Daisy perçoit la nuance dans la courbure de ses yeux et de ses lèvres lorsqu’il la salue mais décide résolument de ne pas s’en soucier. Qu’est-ce qu’elle peut bien en avoir à faire après tout de cette timidité maladroite qu’il arbore sans arrêt ? De cette réserve égale et prudente qu’il s’obstine à poser sur son front ? Il semble perdu quand elle lui adresse la parole, enclin à s’enfuir quand elle le regarde et la sensation lui plait. Un peu ténébreuse, un peu terrible. Délicieusement réconfortante quelque part.

Naturellement, elle s’est retrouvée à lui infliger son attention pour mieux la lui mettre sous le nez lorsqu’il passe dans les couloirs. Elle aime à le voir ciller, un soupçon d’incompréhension dansant dans le lapis lazuli des yeux quand il s'aperçoit qu'elle s'adresse à lui. Noah a une façon étrange, presque insidieuse de s’imposer dans son quotidien - à moins que ça ne soit l’inverse - exactement comme le ferait une abeille frondeuse à l’égard d’une fleur. Oui, c’est plutôt l’inverse n’est-ce pas. Elle peut bien l’admettre après tout.

La jeune femme penche son oreille vers la salle commune où le brouhaha s’intensifie, une chanson joyeuse et conquérante dans les gorges de leurs camarades. Ils sont ivres d’espoir, ou peut-être est-ce un trafic de biéraubeurre. Le Quidditch a toujours eu de ces effets incroyables sur ses pairs de toute façon, et il y a bien longtemps qu’elle ne cherche pas à comprendre ni comment, ni pourquoi. « Ils vont être insupportables si vous gagnez demain. » Elle se moque un peu, l’ivoire éclatant, avant de venir nouer ses mains dans son dos, la silhouette en point d’interrogation sur la fenêtre de la tour.

Tout, à cet instant, parait être dans l’ordre des choses.

« Alex n'est pas comme ça. Tu as sûrement dû te tromper. » Elle fronce les sourcils, se défend encore du fait qu’il ne semble toujours pas arborer le moindre ressentiment à son égard. Il n’y a pas la moindre goutte d’animosité dans sa voix posée. Tututu. Noah ne s’en sortira pas aussi facilement se dit-elle - la pirouette est éculée. Elle cille, doucereuse. Daisy ne se rend pas vraiment compte du fait qu’elle développe un tempérament de chaton face à une pelote de laine en la compagnie du Capitaine. En l’occurrence, sa pelote est la connaissance de ce frère jumeau dont elle n’a franchement que faire. « Vraiment ? Tu crois que je suis du genre à me tromper souvent ? » Elle lui cherche noise dans l’obscurité du couloir. Il y a un grondement sous-jacent dans le cristal de sa voix, une attaque sournoise dans le velours de sa question. « Je suppose que tu dois le connaitre puisque c’est ton frère.» Le silence se fait marasme et elle ajoute : « Je suis fille unique. » La concentration qu’elle met à scruter les nuances dans les gestes de Noah est sans doute ce qui la dispose à s’ouvrir un peu plus, l’espace de quelques instants. Elle ne songe pas qu’elle ne doit jamais porter la discussion sur ce genre de chose quand il s’agit d’elle-même, que c’est là un terrain glissant. Elle est trop occupée à arborer un air boudeusement innocent alors qu’il pose un regard légèrement peiné sur elle. « C’est comment d’avoir un frère jumeau ? Si tu te coupes il a mal ? » Tranche-t-elle abruptement.
Voilà qui semble plus tenir du cauchemar qu’autre chose.

Daisy se laisse frissonner, le glacé du mur derrière elle a-même la peau. Elle a les paumes sages en tampon entre ses reins et la pierre. Noah est trop grand et c’est moins pénible de lever la tête dans cette position. « Je n’ai jamais vu l’utilité des frères et sœurs. D’un point de vue extérieure, cela semble si… épuisant. » Elle frousse les lèvres délicatement, un peu d’envie cachée sur les reflets roses au parfum d’abricot. « Tu vas me dire que tu l’adores et que tu ne peux envisager ta vie sans son appui, c’est ça ? » Elle lève les yeux au ciel. « Si émotif. »

Sait-il seulement combien son statut prestigieux de capitaine le protège ? Elle le martyriserait volontiers un peu plus, se ferait aisément un peu plus pressante et s’amuserait à faire de sa petite vie un enfer portatif si ce n’était son poste, au sein d’une même maison qui plus est. Daisy n’est pas pour autant suicidaire, elle connait les limites à ne pas dépasser, celles que l’on peut piétiner tout juste en dansant dessus.
Ce n’est pas l’envie qui lui en manque pourtant quand elle regarde Noah. Toujours sage, toujours aimable dans sa timidité quasi religieuse. Elle trouve ça admirable en vérité. Dérangeant comme seul ce qui est beau peut l’être. « Je… » La voix s’éraille et il se tait. Daisy fronce légèrement les sourcils, mine altière, lèvres boudeuses. Elle lui offrirait bien un cadeau pernicieux mais pour rapprocher, il faut éloigner d’abord, faire glisser sur de mauvaises pentes pour voir si une main se tend. Un peu comme celle qu’il lui a tendu ce soir de septembre dans la boue.

(Elle n'a besoin de personne.)

Il a mal compris la question ce qui est compréhensible : elle aime se faire sibylline, masquer des énigmes dans la légèreté âcre de ses paroles. C’est comment d’avoir un frère jumeau ? Si tu te coupes il a mal ? C’est ce qu’elle a dit. Ce qu’il faut comprendre c’est si je te coupe, Alex fera-t-il quelque chose ?

Daisy inspire sèchement tandis que la mâchoire de Noah se contracte. Enfin, quelque chose. Autre chose. Ce n’est pas trop tôt. Elle devine qu’il va falloir le pousser dans ses retranchements, bien plus que prévu. Histoire de voir si le frère se réveille lui aussi au passage. Ils ne l’en remercieraient pas évidemment. Bande d’ingrats. N’empêche qu’il n’y a bien que dans ce genre d’événements que les gens arrêtent de se murer dans leurs silences imparfaits et leurs peurs chevronnées au cœur. Elle n’a jamais réussi avec ses parents – à les faire sortir de l’ombre s’entend, à faire qu’ils restent près d’elle, mais elle peut bien éviter à Noah tout ceci et réussir avec lui. A sa manière. Il tire sur son col, la lumière du soir dansant à peine sur ses traits encore un peu enfantin. « Arrête ça ! C’est faux. Je peux très bien vivre sans lui. » Daisy se détache du mur glacé et s’approche, le pas aussi léger que ses longues mèches brunes glissant sur ses épaules. « Il le sait ? Tu devrais le lui dire. » Le sourire s’étouffe presque dans une délicieuse remontrance. Une hésitation qui passe comme vent sur les fenêtres, à peine visible, uniquement perceptible dans un son mat. Le temps d’un cillement incisif et elle vient épousseter d’une poussière imaginaire son pull sombre, le bout des doigts pianotant une participation espiègle sur la maille. « Tu m’en veux ? » Il n’est pas de taille. Trop courtois, de la rancœur plein les babines sans jamais s’autoriser à la vomir. Elle l’a vu baisser la tête devant Alex. Ces derniers jours à l’observer et elle l’a vu se figer dans le mutisme en la présence du jumeau, contenir son désarroi dans des bégaiements furtifs. Des regards trainants, vindicatifs parfois. Maladroit, toujours. « Tu as cru que personne ne remarquait pour Alex et toi ? Tu t’entêtes à vouloir aider les autres, à leur tendre la main… » Le sourire s’étire teintée d’ironie. Elle sait être plus jolie quand elle sourit, que cela embrouille un peu la dureté de ses paroles. A peine. Le morceau de sucre dans le verre d'absinthe. « Il va falloir t’endurcir Noah. » Les mains reviennent, sages, derrière le dos. L’adolescente se tient en équilibre, ses talons hauts mais pas assez pour dépasser les épaules du garçon. Elle a le visage levé vers celui de son cadet, de la douceur factice plein le regard. « Ne t’en fais pas. Je vais t’aider. J’ai décidé de faire de toi mon nouveau projet. » Elle le lui dit comme on annonce la découverte d’une nouvelle pâtisserie ou d’une bonne note en sortilèges : joyeusement.