« We’re rotten fruit. We’re damaged goods. What the hell, we’ve got nothing left to lose. » Radiohead

Daisy n’aime pas beaucoup le fantôme des Serpentard. Une vieille histoire qui se chuchote parfois sur les carreaux ouvragés du château. De peau, il n’en a plus, mais en son temps, le Baron suintait la boucherie dit-on, c’est pour ça qu’on lui donne du sanglant. C’est pour ça que la dame grise s’éloigne quand il arrive.

On a le nez fin chez les Serdaigles.

Après le bal, l’atmosphère a changé au sein de Poudlard. Les vacances ont anémiés les couloirs, le calme s’est fait froid, les idées ont pu se remettre en place. Daisy a laissé ses camarades partir, enfin libre de ne plus autant s’astreindre à des apparences surfaites. Elle a déambulé dans la bibliothèque, s’est laissé porter par les glaces durant des batailles de boules de neige improvisées. Ils sont peu à rester mais elle y trouve un terreau favorable, solidifie une popularité dans des méandres que peu regardent et estiment.

L’ombre de la Brigade – un temps – s’est effacé et tandis que tout le monde est rentré, Daisy s’est rendu compte du poids que Sorensen a su imposer dans leurs jour à jour. Les grades aiguisés griffent les poitrines déchiquetées et meurtries par toute ces petites humiliations quotidiennes, tout ces privilèges accordés sans aucun fondement. Personne ne dit rien parce qu’ils ont déjà vécu pire et c’est peut-être ça le drame: dans le grand schéma de ce qui leur est arrivés en première année, tout ceci semble bien bénin.

Les autres préfets sont là aussi, c’est la grande réunion et Daisy se montre sage, des sourires charmeurs au bout des lèvres, des échanges calibrés. Elle évite un peu Maxwell mais c’est l’habitude. Ils ont d’autres discussions à avoir, d’autres points d’ancrage. Elle a préféré observé les dynamiques entre elles, les regards qui passent des uns aux autres, les paroles échangées, les règles remises à jour.

« Dis-moi, tu as travaillé aux mines ces dernières semaines ? C’est pour chercher l’acier qu’il te manque ? » Elle se moque un peu de Blaze quand ils sont seuls, de la jalousie amusée au bord des cils noirs. Il a le teint halé, des reflets hawaïens partout sur le museau. Elle n’a que faire de la destination et encore moins de savoir s’il a passé de bonnes vacances ou pas. Souffler chaud et froid est un sacerdoce, une habitude tellement ancrée qu’elle ne saurait s’en défaire même si elle le voulait.

La brune se contente de s’étirer, légère et languide avant d’entamer, en compagnie de l’autre préfet sa toute première ronde. Le badge reluit sur le revers des blazers d’uniformes et elle salue les tableaux quand ils passent dans le couloir. Elle n’a plus reparlé du jeu avec le garçon. Il n’a pas très bien prit sa défaite alors ce n’est qu’un juste retour de bâton : elle préfère laisser l’épée de Damoclès flotter sur sa nuque et l’abattre seulement quand elle en aura besoin. Encore faut-il qu’il soit réellement utile. Elle a quelques doutes sur les missions qu’elle pourrait éventuellement lui confier. Il ne faut pas qu’il en sache trop. C’est délicat.
Elle lui jette un regard en coin avant d’entamer la conversation. « Tu sais si on doit toujours faire nos rondes ensemble ? Je suis ravie d’être en compagnie d'un autre Serdaigle ce n’est pas le sujet mais histoire de varier un peu les plaisirs… » Elle ne dit pas son objectif. Il va croire que c’est pour Haley ou Rosalie. C’est ce qu’elle a déjà laissé trainer d’ailleurs par-ci, par-là et même dans la salle des préfets. Ce n’est pourtant pas elles qu’elle vise en priorité mais il faut savoir parer à toute éventualité après tout. « Et toi, si tu pouvais faire cette ronde avec un autre préfet, tu choisirais qui ? » Le bord de l’escalier vibre sous sa main et la secousse la prend au dépourvu mais elle se rattrape vite et bien.

Les vacances ont été vraiment trop courtes, cet aller-retour avec Misha sur une plage au bout du monde a fait beaucoup de bien, Blaze semble en prendre conscience pour la première fois. A Poudlard ne l’attend que le poids des devoirs et des responsabilités. Même s’il n’en montre rien, par fierté et parce que ce serait donner trop de plaisir à cette pourriture de Maxton Sherwin, son grade acier commence aussi à peser lourd. Entre les corvées, les travaux supplémentaires, ses cours, le quidditch et son statut de préfet, Blaze fatigue vite. Son temps de sommeil se trouve trop souvent amputé d’une heure ou deux pourtant nécessaires pour bien grandir à son âge.

Alors oui, les vacances lui ont fait du bien. Beaucoup de bien. Il a de nouveau l’énergie suffisante et son cerveau carbure comme il faut. C’est assez plaisant.

Pendant les réunions des préfets, il pense déjà à autre chose. A la conspiration avec Skyler, à la manière de piéger Sherwin, un guet-appens dans les cachots ? Quelle bonne idée. Ses compagnons n’ont pas grand-chose à dire d’intéressant, Max se donne en spectacle, Hayley le réprimande, Caleb est chiant comme à son habitude, Carla se fait discrète… chez Gryffondor, Rosalie continue de le regarder en coin, ça le rassure après le bal, et Marlon joue les père-la-morale.

Seul changement, Daisy qui prend la place de Mary. Blaze ne sait pas trop quoi en penser. Tant que la jeune fille était une parmi toutes les autres, ça passait très bien. Maintenant la voilà propulsé à un rang similaire au sien. Trop similaire. Manquerait plus qu’elle rejoigne l’équipe de quidditch. Blaze ne souffre pas de la concurrence, chez Serdaigle il a toujours été l’électron libre, le gars qu’on craint et qu’on admire à la fois, il a sa petite scène et ça l’emmerde de partager. D’autant plus depuis la petite victoire de Daisy à ce stupide jeu. Il n’y pense pas souvent, mais quelquefois oui. Le gage ne lui fait pas peur, reste qu’il aimerait bien en être débarrassé, ne serait-ce que pour pouvoir prendre sa revanche, mais tant que les dettes ne sont pas payées, ce n’est pas lui qui est à l’initiative. Il ne faut pas croire, il y a des codes dans ces paris, on n’y fait pas n’importe quoi.

Première ronde de la rentrée, les compteurs sont remis à plat, chacun chez soi. Soit. Donc il va passer les deux prochaines heures avec elle. Ca va que l’énergie retrouvée pendant les vacances améliore son humeur, Blaze se surprend un peu trop souvent à tirer la tronche ces derniers temps. Il ne s’aime pas trop quand il est comme ça, et vu la place que prend son estime personnelle chez le jeune homme, ce n’est jamais bon.

En vrai, il n’a pas tiré la pire carte. Au moins, Daisy le stimule, même si elle l’agace aussi. Comme Rosalie d’ailleurs, mais très différemment.

Ils ne sont pas plutôt sortis de la salle qu’elle lance l’offensive. Il se reconnait bien là, raison de s’agacer. Il enchaîne déjà sur la réponse, raison de s’amuser.

- « Toujours mieux qu’une usine de craie, pas besoin de ressembler à un fantôme pour hanter ces couloirs tu sais ? »

Tac-au-tac, le physique c’est toujours un peu bas mais puisqu’elle a commencé avec son grade…

- « Viens, on va passer par là. »

Il connait mieux les rondes qu’elle, il tient à le rappeler implicitement. Pendant deux heures, c’est lui qui mène la barque, en fait, il l’a toujours mené, Blaze a le gêne commerçant, dans une économie de marché la concurrence, ça s’écrase.

Alors qu’ils n’ont pas descendu trois marches, la question de Daisy le surprend. Ils n’ont pas abordé la question des duos de rondes tout à l'heure ? Peut-être ont-ils oublié, pris dans leurs habitudes. Cela l’amuse.

- « Déjà lassé de moi ? »

Il secoue la tête.

- « Tu as tort, je pense être objectivement le plus amusant du lot. Mais non, ça tourne, faut regarder le planning des rondes. »

Blaze ne sait pas trop avec qui traine Daisy, ou aimerait trainer. Il ne s’intéressait pas beaucoup à elle jusque-là, l’ignorance est parfois un bon moyen de se débarrasser de ce qui gêne. Depuis leur petit défi, en revanche, la donne a changé, s’il doit piéger la jeune fille – ou lui obéir pendant 24h – il préfère savoir à quoi s’en tenir. Blaze n’est pas un grand adepte des plans compliqués, il leurs préfère l’improvisation et compter sur son talent, mais c’est aussi un bosseur, pas du genre à prendre les choses par-dessus la jambe, et croyez bien qu’il a gardé un œil sur elle.

La question le fait réfléchir, il laisse trainer son regard sur les peintures. Que dire ? Paradoxalement, la franchise a parfois du bon : les gens ne s’y attendent pas. Avec des profils comme celui de Sidney, être un peu cru les déstabilise complètement, mais difficile de savoir si c’est aussi le cas de Daisy. Il décide de mettre un peu de vrai dans son mensonge.

- « Caleb est chiant comme la pluie, il a la conversation d’un botruc, Max est sympa mais faut pas trop s’attendre à faire du bon boulot avec lui. Et Marlon… Marlon est cool, à sa manière. Un peu stressé quand même. Hayley aussi, sauf si t’aimes causer bouquin pendant deux heures. Carla est chouette et je passe de bons moments avec Rosalie. »

Sous-entendu jeté au vent, dissipé aussitôt. Il y a ce qui a été dit – rien que des banalités – et ce qui est gardé secret. Caleb lui casse les couilles depuis qu’il a embrassé Skyler l’année dernière, les deux garçons ne peuvent pas se sentir et Blaze doit résister à l’envie de le pousser dans les escaliers ou de refermer une porte sur lui et de se barrer après avoir scellé la serrure.
Max prend toute la place, trop solaire, trop con aussi, pour quelqu’un comme Blaze qui aime bien mener les choses, ça le gêne, il a du mal à trouver son rythme, quelque chose d’agaçant chez ce gars, sans compter que quand ils croisent quelqu’un, c’est toujours Max qui a son attention, tout ça parce que le garçon a deux ans et dix centimètres de taille en plus.
Avec Marlon Blaze conspire, ce sont des rondes productives.
Avec Carla, ça cause de tout et de rien, d’amour un peu, la jeune fille est parfois de bons conseils et elle connait bien son ex. Mais elle reste un peu trop sang-pur parfois, pas du genre à se laisser glisser sur les rampes des escaliers.
Hayley est chiante, Blaze ne joue les interlocuteurs polis que parce qu’il sait qu’Ayden s’intéresse à elle et qu’il compte bien jouer là-dessus d’une manière ou d’une autre. Histoire de s’attirer les faveurs du garçon – et l’avoir encore plus sous sa coupe – il fait mine de s’intéresser à ses problèmes, quitte à devoir supporter la préfète de poufsouffle pendant deux interminables heures.
Enfin il y a Rosalie, Rosalie qui boit ses paroles et minaude à la moindre esquisse de compliment. Ce sont les moments que Blaze préfère, il n’a pas à se forcer, juste être lui-même semble ravir la jeune fille et il a l’ivresse des manettes. Comme on pilote un balais, il lui suffit de souffler à sa cadette d’aller à droite pour qu’elle s’y précipite. A gauche, elle ira sans se poser de question. Tellement facile, comme un chat avec une souris.

A son tour, il rend un regard en coin à Daisy.

- « Évidement ça c’est la version politiquement correcte, je ne fais pas le guide touristique gratuitement. »