— La jeune poufsouffle tournait en rond depuis un temps considérable, attendant avec la plus grande impatience que sa meilleure amie daigne arriver. Cela faisait bien trois minutes qu’elle trépignait ainsi, fulminant avec nervosité. Trois minutes d’attente, c’était déjà bien trop pour ce qu’elle avait à lui dire... peut-être aurait-elle pu prévenir plus tôt la gryffondor, lui laisser un mot en début de matinée, mais – chose rare – Haley avait agit sur un coup de tête. À la faveur de l’été et de la douce euphorie qu’avait emmenée la réception de son insigne de préfète, ses tourments adolescents s’étaient peu à peu taris au profit de l’expectative. Bref sursis qui prit fin lorsqu’elle retrouva ses bonnes vieilles habitudes estudiantines : et si son double était là, dans Poudlard ? Les probabilités pour qu’elle ait croisé un Norvégien lui volant son apparence étaient si faibles... ce devait sûrement être quelqu’un qui la connaissait un peu. Quelque part, cette idée la rassurait autant qu’elle l’effrayait. Savoir qu’un inconnu, perdu dans les contrées nordiques d’un pays lointain, puisse arborer son visage en ce moment même était terriblement angoissant car elle ne pouvait rien y faire : dans l’école au moins, elle avait l’espoir de pouvoir agir. Mais si son apparence était utilisée pour de mauvaises choses ? Qu’adviendrait-il si son double ternissait son image de préfète fraichement élue ?

Toutes ces questions ne la quittaient plus depuis le début de la semaine, si bien qu’un regard attentif aurait pu remarquer une certaine distraction chez l’anglaise, là où d’ordinaire, seule l’assiduité régnait. Elle n’en avait parlé à personne pour l’heure, ses parents eux-mêmes étaient savamment gardés dans l’ignorance : elle savait qu’ils seraient capables de remuer ciel et terre pour élucider cette étrange affaire, mais pour l’heure, elle voulait de la discrétion. Et si on la prenait pour une folle ? Ou une affabulatrice, une adolescente en manque manifeste d’attention ? Non, pour l’heure, elle préférait garder ça pour elle... et puisque ce secret était trop lourd à porter pour une fille comme elle, quoi de plus évident que d’aller quérir quelque oreille attentive en la personne de Rosalie ? Elle seule était capable de la comprendre pleinement. Ses géniteurs la percevaient à leur façon, et d’une manière qui lui correspondait de moins en moins. Peut-être était-ce simplement l’adolescence qui insinuait cette mutation insidieuse en elle, ou peut-être que l’influence de certains de ses camarades, à commencer par celle de la fougueuse gryffondor, finissaient par déteindre légèrement sur elle. Toujours était-il qu’elle se sentait de moins en moins en accord avec le tableau que les Strauss dépeignaient de leur unique enfant... et en conséquence, elle se sentait moins à l’aise à l’idée de leur parler de sa mésaventure norvégienne. Nulle personne n’était mieux placée pour recevoir de telles révélations que l’écossaise.

Et enfin, elle arriva. Lorsque la poignée de porte s’inclina légèrement, Haley se figea, comme prise la main dans le sac. Mais de quel forfait l’accusait-on ? De cachotterie. Elle avait inlassablement repoussé le moment de confier ses tourments à sa meilleure amie et quelque part, elle avait ainsi l’impression de l’avoir trahie. La si familière chevelure de Rosalie naquit dans l’entrebâillement de la porte. « Ah, Rosa ! » Sa voix était teintée du soulagement de la voir enfin arriver et de l’anxiété à l’idée de mettre finalement des mots sur ce qui la taraudait et – pire – de devoir justifier le temps qu’elle avait mis avant de lui raconter une histoire si rocambolesque.

Dehors, le soleil était à son zénith ; la plupart des élèves vaquaient de çà et de là, de préférence dans le parc pour profiter des beaux jours encore présents, aussi elles ne risquaient pas d’être dérangées par la venue impromptue d’un autre préfet. « Il faut que je te raconte quelque chose, mais tu dois me promettre de n’en parler à personne ! » asséna-t-elle d’une voix ferme, avant de reprendre aussi sec : « En fait, j’hésite à en parler à un adulte, un professeur... mais en attendant, motus et bouche cousue ! » Pour l’heure, ce serait leur secret. Elle faisait bien des mystères autour de sa rencontre avec elle-même – et malheureusement, aucune métaphore douteuse ne se cachait derrière cette affirmation – et peut-être était-ce grandement exagéré, mais le souvenir lui paraissait encore si irréaliste qu’elle ne parvenait à aller droit au but. Elle avait besoin de tergiverser un peu, de tourner autour du chaudron et sûrement d’y ajouter par là-même un petit côté théâtral qui avait le mérite de masquer une partie de la réalité : quelqu’un se baladait avec son visage quelque part dans le monde. « Pendant les vacances scolaires, tu te souviens de la sortie à Øslo ? » Elle attendit à peine la réponse, enchaînant rapidement comme si elle craignait de se raviser en cours de route. « À un moment, dans la rue, j’ai croisé quelqu’un qui me ressemblait comme deux gouttes d’eau... mais vraiment ! Elle avait ex-ac-te-ment la même tête que moi ! » Elle avait détaché les syllabes avec emphase, de peur sans doute que l’information ne paraisse pas assez folle aux oreilles de la gryffondor. « C’était mon reflet parfait, comme si quelqu’un avait bu du polynectar pour devenir... moi. Et elle parlait très bien anglais ! Je suis sûr que c’est quelqu’un de l’école, ou un genre de psychopathe qui espionne les élèves de Poudlard. En tout cas, ça n’était pas normal du tout ! »

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— Dans cette salle réservée à une poignée d’élèves, le temps s’écoulait différemment ; là où ailleurs il semblait s’égrener à la vitesse de la lumière, ici il était possible de se poser et de profiter d’un moment de calme. Ces instants de repos et de tranquillité faisaient défauts à la jeune préfète qui n’avait de cesse de courir après les heures. Le travail était plus harassant cette année que les précédentes, on lui demandait de veiller au sérieux de ses camarades – et pardi, lorsque l’on avait un fainéant comme Maxwell en binôme et un casse-cou comme Misha à surveiller, il fallait beaucoup de courage ! – et elle devait en prime parvenir à ranger dans son agenda sa vie d’adolescente. Trop de choses pour qu’elle parvienne à tout faire coïncider. Le vase menaçait d’éclater sous la pression et le seul endroit qu’elle avait trouvé pour lâcher prise était un lieu que ses nouvelles fonctions rendaient accessible.

De fait, ce refuge était l’endroit idéal pour évoquer une question aussi sérieuse que celle de son étrange double ; rares étaient les personnes qui pouvaient venir ici et elle les connaissait tous pour devoir organiser avec eux leurs tours de patrouilles respectifs. Elle pouvait ainsi être certaine d’une chose : les probabilités pour que l’autre elle mette les pieds dans cette pièce étaient si minimes qu’elles ne valaient même pas le coup d’être envisagées. Cette salle des préfets devenait le sanctuaire de sa satiné d’esprit, un lien de rendez-vous particulièrement propice aux confidences. Rosalie et elle étaient seules, à l’exception d’un tableau occupé par une femme à l’air patibulaire lisant un ouvrage, et elles avaient du temps devant elles.

La gryffondor ne s’était sûrement pas attendue à être ainsi assaillie des paroles empressées de l’anglaise. « Sûre et certaine ! Je l’ai vu comme je te vois. » Elle n’était pas folle et n’avait pas de visions ! Elle ouvrit la bouche, prête à lui compter mot pour mot ce que les deux Haley s’étaient dit, avant de la refermer aussi sec. Prise de court, et un peu gêné par la question aux allures de suspicion, ses joues se colorèrent d’une douce teinte vermeille. « Je ne sais pas... » Était-ce un brin de panique qui perlait dans sa voix ? Elle savait que tôt ou tard, elle allait devoir expliquer le pourquoi du comment à sa meilleure amie – elles qui d’ordinaire ne se cachaient rien ! – mais au fond d’elle-même, elle s’était dit que ce serait superflu, que l’annonce de cette étrange histoire passe au premier plan et jette un voile de pudeur sur le reste, sur les détails insignifiants qui l’accompagnait. « Je crois que j’espérais qu’en n’en parlant pas, je finirais par l’oublier et passer à autre chose » confia-t-elle au bout de quelques instants d’hésitation. La politique de l’autruche, en somme. Mais elle n’avait jamais réellement été douée pour glisser sous le tapis les impuretés qu’elle ne voulait pas voir : tout revenait toujours par faire surface. « Et j’avais un peu peur de le raconter... c’était tellement dingue, même moi j’ai l’impression de délirer, alors quelqu’un d’autre... j’avais peur qu’on me prenne pour une folle. » La question de Rosalie semblait avoir fait sauter le bouchon qui maintenait toutes ses angoisses. Tout d’un coup, elle lâchait prise et déversait un flot de paroles anxieuses. « Tu ne m’en veux pas, dis ? » Son regard se fit suppliant, sa voix peu assurée. Cette peur d’être délaissée, abandonnée par ceux qui lui étaient chers, se faisait particulièrement frappante aujourd’hui. Voir quelqu’un capable de si bien l’imiter et feindre être elle-même l’effrayait au plus haut point : et si elle était remplaçable ? Si l’on venait à penser que finalement, cet étrange sosie était bien mieux que la véritable Haley, alors qu’adviendrait-il d’elle ?

« Oui, je lui ai parlé. Je la tenais, elle ne pouvait pas s’enfuir » se mit-elle finalement à expliquer, plus calmement. Sa voix était moins excitée – ou plutôt paniquée – et elle ne parlait pas très fort, presque comme si elle craignait de réveiller quelqu’un. « Je voulais en savoir plus, tu comprends ? Mais elle a réussi à prendre la fuite. Je devais avoir les mains moites... elle m’a échappé et dans la foule, je n’ai pas réussi à la retrouver. » La plus grande déception de ses vacances... de sa vie, même !

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— Une tension tiraillait ses épaules depuis que Rosalie lui avait demandé – un brin suspicieuse ? – pourquoi elle n’en avait pas parlé avant. Mais lorsqu’elle secoua la tête en signe de dénégation, cette tension s’envola. Ses paroles n’étaient pas aussi limpides et catégoriques qu’elle aurait aimé les entendre, mais elle saurait s’en satisfaire, d’autant plus qu’elle clamait haut et fort que non, elle n’était pas folle. L’entendre dire à haute voix la rassurait plus que de raison : ce que l’on pensait d’elle, et particulièrement ce que des gens aussi proches que l’était la gryffondor pensaient d’elle, était particulièrement important à ses yeux. Elle vivait en partie du regard que l’on portait à son égard. « Promis, la prochaine fois que ça m’arrive, je t’en parle sans attendre ! » Elle eut un instant de flottement, avant de laisser un rire aigre s’échapper de ses lèvres. « Enfin, j’espère que ça ne m’arrivera plus jamais ! » Encore que la curiosité fût assez forte pour qu’elle puisse songer à se retrouver à nouveau nez à nez avec son double : il y avait un mystère à résoudre, et la jeune anglaise adorait résoudre les énigmes, comme en témoignait l’engouement qu’elle avait eu lorsqu’il était question de trouver l’identité du corbeau se cachant derrière son journal. Cela était bien plus ennuyant quand elle était au cœur de celles-ci : cette place appartenait d’ordinaire à sa meilleure amie, la poufsouffle se délectant des histoires qu’elle pouvait alors lui raconter. Mais lorsque ce semblant de vie par procuration prenait brutalement fin, elle était perdue, ne trouvant plus sa place.

Une pointe de soulagement commençait doucement à percer le cœur d’Haley, calmant ses battements frénétiques dont elle était peu coutumière. Anxieuse, elle l’était indéniablement, mais son angoisse avait bien plus tendance à la paralyser qu’à activer en elle de violents mécanismes de panique. Que Rosalie prenne les choses en main avait un effet apaisant : les manifestations grandiloquentes d’émotions lui appartenaient bien plus et dans une situation anxiogène, elle savait bien mieux réagir là où pour la poufsouffle, il fallait d’abord souffler, reprendre son calme pour réfléchir posément. « Je... ne sais plus trop » fit-elle après un petit temps d’hésitation, cherchant à se remémorer l’improbable scène, tandis que son amie tournicotait avec frénésie dans la pièce. « Je n’y ai pas trop prêté attention sur le coup. » Et face à son propre visage, son esprit pouvait avoir cherché à combler les failles et incohérences en lui donnant une illusion de copie parfaite. En réalité, elle ne saurait dire, à présent, si la voix était effectivement un doublon parfait de la sienne, une simple imitation convaincante ou quelque chose de totalement différent. Et l’accent d’ailleurs ? Ça n’était évidemment pas celui d’un norvégien, là il n’y avait aucun doute, mais était-il plutôt anglais ou écossais ? Irlandais, peut-être.

« Après, je suis pas sûre qu’elle me connaisse. » tempéra-t-elle, soudain aux prises avec le doute, craignant de partir sur une fausse piste et de se fourvoyer. Elle fronça les sourcils, en proie à une intense réflexion. Diantre qu’elle aimerait pouvoir glisser ses souvenirs dans une pensine et simplement revisualiser la scène, de concert avec sa meilleure amie. « Quand j’ai parlé de Poudlard, elle avait l’air de dire qu’elle s’en foutait, qu’elle connaissait pas... » Dans quelle mesure pouvait-elle croire quelqu’un qui lui volait son apparence ? L’équation n’était pas simple, pourtant la préfète se laissa emballer par l’enthousiasme de la gryffondor. « Ça fait quand même beaucoup de suspects, on était nombreux au voyage scolaire. » Elle alla s’asseoir dans l’un des confortables fauteuils de la salle, tapotant frénétiquement contre l’accoudoir au rythme d’une silencieuse musique, celle de son esprit en ébullition. Elle essayait de se remémorer toutes les personnes qu’elle savait être venues à Durmstrang... elle partageait sa chambre avec Judith, mais l’imaginait mal prendre l’apparence d’une autre personne. Quoiqu’avec son talent indéniable en potions, ça serait sûrement très simple pour elle de faire du polynectar, et de trouver un de ses cheveux sur son oreiller. Mais l’accent n’était clairement pas celui d’une norvégienne, c’était là la seule certitude qu’elle était capable d’avoir. « À part Artemis et toi, qui d’autre était au voyage ? Il y avait Charles, Judith, Hilary... » Machinalement, elle listait les élèves de sa classe, qu’elle connaissait bien mieux et avait donc retenu la présence. Aucun des candidats qu’elle listait ne la satisfaisait. Le travail semblait presque aussi fastidieux que de retrouver le croâsseur parmi l’infinie liste de suspects que constituait Poudlard. « Et monsieur Armitage aussi ! Lui, il doit sûrement connaître la liste des personnes présentes au voyage. » Il allait sans doute finir par les prendre pour deux folles, si elles allaient à nouveau le voir pour obtenir des informations. « Tu penses que ça pourrait être un adulte ? Un professeur pourrait vraiment prendre mon apparence ? » L’idée était bien plus perturbante que s’il s’agissait d’un de ses camarades. Soudain, elle n’avait plus confiance en quiconque, si ce n’était Rosalie et Artemis, qui en plus d’être trop proches d’elle pour qu’elle puisse envisager pareille coup bas de leur part, avaient un alibi parfait : elles les avaient laissés ensemble en s’éloignant du groupe.

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— La culpabilité d’avoir caché l’évènement des vacances à Durmstrang s’était rapidement envolée, chassée par ses propres explications qu’elle tâchait de rendre le plus limpide possible. À présent qu’elle avait tout dévoilé à Rosalie, qu’elle n’avait plus aucun secret pour elle, elle était plus tranquille. Ses craintes liées à l’existence d’un sosie beaucoup trop convaincant demeuraient, mais elles lui paraissaient moins pesante. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » questionna la poufsouffle d’un ton surpris en voyant son amie se taire subitement, comme si elle venait de voir un inferius. La jeune fille l’attrapa par le poignet, la faisant presque sursauter tant l’idée du cadavre ambulant avait imprégné son esprit. Le contact de la main froide de Rosalie sur son avant-bras avait quelque chose de saisissant tout autant qu’il était inattendu. Elle l’entraîna vers un canapé avec une fougue surprenante et, lorsqu’elles furent toutes deux assises, partit dans un flot de paroles qui n’était pas sans rappeler celui d’Haley, quelques minutes plus tôt. L’expérience était plus désagréable à entendre qu’à prononcer ; il y avait dans le ton de la gryffondor, et dans la vitesse à laquelle elle enchaînait les mots sans pour autant rentrer dans le vif du sujet, quelque chose d’anxiogène. Chaque parole accumulait son lot de stress sur son cœur et une forte expectative. Sa meilleure amie à Pré-au-Lard sans elle, ça faisait du sens, bien entendu ; la préfète avait souvent laissé les deux autres membres de leur trio s’y rendre sans les accompagner, préférant passer l’après-midi dans la bibliothèque pour peaufiner un devoir ou ajouter à ses notes des détails annexes, tirés d’une longue étude d’ouvrages chinés dans les rayons. Tant qu’ils lui ramenaient des confiseries de chez Honeydukes, elle ne leur en voulait pas de passer du bon temps sans elle : ça avait toujours été ainsi, ils avaient beau insister, elle préférait le plus souvent refuser l’invitation. Qu’elle se décide finalement à venir, sur un coup de tête, lui ressemblait déjà moins ; elle culpabilisait facilement de tout et choisir au dernier moment la sortie plutôt que les devoirs, sans être improbable, demeurait une exception. Quoique ces derniers temps, elle était plus encline à accompagner ses amis. « Attends, attends, attends ! » la freina-t-elle, en agitant les mains de haut en bas, comme pour calmer le flot de paroles. Elle essayait d’assimiler l’histoire de l’écossaise, mais rien ne faisait sens. Les vacances, le chocolat blanc, les cacahuètes... ça n’avait ni queue ni tête. Et ça ne lui rappelait rien du tout. « Une minute ! Quand tu m’as parlé des vacances, on était avec Artemis... » Elle fronça les sourcils, se remémorant plus bien la scène. « C’était dans la grande salle. » Elle était presque capable de redire ce qu’elle avait mangé ce jour-là. À bien y réfléchir, Rosalie leur avait-elle parlé de passer une partie des vacances ensemble, ou était-ce plutôt au serpentard qu’était alors destinée l’annonce ? Plus elle y réfléchissait, plus le constat se faisait sans appel : ce jour-là, dans le village avoisinant Poudlard, il ne s’était agi d’elle, mais bien d’un usurpateur. « Pourquoi tu m’en as pas... » La fin de la phrase s’éteignit avant qu’elle n’ait le temps de la terminer, réalisant l’improbabilité d’une telle chose. Si elle avait réellement cru avoir affaire à son amie, elle n’avait pas de raison de la questionner des heures durant pour expliquer son comportement. Et pourtant, elle l’avait bien trouvé bizarre.

Puisqu’il y avait bel et bien deux Haley, et que comme le soulignait la lionne, la deuxième était forcément à Poudlard, il fallait enquêter. S’il n’avait pas été question de retrouver un pervers qui se faisait passer pour elle, jusqu’à même fréquenter sa meilleure amie, sans doute aurait-elle trouvé ça amusant. La réalité était pourtant bien différente : elle lui en voulait de ne pas avoir réalisé plus tôt que celle avec qui elle avait partagé une après-midi entière n’était pas la préfète. Était-elle si facilement remplaçable ? Elle se retrouvait désormais face à la peur qui l’avait habitée lors de sa rencontre inopinée avec l’usurpateur : la peur qu’on lui pique sa place auprès des personnes qui lui étaient les plus proches. La jeune poufsouffle était donc bien moins emballée par l’enquête que ne semblait l’être sa camarade. Dire qu’elle boudait ne serait d’ailleurs pas totalement exagéré. Seul le dynamisme de Rosalie parvenait à compenser un peu, l’incitant à chercher elle aussi la solution de ce bien étrange mystère dont elle était l’actrice principale.

Se levant à son tour, elle alla chercher son sac pour y ôter un parchemin, sa plume et son encrier, avant d’aller s’attabler. Elle poussa d’un geste machinal et un brin dédaigneux qui ne lui ressemblait pas du tout les affaires déjà posées – parmi lesquelles le planning des rondes de nuit qu’ils avaient préparés quelques jours plus tôt – et entreprit de noter la liste des personnes présentes au voyage. Et diantre, ce qu’elle était longue ! Comment trouver le coupable parmi tant de suspects ? « Misha n’était pas là » Ce détail avait son importance : elle savait qu’elle pouvait au moins faire confiance à son camarade de poufsouffle, ce qui renforçait grandement l’intérêt qu’elle avait pour lui. « Par contre, Blaze y était, non ? » Lorsqu’on parlait de l’un, l’on finissait inexorablement par penser à l’autre. Les deux garçons formaient avec l’ancienne capitaine de quidditch de sa maison un trio semblable au leur. « Pourquoi pas... » répondit-elle à la proposition de contacter Armitage. Elle savait que l’écossaise lui vouait une grande confiance, et elle-même devait reconnaître qu’elle appréciait le concierge. Elle imaginait mal l’homme prendre l’apparence d’une adolescente pour se balader et manger des bonbons avec les élèves ; en réalité, il exhalait une certaine authenticité qui rendait improbable une telle mascarade. S’il voulait partager des confiseries avec elles, il n’aurait sûrement pas besoin de se faire passer pour une femme en devenir. « Non ! On ne prévient pas le directeur ! Il va me prendre pour une folle. Il faut trouver des preuves, trouver quelque chose... » Elle prit un temps pour réfléchir, laissant sa rancune au passé. Haley écarquilla les yeux, convaincu que la dernière idée de son amie était encore la meilleure. « Mais oui ! C’est le mieux à faire ! » L’excitation retomba pourtant presque aussitôt, comme si elle avait été frappée par l’idée. « Mais tu sais comment faire ? Pour déclencher ton don là-dessus ? » Avoir des visions, c’était une chose, mais les provoquer sur un sujet particulier lui paraissait bien plus complexe.

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— Lorsque Haley s’était décidée à raconter à sa meilleure amie les évènements d’Oslo, pas un instant elle n’avait imaginé quelles proportions cela prendrait. Il ne s’agissait plus d’un incident isolé : c’était déjà arrivé, au moins une fois. Et si Rosalie et elle avaient toutes deux rencontrées l’usurpateur, il n’était pas possible de croire qu’il n’y avait jamais eu d’autres fois. Jamais deux sans trois. Elle en était certaine, quelqu’un se baladait dans l’école avec son apparence depuis plusieurs mois au moins. Peut-être plus. Comment avait-elle fait pour ne jamais réaliser que quelque chose clochait ? Comment jamais personne n’avait trouvé bizarre de voir la poufsouffle là où elle n’était pas censée être ?

« Rosa... » La jeune fille arborait une expression d’effarement peut-être un peu exagérée, mais la discussion avait le don de l’effrayer. Il en fallait peu, certes, mais qui ne serait pas dans tous ses états, dans pareille situation ? Il fallait beaucoup d’aplomb et une grande confiance en soi pour ne pas s’inquiéter un seul instant des problèmes que sous-tendaient la révélation de l’existence d’un si parfait imposteur. « Si ses explications étaient si crédibles... » Trop, elles l’étaient indubitablement beaucoup trop. « C’est qu’elles viennent forcément de quelqu’un qui me connait assez, non ? » Nul besoin d’être très proche d’elle pour savoir qu’elle pouvait facilement se faire une montagne des devoirs, ou des examens en général, et qu’elle portait beaucoup d’intérêt à sa réussite scolaire... mais la mention de sa mère pouvait-elle être le fruit d’un simple hasard ? Supposition plutôt bien réussie ou véritable connaissance de ses relations familiales ? Peut-être que l’excuse d’un garçon était aisée, que l’on pouvait s’attendre de la part d’une adolescente qu’elle ait quelques déboires affectifs, mais Haley avait décidé de tenir pour acquis que cette intrusion dans sa vie ne pouvait être que le fait de quelqu’un qui l’avait suffisamment observé. Diantre ! Et si son double avait parlé à Misha ?

Et à mesure qu’elles parlaient, la théorie que la personne soit assez proche d’elle. « Quelqu’un qui nous espionnerait... » répéta-t-elle sur le ton de la réflexion. Un frisson remonta le long de son échine alors que l’image de son double en train de l’épier dans les couloirs traversa son esprit. « Si c’est un élève de Poudlard, et quelqu’un qui nous espionne... c’est peut-être quelqu’un avec qui vous discutez de temps en temps, Arte et toi ? » Un ami, un proche peut-être ? Et si la préfète elle-même le connaissait bien, partageant quelques instants de complicité de temps à autres avec elle ? La paranoïa commençait à poindre. Elle doutait de tout le monde, ou presque. Qui pouvait-elle innocenter, si ce n’était ses deux plus proches amis ? Ceux qui n’étaient pas au voyage de Durmstrang étaient hors de tout soupçon, à moins d’imaginer bien sûr qu’il y ait deux imposteurs... mais ce serait improbable, non ?

Armée de sa plume, elle notait les noms de tous les suspects sous la dictée de la gryffondor. Dumbledore soit loué, Misha n’en faisait pas partie, mais la liste était beaucoup trop longue. Elle avait l’impression d’avoir affaire à une question insoluble d’un devoir beaucoup trop complexe pour elle. C’était frustrant et grisant tout à la fois. Le mystère valait le coup de s’y pencher et pour peu qu’elle n’en soit pas la cible, elle aurait sûrement pu s’amuser de la situation et se croire dans un jeu grandeur nature. Mais à la place, elle courait après ce qui lui semblait presque être sa propre ombre. « Très bien. » Rosalie irait donc demander au concierge la liste des participants. Il en faisait partie, mais l’écossaise lui faisait confiance et Haley elle-même rechignait à l’idée de le croire coupable d’une telle usurpation. Elle reposa sa plume, regardant les noms qu’elle avait écrits. Avec déception, elle constatait qu’aucun ne lui paraissait être un coupable idéal.

Sa meilleure amie suggéra d’employer des mots de passe pour éviter qu’un nouvel incident ne survienne et qu’on ne lui pique la place une fois de plus. Une idée brillante qui la rassurerait un peu quant au fait que ses plus proches compagnons ne se laisseraient pas à nouveau duper par un inconnu. « Tu as raison ! » Elle se leva, laissant son parchemin sur la table, alors qu’un sourire venait fendre ses lèvres à la vision de la lionne prête à mordre si d’aventure elle se retrouvait face à l’usurpateur. « Mais il faut que ce soit quelque chose de discret, au cas où. Si Arte et toi êtes face à lui, c’est mieux qu’il se sente en sécurité... qu’il se pense protégé par mon visage. » Les derniers mots étaient prononcés avec une pointe d’amertume. « Le mot de passe, ça pourrait être bien. Si c’est quelqu’un qui nous espionne, il pourrait nous entendre... donc il faut quelque chose qu’on peut changer régulièrement. »

Se savoir soutenue et aidée par l’autre préfète était un poids en moins. Comment avait-elle pu un seul instant hésiter à en parler ? Les secrets n’amenaient décidemment rien de bon et à présent qu’elle n’en avait plus aucun pour elle, plus une infime parcelle de cachoterie, elle se sentait bien plus libre et la peur s’amenuisait. D’autant plus qu’elle avait la chance d’être épaulée par une voyante ! Qui, à part elle, pouvait se vanter d’en avoir une à ses côtés ? L’usurpateur n’avait qu’à bien se tenir, l’enquête ne pourrait qu’avancer vite avec le secours du don de Rosalie. « C’est déjà un bon début ! » Elle avait la théorie, et avec une bonne théorie, elle ne doutait pas un seul instant qu’elle puisse s’en sortir. C’était Rosalie, après tout ! « Un vêtement, je dois en avoir un dans ma valise... » Elle plissa les yeux pour se remémorer sa tenue, le moindre détail qui puisse faire l’affaire... mais son esprit mélangeait les deux Haley. Non, cette veste n’était pas la sienne, mais celle de son double. « Oh ! Je sais ! » fit-elle subitement d’un ton victorieux en agitant son poignet gauche, autour duquel tintait un petit bracelet. « Je suis presque sûre que je portais ce bracelet, ce jour-là ! » Et pour cause, elle l’avait presque tout le temps. Il était élégant mais discret et allait avec tous ses vêtements.

La poufsouffle suivit le regard de sa camarade, ses yeux se posant sur le dernier numéro du Croasseur. Leur autre enquête, celle qui visait à retrouver le malotru qui avait osé critiquer leur inscription pour être membre de la brigade, tout en complimentant l’une d’elle... puisque Blaze était prétendument hors-jeu – elle n’y croyait pas un seul instant, il suffisait de regarder un peu la gryffondor pour savoir qu’elle avait encore le béguin pour lui – elle s’était dit que trouver l’auteur du journal de l’école serait peut-être l’occasion de panser le cœur éploré de son amie. « J’y avais un peu réfléchi. Et j’ai fait des recherches ! » déclara-t-elle avec fierté, avant que son ton ne laisse plus à quelques secondes de réflexion. Leurs déductions précédentes quant à l’identité du corbeau demeuraient trop peu satisfaisantes, alors en bonne élève modèle, elle avait été dans la bibliothèque pour trouver de quoi les aider. « J’en ai trouvé un qui pourrait peut-être convenir... mais je sais pas le lancer. » Mazette, quelle était la formule déjà ? « Et je sais pas si ça pourrait vraiment marcher. C’est pour retrouver le propriétaire. Quel est le propriétaire d’un journal ? Son auteur ou son destinataire ? » Question presque métaphasique de magie. Le sujet pouvait sûrement être intéressant, mais l’heure n’était pas à de tels débats... et elle n’avait de toute façon pas les connaissances intellectuelles pour aller plus loin que quelques hypothèses trop peu abouties.

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— Avoir révélé à Rosalie le pot-aux-roses avait retiré un énorme poids sur les épaules de la jeune fille. En parler aidait beaucoup et à présent, elle se sentait la force de lutter contre cet inconnu qui prenait son apparence. Aidée de ses deux meilleurs amis, tout lui semblait désormais possible, elle n’en doutait plus ! Pourtant, le sujet demeurait difficile, et la pression ne la quittait pas totalement. Leurs premiers pas dans cette enquête la rassuraient un peu, mais pas suffisamment pour qu’elle dorme sur ses deux oreilles. D’autant plus que l’identité de l’usurpateur ne coulait pas de source et que la liste des potentiels coupables ne cessait de s’allonger. « Peut-être... » Un air effaré naquit sur son visage adolescent. « Je vais me méfier de tout le monde, maintenant ! » Ne plus pouvoir parler librement, suspecter chacun de ses camarades – ou presque – d’être son doublon maléfique. Et si l’on tentait de s’approcher d’elle, était-ce parce qu’on la trouvait sympathique et d’une conversation intéressante, ou parce que l’on voulait apprendre quelques détails utiles pour mieux lui voler son identité ?

À présent qu’elles savaient quelle direction prendre pour élucider ce mystère, elles pouvaient entamer les premières suppositions... mais se retrouvaient face à une terrible réalité : tout ne se ferait pas en un jour. Elles n’allaient pas pouvoir sortir de cette salle victorieuse et avec un nom sur les lèvres. Elles avaient besoin de temps, d’informations que la gryffondor pouvaient obtenir auprès du concierge et face à ça, il leur fallait des mesures de sécurité. Après tout, il ne faudrait pas que Rosalie évoque l’usurpateur devant ledit voleur d’identité. La proposition de cette dernière demeurait la plus simple, pour l’heure : des codes pour vérifier à qui Artemis et elle parlaient réellement ! Ils étaient les deux seules personnes en qui elle pouvait placer une confiance totale, elle ne pouvait imaginer l’idée que parfois, ceux-ci partagent d’agréables instants avec une contrefaçon. « Ça me va ! Des codes plutôt simples, mais qui n’attirent pas trop l’attention. » Elles avançaient peu à peu, assuraient leurs arrières... et bon sang, que ça faisait du bien ! Elle fut emplie d’espoir lorsque l’autre préfète suggéra son don pour obtenir de précieuses informations et, qui sait, peut-être même tout découvrir dès maintenant ? Un bracelet fut tendu à la voyante, sa propriétaire attendant patiemment – quoique légèrement trépignante – pendant que l’experte faisait son œuvre. Ses paroles n’étaient pas aussi limpides que la poufsouffle se l’était imaginé, mais qu’importe ! « C’est déjà un bon début ! On sait qu’on peut faire plus ou moins confiance aux adultes, même si je ne crierai pas sur les toits ce qui arrive, et que ça n’est pas quelqu’un de trop proche de nous. » Il lui en fallait peu pour la satisfaire et, surtout, pour la rassurer. Haley avait l’intuition que le don de son amie était un atout indéniable, sans doute la meilleure arme qu’elles puissent espérer avoir dans de telles circonstances. Elle buvait ses paroles avec grand plaisir et y croyait dur comme fer. Avec un peu de chance, peut-être aurait-elle d’autres visions plus précises à l’avenir ? Comme toujours, la conclusion demeurait identique : elles devaient attendre et repousser à plus tard la suite de leur enquête. Et puis, tout savoir aussi facilement et rapidement, ça n’était pas amusant. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. « Oui, avec un peu de temps et d’entraînement, ça pourrait peut-être marcher... » Ça devait fonctionner ! « De toute façon, plus le croâsseur publie de journaux, plus on a de chance de trouver des éléments pour l’identifier ! » C’était mathématique... et un bon moyen de se rassurer. Elle tâchait d’être optimiste, de se convaincre qu’elles ne pouvaient qu’être couronnées de succès. Et après tout, entre les passages en bibliothèque d’Haley, qui lui permettrait sûrement de trouver d’autres sorts pouvant leur être utiles, et les visions de Rosalie, elles avaient de la ressource !

« Bien, on a un plan ! Des codes pour ne pas laisser l’usurpateur prendre à nouveau ma place, un sort pour retrouver le croâsseur, et avec la liste des présents au voyage, on pourra mener notre enquête. » récapitula-t-elle en énumérant les informations sur ses doigts. Elle en leva un quatrième. « Ah, et il faut qu’on prévienne Arte de tout ça ! Qu’on lui explique pour l’autre Haley et qu’on prévoie un premier code... » Les derniers préparatifs terminés, elles ramassaient leurs sacs, rangeaient les notes de la poufsouffle et filaient vers le quatrième étage. La jeune anglaise était assez rassurée par leurs projets ; elle avait peu à peu l’impression de contrôler les évènements, et avec l’aide de ses deux meilleurs amis, elle se sentait moins perdus.

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