le temps de la mériter vraiment.

Et puis, dans l'équipe, il y avait Jun. Et Dmitri. Et Silas.

Caelan soupira. Il voulait conseiller quoi à l'attrapeur, déjà ? De ne pas trop réagir à ce qui se passait autour de lui ? Ouais, non, il avait mieux fait de se taire. Son seul avantage face au grand blond, c'était sa capacité à dissimuler ses réactions, une capacité apprise à la dure depuis tout jeune. Et pourtant, depuis le début de l'année, le petit Hunter ne savait pas trop pourquoi, ça lui paraissait vraiment beaucoup plus compliqué qu'avant de rester de marbre face à tout ce qui se passait et ce qu'on pouvait dire ou penser de lui.

Ca n'en restait pas moins essentiel, se répéta-t-il en se levant pour rejoindre les douches, pile de vetements propres entre les mains, savon dessus. Alors qu'il s'apprêtait à passer devant Silas, le contact froid de ses pieds nus au sol lui donna à nouveau envie d'éternuer, alors il bloqua sa respiration et plissa légèrement les yeux qu'l redirigea vers le balai un peu pourri que Poudlard lui prêtait et qui s'egouttait à l'entrée des vestiaires.

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La passe habile de Silas eut au moins le mérite d’arracher une expression de surprise et un petit rictus à son camarade, qui dissimula tout cela derrière sa serviette pour se sécher, son regard balayant le sol sans plus chercher le contact. Quelques hochements de tête par-ci par-là pour acquiescer à ses explications, une vague tentative pour se retenir d’éternuer et un effeuillage partiel de ses vêtements gadoueux furent les seuls signes de vie que son aîné capta. Sa curiosité le tira toutefois de son mutisme, arguant qu’il fallait bien s’adapter aux conditions météorologiques fluctuantes des matchs, avant de laisser ses prunelles glisser à nouveau sur le genou déformé de son interlocuteur ; aussitôt, ce dernier se tendit imperceptiblement.

— C’est comme pour ton genou. Tu dois faire avec et ça t’empêche pas d’attraper le vif d'or, lâcha Hunter pour illustrer son propos.

Les lèvres de Jørgensen se plissèrent en une fine ligne sévère, tandis que ses sourcils bruns se rejoignaient d’un air courroucé. Pour qui se prenait-il, exactement, à émettre de telles suppositions et comparaisons futiles ? Avec ses explications à la noix, là.

— Ça a rien à voir, répliqua-t-il d’un ton cinglant. Le handicap, c’est pas comme la météo. Reste à ta place, grogna-t-il en laissant tomber la serviette qui recouvrait jusqu’ici son genou pour ôter le haut de son uniforme trempé, découvrant un mince torse parcouru de frissons. Et pour ta gouverne, faut déjà assurer son jeu par bon temps avant de se frotter aux mauvaises conditions.

Comme en miroir, les deux garçons achevèrent de se dévêtir en prévision de la douche ; l’un plus aisément que l’autre. Silas prit soin d’enrouler sa taille de la serviette avant de retirer son pantalon, afin que son genou nu ne soit pas exposé à ce regard qu’il méprisait. Il n’avait pas envie de sentir le poids de sa curiosité morbide et déplacée sur ce qui n’appartenait qu’à lui.

— Et on s’entraînera ensemble plus tard, poursuivit Caelan, sans se laisser démonter par les airs de bouledogue de son coéquipier. Ça me dérange pas d’être seul.

Un regard perçant glissa sur la silhouette malingre du cadet ; toujours hautain, mais moins sur la défensive, moins hérissé. Être désagréable sans être hostile, c’était plus ou moins la première étape d’une tentative de trêve pour Silas.

— Pourtant, le quidditch se joue en équipe, rappela-t-il en haussant un sourcil encore humide. Y a que le gardien et l’attrapeur qui jouent dans leur coin. Si y a pas d’esprit d’équipe, y a aucune chance de remporter la victoire.

C’était un peu culotté de sa part, lui qui tenait davantage du loup solitaire que du membre de la meute, mais ça n’en restait pas moins vrai. Jørgensen appréciait son équipe et savait déployer des trésors d’énergie pour soulever l’enthousiasme de ses camarades ; un talent qu’il mettait en règle générale à profit lorsque sa sœur et sa mère l’emmenaient manifester. À Poudlard, il n’avait jamais vraiment su le mettre en pratique, trop vulnérable aux moqueries qui s’étaient insinuées loin dans son esprit hérissé de méfiance, peu enclin à tendre la main à ceux qui lui avaient plus souvent prouvé qu’ils étaient mesquins plutôt que bienveillants. Seule une poignée d’élèves échappait à cette règle, et elle se comptait sur les doigts d’une main. Sans doute Silas serait-il plus agréable à vivre s’il n’avait pas la sensation permanente de marcher sur des charbons ardents à chaque fois qu’il mettait un orteil dans les couloirs. Il était fatigué des regards, des rumeurs, des rires assourdis sur son passage.

Caelan se leva pour se diriger les douches, avant de s’immobiliser pour expulser l’éternuement qu’il tentait de retenir depuis tout à l’heure. Avant qu’il puisse le réprimer, Silas avait émis un petit rire qui secoua ses épaules dénudées.

— Tu vas attraper la mort si tu te rues pas sous l’eau chaude, gronda-t-il sans pouvoir s’en empêcher, sur ce ton fraternel qu’il employait avec Nora.

Sans même attendre sa réaction, il passa devant l’autre garçon en serrant ses affaires contre son torse, prenant garde à ne pas faire glisser la serviette enroulée autour de sa taille avec sa boiterie prononcée après cette séance harassante. Pénétrant dans l’une des cabines sans se soucier de ce que fichait Hunter, il accrocha ses affaires au crochet et acheva de se déshabiller complètement avant d’accueillir dans un soupir la brûlure du liquide contre sa peau glacée. Son genou se détendit immédiatement, en dépit des contractures qui grignotaient déjà ses muscles ; Silas s’appuya d’une main contre le mur carrelé, piqué de gouttelettes, pour alléger la pression exercée sur sa mauvaise jambe et réprima un petit gémissement de soulagement alors que la tension s’évaporait soudain. Ce que ça faisait du bien, putain.

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