Chat-perché ! [Vesper & Nikita]

Un frôlement sur son visage le réveilla aussitôt en sursaut. Perché sur ses couvertures, à demi invisible dans le noir tamisé du dortoir, le Kot Baioun le fixait silencieusement. D’abord pris d’un sainte frousse, Nikita eut comme premier réflexe de reculer le plus loin possible du chat mais celui-ci – étonnamment lourd soudain – pesait de tout son poids sur son torse, empêchant le moindre mouvement. Il avait déjà fait ce rêve, le Baioun l’écrasait, l’empêchait de respirer et il suffoquait, suffoquait…

Puis il rassembla ses esprits. Autour d’eux, ses camarades de dortoir dormaient à poings fermés à en croire le rythme lent de leurs respirations provenant de derrière les tentures des baldaquins. Nikita reprit sa respiration, son cœur battait la chamade. Silencieux, un peu moins lourd peut-être, le Baioun n’avait pas bougé aussi le jeune homme pénétra-t-il l’esprit du chat. C’était toujours étonnement facile, la légilimancie, avec la créature. Elle laissait entrer aisément mais ne montrait que ce qu’elle voulait bien, faisant par la même démonstration de ses étonnants pouvoirs magiques. Meilleur moyen de communiquer sans être entendu, lire chacun dans l’esprit de l’autre s’était avéré une solution stratégique aux impératifs de discrétion de leurs missions respective, mais Nikita – sans oser l’avouer – avait toujours eut la frousse de laisser échapper quelque pensée indiscrète, pendant que le chat se trouvait dans sa tête et il devait autant user d’occlumancie que de légilimancie ce qui demandait pas mal de concentration et l’empêchait de faire quoi que ce soit d’autre que de fixer l’animal bizarrement. Heureusement, cette nuit, il n’y avait personne pour voir leur étrange manège.

Dès lors qu’il pénétra l’esprit du Baioun, une volée d’images lui parvinrent : celle d’une ombre noire – un chat comprit-il – qui filait comme un éclaire, des parfums étonnants, mélange de peur et de questions, l’impression diffuse d’une aura qui différait des autres animaux autant que la lune du soleil. Etait-ce ainsi que le Baioun percevait le monde ? Des flux de magie et de force, des alors entourant les choses et les gens ? Dans ce cas, nul ne pouvait se prévaloir de lui dissimuler sa présence et Nikita se demanda qu’elle était son aura à lui.

- Du fer chaud, l’odeur du fer porté à blanc des vieilles armureries, flamboyant, lumineux, au premier coup d'épée il se brisera.

Le jeune homme grinça des dents. Il manquait de concentration, l’animal lisait la moindre de ses pensées comme un livre ouvert.

- En effet.

- C’était quoi le chat ?

- Je ne sais pas. Pas un chat. Il est possible qu’on l’ait envoyé m’espionner, comme je l’espionne à mon tour. Il faudra tirer cela au clair, tu devras tirer cela au clair.

- Moi ?

- J’ai senti une odeur, une aura, connue, l’une de tes camarades de classe, verte et argent, cheveux noirs, huile d’olive et pins maritimes, diffus, ténus, quelque chose de sombre.

Nikita resta interdit. « Ça ne m’aide pas…

- Vesper Lynn, c’est son nom. Trouve la. Découvre ses secrets. »

Et soudain, le chat ne fut plus là. Dans l’ombre de la pièce, Nikita aperçu sa silhouette furtive s’échapper, et elle lui parut immense. Il en eut un frisson.
Replaçant les couvertures sur lui et maintenant bien trop réveillé pour se rendormir, il se demanda à quoi pouvait bien ressembler cette Vesper Lynn. Il n’était à Poudlard que depuis quelques jours et on l’avait laissé tranquille jusque là mais ça… cela avait bel et bien des airs de première mission. Le souvenir du Baioun sur lui encore en suspens, il ne savait pas si l’idée était excitante ou proprement terrifiante.

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Il lui avait fallu une semaine supplémentaire pour identifier la fameuse Vesper Lynn – d’un an son aînée, le Serpentard auprès de qui il s’était rencardé s’était d’abord foutu de sa gueule en expliquant qu’il visait trop haut avec ce genre de fille, et il avait mis fin à la conversation en rougissant. Sa seconde tentative s’était avérée plus fructueuse et le garçon à qui il avait posé la question s’était contenté de lui désigner mollement une élève en train de petit-déjeuner du côté de la table de sa maison.

L’étape suivant avait dès lors été l’enquête à proprement dite. Depuis sa mésaventure avec Gwendolyne, Nikita rechignait un peu à utiliser sa légilimancie à tort et à travers. Il avait bien envisagé de l’employer dans la grande salle où, même en cas d’échec, le nombre le dissimulerait, mais la perspective de faire cela au vu et au su de tous, avec les enseignants à proximité, le terrifiait. Pire, dans la foule, il n’était pas exclu de se tromper de cible, surtout à une telle distance.

Comme ils ne partageaient pas non plus les mêmes cours ni le même emploi du temps – rien du tout en fait – les occasions de la croiser étaient plutôt minces. Et quand bien même, que lui aurait-il dit ? Il ne pouvait décemment pas la confronter en face à face, révéler que son animal de compagnie – qui n’en était pas un – avait décelé une bizarrerie chez son animal de compagnie à elle – qui n’en était peut-être pas un non plus. Allez savoir ce que le chat noir était allé révéler à sa maîtresse ? Peut-être, tandis que Nikita et le Baioun avaient une discussion dans son dortoir, Vesper et son chat avaient peu ou prou la même, six ou sept étages en dessous ?
Le chat en lui-même se révéla introuvable. Vesper ne se montrait jamais avec lui, contrairement aux élèves les plus jeunes qui aimaient trimballer grenouilles et souris partout avec eux. Finalement, parce que les jours s’enchaînaient avec le désagréable sentiment de piétiner et que, bien qu’il n’ait pas refait surface, l’ombre du Baioun continue de planer sur cette affaire, les choses se précipitèrent un matin lorsque, au détour d’un couloir, son chemin croisa celui de Vesper alors qu’il se rendait à la bibliothèque. Quelques élèves discutaient ou glandouillaient mollement dans les parages, mais jamais il ne s’était retrouvé si proche d’un tête à tête avec la jeune fille.

Les idées fusèrent à toute vitesse et elle l’avait presque dépassé lorsque, en toute précipitation à l’idée de rater sa chance, Nikita se retourna vers elle d’un mouvement brusque.

- Bonjour !

Ce n’était pas son bonjour le plus naturel, mais alors que la jeune fille se tournait également vers lui, il lui sembla recouvrer son sang froid et son visage reprit cet espèce de masque naturel qu’il adoptait la plupart du temps, scorie de ses réflexes d’occlumans. A quoi bon fermer son esprit si ses expressions faciales révélaient tout aussi bien ses sentiments ?

- C’est à toi le chat noir ? Je l’ai croisé il y a quelques jours, mentit-il, tout en moulinant pour essayer de mener la conversation de manière assez crédible. Il est joli. »

Ok, jusqu’ici ça ne se passait pas très bien. Se maudissant intérieurement, Nikita croqua l’intérieur de sa lèvre et fronça les sourcils, signe de concentration.

- Chez nous, en Russie, on dit que les chats ont des pouvoirs, surtout les chats noirs. Ils portent la poisse aux méchants mais offrent aussi des cadeaux aux gens avec une bonne âme.

Son regard ne quitta pas le visage de Vesper.

- Tu as une bonne âme ? »

@Vesper L. Corvere

Chat-perché !

Avoir Toni comme colocataire recelait des avantages que j’avais rapidement découverts depuis la première année. Tout d’abord, cette fille était gentille. Pas toujours intéressante, il fallait l’admettre, mais elle ne faisait pas une ennemie. Ensuite, elle était italienne et je devais reconnaître que cela me rappelait la maison au milieu de la grisaille du château. Mais surtout, cette fille avait la faculté de s’endormir aussi rapidement que profondément, ce qui arrangeait mes affaires. Dans un autre monde, j’imagine que j’aurais dû user de valériane ou de potions pour plonger mon dortoir dans les bras de Morphée et pouvoir me faufiler dehors. Avec elle, je n’avais qu’à attendre que sa respiration devienne plus régulière pour savoir que la nuit m’appartenait. Et j’avais bien l’intention d’en profiter.

Il devait être minuit passé quand je me glissai dans les couloirs sous ma forme de chat. A part de rares flaques de lumière en dessous des quelques torches qui parsemaient le couloir, il n’y avait aucun éclairage et je me fondis dans l’obscurité avec délice. C’était comme si elle s’enroulait autour de moi. Chaque fois que je m’en drapai, j’avais la sensation d’être invincible. A cet âge, j’avais encore la conviction que le château m’appartenait, seulement parce que j’avais pu me rendre invisible jusque là.

J’étais une idiote.

D’un pas glissant, je me hâtai vers la salle commune des Gryffondor. Mes parents m’avaient demandé de suivre August et une première approche serait sûrement intéressante. Egalement parce qu’il m’avait rendue curieuse lors de cette garden party ainsi qu’à la rentrée. Puis à quelques mètres du tableau de la Grosse Dame, je me figeai en voyant un chat.

Je croisais souvent des chats sous ma forme animale. Ils avaient mis du temps à m’approcher, ils sentaient instinctivement que je n’étais pas comme eux. Mais je n’étais pas une menace, alors ils me toléraient. Certains se montraient même aimables, comme cette pauvre bête affublée de l’affreux patronyme de Jessycat. Manifestement, son propriétaire ne devait pas briller par son intellect. En tout cas, j’étais persuadée que je les connaissais tous, notamment pour les avoir fréquentés pour mieux me fondre dans la peau du personnage. Mais lui était nouveau. Cela n’aurait pas dû m’inquiéter. Il pouvait être le compagnon d’une première année. Cependant, il y avait quelque chose de plus. Une aura indescriptible qui me faisait dire que cette bête n’était pas ce qu’elle semblait être. Cela nous faisait un point commun. Cela faisait de chacun d’entre nous un danger pour l’autre. Je fis mine de lécher ma patte, me demandant si ses iris posées sur moi allaient finir par se détourner. Il était si immobile que j’en vins presque à me demander si ce n’était pas une statue. Puis il se mit en mouvement. Ce fut comme une ondulation dans le noir, tremblement de terre silencieux tacheté d’encre aux yeux brillants. La peur se diffusa dans mes muscles, sans que je ne comprenne même pourquoi. Ce n’était qu’un animal. Mais mon instinct me soufflait que c’était bien plus que cela. L’espace d’uen seconde, je choisis de rester immobile, ne voulant pas céder. Puis à chaque mètre parcourut par la bête renforça la panique, jusqu’à ce que je choisisse de détaler comme un lapin. Bêtement, je m’étais dit qu’elle abandonnerait. Le tintement de ses griffes sur la pierre me fit comprendre que ce n’était pas le cas. Et quand, dans ma panique, je me retrouvai acculée au fond d’un couloir face au chat-qui-n’en-est-pas-un, la preuve que que je ne m’étais pas trompée résonna sous la forme d’une voix dans mon esprit

- Qu’es-tu ?

La voix sonnait bizarrement. Pouvait-on dire d’une voix qu’elle semblait ancienne ? Je miaulai, pathétique. Cela ne trompa personne. Je pouvais faire mine d’être un chat, nous savions toutes les deux que ce n’était pas le cas. Quand sa patte s’éleva pour me bloquer encore plus, dans un élan de panique, je m’élançai à pleine vitesse et lui glissai littéralement entre les griffes. J’étais plus légère. Et j’étais dopée à la trouille. Inutile de dire que je me terrai dans mon lit pour le reste de la nuit, le cœur battant à tout rompre. Il traînait un truc dans ce château qui empiétait sur mes plates-bandes.

* * *

Je n’avais pas réussi à recroiser cet étrange chat dans les jours suivants pour comprendre ce que j’avais vu. Je n’avais pas non plus osé reprendre ma forme animale sans avoir éclairci ce mystère. Inutile de dire que je n’avais guère de piste, à part que cela devait probablement concerner un élève de Gryffondor vu que la scène s’était passée à proximité de la Grosse Dame. J’avais bien tenté d’effectuer des recherches à la bibliothèque, en vain. Voilà comment j’avais abandonné le dernier ouvrage consulté pour retourner dans ma salle commune. Une voix m’interpella alors que je ne m’y attendais pas, un élève plus jeune de Gryffondor m’observant avec un air indéchiffrable. Il faisait partie des nouveaux que j’avais pu observer lors de la soirée de rentrée. J’étais bien incapable de me rappeler de son nom, mais je pensais me souvenir qu’il avait des origines russes. Lui aussi avait été déraciné, mais il n’avait pas perdu le soleil.

Je me figeai à la question du jeune garçon devant moi. Depuis que j’arrivais à me changer en chat, c’était la première fois que l’on me posait des questions. Inutile de dire que cette perspective ne me plaisait guère.

- Un chat noir … ? Non, je n’ai pas d’animal, je suis désolée. Pourquoi pensais-tu que j’en avais un ?

Prudence était mère de Sûreté. Je n’allais pas confirmer le moindre lien direct avec ma forme animale. Après tout, je n’allais pas reconnaître la propriété d’un animal dont même mes colocataires n’avaient pas entendu parler. Sans compter que sa curiosité dans le contexte de cet étrange chat me faisait dire qu’il savait quelque chose que j’ignorais. Sinon, il ne saurait pas.

- Tu as toi-même un chat, non ?

Un chat imposant et effrayant comme un cauchemar. Il enchaîna sur une explication pseudo folklorique sur les chats noirs et j’esquissai un sourire, cette fois railleuse. Il était mignon ce gosse. A croire que la couleur d’un pelage avait la moindre incidence sur une vie

- En quoi mon âme t’intéresse, garçon-dont-je-ne-connais-pas-le-nom ?

Je lui tendis légèrement la main.

- Je suis Vesper mais peut-être le sais-tu, si tu ne me le demandes pas. Et toi, qui es-tu ?

>lumos maxima

Elle lui mentait, elle était en train de lui mentir et celles qui mentaient avaient des choses à cacher. Le Kot Baioun aussi mentait parfois, souvent en fait, mais pas sur de tels sujets. S’il l’avait envoyé vers Vesper, c’était qu’il avait de bonnes raisons de penser que le chat noir et elle étaient liés. Dès lors, pourquoi ne lui disait-elle pas la vérité ? Quel secret méritait de mentir sur un sujet aussi anodin que celui d’un animal de compagnie.
Pour suspicieuse que soit sa réponse, cependant, elle n’en mit pas moins Nikita dans l’embarra. Il avait interrogé la jeune fille un peu en précipitation, sans penser aux conséquences de ses questions, or il n’avait pas prévu qu’elle nierait tout simplement avoir un animal de compagnie. Dès lors, que dire ? Comment justifier d’avoir eu connaissance d’une bête qui n’était pas supposée exister ? Et de la relier avec Vesper ?

Mais si elle pouvait mentir, lui-même n’était pas tenu à dire la vérité.

- Étrange alors. Quelqu’un m’a dit qu’il t’appartenait, mais il a dû commettre une erreur.

Il n’entendait dès lors pas en dire d’avantage tant que Vesper persisterait à jouer en position défensive. Dans le pire des cas, il pouvait toujours tenter de pénétrer son esprit, mais depuis l’incident avec Gwendolyne il y rechignait un peu. L’expérience avait montré qu’en cas d’échec, son hôte se rendait compte de l’intrusion, et outre la réaction de colère que cela pouvait susciter chez lui, Nikita ne tenait pas à ce que la jeune fille court prévenir un préfet ou un enseignant qu’il s’était infiltré dans sa tête sans demander la permission.

- Tu as toi-même un chat, non ?

- Oui, j'aime ces animaux, confirma Nikita avec un sourire. « Il s’appelle Baioun, cela veut dire « sorcier » dans ma langue. C’est un nom simple n’est-ce pas ?

Simple n’était peut-être pas le mot qu’il cherchait, mais puisqu’on lui avait confié pour mission de se rapprocher de Vesper et de découvrir ce que cachait son chat bizarre, il pouvait peut-être jouer la carte de l’amitié ? Cela avait plutôt bien marché pour Kenneth et même s’il avait conscience que les amitiés féminines étaient plus compliquées à obtenir, cela valait malgré tout le coup d’essayer. Or, quoi de mieux pour se rapprocher de quelqu’un que de partager une passion commune ? celle des animaux pouvait faire l’affaire, bien qu’à être tout à fait honnête, Nikita éprouve d’avantage de la trouille vis-à-vis du Baioun que de l’affection. Le gros chat n’était pas exactement le genre de bête à se laisser caresser et venir se blottir au chaud contre vous. En trois semaines qu’ils étaient arrivés à Poudlard, l’animal n’avait fait que des apparitions sporadiques dans sa chambre, et systématiquement pour lui parler boulot.

Il saisit la main tendue et la serre avec énergie.

- Yaga. Nikita Yaga, Nikolaï Neelov. De la dynastie des Yaga, mais ma mère est une Raspoutina. C’est un clan puissant chez moi.

D’expérience, les gens aimaient bien avoir des amis puissants. Leur faire miroiter vos largesses était un excellent moyen d’attirer leur attention.

- Je sais que tu t’appelles Vesper Corvere, oui. On m’a donné ton nom. C’est italien je crois ?

Il le savait, puisque le Baioun lui avait dit, mais parler de leurs pays respectifs pouvait aussi être un moyen de se rapprocher. Fixant toujours la jeune fille d’un air neutre, il plissa légèrement les yeux pour l’observer. Elle cachait des choses, c’était évident, et les gens qui cachaient des choses étaient intrigants, et potentiellement dangereux. Il valait mieux rester sur ses gardes, quand bien même il feigne la naïveté.

- Si tu avais une âme noire, j’aimerai autant le savoir puisque nous sommes dans la même école. Mais la tienne ne l’est pas, je ne crois pas. Sais-tu qu’on peut lire ce genre de chose dans le samovar ? Je peux te montrer si tu consens à m’accompagner.

Chat-perché !

Mon interlocuteur n’insista pas. Il aurait été facile de croire qu’il abandonnait, mais je lisais dans son regard qu’il était toujours intrigué, voire sceptique. Ce n’était pas très clair, ce n’était pas le garçon le plus expressif qu’il m’ait été donné de rencontrer. Dans ce genre de cas, plutôt que de laisser subsister un mystère, le mieux était de prendre mon air le plus niais et de mentir. Après tout, que voyait-il ? Une fille qu’il ne connaissait pas et sur laquelle il n’avait pas de raison de croire qu’il existait un mystère particulier. Autant lui offrir ce qu’il voulait

- J’adore les chats, c’est mon animal préféré. Ca m’arrive de les câliner ou de les nourrir, ça doit venir de là. Ca doit venir de là.

C’était un demi-mensonge, d’ailleurs. Je soignais mes relations avec la gente féline. Quand je croisais un chat, je lui offrais volontiers caresse ou friandises. Une fois sous ma forme de chat, cette amitié achetée était toujours profitable. Notamment pour ne pas me faire embêter par un matou un peu trop territorial quand j’avais le malheur de poser la patte sur son canapé.

- Oh c’est un joli nom ! Tu crois qu’il est un peu sorcier du coup ?

Je détestais jouer les écervelées ou les gentilles filles. D’abord, j’avais l’impression que tous mes neurones étaient en train de se suicider en masse pour ne laisser place qu’à une pâle version de ma personne. En même temps, avais-je une autre solution ? Il serait moins méfiant s’il pensait que j’étais juste une folle aux chats, non ? Il n’y avait que ma dignité qui était en train de mourir.

- Enchantée, Nikita Yaga. Effectivement, je suis italienne. Je dirais que ma famille est plutôt connue en Italie

J’étais sang-pure et surtout, je supposais que mes parents avaient fait chanter à peu près la moitié des grandes familles de l’Italie. Peut-être que leur déménagement n’était pas lié qu’à l’argent, d’ailleurs, mais à une volonté de s’éloigner d’ennemis qui commençaient à devenir un peu nombreux. Je faillis esquisser un sourire quand il m’assura que mon âme ne devait pas être si sombre. Peut-être pensait-il que j’avais envie d’une essence pure et transparente, mais ce n’était pas le cas. Je n’avais pas peur de l’obscurité. Inversement, je connaissais bien assez de secret pour considérer que sans être une bonne personne, je n’étais pas destinée à finir ma vie en enfer. Si j’avais dû me décrire, j’aurais dit que j’étais pragmatique, trop pour faire une distinction entre le bien et le mal. Je faisais uniquement en sorte d’obtenir ce dont j’avais besoin. Je ne faisais pas souffrir sans raison ou par malice. Mais je n’étais pas gentille pour le plaisir de l’être.

- Penses-tu qu’une âme puisse être grise ?

C’était le plus cohérent. Si j’avais dû choisir une nuance, ça aurait été celle-ci. Le gris. Comme tous les chats la nuit. Ironique, non ?

- Le samovar ?

Pour être honnête, je ne savais absolument pas de quoi il en ressortait. Potentiellement, il était en train de me proposer une séance de torture et je n’en avais aucune idée. Mais j’avais besoin de comprendre si son chat était l’animal mystérieux que j’avais vu. Cela aurait semblé logique. J’aurais même dit qu’il était évident que nous jouions tous les deux à un jeu de dupes. Alors avant même qu’il ne puisse me fournir des explications, je le gratifiai d’un sourire et acquiesçai

- Je suis curieuse, donc je te suis volontiers. Ce sera l’occasion de faire connaissance. Comme tu le disais, je viens d’Italie, je sais que c’est difficile d’arriver dans un autre pays. Tout se passe bien pour toi ?

Sérieusement, j'aurais mérité un oscar.

>lumos maxima

D’un (commun ?) accord tacite, la conversation avait tourné niaise particulièrement vite. Nikita s’illusionnait assez peu quant au fait qu’une fille d’un an son aînée devait sans doute avoir des choses plus intéressantes à faire de sa journée que de discuter animaux de compagnie avec lui, mais Vesper semblait prête à entrer dans son jeu et il n’en avait pas espéré tant.

- Oh c’est un joli nom ! Tu crois qu’il est un peu sorcier du coup ?

- Non, pas vraiment, répondit-il d’un ton neutre. Mais c’est un chat de sorcier.

Elle lui sera la main, confirmant ses origines italiennes. Nikita se fit la réflexion qu’elle avait l’air plutôt gentille, et aussi que c’était précisément la raison pour laquelle mieux valait s’en méfier. Peut-être que ses propres camarades de classes s’imaginaient, eux aussi, qu’il était gentil. Mais ils ignoraient tous qu’en secret, il travaillait pour le KGB. Enfin, presque. Autant les laisser à leurs illusions, lui n’était pas dupe. Faire des compliments à Vesper pourrait sans doute contribuer à l’amadouer.

- Penses-tu qu’une âme puisse être grise ?

- Toutes le sont sans doute un peu, dit-il avec philosophie. « Si ton enfant était en danger, tu serais prête à faire beaucoup de choses pour le protéger. C’est un exemple, mais les situations ne sont jamais noires ou blanches. »

Il secoua la tête. Il semblait clair que Vesper n’avait aucune idée de ce qu’était un samovar. Compréhensible, et au moins cela témoignait-il que sur certains sujets, elle n’était pas mieux informée que les autres.

- Ceci-dit chacun penche d’un côté ou de l’autre, on peut le découvrir en buvant le thé dans un samovar, oui. C’est un appareil de mon pays qui fait bouillir l’eau et garde la boisson au chaud. Il est courant de se réunir autour pour discuter de choses sérieuses.

Disant cela, son ton s’était implicitement fait plus perçant. Si Vesper avait quelque chose à se reprocher – et il lui semblait bien que c’était le cas – sans doute tiquerait-elle. Sinon, elle n’y verait rien de plus qu’un coup d’œil appuyé.

- Je suis curieuse, donc je te suis volontiers. Ce sera l’occasion de faire connaissance. Comme tu le disais, je viens d’Italie, je sais que c’est difficile d’arriver dans un autre pays. Tout se passe bien pour toi ?

- Merveilleux alors ! et il prit la direction des escaliers d’un pas tranquille. « Plus ou moins, le quidditch est un peu difficile. »

Et la plupart des matières scolaires en fait. Il avait très tôt réalisé que les cours dispensés à Koldovstoretz et ceux à Poudlard n’avaient pas grand-chose à voir. Une vague familiarité bien insuffisante pour qu’il retrouve ses marques à l’école britannique, aussi accusait-il déjà du retard, ce qui l’énervait. Mais Vesper n’était pas obligée de savoir cela.
Il prit la direction du sixième étage et se tourna de nouveau vers la jeune fille en attendant qu’un des escaliers tourne vers eux.

- As-tu déjà lu l’avenir dans les feuilles de thé ? C’est à peu près pareil, sauf que chez nous cela fonctionne vraiment.

Chat-perché !

Plus je lui jouais mon plus beau numéro de l’adolescente de quinze ans dans toute sa splendeur, plus le jeune garçon m’offrait un visage impénétrable. Je ne doutais pas qu’il existait une composante culturelle – sans une bouteille de vodka dans le sang, pas simple de trouver un russe chaleureux – mais il y avait aussi une forme d’impassibilité pour un gamin de quatorze ans que mes réponses auraient dû ennuyer ou déstabiliser. Assez pour commencer à m’intriguer quelque peu. A la base, je voulais seulement comprendre le lien de ce gamin avec le chat de l’enfer que j’avais croisé. Maintenant, je devais admettre que j’aurais volontiers poursuivi tous ses secrets. J’avais un talent véritable pour les détecter. Certaines personnes ont l’art de débusquer les ennuis, moi j’étais encore meilleure qu’un chien truffier pour débusquer les informations cachées.

Celui-ci me corrigea poliment en m’indiquant que le chat n’avait rien d’un sorcier, mais que c’était un animal de sorcier. Est-ce qu’il croyait que c’était une erreur de formulation de ma part ? Mes lèvres se pincèrent un dixième de seconde avant que je en retrouve mon air affable. Je détestais quand mes interlocuteurs semblaient croire que je ne maîtrisais pas le français. J’y avais passé trop d’heures, trop de travail à faire en sorte de le parler comme si c’était ma langue maternelle. Je savais que parfois mon accent faisait une incursion, mais il fallait que je sois particulièrement énervée, ce que je n’étais pas à l’instant. Ce léger complexe avait la fâcheuse tendance de me faire parfois croire que la personne tentait de me corriger alors qu’elle n’y avait pas songé. Généralement, je préférais sortir un peu les griffes, quitte à être injuste, pour ne pas laisser l’habitude s’installer. Néanmoins, ce n’était pas le moment de se rebiffer.

Doctement, il m’indiqua que les situations étaient rarement aussi manichéennes que blanches ou noires, ce qui eut au moins le mérite de m’indiquer qu’il n’était pas un idiot d’idéaliste. C’était généralement les pires, plein de belles idées pour zéro mises en pratique. Cela ne signifiait pas que j’appréciais de me faire quasiment expliquer la vie par un gamin de deux têtes de moins que moi, mais cela me donnait au moins un éclairage sur sa personnalité.

- Des choses sérieuses, hein ?

J’esquissai un léger sourire railleur. Ce n’était pas très malin, c’était comme si le vernis de mon numéro de gentille fille commençait à se craqueler. Mais à ma décharge, comment aurais-je pu être stoïque ? Il m’expliquait que les sujets d’importance dépendaient d’eau chaude et de feuilles bouillies. Remarque, c’était peut-être sa meilleure tactique pour se faire des amis parmi les anglais et leur sainte boisson flottée. Dans ma famille, une vraie discussion nécessitait du vin de qualité. Ca faisait quand même un moins tisane que ce qu’il essayait de me vendre.

- Pourquoi donc me proposer un samovar ? Nous ne parlons que de chats, non ?

Je le toisai légèrement, mon sourire désormais plus proche du rictus. Son intonation m’avait très clairement appris qu’il ne croyait pas mon numéro et ce jeu de dupes avait un petit côté lassant.

- Je vois de quoi tu parles, mais je n’y crois pas. Ce ne sont pas trois feuilles ramollies qui vont définir l’avenir, mais mes actes. Quant au fait que votre technique fonctionne vraiment …

J’haussai les épaules et lui répliquai, mielleuse

- C’est fou que ta nation ne soit pas plus importante avec une telle arme. Si ce n’est pas la magie qui rate, il s’agirait d’une mauvaise utilisation ?

Je lui fis mon plus joli sourire angélique, mais nous savions tous les deux que je venais de me vautrer avec délice dans une ironie mordante. J’étais tout à fait consciente que je n’aurais pas dû, mais le rôle de la gourde me lassait généralement assez vite et l’absence totale de réaction de mon interlocuteur me donnait une folle envie de le pousser hors de ses retranchements en réponse. J’avais envie de voir sa personnalité quand elle n’était pas cachée sous des couches de glace.

>lumos maxima

L’affaire se déroulait de manière trop étrange pour ne pas mettre Nikita sur les nerfs. Il avait cherché cette fille et un moyen de l’aborder pendant plusieurs jours et soudain, celle-ci se révélait un lac d’eaux troubles, paradoxalement assez affable. Il y avait quelque chose qui sonnait faux dans cette histoire, en apparence Corvere avait tout d’une jeune fille sans histoire, rendue charmante par ses origines méditerranéennes qui tranchaient avec les airs pâlichons et austères des Britanniques, mais rien dont doive se méfier. Et pourtant, le Kot Baioun l’avait explicitement désignée elle, et le chat ne lançait pas ce genre d’avertissements au hasard. Ainsi, les apparences ne pouvaient qu’êtres trompeuses et les politesses des faux semblants, forcément, il devait d’autant plus se méfier que le numéro était parfaitement exécuté. Chaque sourire avait un arrière-goût de grimace et Nikita se fit la réflexion que plus encore qu’avec Kenneth qui de toute façon ne pigeait rien, il était confronté à sa première véritable mission d’infiltration depuis son arrivée au Royaume-Uni.

- Pourquoi donc me proposer un samovar ? Nous ne parlons que de chats, non ?

Faute de véritable justification – il avait improvisé un prétexte – il répondit la première chose qui lui passait par la tête. « Par amitié. » ce qui était vrai. Déguster un thé chaud était un bon moyen d’apprendre à se connaître et s’il était extrêmement conscient que dans n’importe quel autre contexte la proposition aurait paru un peu cavalière venant d’une personne qu’on ne connaissait que depuis dix minutes, si comme il le soupçonnait Vesper se révélait jouer double-jeu, elle accepterait peut-être. Sinon, il sonnerait juste un peu décalé, mais on pourrait mettre cela sur ses origines. Et puis de toute façon il n’avait pas de meilleure idée là tout de suite, l’improvisation n’était pas son fort, surtout en matière de conversation.

Ce faisant, ils atteignaient les escaliers et Nikita s’y engouffra sans hésiter. Jouer avec les mots le mettait un position d’insécurité, il préférait forcer un peu les événements quitte à paraître trop brusque. S’ils pouvaient continuer de causer samovar jusqu’à atteindre sa salle commune, cela lui convenait très bien, au moins il maîtrisait le sujet et cela lui laisserait le temps de cogiter en chemin. Du moins le croyait-il, Vesper ne semblait pas très réceptive aux pouvoirs supposés des feuilles de thé et malgré le décalage linguistique, il perçu assez clairement le sous-entendu quand elle lui demandé pourquoi les Russes ne faisaient pas meilleur usage de ce don.
La remarque le braqua immédiatement et alors que sous leurs pieds l’escalier entreprenait de tourner, il fit volte-face, un peu trop vite à son goût.

- La magie n’est pas supposée être utilisée comme une arme de guerre.

C’étaient les occidentaux qui, avec la modernité et leurs idéologies aberrantes, avaient les premiers cherchés à transformer des pratiques ancestrales en de simples outils, bons à faire tourner la société, sans considération pour leur sens véritable. Ils avaient corrompu la sorcellerie, comme ils avaient corrompu la Russie.

- La sorcellerie est un rapport à la mystérieuse altérité – le mot était intraduisible en anglais – elle nous élève en tant qu’être humain, elle n’est pas censée servir un but politique.

La tournure de la discussion l’agaçait et il peinait à le dissimuler. Peut-être était-ce une mauvaise idée cette histoire de Samovar.

- Je sais que tu as un chat, un chat étrange, je le sais, j’aimerai le rencontrer.

L’émotion l’avait emporté et il s’en rendit compte instantanément. « Si tu veux bien. Je ne t’accuse pas de mentir, mais je te promets que ce serait une bonne chose. Oublie le samovar. Enfin, sauf si tu veux du thé ? Je peux en préparer. »

Ok la discussion lui avait complétement échappé.

Chat-perché !

Venant d’une toute personne que ce Nikita, j’aurais considéré que cette invitation impromptue à la dégustation d’une boisson chaude loin des regards pour seul motif que celui de l’amitié était soit une façon m’attirer dans un coin désert pour me faire la peau, soit une tentative de drague aussi audacieuse qu’inefficace. Mais lui n’avait aucune raison de vouloir s’embêter à planquer mon cadavre et n’avait ni l’âge, ni le caractère séducteur qui aurait convenu à la seconde option. Peut-être était-ce par amitié, effectivement. Peut-être par calcul. Inutile de dire que vu mon caractère, un dessein machiavélique était toujours mon hypothèse privilégiée.

J’esquissai un nouveau rictus moqueur quand le garçonnet m’indiqua avec un ton aussi grave que docte que la magie n’était pas supposée être utilisée comme une arme de guerre. Chaton. Sous ses airs froids et sérieux, il avait encore une pointe d’idéalisme enfantin qui lui seyait étrangement tout en détonnant. C’était la conversation la plus à bâtons rompus que j’avais menée depuis bien longtemps et pourtant, il semblait convaincu de cette jolie utopie. Il manœuvrait comme un adulte mais avait des idées d’adolescent. L’espace d’une seconde, je me demandais si je lui inspirais la même conclusion, avant de chasser cette idée de mon esprit. Ca faisait si longtemps que je vivais dans une forme de de contrôle permanent que je ne voyais pas ce qui aurait pu pousser à cette conclusion chez moi.

- Tout est une arme selon qui s’en sert.

Ses yeux me détaillèrent sans que je ne sois en mesure de saisir l’émotion qui s’y reflétait. Sa volte-face me laissait supposer qu’il avait bougé sous le coup d’un sentiment un peu vif sans que je ne l’identifie. Etait-ce de la colère ou de la surprise ? Intérêt ou dédain ? Si j’avais dû parier, j’imagine que j’aurais choisi l’agacement, tout comme je pouvais l’être quand une personne avait l’inconscience de critiquer l’Italie. Les Russes étaient patriotes, non ? Je plissai les yeux à son explication, légèrement hésitante sur ce qu’il avait voulu dire. Je comprenais chacun des mots employés indépendamment, mais l’expression de mystérieuse altérité ne me ramenait à aucun concept connu. Soit son anglais était imprécis, soit c’était le mien. Et j’aurais préféré me trancher la langue que d’admettre la moindre faiblesse dans le domaine. Ce constat ne me laissa que la possibilité d’une réponse plus douce, prudente.

- Politique n’est pas une insulte et quand des groupes d’êtres humains se forment, tout est politique. Ce n’est ni mauvais, ni bon. C’est la manière qui est sujette à discussion. C’est la même chose pour la magie.

Le parallèle était le même pour notre conversation. En soi, elle n’était ni bonne, ni mauvaise. Nous ne nous étions pas battus comme des chiffonniers, mais nous n’avions formulé aucune déclaration d’amitié. Ce qu’il ressortirait de notre échange dépendrait seulement de ce que nous voulions en faire l’un comme l’autre. Personnellement, je souhaitais juste sauver ma peau. Ses intentions à lui étaient incompréhensibles. Puis brusquement, sans que je ne l’anticipe, il dévoila son jeu en quémandant une entrevue avec mon chat. S’il savait qu’il était déjà en train de lui parler. Je le toisai, profitant des quelques centimètres d’avance dont je disposais sur lui avant une poussée de croissance et répliquai

- Et tu as un chat étrange également si tu sais cela. Qu’est-ce que tu appelles un chat de sorcier ?

Je ne savais pas si son anglais était incertain, mais il était évident qu’il mettait un soin tout particulier dans ses phrases. La correction qu’il avait apporté sur son félin et qui ne m’avait pas plus alarmée que cela commençait à prendre des allures d’indice. Je m’adossai à la rambarde avec une confiance que j’étais loin de posséder

- En admettant que je décide d’accéder à ta requête, pourquoi veux-tu cela ? Et que risquerait ce chat hypothétique je suis censée détenir ?

>lumos maxima

Nikita avait fait de son mieux, mais il se sentait perdre patience. Son mieux trouvait très vite ses limites, quand on venait le taquiner sur le sujet sensible de son patriotisme. A ses yeux, la modernité occidentale était une folie qui avait bien failli mener les sorciers par deux fois au moins au bord du gouffre au cours du dernier siècle. La faute incombait à la façon bien trop désinvolte avec laquelle les sorciers géraient leurs pouvoirs, toujours dans une recherche de rationalisation, de puissance sans limite. Ils se montraient résolument incapable de se satisfaire du don que la nature leur avait offert et s’obstinaient à chambouler l’ordre des choses.

- Tout est une arme selon qui s’en sert.

Il parvint à retenir sa langue, mais de peu. C’était précisément cette arrogance qui l’agaçait. Cette capacité à faire feu de tout bois, sans se soucier des incendies. Comme si la sorcellerie n’était qu’un outil, au même titre qu’une capuche ou qu’une paire de gants…
Il lui rétorqua cependant qu’à ses yeux, la magie n’avait pas vocation à s’immiscer dans les affaires terrestres. On avait quitté le champ de la simple discussion courtoise et Nikita perdait de vue son objectif de gagner la confiance de la jeune fille. En fait, il ne voulait tout simplement pas lui laisser le dernier mot.

- Politique n’est pas une insulte et quand des groupes d’êtres humains se forment, tout est politique. Ce n’est ni mauvais, ni bon. C’est la manière qui est sujette à discussion. C’est la même chose pour la magie.

Ce fut sans doute la phrase de trop. Il fit volte-face dans l’escalier pour la confronter. Plus de demi-mesure et de sous-entendus, juste la vérité crue : il savait pour son chat, et comptait en percer le secret. Tout relâcher d’un coup lui fit un très grand bien, immédiatement suivi du lourd sentiment d’avoir échoué. Peut-être pas sa mission, cela restait à voir, mais à se montrer subtil et discret au moins. Qu’allait dire le Baioun… ?

- Un chat de sorcier est un animal familier, il sait ce qu’est la magie et ne s’en effarouche pas. Très pratique pour réviser ses sorts de métamorphose.

C’était la première explication qui lui était venue en improvisant, demi-mensonge seulement. Le Baioun était bel et bien un familier, mais très loin d’être un simple chat et de lui et Nikita, difficile de dire qui possédait les plus grands pouvoirs…

Vesper le toisait désormais, forte de quelques centimètres et d’une marche de plus que lui dans l’escalier. Elle semblait trop sûre d’elle et Nikita se sentit légèrement intimidé, autant qu’agacé. Ce n’était qu’une italienne, abâtardie d’Angleterre depuis son enfance, les magies anciennes de l’adriatiques n’étaient pas de taille face à un fils de la vieille Rus’. Du moins fallait-il s’en persuader.

- Risquerait ? demanda-t-il étonné. « Crois tu que je veuilles le manger ? Mais tu me confirmes alors qu’il existe bien. »

Il cru avoir marqué un point et laissa passer un demi-sourire en coin sur son visage. Le Baioun n’aurait certainement pas été contre le croquer, lui. Après tout, c’était un chat qui se nourrissait de chat. Peut-être que tout cette histoire se finirait ainsi, d’ailleurs. Une façon rapide et expéditive de limiter la menace.

- Je suis… intéressé par les animaux magiques ! bafouilla-t-il. « Je pourrai rendre le tien plus fort si tu le désires, ou plus intelligent. Il y a des charmes pour cela dans mon pays. »

Chat-perché !

Quand je repenserais à cet entretien avec Nikita, plus tard, je comprendrais que j’avais commis plusieurs erreurs de gravité et d’importance variable. La première avait sans doute été de vouloir absolument le considérer comme un petit garçon semblable à mes condisciples d’années inférieures. C’était faire fi de tout un contexte culturel et une éducation différente. Parce que nous n’avions pas grandi avec la même histoire, je ne me rendis pas compte que ce qui était pour moi une honnêteté inoffensive avait pour lui des allures de rudesse. Ca se devinait à sa façon de se crisper. Pourquoi cela l’agaçait tant par contre, je ne le comprenais pas. De toute façon, à l’époque – et toujours aujourd’hui d’ailleurs – j’étais incapable de saisir que ce que j’estimais être constatation objective puisse blesser. Il n’y avait pas d’affect dans le fait de dire que tout pouvait devenir une arme. Une cuillère n’était guère dangereuse. Aiguisez-en le manche ou tentez de vous en servir pour énucléer quelqu’un et tout de suite, la dangerosité était maximale. Mais en quoi était-ce agaçant que je l’énonce ? Je n’y avais pas mis de menace. Pareil pour ma définition du politique d’ailleurs.

Comme si cette discussion avait épuisé ce qui lui restait de patience, il fit volte-face pour m’observer et répondit avec une forme d’impatience, comme si cette interrogation était stupide, ce qu’était un chat de sorcier. Je plissai les yeux, peu convaincue. Ce qu’il décrivait aurait presque pu s’appliquer à tous les chats du secteur. A part un ou deux retardés, tous étaient très au courant que leur maître ou maîtresse avait des aptitudes un peu spéciales. Ils n’appelaient pas ça magie, de toute façon le langage des chats ne permettaient pas un vocabulaire illimité et une grande tentative de nuances, mais ils avaient le concept. De même qu’ils savaient pertinemment que je n’étais pas l’une des leurs. Mais son chat à lui était différent. Déjà, il avait pu parler dans mon esprit. Un chat normal, même de sorcier, aurait miaulé. Mais si je lui opposais cela, il n’aurait pas mis longtemps à deviner que j’étais le félin en question. Il n’y avait qu’un seul moyen de savoir ce qui se passait dans l’esprit des gens : d’y être. Et comme personne ne s’essayait à la télépathie sur des chats … Nikita s’éclaira quand je lui répondis enfin une demi-bribe d’information, ce qui m’arracha un quart de sourire

- J’ai parlé de chat hypothétique.

Mais nous savions tous les deux qu’en discuter était admettre quelque chose. Je soupirai. Cette conversation tournait en rond. J’étais intriguée et j’avais besoin de savoir si je pouvais à nouveau déambuler dans le château sans risquer ma peau. Il voulait en savoir plus sur ce que j’étais. Aucun de nous d’eux ne lâcherait l’autre à ce stade.

- Je ne t’ai pas menti, je ne suis pas une grande adepte du mensonge. Je n’ai pas de chat.

Son visage se referma aussitôt et je vis qu’il allait sans doute s’énerver en m’accusant de raconter des bobards. Je levai donc la main pour l’empêcher de parler avant que je n’aie terminé et précisai.

- Mais je vois duquel tu parles. Ce n’est pas un animal que l’on croise en permanence, il ne vient que quand il en a envie et moi j’aime réellement les chats ainsi que traîner hors de mon dortoir. Je peux essayer de le trouver pour toi.

Je n’avais pas tout dit, mais je n’avais pas menti. Etrange cas de conscience personnel, à force de traquer les mensonges chez les autres, je trouvais presque vulgaire, ou en tout stupide, d’y recourir moi-même. Comme si déformer la réalité ne pouvait être que l’œuvre d’un imbécile. Bien sûr que c’était nettement plus compliqué que cela et moins manichéen. Mais je m’appliquai à rester la plus proche de la vérité quand je le pouvais.

- Et ton chat fait l’objet d’un de ces charmes ?

>lumos maxima

- Non tu parles de vrai chat ! il ne voulait pas se laisser mener en bateau, et surtout ne se sentait pas de s’empêtrer dans de telles nuances lexicales. De toute façon il en avait marre. Son super plan d’approche machiavélique était aux orties et maintenant, obligé, Vesper se méfiait de lui. Tant pis, il ne renoncerait pas pour autant !

Il balaya d’un geste agacé sa réponse lorsqu’elle réitéra ne pas avoir de chat. A d’autre, le Baioun ne se trompait pas sur ce genre de chose, mais il ne pouvait évidemment pas rétorquer à Vesper que son démon de compagnie, infiltré dans l’école sous couverture, était une source fiable. Au moins cela confirmait-il qu’elle aussi avait quelque chose à cacher. On ne mentait pas avec autant d’acharnement pour aucune raison.

Nikita plissa les yeux aux explications de la jeune fille, se concentrant pour bien tout saisir aux sens des mots qu’elle employait. Ce n’était pas le moment de rater une information importante.

- Je vois, marmona-t-il. Au moins était-ce un début d’explication. « Je veux bien dans ce cas.

Il grimaça. Désolé d’avoir été rude. »

Désolé il ne l’était pas du tout, mais c’était peut-être la meilleure chose à faire et à dire pour enterrer la hache de guerre à cet instant précis. Il croyait toujours que Vesper cachait quelque chose, mais si elle était disposée à se livrer un peu plus, alors pourquoi pas accepter son aide. Une manière comme une autre de garder contact, et de l’avoir à l’œil.

Il hocha la tête.

- Oui, c’est un chat… de sorcier.

Il se frotta le menton, pesant ses mots.

- Tels vos flaireurs, ce sont des animaux intelligents pour sûr. Le mien l’est beaucoup. Enfin, comme un animal de compagnie bien entendu. Voudrais-tu que je t’en enseigne un ? Chez moi, beaucoup de sortilèges sont utilisés sur les animaux, il faut dire qu’il y en a plus qu’en Ecosse, et des sauvages.

La nervosité le rendait bavard. Il ajouta : C’est rassurant de savoir que tu es une amie des animaux, qui aime les animaux ne peut pas être une mauvaise personne. Mais il est moins rassurant que tu aimes les prédateurs, même petit, cela en dit beaucoup sur nous même.

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