La frustration d’abord, de s’être senti accusé à tort – enfin, pas totalement à tort, mais quand même un peu – puis le temps, puis les évènements, tout cela avait un peu asséché les émotions de Blaze. Elles n’en restaient pas moins là, sous une forme déshydratée, mais toutes prêtes à reprendre de l’ampleur pour peu qu’on verse dessus le bon remède.

Blaze n’était pas dupe de lui-même, s’il pouvait se montrer d’une galopante immaturité sur de nombreuses choses, il était néanmoins profondément lucide sur ce qui lui plaisait et ce qu’il désirait. Il voulait de l’aventure, de la gloire, des regards posés sur lui, du pouvoir, du talent, des émotions fortes, de la nouveauté, de l’activité physique et Skyler. La liste n’était évidemment pas exhaustive, il aurait également pu y rajouter l’amitié de Misha, la reconnaissance Thorstein, l’humiliation de Maxton Sherwin ou encore que cette pimbêche de Daisy reconnaisse devant tout le monde qu’elle ne lui arrivait pas à la cheville, mais dans ce flot de désirs il fallait bien se concentrer sur quelques choses précises.

Le jeune homme n’avait jamais « renoncé » à Skyler. D’ailleurs ils n’avaient pas réellement rompus tous les deux, ça c’était juste fait comme ça. D’abord il avait été blessé de se voir rejeté, puis très vite extrêmement vexé qu’elle lui laisse l’occasion de s’expliquer. C’était comme si tout ce qu’ils avaient fait ensemble n’avait pas compté, finalement, et pouvait se balayer d’un seul coup d’un seul geste. Inadmissible. Au fond, c’était bien justement parce qu’il n’avait pas renoncé que se voir claquer la porte au nez l’avait à ce point énervé, agacement qui s’était mue en morosité, contrait de regarder de loin un désir désormais inaccessible.

Alors forcément, quand les choses s’étaient réchauffées – un peu – entre lui et elle, ces sentiments desséchés avaient repris un peu de poil de la bête. Pas une forme complètement distincte, rien qu’un petit tas compliqué, mais tout de même tangible et palpable. Il y avait là une sorte d’occasion à ne pas manquer, une fenêtre s’ouvrant de manière inespérée sur un horizon refusé.

Il avait eu un tout petit peu de mal à s’endormir, la veille.

Et beaucoup de mal à se réveiller le lendemain, putain mais on était vraiment obligé de le réveiller aux aurores pour aller dévaser les bords du lac noir avec Fergal ? Soi-disant qu’on ne pouvait pas utiliser la magie pour ne pas gêner les êtres qui vivaient au fond, résultat Blaze s’était retrouvé à patauger en botte avec de l’eau jusqu’aux genoux, une épuisette sur l’épaule pour récupérer des poivreglaises, une espèce de petites bestioles nécessaires à la préparation de certaines potions.

Il s’était sans doute un peu trop plaint et Fergal devait être légèrement de mauvaise humeur vu qu’au lieu de finir à midi comme prévu ils en eurent pour une grosse heure de plus et Blaze dû rentrer en courant au château pour ne pas être en retard. Peine perdue, juste le temps de troquer ses bottes pour une paire de chaussures et de se donner un coup de peigne. Il faisait peur à voir, mais il n’avait vraiment pas le temps de prendre une douche, par contre…

… par contre avoir donné rendez-vous aux cuisines était une sacrée bonne idée.

C’est donc essoufflé et accompagné d’une odeur de vase qu’il débarqua dans les sous-sols, retrouver Skyler près du tableau à la coupe de fruit masquant l’entrée des cuisines. Il la salua d’un geste de la main et grimaça à sa remarque, laissant comprendre qu’il avait un peu morflé.

- « T’as pas idée, j’y suis depuis ce matin ! A tous les coups il s’est disputé avec Kendrick hier. »

Blaze avait une fois ou deux remarqué les échanges de regards entre les deux enseignants, principalement parce qu’avec Thorstein, Fergal et Siwan étaient les seuls adultes dont il cherchait lui-même l’attention à Poudlard. Tous les autres pouvaient aller se faire voir à Azkaban.

- « T’excuse la tenue mais de toute façon j’avais moyen prévu de rester propre. » dit-il en ricanant avant de presser la poire du tableau, dévoilant la pièce presque vide d'elfes à cette heure de la journée.

- « Ils sont tous à la vaisselle après le banquet. » expliqua-t-il. « Et ensuite ils font une pause avant de commencer à préparer le dîner. »

En tant que fils d’une sorcière pâtissière, Blaze avait une affinité particulière avec les cuisines et de façon surprenante en connaissait assez bien le fonctionnement après six années passées à l’école.

Il se glissa à l’intérieur de la pièce non sans adresser à Skyler un coup d’œil qu’il espérait mystérieux.

- « Bon j’avoue avec le recul c’était un peu foireux l’expérience avec Bella, du coup je me dis qu’il faut que je rattrape le coup, tu vois ? »

Il sourit.

- « Et s’il y a bien un truc que je ne foire JAMAIS, c’est la cuisine ! Dooonc… choisis ton menu ! Et je m’en charge ! »

Ce serait peut-être un peu prétentieux de prétendre qu’il a tout prévu – et sûrement pas son retard – mais les cuisines sont un peu son joker. Il sait que là-dedans il ne peut pas foirer, pour la simple et bonne raison que la bonne bouffe met toujours tout le monde d’accord. C’est sa mère qui lui a dit ça une fois, il n’a pas oublié. D’ailleurs ne s’est-il pas réconcilié avec Misha grâce à une tarte aux pommes la dernière fois ?

Préservant quelques secondes le mystère sous la forme d’un regard en biais, il finit par répondre à Skyler non sans une certaine fierté contenue.

- « Ma mère est pâtissière, je t’ai jamais dit ? » Bizarre. « Je traine pas mal ici quand j’ai besoin… »

Besoin de quoi ? D’isolement, de tranquillité. Mouais bof, surtout de préparer des desserts empoisonnés en général, plus d’un petit serdaigle s’est déjà fait avoir par ses loukoums liquides laissés en évidence dans leur salle commune.

Alors qu’il passe de l’autre côté des fourneaux, Blaze retrousse les manches de sa chemise et s’en va se laver les mains, laissant Skyler à sa réflexion. La jeune fille semble un peu indécise, ce qui lui laisse également le temps d’attraper un tablier qui traine et de se le nouer autour de la taille. Il doit également avoir sa toque qui traine quelque part, mais impossible de mettre la main dessus pour le moment.

- « Des gaufres, ouais carrément. »

Ce n’est clairement pas le plat le plus difficile à préparer, même un peu simpliste à vrai dire, heureusement que Blaze a d’autres moyens pour faire démonstration de son talent. Cette cuisine s’apprête à devenir le théâtre d’une véritable parade amoureuse.

- « Gaufre, chantilly, un peu de magie ? »

Il sourit, confiant.

- « Avec une bonne recette on peut obtenir tout un tas d’effets sympas. C’est pas si éloigné des potions en vrai. Ma m… »

Il retient sa langue. Peut-être pas l’idée du siècle de mentionner sa maman deux fois de suite pendant un date, surtout que Skyler s’est un peu crispé quand il a parlé de Bella quelques minutes plus tôt. Soyons discrets.

- « Je sais faire des gâteaux au goût de souvenirs par exemple. Ou d’émotions. Bon c’est pas super simple à faire, je te le cache pas mais si elles sont assez fortes, ça donne un sacré parfum. »

Le sous-entendu est assez clair ?

Clairement, Blaze est à l’aise. A l’aise et motivé. Pour chiante qu’elle était la corvée du matin l’a bien réveillé et la perspective d’impressionner Skyler lui plait bien. Après une année entière à subir cette histoire lui trotter dans le crâne avec morosité, retrouver un moment de complicité simple – et sans reproches – suffit à lui donner la patate. D’autant que d’une certaine manière, Blaze a un peu l’impression de jouer une partition qu’il connait au fond déjà. En mieux. Avec moins de fausses notes, moins d’hésitation, moins de tabous. Il est juste content de retrouver Skyler, en fait.

Alors qu’il achève de se préparer – la cuisine est un art qui demande un minimum d’organisation – la jeune fille le surprend par son ton provocateur, et un peu excitant. Il ne se l’avouera jamais, mais d’eux deux c’est sans doute elle qui a le moins froid aux yeux sur ce genre de choses. Corseté dans une éducation petite-bourgeoise, il y a certains sujets et notamment ceux touchant directement à l’intimité qu’il peut avoir du mal à aborder de manière cru.
Cela ne l’empêche pas de savoir rebondir lorsqu’on lui tend la perche.

Amusé par la remarque, il soupire d’un air faussement désolé.

- « Hm, t’es vraiment sûre que c’est sur les gaufres que tu veux mettre la chantilly finalement ? » répond-il un peu plus taquin.

Echange de d’émoustillements cordiaux, reste à ne pas se laisser trop déconcentrer, pas si vite en tout cas. Il a quand même une pâte à faire, et s’il doit ajouter des émotions fortes dedans mieux vaut garder un bon dosage, sinon c’est la gerbe assurée.

En tout cas, Skyler semble avoir la réf quand il évoque le fait d’ensorceler la préparation. Enfin, sa réf à elle, quoi. De quoi tirer un ricanement à Blaze.

- « Ça peut être romantique aussi, mais ouais c’est exactement l’idée, en fait ça dépend vraiment de ce que tu mets dedans quoi. »

Heureusement, le jeune homme connait assez bien les lieux maintenant, et surtout les placards, aussi ne perd-il pas de temps. Un saladier posé près de la serpentard, bientôt accompagné d’un sac de farine, des œufs, du sucre, du beurre et du lait. Dosant au nez, il verse la farine, rajoute le sucre et casse un œuf dans un verre à part, récupère seulement le jaune qui vient rejoindre le reste de la recette.

Sans mélanger encore, il repousse le saladier et vient s’appuyer sur le plan de travail, les deux bras plantés juste à côté des jambes de la jeune fille qu’il fixe à présent.

- « J’attends que le beurre ramollisse un peu, c’est l’affaire de cinq minutes. »

Puis un sourire.

- « Alors dis-moi, quel genre d’émotions je mets là-dedans ? »

Si la matinée avait honnêtement été plus que chiante, force était de constater que ce début d’après-midi commençait plutôt bien. Non seulement Skyler n’avait pas trop râlé à cause de son retard – et sa tenue – mais en plus elle semblait de bonne humeur, taquine même, ce qui avait le don de pas mal motiver Blaze. Qu’on lui donne l’impression que ses efforts n’étaient pas vains et le jeune homme n’avait rien d’autre en tête que de faire encore mieux et puisqu’il avait prévu de proposer à la jeune fille une sorte de petit show de cuisine, qu’elle s’y montre réceptif était un sacré carburant pour la suite.

Se contentant pour l’heure de répondre à ses plaisanteries d’un regard amusé, le jeune homme tâcha tant bien que mal de rester concentré sur sa préparation – même si des gaufres, il fallait le vouloir pour se rater. Il avait conscience d’avoir bien foiré leur dernier rendez-vous, sauvé in extremis par l’intervention de Bella, et ne voulait pas réitérer l’erreur en laissant brûler la pâte, par exemple.

C’est donc avec précision – et en prenant soin que ses mouvements restent fluides pour impressionner Skyler – qu’il mélangea œufs, farine et sucre dans un saladier. Maintenant, il fallait laisser un peu reposer le beurre, sinon ça allait mal se mêler au reste des ingrédients.

Puisqu’il avait cinq minutes devant lui et parce que décidément il était de bonne humeur, il s’en alla se planter devant Skyler. Elle était sacrément jolie, avec son maquillage et sa tenue, même si Blaze gardait un souvenir attendri d’une soirée au bord du lac où elle ne portait qu’un sweat sans prétention et que c’était déjà bien sympa, il n’était pas idiot au point de ne pas remarquer l’effort d’apprêtement de la jeune fille.

Restait tout de même une question cruciale à trancher : avec quoi mélanger la pâte pour faire de véritables gaufres ensorcelées ? C’était assurément la partie la plus complexe du processus, plus on était précis plus le parfum était odorant.

Sans doute à cause d’un fond de naïveté adolescente et parce qu’il était quand même pas mal concentré sur la recette, le mouvement de Skyler le surprit sincèrement. Il eut d’ailleurs l’espace d’un instant un geste de recul quand elle se laissa glisser du plan de travail mais reprenant ses esprits, lui rendit son baiser.

Ça lui avait manqué, et ça avait bon goût. Plus que les gaufres, c’était sûr. Il glissa ses mains dans le dos de sa copine, lui rendit son étreinte, la pressant un peu contre lui pour la sentir au creux de ses bras. C’était tendre et joyeux, moins frénétique que d’autres fois, comme des retrouvailles qui n’auraient que trop tardées.

Le baiser dura quelques secondes ? Ou plusieurs minutes ? C’était sans doute un peu cliché à dire, mais il ne sentit pas le temps passé, sans doute était-il concentré sur autre chose. Quand leurs lèvres se séparèrent, il y avait un sourire ravis sur les siennes et un peu bêtement, il hocha la tête.

- « Cool ! Du coup on… est ensemble encore ? »

Mais parce que c’était Blaze, il reprit tout de suite ses habitudes d’attitude.

- « Sinon je peux me contenter d’un amour secret dans les cuisines hein, toi et la pâtisserie c'est deux passions réunies au même endroit donc bon, ça me va aussi. »

Evidement, Blaze ne peut pas s’empêcher de la ramener. Mais bon, il ne va pas se changer en deux jours. Ni même peut-être en mille. Ravis de ce dénouement un peu brusque, il observe Skyler avec un sourire un peu idiot et pas mal satisfait. N’étant pas complètement crétin il avait bien senti ces derniers temps qu’un rapprochement entre eux s’amorçait, mais ne s’attendait pas à ce que les choses se dénouent aussi vite, et pour le mieux !

N'empêche, il préfère quand même vérifier que tout est réglo, qu’ils sont bien « en couple » parce que bon, sinon ça ne compte pas vraiment. Ou alors d’une manière que son esprit encore puritain n’envisage pas sérieusement. Skyler préfère d’abord rebondir sur ses dernières paroles et ses choix de mots. Eh bien, oui, il faut dire les choses avec les mots juste, affectes, passions, à quoi bon nier que la jeune fille a pris une part importante dans les émotions qui l’ont travaillé cette année.
Pour Blaze toutefois, le mot est plus franc, après un baiser comme ça, il n’en garde que la sémantique la plus joyeuse.

- « J’assume ! » répond-il avec un brin d’assurance. « Sinon j’aurai laissé tomber depuis longtemps. »

Petite maladresse emporté par son élan, Blaze s’en fiche, il en a marre de peser tout le temps ses mots, des fois il faut mettre les choses sur la table un bon coup.

Soudain gagné par une ombre de timidité, la jeune fille rattrape la conversation au vol, expliquant qu’ils n’ont jamais vraiment rompu. Pas trop d’accord avec cette analyse, dans les faits, ils ont quand même passé presque douze mois sans se croiser.

- « Mouais. » est tout ce que lui trouve à répondre.

La scène est devenue un peu plus compliquée tout d’un coup, alors que le plaisir clair des retrouvailles se brouille légèrement. Le passé n’a pas disparu d’un coup, par magie, mais on peut choisir de l’ignorer. Blaze hausse les épaules.

- « Tu sais quoi, je vais récupérer ces émotions là tout de suite pour les gaufres et on verra mes détails après. »

Pragmatique et aussi une élégante pirouette pour ne pas aborder trop vite les sujets qui risqueraient de fâcher. Tout n’est pas réglé entre eux, mais on peut faire semblant un peu.

Il abandonne Skyler non sans lui glisser une caresse au passage, retour devant le plan de cuisine d’un air heureux mais concentré. Il jette un regard à la jeune fille, lui adresse un clin d’œil.

- « Tu veux voir l’expert en action ? »

Il ferme à moitié les paupières, porte la pointe de sa baguette au niveau de son cœur. C’est un peu dramatique mais c’est comme ça que fonctionne la magie, alors… Il a déjà vu sa mère faire pareil pour récupérer un goût de mélancolie ou un parfum de fatigue après une dure journée de boulot. Mais il ne le dira pas à Skyler, c’est plus romantique en éclipsant certaines infos.

Le processus est un peu semblable à celui de l’extraction de souvenir pour les mettre dans une pensine. Magie que Blaze a appris l’année dernière, justement pour offrir un cadeau à Skyler. D’ailleurs elle lui a renvoyé le collier le jour de la rupture, ce souvenir le perturbe légèrement, il se reconcentre. Focaliser sur les émotions, la chaleur dans son ventre, cette envie de sourire, parfait.

Comme une source jaillissante, de minces filament dorés s’échappent soudain de sa poitrine et viennent s’entortiller autour de sa baguette. Un sourire triomphant sur le visage, il se tourne vers la jeune fille :

- « T’as vu ? Pas mal hein ! »

Puis vient les déposer dans le reste des ingrédients.

- « Franchement je crois qu’elles seront réussies ce coup-ci. On a de la bonne qualité. »

A sa grande satisfaction, Skyler semblait sincèrement impressionnée par ce petit tour de magie. Pour la jeune fille d’ordinaire plus taciturne ce genre de démonstration était aussi rares que bienvenues et Blaze ne pu s’empêcher de sentir monter en lui un doux sentiment de fierté. En vérité il ne s’agit pas d’une formule très compliqué, du moins de son point de vue. Une enfance passée dans la pâtisserie de sa mère l’a familiarisé avec cette forme de magie depuis qu’il est en âge de jeter un sort.

Lorsque la jeune fille évoque le collier, toutefois, le sentiment se dissipe un peu. Ils n’ont pas mis longtemps à revenir aux sujets qui fâchent. Sans trop s’avancer, Blaze lui répond d’une petite moue avant de hocher la tête.

- « C’est, un peu différent, les souvenirs c’est plus concret tu vois ? Ca demande plus de précision. »

De ça non plus il n’était pas peu fière, un sacré exercice qui avait demandé quelques séances pas toujours très agréables avec Thorestein, à se donner des migraines carabinées à force de se triturer l’esprit avec sa baguette. Sans doute pour cela qu’il a assez mal pris qu’elle le lui renvoie, comme une négation de ses efforts, une espèce de gifle qu’il a pris dans la gueule et cuisante d’injustice. Enfin, sur le moment. Les choses sont un peu apaisées à présent.

N'empêche que son visage a dû laisser transparaitre un peu du fond de sa pensée parce qu’à sa grande surprise Skyler s’excuse ! Alors là ! C’est tellement surprenant qu’il en oublie de répondre.

- « Non c’est pas… » ne peut-il s’empêcher de répondre quand elle se traite de conne.

Il n’irait pas jusque-là. S’il lui en a pas mal voulu pendant un an, à présent qu’elle charge sa propre barque ses griefs semblent envolés et son sel réflexe est de la détromper : c’est lui qui a fait n’importe quoi, il ne faut pas qu’elle se mette dans des états pareils !

Il ne peut s’empêcher de sentir sa gorge se serrer un peu devant ce précieux déballage qui semble avoir d’un souffle d’émotions fortes balayé beaucoup, beaucoup de choses.

- « Tu m’as manqué aussi. » répond-il sur le même ton, sans trop oser en dire plus.

Les sentiments caracolent maintenant et il s’en faudrait d’un mot de trop pour qu’ils débordent ce qui, franchement, la foutrait mal.

- « T’es pas conne, attend… ! »

Blaze n’est pas un grand intellectuel, avoir de bonnes notes n’est absolument pas la garantie d’avoir de la finesse d’esprit. Il a plutôt tendance à agir, dans ce genre de situation, comme une fuite en avant, ou la concrétisation de choses inexprimables par des mots un peu vains.

Alors il se saisit de sa baguette, laissée sur le plan de travail et la porte une nouvelle fois contre sa poitrine, se concentre. Se concentre sur ce qu’il a ressenti, un an plus tôt, essaye d’en retrouver la nuance. La cicatrice est encore fraiche, il ne lui faut qu’une poignée de second pour faire ressurgir ce sentiment.

Au bout de sa baguette, les filaments n’ont pas la chaleureuse couleur ambrée qu’il a mis dans les gaufres, ils oscillent entre le gris et le violet, s’agitent comme un animal en cage, tournent sur eux-mêmes, manifestement perdus.

- « Tu vois c’est ce que j’ai ressenti au moment de… » il ne finit pas la phrase. « C’était confus. »

Il tente un pauvre sourire qui se veut rassurant. Quelques jours plus tard et la colère l’avait gagné mais sur le moment, juste une forme d’incompréhension guidée par la réactance et la détresse.

- « On peut peut-être se dire que c’était juste compliqué de tous les côtés ? Et que personne a été très malin ? »

L’expression de leurs sentiments, fusse sous la forme littérale d’un filet de magie, avait eu l’effet spectaculaire de dissiper entre eux toute forme d’animosité. Il ne restait plus que beaucoup de sensibilité, un peu à fleur de peau, et aucun désir de se faire du mal réciproquement. Au regard de leur était, c’en était presque absurde de se dire qu’ils avaient repoussé d’un an le moment de leur réconciliation. Il était à la fois un peu douloureux, chargé, et en même temps si simple et doux…

D’un hochement de tête, Blaze acquiesça quand Skyler annonça qu’elle était d’accord pour remettre les compteurs à zéro. A nouveau, cela semblait si simple. Une phrase avait suffi.

Il y eut un silence un peu tendre, puis Skyler qui était la plus frustre des deux reprit la parole, demandant un peu banalement de ses nouvelles. Cela le fit ricaner et il haussa les épaules.

- « Entre deux défaites au quidditch et un procès de la directrice tu veux dire ? »

Comme il n’avait pas complètement oublié les gaufres, Blaze se tourna vers le saladier. Au fond, avec la pâte, les filaments dorés de ses émotions scintillaient comme des cheveux blonds que quelqu’un aurait perdus.

- « Franchement c’est l’horreur cette sixième année, trop. De. Boulot. J’en vois pas le bout. Et être préfet c’est limite un deuxième job. »

Il sourit un peu amèrement, partagé entre la fierté de son badge et l’agacement que ces nouvelles responsabilités suscitaient chez lui. Blaze n’avait jamais eu l’âme maternante et les premières années avaient rapidement compris qu’il valait mieux éviter de lui demander où étaient la salle de cours de sortilège ou ce que les elfes avaient préparés pour le repas du soir.

D’un geste rapide, il se mit à battre la pâte pour la mélanger, faisant rapidement se diluer son filet de magie parmi le beurre et le sucre.

- « Et toi ? Tu t’en sors ? »

Malgré les émotions, force était de constater que les deux jeunes gens n’étaient au fond que des ados, peu portés sur l’expression prolongée de sentiments intimes. La conversation penchant naturellement vers des sujets plus légers et triviaux, chacun s’enquérit de savoir comment allait l’autre et quelles étaient les dernières nouvelles dans sa vie, bien que concernant Blaze, il avait – ou du moins pensait-il avoir – suivi de loin les pérégrinations de Skyler, au moins concernant son équipe de quidditch qui avait eu du mal à se constituer.

- « Ne te plains jamais de tes joueurs ! » répliqua-t-il en rigolant. « T’as vu la gueule de mon équipe ? Je crois qu’on n’a jamais été aussi nuls de toute l’histoire de Poudlard. »

C’était dit sans amertume, bien que dans d’autres circonstances la situation l’agaçait pas mal. Là, avec Skyler, il était prêt à en plaisanter. Et puis cela fonctionnait comme vases communicants, une défaite pour Serdaigle équivalait à une victoire pour Serpentard, au fond à eux deux ils n’étaient jamais complètement perdant.

Se saisissant de la pâte, Blaze l’apporta à un gaufrier que la cuisine avait généré à sa demande – vive la magie – et l’y deversa en prenant garde à ne pas renverser.

- « L’affaire de quelques minutes. » annonça-t-il à la jeune fille avant de lui tendre le plat et la cuillère. « Mais t’as le droit de goûter la pâte. Normalement c’est réservé au cuisiner mais je partage. »

Grand prince, et de bonne humeur. Bien sûr les gaufres étaient meilleurs chaudes et croustillantes, mais cela faisait partie du plaisir de la préparation que de pouvoir racler le fond des plats pendant que ceux-ci cuisaient. Et cuite ou non, les filaments de sentiments qu’il avait mêlé à la pâte restaient encore parfaitement efficaces, donnant à la préparation un lointain parfum de joie.