En d’autres circonstances, des cours supplémentaires octroyés par l’école, qui plus est lorsqu’ils concernaient un sujet tel que le code du secret magique, l’aurait empli de joie. Haley ne pouvait que sauter sur de telles occasions pour parfaire sa culture personnelle, réviser un peu des sujets aussi importants pour la société sorcière que celui-là... et peut-être se rapprocher un peu de son intérêt pour la justice magique. Mais c’était sans compter Rosalie. Oh que personne ne se fourvoie ! Elle l’aimait toujours aussi, sa meilleure amie, mais une des choses pour lesquelles sa présence était toujours aussi appréciable mettait également la poufsouffle dans une difficile situation : le sentiment d’injustice et les envies de révoltes qui en découlaient étaient présentes, mais il manquait à la jeune anglaise une chose importante, le courage. Cette chose, la gryffondor n’en manquait pas, et sans grande surprise, elle s’était lancée dans une entreprise révolutionnaire. Dès lors, Haley observait avec appréhension, quoique teintée d’une indéniable admiration, les préparatifs de son amie et de ses co-révolutionnaires. Elle n’en faisait pas partie. Pire, elle s’était décidée à fuir le moment fatidique. Elle n’irait pas à la conférence, lieu et moment prévu pour l’éclatant programme de révolte pacifique instigué par Rosa.

Une désagréable pointe au niveau du cœur, signe qu’elle avait l’impression de trahir son amie, elle avait quitté sa salle commune, la mort dans l’âme, en direction de la bibliothèque. Quel moment plus propice pour profiter de ses alcôves livresques que le jour d’une conférence ouverte à toute l’école et où une grande partie des élèves comptait participer ? Assurément, l’après-midi s’annonçait tranquille pour elle, jusqu’à ce qu’elle entende le récit des révolutionnaires en herbes.

Chaque pas était pour elle l’occasion d’une prière silencieuse. Pourvu que tout se passe bien assénait-elle à elle-même, pourvu qu’elle ne se fasse pas prendre par un professeur... tant d’espérances vaines. Elle n’y pouvait rien, encore moins en demeurant loin du feu de l’action. Elle marchait en se disant que tout irait pour le mieux, qu’elle avait fait le bon choix de tourner, l’espace de quelques heures, le dos aux actions de son amie. Mais cette culpabilité et cette appréhension ne la quittaient pas.

Comme escompté, lorsqu’elle passa les portes de la bibliothèque de l’école, elle ne vit pas grand monde attablé ou parcourant les rayons d’ouvrages divers et variés. Elle huma l’air non sans satisfaction, percevant l’odeur des livres venir titiller agréablement ses narines. Peu de bruit et une agréable ambiance : le cocktail parfait pour trouver le calme dont elle avait besoin. Haley adressa un sobre signe de tête à l’encontre du bibliothécaire avant de s’enfoncer entre les rayons, sac sur le dos. Les places occupées étaient rares, aussi pouvait-elle se permettre de faire la fine bouche. Ici ? Pas assez de lumière. Là ? Trop à découvert, les rares élèves ne cessent d’aller et venir. Et puis finalement, l’endroit parfait : assez éclairé, sans pour autant se trouver trop au soleil, loin du passage incessant du bibliothécaire ou des quelques élèves. Seul hic, la place était déjà prise. La poufsouffle aurait pu continuer son chemin, aller chercher une place qui lui convenait tout aussi bien, mais la silhouette qu’elle distinguait ne lui était pas totalement inconnu, et mu par l’envie d’occuper son esprit par autre chose que la révolution en cours de sa meilleure amie, ses pas la guidèrent droit vers le garçon. Elle n’avait pas beaucoup discuté avec lui, ils ne faisaient pas partie du même groupe d’amis et n’étaient pas dans la même classe – une année les séparant – mais elle le côtoyait dans certains cours. Après tout, puisqu’il était un camarade, ça n’était pas totalement inapproprié que d’aller s’asseoir à la même table que lui ? Décidée, elle s’avança entre les rayons jusqu’à atteindre ladite table. « Bonjour Austin... » fit-elle en s’efforçant de masquer au mieux le manque d’assurance qui perlait dans sa voix. « Ça ne te dérange pas si je m’assoie ici ? » Ne jamais imposer sa présence aux autres, telle était l’éducation conférée par ses parents. Et dans le même temps, elle avait parfaitement conscience qu’il lui était difficile de refuser sans une bonne raison s’il ne voulait pas passer pour un goujat. Quelque part, il était piégé par sa question, quand bien même ça n’avait jamais vraiment été le but de la demoiselle. Elle n’avait pas parlé très fort, de peur de déranger les quelques autres personnes qui occupaient les lieux, mais ils étaient assez peu nombreux et assez à l’écart pour pouvoir parler d’un bon ton sans importuner autrui. Un cadre presque idyllique s’il n’avait été provoqué par la connaissance qu’elle avait d’impétueux projets.

design ϟ vocivus // icons ϟ vocivus

Nul besoin d’être particulièrement doué dans l’interprétation des expressions faciales pour discerner de la surprise chez Austin. Il était vrai qu’elle et lui n’étaient pas particulièrement proches et qu’il n’était pas coutumier chez la jeune poufsouffle d’aller adresser la parole à d’autres élèves sans raison particulière. Il avait néanmoins l’avantage – à ses yeux – d’être un élève d’une année supérieure à la sienne, ce qui était toujours plus stimulant intellectuellement que l’inverse. Par ailleurs, si le silence d’ordinaire si agréable de la bibliothèque était un doux son à ses oreilles, aujourd’hui il semblait plus pesant. Elle avait besoin d’occuper son esprit, de quelque chose ou de quelqu’un de familier... mais Rosalie était quelque peu occupée à enfiler son masque chiné dans le rayon histoire d’une échoppe de Pré-au-Lard et Artemis devait sûrement être en train de vagabonder quelque part dans le château. Elle aurait peut-être dû partir en quête du serpentard, mais elle ne se voyait pas farfouiller dans tous les recoins de la trop grande bâtisse. Ne restait donc plus qu’elle. Elle et ses ouvrages scolaires, ses devoirs qui en temps normal étaient d’une agréable compagnie... et ce camarade, ce visage vaguement familier arborant les couleurs de la maison des érudits.

Alors finalement, elle s’était avancée vers lui, tirant une chaise en face de lui lorsqu’il lui eut confirmé qu’il n’y voyait pas d’inconvénients. « Heu non... » répondit-elle d’un ton hésitant, comme prise en faute. « Elle souhaite assister à la conférence. » Était-elle si souvent en compagnie de l’écossaise que lorsqu’elle était ainsi surprise sans elle, l’on se posait des questions ? En temps normal, il fallait reconnaître qu’elle y serait sûrement également. Mais aujourd’hui était un jour particulier. Haley était presque surprise qu’il sache que la gryffondor et elle étaient ce que l’on appelait communément des meilleures amies, ils ne se connaissaient pas tant que ça et elle n’avait pas l’impression qu’il soit également très proche de Rosalie.

Elle sortit de son sac quelques affaires ; parchemins, plume et un manuel de cours. Au fond, elle était relativement en avance sur ses devoirs, mais elle était censée travailler et ça ne lui ferait pas de mal de poursuivre sur sa lancée en ayant toujours une longueur d’avance sur la majorité de ses camarades. « J’avais un devoir d’étude des runes à terminer, je me suis dit que c’était le bon moment pour profiter de la bibliothèque du coup... » se sentit-elle obligé de préciser, comme si elle se devait d’expliquer pourquoi elle n’accompagnait pas sa meilleure amie dans la grande salle. Mais après tout, Artemis n’y allait pas non plus, alors pourquoi devrait-elle nécessairement l’accompagner ? Elles n’étaient pas mariées ou liées par une quelconque obligation. « Et toi ? Tu ne veux pas assister à la conférence ? » demanda-t-elle, tant par curiosité que pour détourner le sujet d’elle-même. Elle ne connaissait pas beaucoup le serdaigle, mais elle en savait assez pour le savoir plus proche des questions que le secret magique pouvait soulever qu’elle-même.

design ϟ vocivus // icons ϟ vocivus

Fidèle à la réputation des aiglons, Austin venait lui aussi s’attabler dans la bibliothèque afin de rédiger des devoirs, particulièrement en ce jour où les rayonnages n’étaient pas trop envahis de monde. « En effet... » répondit-elle simplement à la mention de l’ambiance exceptionnellement studieuse des lieux. Jamais la bibliothèque n’avait été aussi peu investie d’élèves, particulièrement un samedi ; en plein cœur du mois de février, le parc n’était pas l’endroit le plus accueillant qu’il soit, il n’offrait alors pas de distraction ou de vile tentation à l’oisiveté. C’était le moment de l’année où ses camarades semblaient avoir le moins de mal à venir travailler au calme... sans doute que placer les examens à cette période serait plus propice à aux révisions rigoureuses que ne l’était le mois de mai.

« Le sujet est intéressant, mais je doute y trouver mon compte. Je n’ai pas l’impression que ce soit le moment idéal pour ça. » Haley opina pensivement du chef. Elle n’était pas certaine de comprendre le sens de ses propos ; Austin n’était pas l’un de ses camarades qu’elle connaissait le mieux et, ne se mêlant pas des ouï-dire et autres ragots puérils d’adolescents, elle ne savait nullement sa position quant aux mesures prises par Appleton – il n’avait sûrement pas loupé l’appel à lancer des sorts durant la conférence – ou ses idéaux s’agissant des liens entre moldus et sorciers. Aussi n’était-elle pas très à même de cerner le sens caché de sa phrase. Peut-être que s’il pensait ne pas y trouver son compte, c’était parce qu’il estimait connaître assez bien l’histoire du code du secret magique ; les programmes d’histoire de la magie des quatrième et, a fortiori, des cinquième années étaient suffisamment riche en la matière pour qu’un élève studieux se vante de ne pas avoir besoin d’une conférence supplémentaire. En revanche, nulle explication crédible ne venait éclairer l’évocation d’un moment idéal... Un moment idéal pour quoi faire ?

Ses questions restèrent sans réponse, le serdaigle restant sobre dans ses réponses... peut-être un peu trop pour l’esprit un soupçon joueur de l’anglaise ; les énigmes étaient faites pour être élucidées, et il lui en posait une belle ! D’une nature pourtant sage et réservée, elle n’insista pas et reporta son attention sur son devoir. Comme souvent, les obligations estudiantines lui servaient d’excuses. Des excuses aussi bien trouvées qu’utiles.

Après quelques instants à griffonner d’une écriture soigneuse sur son parchemin, notant les premières idées qui lui venaient à la lecture de son devoir, elle se leva et s’éloigna de sa table, et de son compagnon du jour, pour aller chercher quelque ouvrage utile à la rédaction des runes. Elle revint plusieurs minutes après, les bras chargés de deux livres qui avaient attirés son attention. Mais force était de constater qu’elle ne parvenait à rester concentrer sur son devoir, chaque mot un peu trop abstrait était pour elle le prétexte à la distraction ; distraction qui tournait autour d’une seule et même pensée, la conférence. Ou tout du moins, la révolution qui s’y tramait. « Tu es au courant, pour l’appel à faire de la magie pendant la conférence ? » lâcha-t-elle finalement, la question lui brûlant les lèvres depuis quelques minutes. Rares étaient les élèves à être passés à côté de la nouvelle, soit parce qu’il avait reçu un des tracts de deux révolutionnaires rouges et or – quoique très rares étaient ceux qui connaissaient l’identité des auteurs du tract – soit parce qu’ils avaient reçu le mot des anonymes indignés. C’était parfois à se demander comment les enseignants pouvaient demeurer ignares quant aux projets et machinations de leurs élèves quand tant de monde savait que quelque chose se tramait. La vie communautaire et l’esprit de groupe, que créait les différentes maisons, devaient être particulièrement propice au secret ; nul élève ne voulait être celui qui trahirait ses pairs en allant les dénoncer aux professeurs. Ils étaient plus que des camarades d’écoles, mais des colocataires de dortoirs, des coéquipiers dans la course à la coupe des quatre maisons... voilà comment même les plus réfractaires gardaient le secret, se contenant d’ignorer les évènements plutôt que d’aller voir des adultes. Haley la première, encore qu’elle soutînt abondamment Rosalie dans ses actes, malgré la méfiance manifeste qu’elle avait à l’égard des effusions de colère.

design ϟ vocivus // icons ϟ vocivus