De la conception de l'autorité (Blaze et Mary)

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La salle des préfets n'était pas des plus fréquentées et ce pour une bonne raison : elle n'avait, contrairement à notre salle de bain, aucun attrait. Moi-même, je n'y passais que peu de temps, appréciant parfois tout de même la solitude. J'y avais mes habitudes, comme celle de m'asseoir quelques instants avant une ronde. Pourtant ce soir, je n'étais pas seule et cela m'arrangeait presque.
Se retrouver dans la salle des préfets seule avec un garçon était une mauvaise idée, j’en avais fait l’expérience. Et pourtant c’était une situation qui tendait à se répéter bien trop souvent à mon goût. En fonction les plannings de ronde, j’étais susceptible de me retrouver à l’un ou l’autre des préfets masculins de l’école, et ce soir il fallait croire que c’était le tour de mon co-préfet, Blaze Mansfield.
Je le connaissais peu mais puisque nous allions être amenés à gérer la même maison, il me semblait nécessaire d’avoir une discussion avec lui au sujet de ce rôle qui nous incombait. Cette discussion, je n’avais même pas tenté de l’avoir avec Cameron l’année passé, tant j’estimais que je n’avais rien à lui dire. Mais Blaze à défaut d’être peut-être civilisé avait au moins pour lui d’avoir des parents sorciers.
Alors tandis que j’attendais l’heure de notre ronde sans empressement, posée dans un fauteuil confortable, je me fis un devoir d’avoir une discussion sérieuse à ce sujet.
« Puisque nous sommes préfets de Serdaigle cette année, ça me semble important qu’on se mette d’accord sur la manière dont nous voulons exercer ce rôle, encore plus cette année… Qu’en penses-tu ? »
Je n’avais même pas essayé d’être subtile, de lui demander comment c’était passé sa rentrée, de le féliciter pour son insigne nouvellement obtenu… J’avais une idée en tête et je n’en démordrais pas. Notre directeur avait été très clair et je partageais complètement son orientation : il était temps de redorer le blason de cette école et cela passait par une autorité renforcée. Bien sûr, je pouvais concevoir que les préfets n'y suffiraient pas et je n'avais pas hésité à me proposer pour en faire plus, prête à endosser une double casquette sans sourciller tant que c'était au bénéfice des sangs-purs.

@Blaze H. Mansfield

Si Blaze avait trouvé un peu injuste qu’on autorise les « grades or » à utiliser SA salle de bain des préfets – un privilège jusqu’alors seulement réservé à ceux qui possédaient le précieux insigne – le jeune homme se consolait en profitant de la pièce qui leur était, elle, réservée. Pièce d’ailleurs agréable, comme tous les lieux de vie de Poudlard, mais certainement pas aussi magistrale que l’était la salle de bain avec ses fontaines à cinquante robinets et ses vitraux vivants de sirènes. Néanmoins, un privilège, même un privilège nul, restait un privilège et Blaze comptait bien en profiter.

Affalé en travers d’un grand fauteuil tout doux, il avait passé une bonne partie du début d’après-midi à glander en regardant les reconstitutions animées de duels de sorciers célèbres desquels il espérait pouvoir s’inspirer. La plupart des sortilèges étaient néanmoins échangés à une telle vitesse qu’on avait à peine le temps de deviner le mouvement que faisaient leur lanceur et le jeune homme était en train de plisser les yeux devant une action particulièrement spectaculaire quand Mary prit la parole.

- « Ça me va. » répondit-il laconiquement sans lui accorder un regard.

La perspective d’avoir une discussion pédagogique avec Mary ne l’enchantait pas spécialement. S’il n’avait pas grand-chose contre sa coéquipière, il la jugeait néanmoins particulièrement fade dès qu’il n’était plus question de pureté du sang, un sujet sur lequel elle était intarissable.
De son côté, Blaze n’avait aucun projet ou ambition particulière quant à la manière d’incarner son rôle de préfet. Une chose néanmoins était certaine : il ne serait jamais le gentil petit soldat de l’administration, si son insigne pouvait lui ouvrir certaines portes ou assurer son emprise sur d’autres élèves alors parfait, mais pour le reste il se contenterait de faire le minimum afin de préserver l’illusion d’un élève impliqué et volontaire.

Le jeune homme plissa encore plus les yeux. Non décidément il n’arrivait pas à se concentrer assez pour comprendre comment le sorcier de son image parvenait à enchaîner trois formules quasiment en simultanée. Il repoussa la revue sur ses genoux et se tourna vers Mary.

- « Tu veux parler de quoi ? »

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Même si c’était visiblement sans grand enthousiasme, Blaze avait daigné lever les yeux de sa revue pour m’écouter. C’était notre première discussion à ce sujet même si nous en avions posé les jalons en préparant la soirée des Serdaigles. À cette occasion, je m’étais rendue compte de différences dans nos points de vue respectifs. Rien de très étonnant mais c’était suffisant pour que je juge nécessaire d’avoir une conversation à ce sujet.
J’avais cru comprendre que quand Blaze parlait d’esprit de corps, de cohésion de groupe, il mettait tout le monde au même niveau. Ça pouvait avoir un sens dans bien des contextes mais ici, ça me paraissait relativement inadapté. Dans une armée par exemple, bien sûr on vante la cohésion, les valeurs d’équipe, l’appartenance à une même entité. Mais cela ne veut pas dire que tous les soldats sont égaux, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas une hiérarchie, bien au contraire. Eh bien, d’une certaine manière, vu ce que mon père avait pu me raconter de son bref passage à l’armée comme officier, je pouvais me dire que notre maison devait peut-être avoir la même structure. Et que la hiérarchie y était évidente…
Mais je me voyais mal servir mes métaphores militaires à mon co-préfet, donc il fallait que je réfléchisse à un autre moyen de lui expliquer mon point de vuu, si tant est qu’il n’ait pas déjà compris ma vision concernant le statut sanguin. À vrai dire, même si nous nous étions peu côtoyés, il m’aurait semblé étonnant qu’il n’ait aucune idée de mon avis sur la question. Ce serait même peut-être un peu inquiétant. Je m’étais toujours fait un devoir de proclamer mon opinion, manière que j’avais trouvé de rattraper les impuretés de mon propre sang. Ainsi, il devait savoir que je trouvais que l’égalité était une notion surfaite – personne ne considère un escargot égale à un être humain. Mais le savoir et comprendre les implications que cela avait dans mon rôle de préfète et donc par ricochet dans le sien, étaient deux choses différentes. Ou nous arrivions à trouver un terrain d’entente, s’il se rangeait à ma vision, ou ce serait beaucoup plus compliqué. Surtout que j’avais un atout de poids cette année, contrairement à la précédente : le directeur partageait mon idéologie ou plutôt, je partageais la sienne.
« Il y a une chose qui m’a dérangé lors de la soirée… Tu traites tout le monde de la même manière. »
Autant voir d’abord comment il réagissait avant d’être plus explicite.

Mary avait beau avoir son âge, ils n’avaient jamais pris le temps de discuter ensemble jusqu’à ce que le destin les fasse tous deux préfets de Serdaigle. Tout au plus avaient-ils échangés quelques mots par-ci par-là à l’occasion de cours ou de travaux communs, mais leurs caractères étaient à ce point dissemblables qu’en dehors de ces rares moments rien n’était jamais parvenu à les rapprocher. Mary n’avait d’yeux que pour les sang-purs et leurs mondes, quant à Blaze il détestait les raseuses et les fayottes.

Pourtant, pour l’organisation de leur soirée d’intégration, le « bizutage » comme l’appelaient désormais certains, les deux jeunes gens étaient parvenus à s’entendre plutôt bien. Blaze avait un moment craint que Mary ne fasse tout un paquet d’histoires mais elle s’était révélé n’avoir pas froid aux yeux et avait accepté de prendre des risques pour offrir à leurs camarades une excursion mémorable dans la forêt interdite. Il la soupçonnait néanmoins d’avoir permis à Judith d’échapper à l’évènement, ce qui au fond n’était pas plus mal, la jeune Sorensen et lui avaient des affaires ensemble et Blaze ne souhaitait pas risquer de se la mettre à dos pour un peu de crotte séchée.

Au final, malgré la défection de Cassi, la soirée avait pu avoir lieu normalement et en ce qui concernait Blaze le chapitre était désormais fermé. Aussi adressa-t-il un regard torve à sa co-préfète quand celle-ci lui avoua que son attitude ce soir-là l’avait dérangée.

« Traiter tout le monde de la même manière » pas besoin d’être un grand géni pour savoir de quoi parlait Mary. La jeune fille n’avait jamais caché son admiration pour les thèses « puristes » du sang et ce depuis son entrée à Poudlard six ans auparavant. Blaze, lui, n’en avait absolument rien à secouer. Il pouvait bien abonder dans un sens comme dans l’autre selon son interlocuteur et n’adhérait de toute façon qu’à ce qui causait le plus de bordel à un moment précis. Appleton au pouvoir il avait sans scrupules œuvré à mettre en bazar sa pédagogie progressiste, maintenant que c’était un Sorensen qui tenait l’école le jeune homme avait en toute logique retourné sa veste et comptait bien mettre à mal l’ordre nouveau des sang-purs.

Esquissant un bâillement, il fixa un instant Mary d’un regard vide, comme si sa question était d’une stupidité affligeante.

- « Et pourquoi pas ? Un sang-pur ça se salit aussi bien qu’un autre. »

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À voir le regard affligé de Blaze, je pouvais me douter qu’il n’appréciait pas vraiment mes propos et qu’il ne les partageait pas. Rien d’étonnant à cela, je m’étais rendue compte que si on trouvait de telles opinions parmi les sangs-purs, les sangs-mêlées, dans leur grande majorité, se complaisaient dans une neutralité béate, refusant de se positionner clairement, prisonnier de leur position médiocre dans la société qui les faisaient en permanence osciller entre les deux pôles d’attraction de la société sorcière. Blaze ne semblait pas tellement favorable aux sangs-de-bourbe, je ne me rappelais pas l’avoir vu applaudir la nomination d’Appleton. Mais il n’était pas contre non plus. Je pouvais clairement douter de son allégeance à la nouvelle direction. Cela n’en faisait pas un ennemi mais ce n’était pas non plus un allié. Mais puisque nous passerions sans doute l’année à remplir ensemble les mêmes tâches qui nous donnaient un peu d’autorité sur nos semblables, il était fondamental de mettre les choses au clair et c’était mon but dans cette discussion.
Il n’avait pas tort quand il disait que tous les sangs-purs pouvaient se salir, faisant sans doute référence à notre soirée d’intégration. Mais en disant cela, il marquait son incompréhension de mon propos. Je jugeais son attitude lors de cette soirée révélatrice d’un problème plus général. Je pouvais croire à la cohésion de groupe, je pouvais déclamer qu’il fallait qu’on soit tous ensemble. Mais cela ne faisait que masquer que ce groupe devait être au bénéfice de certains et d’eux seulement.
« C’est plus large que ça. »
Je ne pensais pas vraiment le convaincre, je n’avais pas vraiment d’illusions à ce sujet. Mais je trouvais que ça valait la peine, au moins une fois de lui exposer mon point de vue. J’avais dû supporter Cameron donc cette fois-ci, je voulais au moins une certaine neutralité. Et pour cela, j’avais besoin d’exemples concrets pour connaître son attitude.
« Imagine tu fais une ronde… Moi je trouve ça évident de pas punir un sang-pur. Ça se fait pas et vu qui est le directeur, ça irait sans doute contre sa volonté. Et plus généralement, c’est normal pour eux. »
Ils étaient supérieurs donc je n’allais pas m’opposer à ce qu’ils aient plus de droits. Et implicitement, l’inverse valait pour les nés-moldus. Mais je n’avais sans doute pas besoin de le dire pour qu’il le comprenne.

Il y avait des jours comme ceux-là où Blaze avait la flemme. Flemme de se lancer dans une discussion pédagogique avec cette reloue de Mary, flemme de prendre son rôle de préfet au sérieux, flemme de faire semblant de ne pas avoir la flemme. Bref, zéros efforts en vue, il dardait sur sa coéquipière un de ces regards torves qui vous indiquait que vous alliez ramer tout seul pour faire avancer la discussion.

- « J’imagine, j’imagine. » dit-il en hochant la tête pour accompagner sa phrase, avant d’esquisser un nouveau bâillement.

Mary était encore plus frappée qu’il ne l’imaginait, on pouvait discriminer les gens sur des critères débiles, tout le monde le faisait, même Blaze, mais il valait mieux éviter de l’évoquer ouvertement. « Pas de vague, pas de politique à l’école » c’était comme ça que ça fonctionnait à Poudlard, Appleton avait perdu son boulot justement pour avoir essayé d’imposer sa vision des choses aux élèves et ainsi outrepassé ses fonctions. Même un gamin de dix ans l’aurait compris, mais Mary elle, évoquait les injustices comme s’il s’agissait de simple affaire d’opinion.

- « Ouais je vois ce que tu veux dire. »

Il récupéra sa revue sur les duels qui avait glissé dans un creux du fauteuil et la rouvrit là où il l’avait laissée.

- « Mais comme notre taff c’est de traiter tout le monde de manière impartiale et que je sais que tu ne punis pas les sang-purs maintenant, du coup je les punirai deux fois plus. »

C’était d’une logique absolument imparable et Blaze comptait bien la mettre en application dès demain. Sauf pour Dmitri, vu qu’ils avaient un accord. Et Judith, vu qu’il l’aimait bien. Mais tous les autres allaient prendre cher. Très cher.

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