Le moment fatidique était arrivé. C’était samedi. Il était dix-sept heures cinquante-trois et, dans moins de dix minutes, au fond du parc à côté du chêne qui déployait ses branches vieilles comme le monde au-dessus des eaux du lac, se tiendrait un événement dont Rosalie ne savait rien. La blonde était partagée. La curiosité la dévorait évidemment et la poussait à vouloir se rendre à tout prix à cette réunion mystère. La fierté d’avoir reçu une invitation, elle, alors que d’autres n’y avaient pas eu le droit, flattait ses caprices égoïstes et la faisait se sentir importante. En revanche, la dispute qui avait enflé entre elle et Michaela jusqu’à exploser en quelques longues heures sans s’adresser le moindre mot, faisant planer dans le dortoir un vent glacial de querelle adolescente, lui laissait un arrière-goût désagréable. Était-ce un piège ? Était-ce Max le Raciste qui voulait tuer tous les nés-moldus ? Dans ce cas-là, pourquoi inviter des sangs-mêlés, pourquoi inviter une née-moldue ? Ou alors, c’était Max le Préfet mais les raisons qui pouvaient l’amener à créer un tel événement échappaient à la jeune fille. Autant de questionnements qui tourbillonnaient sans relâche dans son esprit et qui avaient rendu cette journée aussi longue que rapide. L’après-midi passé aux côtés d’Artemis et de Haley avait touché à sa fin et Rosalie était rapidement repassée dans son dortoir pour se changer — comment était-on supposé s’habiller pour un rendez-vous mystérieux dont on ne savait rien, hein ? — et retrouver Michaela qui baignait dans la même interrogation qu’elle. La chevelure feu de sa copine et son nez constellé de taches de rousseur se décidèrent à apparaître et Rosa les retrouva avec un grand sourire où vibrait une excitation lourde d’interrogation. Elles n’avaient aucune idée d’à quelle sauce elles allaient être mangées et, après des jours et des jours de suppositions, il était temps de voir ce qu’il en était réellement.

Quittant la salle commune, les deux adolescentes filèrent au rez-de-chaussé puis traversèrent le parc. Elle avait convenu de retrouver Artemis directement là-bas et, quand un petit groupe de silhouettes indistinctes se détacha sur l’herbe verte, la blonde le chercha aussitôt du regard. La curiosité enfla, à mesure qu’elles s’approchaient du chêne et qu’elles décelaient une à une les silhouettes dont une, en particulier, se détachait. Grand, blond, jovial… très très très mignon, ce n’était pas Max le Raciste. « Pfiou, c’est le bon Max » souffla la jeune fille, extrêmement soulagée de savoir qu’elle n’avait pas foncé dans la gueule du loup. Qu’est-ce qu’un seul élève pouvait bien faire contre plusieurs ? Pas grand chose, mais quand même. Les rumeurs qui couraient sur certains sang-purs suffisaient à donner froid dans le dos, alors elle préférait rester loin d’eux, quand bien même elle ne risquait, a priori, pas grand-chose. Le Poufsouffle était vachement bien habillé, ça lui donnait un côté plus impressionnant et Rosalie n’arrivait pas à détacher son regard de lui, l’observant et le détaillant.

Quand elle consentit enfin à poser son regard sur le petit groupe qui était là, ce fut pour noter que Marlon était présent, et que sa sœur était entrain de le rejoindre, s’éloignant de quelques pas du binôme formé par les deux meilleurs amis. Rosalie haussa intérieurement les épaules : c’était pas un secret que le Serpentard ne portait pas la Gryffondor dans son cœur et la réciproque semblait être vraie. Rosalie poursuivit son inspection des lieux pour adresser un sourire à Charles, un camarade de classe… et découvrir que Blaze avait été convié. Donc cette réunion était subitement devenue le must-in, l’événement à ne pas rater, le rendez-vous qui ferait d’elle une élève cool. Et peut-être qu’elle aurait un autre rencard, à la fin de tout ça ? Enfin, Max le Préfet prit la parole. Il salua ses invités — puisque c’était là leur statut — et flatta un peu plus l’égo facile de la Gryffondor en affirmant qu’ils avaient été triés sur le volet, rien que ça. L’enthousiasme brillait clairement au fond des prunelles dorées de la jeune fille qui buvait les paroles de son aîné. Elle hocha la tête avec vigueur quand il leur demanda s’ils se questionnaient sur leur présence ici : oh que oui, elle mourrait d’impatience, oh que oui ! Il fit peser un suspens insoutenable avant de révéler, enfin, le but de cette réunion. Un recrutement ? D’un futur lui ? L’incertitude brilla dans les prunelles de l’adolescente qui croisa le regard de son meilleur ami avant de croiser celui de Michaela, aussi peu éclairé qu’elle l’était. On devenait roi, si on remportait la compétition, c’était ça ? Ça semblait amusant. Même si Rosa n’avait aucune idée des responsabilités que ça pouvait bien impliquer. Est-ce qu’il fallait être préfet, aussi ? À en juger par ceux qui étaient invités, rien n’était moins sûr.

Comme s’il lisait dans les pensées de la jeune Écossaise, Max le Préfet décida d’en dire un peu plus. Donc, un statut particulier, ça c’était intéressant. En haut de la hiérarchie, c’était un peu abstrait mais pourquoi pas. Il fallait organiser des soirées — et ça ne devait pas être bien différent des révolutions — et il y avait même des inventions spéciales ! Le dernier point, celui de réussir à choper qui on voulait, acheva de convaincre Rosa. Elle participerait. Son cœur manqua un petit battement quand elle apprit qu’il n’en resterait que quatre à la fin de la réunion. Si elle pouvait choisir, ce serait elle, Artemis, Mika et Blaze di-rect. Marlon demanda tout de suite s’il y avait une limite d’âge et Rosalie espéra que non. En même temps, s’ils avaient choisi tout ce monde, c’est qu’il l’avait fait en toute conscience. « On est tous en âge d’avoir des responsabilités » plaida-t-elle avec une conviction toute adolescente. Ben quoi, c’est vrai, elle avait presque quinze ans, autant dire qu’elle était presque une adulte. Puis, sa voix s’éleva de nouveau, rejoignant celle de sa camarade de dortoir à l’unisson. « On commence quand ? » Et elle tourna un nouveau sourire en direction de sa copine. Avoir été les cheffes de la révolution pourrait peut-être jouer en leur faveur ?

@Michaela O'Delee
@Artemis T. Lewison

( Pando )

Artemis n’avait pas l’air franchement aussi emballé que Rosalie pouvait l’être mais cette dernière trouvait un enthousiasme similaire au sien au fond des prunelles claires de sa camarade de dortoir. Elle s’était postée aux côtés de son grand frère — un choix comme un autre qui empêchait les deux copines de commenter de vive voix tout ce qu’elles voyaient et tout ce qu’elles entendaient, sans pour autant les empêcher de partager des coups d'œil appuyés. Max le Préfet ne tarda pas à prendre la parole, imposant le calme et le silence par sa seule présence, expliquant succinctement les raisons de leur venue ici. Il y avait un grand pouvoir à la clef — enfin, surtout la possibilité d’obtenir un rendez-vous avec Blaze Mansfield, vers lequel ses yeux dorés glissèrent un instant, rêvant déjà à des heures perdues en sa compagnie — mais cela nécessitait une compétition intense. Soit. La blonde n’était pas certaine d’avoir tout compris à ce qu’il fallait faire, ni même d’avoir parfaitement saisi l’essence de ce statut supérieur que leur promettait le Poufsouffle, plus âgé qu’eux tous, mais ce n’était pas bien grave, elle s’en sortirait quand même. Si on lui avait demandé son avis — ce que personne n’avait fait ici — elle aurait directement sélectionné Artemis, Michaela et Blaze pour être les finalistes en sa compagnie, sauf que ça n’était pas comme ça que ça marche, oh que non. Ils allaient être soumis à des épreuves — qu’elle imaginait déjà terribles, à la hauteur de celles que franchissaient les chevaliers des histoires qu’elle affectionnait tant — et seuls les résultats de celles-ci détermineraient le vainqueur apte à empocher le gain final.

Ça ressemblait follement à un jeu. Les implications différaient un petit peu, mais Rosalie avait bien envie de s’y plier, ne serait-ce que pour essayer. Et si elle gagnait, c’était encore mieux, n’est-ce pas ? Le grand frère de sa copine demanda s’il y avait une limite d’âge, ce à quoi elle rétorqua vertement qu’ils étaient tous suffisamment grands pour participer. Par Merlin, il n’allait quand même pas tout gâcher avec ses questions bien trop sages et trop adultes !? Heureusement, Artemis la soutint là-dedans puisqu’il souligna, très justement, que Max le Préfet Beau Gosse savait ce qu’il faisait et qu’ils n’avaient pas sélectionné les candidats au hasard. « Bien dit » souffla-t-elle à son meilleur ami en lui offrant un grand sourire. Puis, d’une voix vibrante d’excitation, qui se mêla à la perfection à celle de Mika, elle demanda quand est-ce qu’ils allaient bien pouvoir commencer. Le Préfet accorda un clin d'œil à sa colocataire et la gratifia même d’un surnom, alors qu’il ignora complètement Rosalie dont l’air se fit quelque peu vexé. Elle aussi, elle était enthousiaste et impatiente ! Pourquoi c’était Mika seulement qui en récupérait les louanges ? Le nez plissé par la bouderie, elle n’en écouta pas moins d’une oreille curieuse la suite de ses paroles.

Ses yeux s’écarquillèrent légèrement en entendant que la moitié des élèves ici présents seraient éliminés à la suite de la première épreuve. Déjà ?! Hors de question d’en faire partie. Non, non, non, elle refusait de se ridiculiser à ce point devant Blaze Mansfield en personne. Il fallait au moins survivre à la première étape… Qui s’avéra être un jeu de beer-pong. Ça lui disait quelque chose, elle voyait des balles et des verres remplis d’alcool, mais elle n’avait encore jamais eu l’occasion d’y jouer. Un jeu d’adresse qui méritait une certaine habileté… qu’elle n’était pas certaine de posséder. À cœur vaillant, rien d’impossible ! Il fallait marquer le plus de points possible, réussir à faire rentrer des balles dans des verres, et rien de plus. C’était pas si compliqué que ça, tout bien considéré. Rosa s’élança, prête à se placer dans la file d’attente ou à faire la queue pour que son tour advienne mais un léger flottement sembla s’emparer de ses camarades et elle fut finalement la toute première à arriver devant la table. Su-per. Donc si elle foirait, elle serait en plus la première à se ridiculiser ? Il ne pouvait pas y avoir pire… Tout le monde allait avoir les yeux braqués sur elle ! Son regard chercha celui de son meilleur ami dont le sourire la revigora instantanément, puis coula en direction de Michaela, avant d’oser croiser celui de Blaze. Elle tourna brusquement la tête en direction des verres alignés, masquant le rougissement intempestif de ses joues. Ce n’était pas le moment. Si elle voulait réussir l’épreuve et passer cette première étape, il fallait se concentrer. Récupérant les balles, Rosalie se plaça donc près du rebord de la table, ses doigts faisant glisser une première sphère jaune comme pour mieux en apprécier la texture. Quand c’était le moment…

1-2 : vous mettez seulement une balle sur les trois
3-4 : vous mettez deux balles sur les trois
5 : vous mettez les trois balles dans des verres différents
6 : vous mettez les trois balles dont deux dans le même verre, ce qui vous donne un bonus point.

La première balle qu'elle lança glissa quelques secondes — une véritable torture — autour du haut du gobelet avant de s'y laisser tomber. Elle avait retenue sa respiration tout du long — une éternité, au moins — et osa enfin souffler. Et de une ! Au moins, elle n'en aurait pas mis zéro, c'était déjà pas si mal. Le nez plissé de toute la concentration qu'elle était capable d'avoir, elle lança la deuxième... qui retomba en cloche dans le même verre. Une exclamation de surprise ravie s'échappa d'entre ses lèvres. Et de deux ! Deux sur trois, c'était un très joli score. Elle se replaça, lança la troisième balle sans trop y croire et mit une petite seconde avant de réaliser qu'elle était retombée dans le même verre. Pas celui de devant, pas celui d'à côté : le même. Non seulement elle avait mis ses trois balles, mais en plus elle avait visé assez bien pour qu'elles tombent toutes au même endroit. Quelle part de chance y avait-il là-dedans ? Impossible à dire, mais sûrement une très grande. Quoiqu'il en soit, Rosa sautilla sur place, un nouveau cri joyeux fusant hors de ses lèvres étirées en un immense sourire. « Génial !! » Elle revint bien vite vers Artemis, sans de départir de sa bonne humeur. « T'as vu, je les ai toutes mises dans le même gobelet ! » lui chuchota-t-elle, la voix tremblante d'excitation et d'un stress qu'elle ne pensait même pas ressentir pour une simple épreuve de beer-pong enfin retombé.

( Pando )