« Carla Yaxley ? »

Le ton interrogatif de ma voix ne laissait aucun doute : je n’avais aucune certitude sur ce que j’étais en train de faire. Je venais d’arriver dans la salle des préfets, me préparant sans joie à une énième ronde sans saveur, quand j’avais vu la jolie jeune fille blonde, de deux ans mon aînée, qui s’apprêtait à quitter cette même salle. Elle avait obtenu le poste qui lui en donnait l’accès quelques jours auparavant mais ce n’était pas cela qui m’intéressait aujourd’hui. Je n’avais guère de respect pour les préfets, j’en étais une mais Cameron aussi, ce qui enlevait toute prestance à cette tâche, d’autant plus qu’elle consistait à donner l’impression d’exécuter la politique d’une direction que j’exécrais. Mais le nom de Carla Yaxley tournait en boucle dans mon esprit depuis le mariage d’Hannibal et Phoenix, ou plus exactement, depuis la lettre que m’avait envoyé ma mère à son issue. J’avais été étonnée de la recevoir et plus encore surprise de ses mots. Ma mère n’avait pas l’habitude de m’envoyer du courrier et mon père filtrait impitoyablement notre correspondance. Cela avait été compliqué de la convaincre de venir au mariage pour cette raison. Mais surtout cette lettre m’apprenait une nouvelle que je n’était sans doute pas prête à digérer. J’avais une cousine. Et cette cousine avait un nom : Carla Yaxley.
Les mots de ma mère avaient été relativement détaillés. Elle revenait sur sa famille dont je ne connaissait guère que le patronyme, Selwyn. Elle m’expliquait plus précisément les raisons de son mariage avec mon père, que je connaissais déjà partiellement. Ce n’était pas un mariage d’amour mais il n’y avait nul besoin d’être perspicace pour s’en rendre compte. Ce n’était pas non plus un mariage arrangé comme le font habituellement les sangs-purs pour préserver leur lignée et la pureté de leur sang. Mes grands-parents avaient fait le choix de marier leur fille à un moldu, riche, noble, mais quand même moldu, parce qu’ils avaient peur que les sangs-purs ne restent pas toujours supérieurs et qu’ils voulaient assurer leur place dans la noblesse moldue, en cas de pépin. C’était un choix plus que discutable mais ma mère n’avait vu d’autre choix que de se soumettre, sa grande sœur ayant la responsabilité bien plus agréable de se marier avec un sang-pur pour perpétuer non pas le nom – c’était une femme – mais au moins la pureté du sang Selwyn. Cette grande sœur, ma tante, je ne l’avais pas connu, mes parents ayant renié ma mère dans un double jeu qui voulait qu’on accepte pas un mariage mixte, même s’ils l’avaient arrangé eux-mêmes. Et donc au mariage, ma mère avait vu sa sœur, pour la première fois depuis vingt ans à peu près. Et elle avait compris ou appris par la même occasion que j’avais une cousine, la fameuse Carla.
Les émotions que j’avais ressenti sur le moment avaient été contrastées. J’étais heureuse de ce lien qui me rattachait un peu plus à cette communauté, triste que cela soit par Carla, qui n’était pas vraiment connue pour être un modèle en terme de fréquentations et par dessus tout, jalouse de cette position qu’elle pouvait occuper et qui ne serait jamais la mienne. Mais tout cela me poussait à aller lui parler, au moins pour le lui annoncer.

« je sais que ça va te sembler étrange, on ne s’est jamais vraiment parlé mais j’ai appris que ma mère, Charlotte Selwyn, était la sœur de la tienne... »

Dire que Carla ne me croyait pas était un euphémisme et c’en était douloureux de se rendre compte qu’elle croyait que je me moquais d’elle, qu’elle me rejetait de la sorte sans penser une seule seconde que ce que je pouvais dire était vrai. Pourtant j’étais sûre de moi, je savais que je disais la vérité et Carla était désormais celle qui me rattachait au monde des sangs-purs que j’adulais. Je n’allais pas laisser passer une occasion si belle même si sa réputation laissait à désirer.

Non, non, je t’assure…

Je n’en menais pas large car je n’avais au fond aucune preuve de ce que j’avançais et je ne m’étais pas attendu à une telle réaction. Je n’avais pas pensé qu’elle me saute dans les bras, heureuse d’apprendre notre lien de parenté. Mais je n’avais pas imaginé non plus qu’elle rejette de la sorte cette éventualité. Je n’étais certes pas la cousine rêvée pour une sang-pure mais je n’étais quand même pas un monstre. Et puis, Carla était connue pour traîner avec des sangs-mêlées donc je ne voyais pas ce que je pouvais avoir de moins bien qu’eux à ses yeux. Ou alors elle était juste déstabilisée par la nouvelle…

Ma mère est la sœur de Victoria Selwyn.

Elle me l’avait dit suite au mariage et elle m’avait affirmé que Carla était sa nièce, la fille de Victoria. Je pouvais la croire, elle ne m’aurait pas menti. Elle n’aurait pas fait semblant de reconnaître la famille dont elle s’était de fait séparée. Je n’avais jamais tout compris mais, à entendre Carla, je devinais certaines choses. Ma mère m’avait expliqué quand je lui avais demandé, qu’elle avait suivi le choix de ses parents quand elle avait épousé mon père. Une alliance stratégique, selon mes grands-parents. Mon père, bien que moldu, était riche, noble, puissant. Il ferait un bon point d’appui en cas de problèmes. Mais de ce que disais Carla, les Selwyn avaient été jusqu’à effacer l’existence de ma mère. C’était une décision compréhensible, aux yeux des sangs-purs, ma mère avait trahi et mes grands-parents n’avaient eu qu’à dire qu’ils n’y étaient pour rien et qu’ils désapprouvaient pour rester en bons termes. Choix cruel on pourrait dire, mais qui étais-je pour juger des sangs-purs soucieux de leur rang ?

Ma mère a épousé un moldu… Je suppose que ses parents ont préféré faire comme si elle n’avait jamais existé.

Mon ton n’était pas amer, c’était la loi des mariages arrangés dans des conditions bancales et encore une fois, je ne voulais pas juger. Les sangs-purs faisaient leur choix, je les suivais du mieux que je pouvais, sans demander plus de justification.

Les explications calmes et posées semblaient n’avoir aucun effet sur Carla. Plus j’essayais de lui expliquer ce que j’avais appris, moins elle me croyais. Je pouvais comprendre que cela fasse un choc, je n’étais sans doute pas la cousine rêvée pour une sang-pure, surtout pas quand cela signifiait avoir vécu dans le mensonge depuis sa naissance. Mais malgré tout mon respect pour Carla, j’étais piqué au vif. Elle me traitait de menteuse, m’accusait de la prendre pour quelqu’un de crédule, semblait m’en vouloir alors que je ne faisais qu’énoncer la plus stricte des vérités. Moi aussi, j’aurais préféré avoir un père sang-pur, faire officiellement partie de sa famille, ne pas avoir à déployer des efforts surhumains pour me faire accepter de ce monde.

« Quitte à mentir, j’aurai choisi une autre cousine que toi. Je sais que tu n’es pas la mieux considérée des sangs-purs. »

Après les explications, je passais à l’attaque. C’était tout à fait vrai, si j’avais voulu par ruse me rapprocher d’une famille sang-pure, j’aurais choisi une famille mieux considérée. Peut-être pas les Sorensen, ç’aurait été improbable, mais par exemple les Sherwin, même si Maxton me méprisait ouvertement. Mais je ne pouvais pas me permettre de continuer sur cette lancée, Carla ne pouvait pas devenir une ennemie, au contraire je voulais en faire une alliée. Je pris donc un ton bien plus calme, je voulais quand même me faire comprendre après cette pique qui était sans doute la première que je m’autorisais vis-à-vis d’une sang-pure.

« Mon but n’est pas que tu te sentes dévalorisée par mon sang. Je suis la première à être meurtrie de mon ascendance. »

C’était tout à fait vrai, elle devait le savoir. La simple évocation de mon père me filait de l’urticaire et ma dernière phrase m’évoquait des images de meurtres. Moi aussi, j’avais d’une certaine manière vécu dans le mensonge, on m’avait fait croire que je faisais partie de l’élite alors que Poudlard m’avait démontré le contraire. C’était peut-être ce mensonge qui gênait Carla, l’acceptation que sa vie ne reposait pas forcément sur la vérité.

« Ta mère a sans doute eu raison de ne rien te dire. Il vaut mieux oublier l’existence de mon père. »

Je le pensais sincèrement. D’abord parce que sa mère était sang-pure et que les sangs-purs ont raison. Ensuite, parce que j’étais persuadée que moins on connaîtrait son existence, mieux sa famille et moi-même se porteraient.