— De retour du ministère, où il avait eu une entrevue avec monsieur Appleton, Wenceslas remontait paisiblement jusqu’à son bureau. Il n’avait plus de cours pour le restant de la journée, mais quelques devoirs demeuraient à corriger. Rien de trop pressant, toutefois il n’aimait pas avoir des travaux en retard et il n’avait pour l’heure rien de mieux de prévu. Il n’était pas de ces gens qui aimaient se balader sans but dans les couloirs ou le parc. Son oreille, toutefois, se faisait attentive à ce qui se passait autour de lui et ce qui se disait dans les couloirs ; les jeunes gens étaient bavards et rarement avares en ragot en tout genre. Seule une discussion parvenait à lui soutirer assez d’intérêt pour qu’il tende l’oreille et fasse un léger détour par le couloir d’où elle provenait. À quelques mètres de lui, deux timbres féminins conversaient : l’une manifestement jeune, et l’autre une adulte, sans le moindre doute. La voix de cette dernière, s’il la reconnut, ne lui était pas assez familière pour qu’il puisse déterminer avec précision à qui elle appartenait. Ce ne fut qu’en arrivant à l’angle du couloir, alors qu’une élève prenait la poudre d’escampette dans l’autre sens, qu’il put apercevoir l’adulte. Le professeur d’Arithmancie et directrice de maison de poufsouffle, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut. Ce qui tombait plutôt bien : la mémoire ne jouait que rarement des tours aux langues-de-plombs. C’était le propre de leur métier : la recherche et le souvenir.

Une direction de maison bien jeune, à la réflexion. Ce semblait être devenu une généralité à Poudlard, là où de son temps, il fallait être plus émérite pour espérer représenter une maison. Un non-choix pour la direction qui n’avait eu de cesse de composer avec des enseignants démissionnaires. Henry Tyrell était arrivé à Poudlard bien plus récemment, il aurait sûrement été insultant de retirer ce rôle à Cooper pour lui confier. Sans doute devait-elle plus malléable aussi que de vieux bougres comme Henry et lui ; c’était un avantage considérable pour le directeur. Des professeurs qui ne faisaient pas trop de remous et laissaient sagement de jeunes élèves en culotte courte faire la discipline à leur place.

En arrivant un peu à son niveau, il l’entendit parler, croyant un instant qu’elle s’adressait à lui... mais semblait simplement réfléchir à haute voix. Il leva les yeux au ciel d’exaspération. Quelle idiotie ; si les murs n’avaient pas d’oreilles, les tableaux en avaient. « Je ne suis pas bien certain qu’une telle comparaison soit judicieuse, professeur. » S’il pouvait se montrer policé et gentillet avec certaines personnes, il avait toujours eu un certain dédain pour les enseignants trop jeunes et ne se privait pas de leur donner des leçons lorsqu’ils faisaient montre de pareille réflexion puérile et inutile. Puisque certains élèves avaient amèrement regretté d’avoir exprimé de pareilles réflexions, il semblait important de remettre les choses en ordre. Et si les représentants de l’autorité commençaient à faire de même, ils ne faisaient qu’embrouiller la situation.

Wenceslas arriva au niveau de la jeune femme, mains croisées dans le dos. Son visage n’exprimait ni colère ni sympathique ; une expression neutre qui accentuait les rides les plus marquées de son visage. Des quatre directeurs de maison, il n’avait réellement conversé qu’avec Hatwell et Siwan. La seconde parce qu’elle était à la tête de son ancienne maison et la première parce qu’il avait eu à s’intéresser aux cas de quelques élèves de serdaigle... et parce qu’elle était la personnalité derrière les évènements passés de l’école. Puisqu’il n’avait aucune affinité avec les jeunots comme Alexander, ou avec l’arithmancie, il ne s’était pas particulièrement aventuré à aller converser avec eux. Trop peu de temps et une envie fort limitée de nouer des relations sociales. « Je pourrais fort bien comprendre que notre cher directeur s’offusque d’une telle remarque s’il advenait qu’il en eût connaissance. » Son regard se déporta sur les tableaux, juste derrière. Il y avait infiniment plus subtile, mais qu’importe. Il ne faisait qu’énoncer des faits. « Des soucis avec vos élèves ? » Cela pouvait en surprendre plus d’un, mais l’ancien langue-de-plomb appréciait étonnamment les ragots, surtout ces temps-ci. Ses discussions avec Siwan ou Fergal ne devaient pas y être pour rien.

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  —  S’il avait été plus pressé, le plus âgé aurait laissé le professeur Cooper seul dans son couloir depuis bien longtemps ; il avait bien des choses à faire et assez peu d’intérêt pour les discussions courtoises avec ses collègues ces temps-ci pour se permettre de fuir leurs conversations. Semblait-il toutefois qu’un semblant de générosité le motivait à rester devant elle, l’écoutant distraitement pérorer. Wenceslas croisa les mains dans son dos, approchant un peu plus de la femme tout en veillant à rester à une distance respectable. « Je ne prétends pas que vous ayez exprimé des paroles préoccupantes... simplement que leur interprétation est sujette à caution. » Où allaient-ils si même les enseignants ne faisaient plus la différence entre ce qu’ils pensaient dire et ce qu’autrui pouvait entendre ?

Il la laissait expliquer ce qui semblait tant la préoccuper. Des élèves qui s’insurgeaient des grades, il en avait eu lui-même, à commencer par mademoiselle Mills. « Certains s’agitent et crient au scandale. » corrigea-t-il machinalement. S’il comprenait aisément que la petite Özdemir soit source de fraquas, elle était loin d’être la seule née-moldue de l’école et heureusement pour le bien être de ses camarades, la plupart d’entre eux demeurait infiniment plus réfléchi. La poufsouffle avait le sang chaud et s’attirait des ennuis. En prime, elle avait des goûts très discutable en termes de fréquentation, comme l’avait très bien démontré la punition du rejeton van Aken... et le dos mutilé de la jeune fille. « Si vous devez vous attendre à un danger, ne regardez pas du côté de ceux qui font le plus de bruit. Il ne vient jamais d’eux. » Et il pouvait parler d’expérience.

D’un ton posé et poli, ni réellement sympathique ou avenant, mais pas désagréable ou provocant, il la questionnait un peu, creusant ce qui se cachait derrière ce brin de professeur scandalisé. « Avez-vous demandé des informations ? » Si elle l’avait fait, il était curieux de connaître la nature des réponses qu’elle avait obtenues... si réponse il y avait. Il n’était pas dupe, il savait pertinemment que ça ne servait à rien – tout comme la table ronde n’amènerait pas la moindre évolution, ça n’était absolument pas son but – mais il n’appréciait guère d’entendre des adultes se plaindre du caractère hermétique des informations quand la plupart n’était capable de l’exprimer autrement que pour râler. « Y a-t-il beaucoup d’élèves de votre maison concernés par les rétrogradations ? » Wenceslas n’étant pas directeur de maison, il n’avait pas particulièrement prêté intérêt aux couleurs des aciers, voire des bronzes. Il savait pour ceux avec qui il avait conversé tout particulièrement mais puisqu’il n’était le référent de personne et qu’il ne se montrait pas être l’adulte le plus amical et jovial du groupe, il n’était pas celui vers qui la plupart des élèves se tournaient naturellement. Et ça n’était pas plus mal, il préférait grandement laisser les caprices aux gens comme Cooper. Après tout, comme professeur d’arithmancie, elle avait infiniment moins de travail que lui... alors elle pouvait bien s’occuper des adolescents en manque d’attention.

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  —  Tout à sa tranquille prudence, Wenceslas pérorait d’un ton neutre, expliquant à sa cadette le fond de sa pensée. Des années passées au plus profond du ministère, à garder secrètes les recherches de son département, il avait gardé une certaine paranoïa naturelle qui n’était pas sans ses avantages. L’on ne faisait guère confiance aux autres, et il fallait pouvoir accepter une vie de solitude, mais cela épargnait une pléthore d’ennuis divers et variés. À Poudlard, cette expérience se révélait plus utile qui n’aurait pu l’imaginer de prime abord ; les tableaux de van Aken étaient partout – sauf dans son propre bureau, bien entendue – et il y avait fort à parier que la moindre discussion qui sortait un peu de l’ordinaire était compté au maître des potions, avant de terminer dans les oreilles du directeur.

Mais là, ils n’étaient que deux enseignants conversant paisiblement dans un couloir. Rien de bien extraordinaire si l’on excluait la sociabilité fort discutable de l’ancien langue-de-plomb. Pour autant, il n’était pas taciturne au point de tourner les talons sans demander son reste ; il ne connaissait que peu le professeur d’arithmancie et s’il portait un intérêt fort limité à sa discipline, elle demeurait une directrice de maison dont plusieurs élèves qu’il gardait particulièrement à l’œil appartenaient.

Les poufsouffles n’étaient pas particulièrement connus pour la témérité de leur parole – quoique plusieurs puissent se montrer assez vindicatifs quand ils le voulaient – et Cooper ne faisait vraisemblablement pas exception, finissant par admettre la justesse de ses avertissements, avant de lui conter les propos du directeur quant à aux critères de classement. La nature de cette révélation ne l’étonnait guère : le secret était bien maintenu, trahissant la volonté de ranger les élèves dans des cases dont le mérite se jugeait avant tout par la qualité de l’ascendance. Le ministère n’avait qu’une vision très partielle des décisions prises par Sørensen, la position de directeur de Poudlard ayant toujours été volontairement tenue à l’écart des têtes pensantes de la politique... pour le meilleure, comme pour le pire. « Une entrevue avec monsieur Sørensen est prévu dans quelques jours, je verrais bien à ce moment-là ce qu’il aura à dire... » Sûrement rien de très intéressant ou surprenant. Ça n’était pas tant la discussion qui l’intéressait que ce qu’il pouvait amener par ailleurs.

À demi-mot, Wenceslas évoquait la table ronde sans trop en dire de plus, non qu’il n’ait pas confiance ou ne veuille pas tenir aux courants ses collègues, mais plus simplement qu’il n’y voyait pas grand intérêt. Il ne voulait pas faire de cette table ronde une réunion de mécontents puérils, ni même donner l’impression à la direction d’un assaut professoral. Moins ils étaient, mieux c’étaient. Fergal et lui pour l’aspect purement organisationnel, Siwan pour le dialogue et pour représenter les sang-purs avec Duncan, et Thorstein pour la sécurité. Pour le reste, il fallait des professeurs ailleurs. « Il me semble effectivement que les maisons n’aient guère d’impact sur l’évolution dans les grades. » confirma sobrement le né-moldu. La logique était toute autre, infiniment moins noble qu’une rivalité des couleurs. « Malheureusement, je doute qu’il y ait grand-chose à leur répondre, si ce n’est de travailler et de respecter au mieux le règlement. Le reste... » Il marqua une courte pause, un léger sourire caustique fendant ses lèvres. « Le reste n’est que futilité. Le dossier scolaire n’est pas impacté par un grade plus ou moins doré, le monde professionnel et intellectuel se moque de ces considérations qui n’ont nulle base pédagogique claire et pertinente. » Une fois passé les portes de Poudlard, seules les notes aux examens les plus importants et les quelques réussites probantes jouaient un rôle.

Le professeur de sortilèges taisait volontairement les injustices du système actuel ; il trouvait inutile de s’égosiller dessus et pour l’heure, il s’agissait d’une forme critiquable de pédagogie, mais elle n’avait rien de particulièrement dangereuse. C’était la réaction des élèves qui pouvait l’être... et sans doute était-ce une simple étincelle dont ils avaient besoin pour éveiller les protestations à l’extérieur de l’école.

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