ft. @Skyler P. Mills & Cameron Brown

Durant tout le cours, Cameron avait hésité. Il savait que l’idée était particulièrement mauvaise, évidemment. Mais il n’en avait pas vraiment d’autres, en même temps. C’était soit aller supplier van Aken d’accepter de lui donner un délai supplémentaire pour le devoir à rendre jeudi, soit ne rien rendre du tout… Autant dire que d’attendre quelque chose de ce professeur en particulier, c’était un peu comme jouer à la roulette russe avec un barillet plein… Il n’y avait aucune surprise et en plus, ça ferait forcément mal… Alors quand la sonnerie avait retenti, il avait laissé tomber et ramasser ses affaires avant de sortir sur les talons de sa soeur. Mais au bout de trois pas, il lui avait dit de ne pas l’attendre pour déjeuner et avait fait machine arrière.

C’était parfaitement stupide. Normalement, il s’en fichait bien de ces devoirs débiles qu’on leur filait à tour de bras ! Combien de fois n’avait-il rien rendu du tout ? Combien de fois avait-il été trouvé un professeur un jour ou deux plus tard pour essayer de refourguer ses copies en retard en y allant clairement au culot, les doigts croisés pour que ça passe ? Il ne le comptait même plus… et il ne comptait plus non plus les points en moins et les retenues qu’il s’était bouffé à cause de ça… Mais mine de rien, ça, c’était avant. Avant qu’on épingle un insigne affreux sur le revers de sa cape, avant qu’il ne se prenne au jeu et se sente investi d’une mission dont il n’avait jamais voulu. Depuis, il avait fait des efforts et force était de constater qu’ils se voyaient ! Ses notes étaient en large hausse par rapport aux années précédentes et personne n’avait plus rien à dire sur son comportement. Ses devoirs étaient faits, rendus en temps et en heure, et il n’avait plus fait de vagues, pas même avec cette pute de Shepherd. Enfin… Jusque là…

Il fallait bien reconnaître que ça commençait à faire beaucoup. Les dissensions en interne, que ce soit avec les autres préfets ou les élèves, les lettres anonymes, les attaques, les baguettes confisquées, la retenue, le manque évident d’informations venant de la direction ou du corps professoral… sans compter les entraînements, les rondes, les réunions débiles… et maintenant les histoires de Casey et l’équipe qui se retrouvait sans capitaine… Il sentait ses épaules céder sous le poids de tout ce qu’on y posait depuis des mois. Les efforts fournis se faisaient plus difficiles à continuer et, depuis quelques jours, il sombrait littéralement. Le peu de temps libre qu’il parvenait à trouver, il le passait à autre chose qu’à travailler, comme une pause bien méritée dans une année pourrie, à essayer de comprendre ce qui arrivait à son amie puisqu'elle ne semblait pas décider à dire grand chose, voire à attendre que le temps passe en priant presque pour que les choses s'arrangent d'elles-mêmes. C’était mal, il en venait presque à culpabiliser, lui le cancre auquel on jetait des regards las et des remarques désapprobatrices depuis cinq ans, mais il ne parvenait plus à faire autrement pour l'instant. Alors tant pis pour l’humiliation qu’il risquait en allant trouver van Aken aujourd’hui, ça ne lui coûterait rien d’essayer.

Il s’arrêta devant la porte et jeta un oeil à l’intérieur… Mais tout ce qu’il parvint à voir fut Skyler qui lui fonçait dedans tête baissée. Il eut juste le temps de l’esquiver d’un pas pour éviter la collision avant qu’elle ne relève enfin la tête. Il lui adressa un sourire absent et passa nerveusement sa main dans ses cheveux. Ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient plus parlés… Depuis cet été, quasiment. Depuis leur gue-guerre contre Satan. C’était presque une éternité en temps adolescent… S’ils avaient été amis, il ne savait plus vraiment ce qu’il en était aujourd’hui. Leurs chemins s’étaient grave éloignés, il s’était passé tellement de choses depuis… C’était triste, un peu, mais sûrement que c’était la vie.

— Salut.
— Salut, répéta-t-il un peu machinalement sans trop savoir quoi ajouter à ça.

Et dire qu’ils s’étaient retrouvés toutes les semaines en tête-à-tête pour lui éviter la noyade en cas de problème, que la glace avait été largement brisée depuis le temps… C’était comme s’il n’y avait jamais rien eu, non ?

— J'te préviens, il est d'une humeur de chien.

Et ce fut tout. Elle mit son sac sur son dos et entreprit de remonter le couloir. L’adolescent fixa la porte grande ouverte de la salle de potion, l’ombre de van Aken se découpait sur le sol froid. C’était une mauvaise idée. C’était une très mauvaise idée. Non seulement il n’obtiendrait rien mais en plus il se ferait saquer jusqu’à la fin de l’année.

— Et merde !

C’était un grognement agacé plus qu’autre chose. Le visage de leur enseignant apparut enfin, son regard se posa sur lui. Et lui battit lâchement en retraite, tournant les talons à son tour. C’était partie pour deux jours intenses et des nuits très courtes… Devant lui, le dos de Skyler s’éloignait doucement. À moins que… Au pire, elle l’enverrait chier, c’était pas si grave… Vendu ! Il finit par accélérer la cadence et revint à sa hauteur.

— Dis, t’as fini l’d’voir pour jeudi ?

Niveau tact, c’était zéro… au moins il y avait toujours des choses qui ne changeaient pas !

ft. @Skyler P. Mills & Cameron Brown

Les pas de Skyler s’éloignaient dans le couloir désert. Le regard de van Aken semblait le maudire d’oser le déranger… Il fallait choisir, et choisir vite. Sauf qu’il n’y avait pas de bonne solution, juste peut-être une moins pire que l’autre… Une qui ne risquait pas de lui valoir d’être saqué jusqu’à la fin de sa scolarité et, il fallait bien le reconnaître, c’était toujours mieux que rien… Pourtant, quand on connaissait Cameron un minimum, cette hésitation n’avait aucun sens. Depuis quand était-il devenu une parodie d’élève modèle ? Où étaient passés les devoirs bâclés, les cours pas pris, le manque de respect aux professeurs, les insultes et les coups bas à la vue de tous avec Shepherd ? Est-ce qu’un pauvre badge avait vraiment suffi à remettre en question seize ans d’existence…? Il fallait croire que oui. Même lui admettait volontiers que c’était ridicule, qu’il méritait les plus grosses baffes du monde pour être à ce point un toutou à la botte de la direction… mais en même temps, on lui faisait confiance. Qu’est-ce qu’il aurait pu faire d’autre que d’essayer d’être à la hauteur ? C’était comme avec Casey… Ce qui aurait dû être un jeu, histoire de se défouler, avait fini par devenir le centre de son existence. Il aurait donné n’importe quoi pour cette équipe, pour son capitaine… C’était devenu son amie, même, qui l’aurait cru ? Enfin… Normalement. Peut-être qu’elle-même n’y croyait pas, en réalité. C’était quel genre d’amitié, même, où on cachait tous les trucs importants ? Bon, d’accord, elle avait fait un effort sur la fin… mais il n’était plus certain ça rattrape tout le reste. Peu importe… Tout ça pour dire qu’il n’avait même pas réfléchi, instinctivement il avait voulu qu’on soit fier de lui. Même si c’était qu’Appleton, même si elle faisait de la merde, même s’il ne lui avait jamais adressé la parole plus que ça… Il voulait prouver— se prouver — qu’il pouvait faire les choses bien. Quitte à se perdre un peu en chemin… Et s’il voulait continuer dans cette voie, aujourd’hui, il avait besoin d’un coup de main. La lassitude teintée de condescendance qui se peignit sur le visage de son enseignant suffit à le décider. Tant pis pour le délai ! Peut-être que Skyler accepterait de l’aider. Au pire, elle dirait non, et il se démerderait. C’était pas la mort… Un peu quand même…
Il accéléra la cadence et la rattrapa avant qu’elle n’ait eu le temps de disparaître. Une phrase et elle s’arrêta, son regard braqué sur lui. L’adolescent s’agita un peu, mal à l’aise.

— Non.

Bon, au moins, ça avait le mérite d’être clair… « Va te faire foutre » aurait été tout pareil. Il savait à quoi s’en tenir. Ça avait été une idée de merde en même temps. Presque autant que d’aller trouver van Aken lui-même. Et puis… elle n’avait pas tort. Il se pointait là, comme une fleur, alors qu’ils s’étaient pas adressé la parole depuis une éternité… mais bon, c’était pas que sa faute, elle était jamais venue non plus… Il s’apprêtait à la laisser tranquille, à balancer quelque chose qui ressemblait à un « déso du dérangement » et à continuer son chemin quand elle reprit :

— Enfin si. Quasiment.

C’était une main tendue, ça…? Ou c’était juste pour le faire rager…? En vrai, les deux étaient possibles. Alors comme tout adolescent qui se respecte, Cameron décida de le prendre pour ce qui l’arrangeait le plus : une ouverture digne de ce nom. C’était plus un refus pur et dur c’était un peut-être dont il espérait pouvoir se saisir. Il s’en contenterait pour l’instant ! Il avait sûrement jusqu’à la Grande Salle pour obtenir un « d’accord », ou quelque chose comme ça. Il ne se voyait pas la poursuivre dans tout le château non plus, ce serait abusé. Et puis ça lui ressemblait moyen de toute façon. Déjà, demander un coup de main, ça lui ressemblait moyen. En dehors de sa soeur, il ne s’était probablement jamais abaissé à ça de sa vie. Une première fois qui lui laissait un goût assez amer, il fallait bien l’avouer…

— Il me manque la conclusion.

Sur quoi, elle ne prit même pas la peine d’attendre qu’il ouvre la bouche à nouveau qu’elle continua sa route. Mais…! Il remonta son sac sur son épaule et lui emboîta le pas. Il n’avait pas l’intention de ramper à ses pieds pour si peu, même s’il était tombé bien bas cette année, il refusait de creuser encore et d’abandonner le peu de fierté qu’il pouvait lui rester, mais il ne s’avouait pas vaincu pour autant. Pas encore !

— T’pourrais m’donner un coup d’main, s’te plaît ? Juste un rikiki…?

L’aider à trouver un plan, lui filer quelques bribes de recherche, n’importe quoi qui pourrait lui éviter de — trop — galérer ? Il ne se faisait pas d’illusion, ça n’était pas avec un coup de main rikiki qu’il sauverait ses fesses et aurait une bonne note mais si ça pouvait lui éviter de se taper un T et de se faire humilier devant la classe entière, il prenait !

— C’presque une question d’vie ou d’mort, j’te jure, reconnut-il dans un ricanement qui trahissait une certaine nervosité. J’suis grave à la ramasse de partout en c’moment, j’vais m’faire défoncer…

Il savait qu’il y avait des matières où c’était moins grave, où les profs étaient plus conciliants… En Astronomie ou en Histoire par exemple… Mais en potions, c’était limite du suicide que de faire un pas de travers. Presque pire qu’en DCFM…

ft. @Skyler P. Mills & Cameron Brown

Sûrement que l’idée n’était pas brillante, sûrement que Cameron aurait même dû s’en abstenir, en réalité, mais sur le coup, ça avait été instinctif. C’était moins pire que de s’attirer les foudres de van Aken. Au pire, elle lui disait non et puis ça s’arrêterait là. Il s’y attendait, de toute façon, bien conscient qu’on ne se pointait pas des semaines après comme si de rien n’était juste pour lui demander un coup de main. Mais c’était le hasard qui l’avait mise sur son chemin, aussi ! Il n’avait pas prévu de la faire chier ni même de lui demander quoi que ce soit… enfin, pas à la base en tout cas… L’accueil fut glacial. Autant qu’avaient pu le laisser présager les quelques mots échangés sur le pas de la porte grande ouverte de la salle de classe… Il s’y était pris comme un pied, vraiment, et il était prêt à le reconnaître volontiers… mais il ne savait pas faire. Il n’avait jamais vraiment demandé de l’aide, du moins pas à quelqu’un d’autre que sa frangine et encore, quand il n’avait vraiment pas le choix. On n’était jamais mieux servi que par soi-même, c’était bien connu ! Et puis il n’y avait pas de merci à dire et aucun retour à envisager… Et juste ça, c’était suffisant pour se débrouiller. Mais le bazar dans lequel il s’était foutu, l’étendue des dégâts de ces dernières semaines le forçait à admettre que ça allait être difficile à faire cette fois-ci. Enfin… pas s’il espérait autre chose qu’une humiliation en bonne et due forme dès le prochain cours. C’était la merde. Vraiment la merde… Sans surprise, Skyler ne fut pas particulièrement réceptive à son appel à l’aide. En même temps, qu’est-ce qui lui avait pris d’espérer autre chose ? C’était pas parce qu’ils s’étaient rapprochés l’an dernier que ça avait encore du sens aujourd’hui. Après tout, ça faisait des semaines qu’ils ne se parlaient plus ni l’un ni l’autre et ça n’avait pas franchement eu l’air de les déranger… Ils n’avaient sûrement rien à se dire, voilà tout. La vie avait fait que leurs chemins s’étaient éloignés, c’était comme ça… Elle n’avait pas fait plus d’effort que lui pour que ça change, en plus ! Mais elle était pas venue le voir en mode « je me souviens de ton existence quand j’ai besoin » même si, concrètement, c’était pas tout à fait ça… Pas trop. Pas de son point de vue à lui.

— T'as pas un super pote préfet pour t'aider ?

À sa connaissance, elle était plus pote avec les préfets que lui ! Enfin… Avec Carter, en tout cas. Il se souvenait qu’ils étaient comme cul et chemise à Halloween. Il n’avait pas trop de mal à imaginer que ça puisse être le cas avec Knight et Avery, genre « les amis de mes amis… ». Lui, on ne pouvait pas dire qu’il avait lié beaucoup de liens avec le reste de l’équipe. Ça avait été vaguement cool en début d’année, avec Aisling… et puis après, ça avait été une catastrophe avec Asquith. Quant aux autres, c’était resté purement professionnel… C’était les élèves populaires du collège, ceux avec qui il n’avait pas grand chose à faire… Honnêtement, ils n’étaient pas du même monde et force était de constater qu’ils en avaient la preuve aujourd’hui. En un an, ils s’étaient presque parfaitement ignorés en dehors de la salle des préfets ou des rondes obligatoires… Ça aurait pu être triste si l’adolescent n’avait pas très tôt intégré sa « place » dans la micro-société que constituait Poudlard. Il y avait les gens cool, le haut du panier, et puis il y avait… bah lui, en fait. Un haussement d’épaules qui en disait finalement bien long lui servit de réponse. Non, il n’avait pas de super potes préfets pour l’aider. Ni de super potes tout court, en réalité. Sûrement qu’à un autre moment il aurait demandé à Casey mais là… elle avait plus important à gérer. Il fallait bien reconnaître que cette histoire lui prenait la tête. Ça avait eu beau être tendu ces derniers temps, leur amitié plus bancale qu’il ne l’avait pensé, à sens unique presque, ce qui lui arrivait était loin de le laisser indifférent et ça avait été la goutte de trop, ce qui avait suffi à le faire décrocher lamentablement et abandonner sans le vouloir vraiment tous les efforts de ces derniers mois.

— Et pourquoi t'es à la ramasse ?
— T’as vu la merde qu’c’est encore c’t’année ? Y’a rien qui va ! S'j'avais su...

Sa phrase resta en suspend. C'était n'importe quoi, vraiment. Sur tous les plans. Absolument tous. C’était à peine s’il y avait une chose, rien qu’une, qui tenait encore debout. Le jeune homme enfonça nerveusement les mains dans les poches de son pantalon. Son regard soutint un instant celui de la Serpentard avant de glisser entre eux, fixant maladroitement les dalles de pierres froides entre leurs chaussures. C’était une idée pourrie. Et il fallait bien admettre qu’elle faisait tout pour le lui faire comprendre. C’était sacrément efficace ! Un soupir lui échappa, puis un nouvel haussement d’épaules.

— Laisse tomber, j’vais démerder, finit-il par lâcher. D’solé d’t’avoir fait chier avec ça.

Elle n’était pas disposée à l’aider, le message était clair. C’était pas la peine qu’ils perdent leur temps, l’un comme l’autre… S’il fallait la supplier ou ramper à ses pieds pour qu’elle accepte de lui filer un coup de main, c’était même pas la peine. De toute façon, il était assez désespéré pour demander de l’aide mais certainement pas pour oublier le peu de fierté qui lui restait encore après tout ce temps. Tant pis…