J’avais accepté. Pris dans un engrenage qui avait débuté l’année dernière, le jour où Carla était venu me voir pour m’apprendre qu’elle connaissait mon passé, je n’avais eu d’autre choix que de céder à ce chantage qui pourrait me coûter ma place. Je posais le problème en terme de contraintes et non de choix. Je ne voulais pas réfléchir à ce que je voulais. Je voulais croire que je subissais un chantage inique. Je voulais penser que j’avais accepté uniquement par crainte, non pas par conviction. Pourtant, je n’étais pas du genre à risquer ma place pour une simple parole donné sans serment inviolable. Je savais user de mensonge quand il le fallait et d’une certaine manière ma vie en était un tissu. Certes, j’avais au fond de moi comme un étau enserrant ma poitrine à l’idée qu’Hilary et tout le monde apprenne la vérité sur mon passé. Je refusais que cela se sache. Pour la protéger disais-je. Pour garder ma fierté aussi. Mais une douleur vive, celle de la peur, avait aussi pris possession de mon esprit à l’instant où la directrice avait confisqué les baguettes. J’avais fait le choix de laisser ma baguette au fond d’un tiroir vingt ans durant. J’aurais pu me dire que la sanction de la directrice n’était pas grand-chose. Et pourtant, j’avais la douloureuse impression que l’enchaînement des événements conduisait au pire : d’abord promouvoir l’égalité avec les moldus, ensuite interdire la magie dans les couloirs, puis laisser une élève menacer de briser le secret magique et enfin confisquer les baguettes… Où tout cela nous menait-il ? J’avais écrit à Hilary de se tenir loin de tout extrémisme et je sentais que ce conseil était réellement d’actualité. La société sorcière se polarisait dangereusement, j’avais lu rapidement des menaces de procès contre Appleton. Elle n’était pas la seule responsable mais elle jetait de l’huile sur un feu qu’elle avait en partie allumé. Alors, je ne savais plus bien si j’agissais pour Carla ou pour moi-même. Je voulais rester neutre mais cette neutralité m’obligeait à des louvoiement bien étranges. Je voulais rester pour protéger Hilary mais je prenais le risque de me faire virer, voire pire.
Carla devait venir ce soir me remettre la baguette à remplacer. Je ne lui avais pas dit et je ne voulais pas qu’elle l’apprenne mais je n’avais aucune idée d’où se trouvait les baguettes. Cela me soulageait un peu, me permettait d’obtenir quelques jours de répit le temps de réfléchir à la marche à suivre. Reculer pour mieux sauter encore et toujours. Parfois je me disais que je n’en serais pas arrivé à de telles extrémités si j’avais tout dit dès le début à Hilary. Mais cette pensée m’effrayait. Tant qu’il y avait une chance de préserver son innocence, j’étais prêt à tout faire pour qu’elle continue de tout ignorer. À tout ou presque. Comme toujours, je naviguais à vue, sans perspective à long terme. Et j’étais nerveux, nerveux de ce à quoi j’en étais rendu, nerveux des conséquences probables de mes actes. Il n’était plus temps de reculer, je devais au moins prendre cette baguette. Pour effectuer l’échange, je verrais. Carla toqua, j’étais fébrile.
« Entrez »
Je faisais tout pour empêcher ma voix de trembler.
« Personne n’a vu votre arrivée ? »

@Carla P. Yaxley

Revoir Carla devant moi fit remonter les souvenirs de notre première entrevue. Elle semblait peut-être un peu moins sûre d’elle mais elle gardait cette démarche de celle qui sait où elle va et ce qu’elle veut. Dans d’autres circonstances, j’aurais presque pu avoir de l’admiration pour cette jeune fille qui semblait décidé à mener ses projets à bien. J’étais parfois un peu honteux de celui que j’étais devenu. Je n’avais aucune honte à avoir abandonner mes idéaux, mais je devais admettre que depuis mon arrivée à Poudlard, je n’avais jamais été maître de mes actes. Je me laissais ballotter par les événements, cédant au chantage des uns et des autres. On pouvait résumer ma vie à cela. Il y avait van Aken, mon ancien juge avec qui je devais agir comme si j’étais d’accord avec lui, il y avait eu Rufus, avec qui s’était pareil mais à l’inverse. Et là, Carla se tenait devant moi, me proposant de me libérer de son chantage à un prix bien trop élevé.
Et pourtant, j’acceptai. Carla était devant moi, je l’avais fait entrée dans ma cabane. Je savais pourquoi elle était là, elle savait que je cédais. Contrairement à la première fois, je ne lui proposais pas de s’asseoir, je voulais que cette discussion soit la plus brève possible. Personne ne l’avais vu venir, c’était un bon point. Au moins quelque chose que je n’aurais pas à régler. De toutes façons, elle avait sans doute raison, les récents évènements occupaient sans doute tous les esprits et les conversations. Elle continua, essayant de m’assurer qu’elle ne ferait rien de mal avec sa baguette. Ce n’était pas vraiment mon problème, elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait, j’étais presque libéré de mon serment, sans l’avoir encore tenu.
« Cela ne me regarde pas. »
En disant ces mots, je réalisai combien ils étaient étranges, inhabituels. Mais c’était à peu près la vérité, j’avais décidé de ne pas me préoccuper de ce que je faisais, d’agir uniquement de manière à ce qu’elle pense que j’exécutais ma promesse.
« Par contre, que personne ne sache que cela vient de moi. Je risque ma place. »
C’était une évidence mais je tenais à ce qu’elle en prenne conscience, même si elle devait se douter que je ne risquais pas mon poste pour ses beaux yeux.

Elle aussi risquait sa place, c’était vrai. Mais j’étais convaincue qu’elle en souffrirait moins que moi, elle n’avait ni passé honteux à dissimuler, ni fille à protéger. Tout au plus perdrait-elle – définitivement – sa baguette mais ma vie avait été la preuve qu’on pouvait s’en passer. Vingt ans durant, alors que j’y avais été plus attaché sans doute qu’elle, j’avais laissé ma baguette au fond d’un tiroir. Vingt ans durant, j’avais hésité à la briser. Ce n’était pas sa perte qui me faisait peur. Je craignais d’être affiché sur la place publique, séparé de force d’une Hilary qui refuserait de me parler. Et pourtant, une part de moi savait que la contrainte n’était pas le seul moteur de mes actes cette fois-ci. J’avais peur du pouvoir que prenait la direction, je ne pouvais approuver ses mesures. Je ne l’admettais pas, mais j’agissais en partie par conviction. Je n’aurais certes pas eu l’idée seul mais maintenant que Carla me faisait chanter, je ne rechignais pas tout à fait à la tâche.
Je commençais à me faire à l’idée que j’agirais vis-à-vis d’elle loyalement, même s’il était hors-de-question de lui dire que je n’avais aucune idée de l’endroit où se trouvait les baguettes. Mais je chercherais, j’en étais quasiment sûr, et pas seulement pour me défaire de ma promesse. Carla ne semblait pas dangereuse et c’était aussi pou cela que je ne me souciais pas de savoir ce qu’elle comptait en faire. De toutes façons, si elle le devenait pour Hilary – et pour elle uniquement – j’étais prêt à révéler ce qu’il en était quoi qu’il en coûte.
Du moins, c’était mon avis jusqu’à ce qu’elle me parle de serments inviolables. Elle n’employa pas le terme mais l’idée était présente, se servir de la magie pour s’assurer du respect de sa parole – et de la mienne. L’idée était tentante, très tentante. Malgré ma surprise – je ne la pensais pas prête à une telle extrémité – je devais la considérer. Les risques étaient grands mais les avantages immenses. Elle ne parlerait pas, sous peine de mourir. À personne. Mais moi non plus. Ce serment se devait d’être réciproque et c’était son plus grand risque. Je ne pouvais pas la contraindre à se lier ainsi sans le faire moi-même. Je n’avais pas peur de la mort ou du mensonge mais je n’avais pas eu besoin de serment inviolable pour promettre de protéger Hilary au péril de ma vie. Et cela pouvait se révéler contradictoire. Pensivement je levais les yeux vers Carla, jaugeant du sérieux de sa proposition. La détermination se lisait dans ses yeux et un instant, j’eus envie d’accepter, plus pour voir jusqu’où elle était prête à aller que par nécessité. Les serments inviolables, j’en avais vu faire. Mon frère en avait fait effectuer quelques uns à des camarades de combat trop peu sûr. Certains s’étaient dégonflé, scellant ainsi leur désaccord avec notre cause, reniant par la sorte leur loyauté. D’autres avaient tendu leur bras, une lueur de certitude dans le regard.
Ces images, me ramenèrent à la réalité. Je ne pouvais m’engager dans cette pente sans risquer de revenir à mes anciennes loyautés, à une vie que j’avais brutalement abandonnée. Et puis, pour un serment inviolable, il fallait être trois. Nous étions deux, manquait l’Enchaîneur. Cela voulait dire un témoin de plus et je ne l’admettais pas, surtout que je n’avais personne à qui le demander. Hilary devait rester loin de tout cela et c’était la seule en qui j’avais suffisamment confiance. Et hors-de-question que je laisse ce choix entre les mains de Carla.
« Il faut être bien attachée à sa baguette pour être prête à risquer la mort. »
Simple constatation. Je ne la forcerais pas à en dévoiler plus mais je voulais voir de quelle lueur s’animerait son regard à l’idée que je pouvais être prêt à cela. Je jouais un peu, juste pour me venger de mes précédents atermoiements, simplement parce que mes souvenirs m’avaient rappelé l’homme que j’avais été et qui avait disparu sous des années d’hésitation et d’incertitudes. Je laissais planer un silence quelques secondes avant de le briser d’un ton sec.
« Ce ne sera pas nécessaire. »
Je mettais fin à sa proposition, supprimant de mon esprit les images de mon passé. Il ne restait plus qu’elle et moi dans ma cabane. Elle m’indiqua ne pas me trouver dangereux, c’était réciproque. Elle ne savait pas les buts que je poursuivais et ne les connaîtrait jamais. Je ne voulais rien lui dire. Mais avant de conclure notre marché, je devais m’assurer de ce que j’encourais si je ne parvenais pas à trouver sa baguette, sans lui dire qu’il était probable que cela se passe ainsi.
« Et si je n’arrive pas à échanger les baguettes ? »
Je voulais paraître être l'homme sûr de lui qui envisage tous les termes du contrat, pas la victime hésitante d'un chantage.

Je reconnaissais dans les mots de Carla ceux que j’aurais pu prononcé autrefois, quand ma vision du caractère indispensable de la magie confinait à la bêtise. Entre temps, j’avais vécu des années sans même penser à utiliser ma baguette. Pourtant, je pouvais la comprendre, je pouvais admettre qu’elle n’avait rien d’une folle à lier. Elle était jeune et n’avait qu’une vision partielle de ce qu’était la vie – et la mort. Pourtant, je m’étais pris au jeu de sa proposition, entrevoyant les avantages et les inconvénients qu’un tel serment indissoluble comportait. J’avais envisagé cette possibilité qu’elle me présentait pour mieux la refuser, dans un dernier accès de volonté de puissance.
Les jeux étaient faits, restait seulement une question cruciale : quelle était la place de l’échec dans notre entreprise commune. J’étais prêt à remplir ma part du contrat mais je voulais estimer ce qui se passerait si malgré mes efforts je n’y parvenais pas. Je m’attendais à tout sauf à sa réponse. J’avais envisagé qu’elle me menace de révéler mon passé à toute l’école si elle n’avait pas sa baguette dans les dix jours, pas qu’elle estime que dans tous les cas, je serais libéré de ma parole. Sa franchise me touchait et mettait en relief comment elle me considérait : je n’étais pas dangereux. C’était la vérité et pourtant mon égo en était un peu blessé, sentant bien que je n’étais plus celui que j’avais été, y compris dans ses rares bons aspects. Les changements sont durs à encaisser et je devais bien admettre que la mort de mon frère puis d’Elenna avait considérablement réduit ma volonté.
Je ne comprenais pas, je n’étais pas habitué à tant de simplicité. Depuis tous ces mois passés à Poudlard, je n’avais fait que louvoyer entre des injonctions contraires, sans pouvoir me dire que je serais un jour libre de mes actes. Aujourd’hui, ma liberté n’était toujours pas acquise mais Carla venait d’ôter un obstacle sur la route qui y menait. Était-elle lasse du jeu auquel elle me soumettait ? Poursuivait-elle d’autres objectifs indéchiffrables ?
Un poids s’enlevait néanmoins de mes épaules. Mais cette légèreté retrouvée s’accompagna de nouvelles interrogations. Plus rien ne m’obligeait à rechercher cette baguette, le ferais-je quand même par conviction ? Ma parole ne m’avait jamais semblé déterminante et pourtant à ce moment, je ne voulais ni mentir ni me dédire. Je ferais mon possible, parce que, au fond de moi, je n’avais pas tout à fait oublié que confisquer la magie tuait moralement les sorciers. Je déglutis, réfléchis un instant, pesant mes mots.
« Je le ferai. »
Trois mots scellaient un engagement librement consenti. Trois mots sincères, empreint de loyauté. Je tendis la main, regardant pour la première fois Carla dans les yeux.
« Je crois que nous en avons fini. Je vous recontacterai quand j’en saurai plus. »