Voilà dix-sept ans que le 14 février est un jour comme les autres et, croyez-moi, ce n'est pas cette année que cela va changer. Non mais sérieusement, entendre tous ces gloussements et ces couples qui se pavanent dans les couloirs, mais quelle horreur ! Heureusement que nous ne sommes pas comme ça avec Blaze. Nous n'en avons jamais parlé et, pour être honnête, cela ne m'a même pas traversé l'esprit. Les trucs gnian-gnian et cul-cul la praline, très peu pour moi. On ne s'est même jamais dit que nous nous aimions, lui et moi. Est-ce vraiment le cas, d'ailleurs? Qu'est-ce que l'on peut bien connaître à l'amour quand on a seize et dix-sept ans ? Si tant est que l'amour ne soit pas qu'un pur concept commercial pour nous faire dépenser notre fric, ce dont je doute quand même pas mal. Ce matin, je suis la dernière du dortoir à me lever. Mes camarades sont déjà parties mais cette solitude ne m'affole pas plus que ça. Après tout nous sommes dimanche, j'ai largement le temps de glander avant de démarrer la journée. Un petit passage dans la salle de bain, un élastique pour nouer mes cheveux en ma queue de cheval habituelle, un gros sweat et me voilà prête pour affronter cette journée guimauve bonbon à vomir.

Lorsque je fais mon entrée dans la Grande Salle, la plupart des élèves sont déjà installés. Le corps professoral a au moins eu le bon goût de ne pas décorer la pièce plus que de raison pour l'occasion. Rien qu'à imaginer van Aken en costume rose avec une cravate parsemée de coeurs, j'en ai la nausée. Il ne reste que peu de places vacantes à la table des Serpentards. J'en repère cependant une juste à côté d'une blonde que je ne connais que trop bien. Je ne suis pas enchantée de m'assoir à côté de Carla Yaxley mais, entre ça et me coltiner la tête de fouine d'Archambault, le choix est vite fait. Sans prêter davantage attention à ma voisine de tablée, j'entreprends de me servir un verre de jus de citrouille quand les murmures s'intensifient. Je n'ai qu'à tourner la tête pour voir une flopée de gamins bizarres avec un arc et des flèches envahir la Grande Salle. Oh bordel, dites moi pas que c'est ce à quoi je pense ... L'un d'entre eux se dirige vers moi avec deux boîtes dans les mains. Il m'observe d'un air suspicieux - et je lui rends bien son regard - avant de m'adresser la parole. « SKYLER MILLS C'EST TOI ?! » Il hurle tant que je fais un bon en arrière sous le coup de la surprise. D'ailleurs, il ne me laisse même pas le temps de répondre qu'il dépose les deux paquets dans mon assiette en me bougonnant un « Joyeuse Saint Valentin » avant de partir vers d'autres horizons. Je sens certains regards sur moi, je n'ai jamais aimé ça. Je me retourne donc et me focalise sur le contenu de mon assiette.

Mise devant le fait accompli, je n'ai plus qu'à ouvrir les deux boîtes devant moi. La première contient un chocolat en forme de coeur avec un glaçage mouvant qui forme les mots JOYEUSE SAINT VALENTIN sur le dessus. Un petit mot accompagne le présent : "Tu me fais tourner la tête comme à un gnome de jardin <3". Je hausse un sourcil. Qui a pu m'envoyer une connerie pareille ? Blaze ? Pour en avoir le coeur net, j'ouvre la deuxième boîte qui contient exactement le même chocolat. Super, le confiseur ne s'est vraiment pas foulé. Cependant, l'inscription est différente : "Il paraît que t'aimes le sport, alors j'espère que t'apprécieras le dernier numéro de Balai Magazine ! <3" Deuxième haussement de sourcil. Non ça, ça ne peut pas venir de Blaze. Je ne sais pas ce qui me questionne le plus : ce mot énigmatique d'un auteur tout aussi curieux ou que Blaze ait le talent d'auteur d'une goule ? Un coup d'oeil du côté de Carle me confirme qu'elle n'a rien reçu. La vie est décidément mal faite : elle qui adore les sucreries et les sentiments se retrouve comme une pauvresse le jour de la fête des amoureux. « Tiens. » Lui dis-je d'un coup en lui tendant les deux boîtes ouvertes avec les chocolats. « Toi qui aimes les sucreries. » J'ajoute pour justifier mon geste. Plutôt prétendre me débarrasser de ces chocolats au goût de niaiserie plutôt que d'avouer qu'elle me fait de la peine.

Des cris de hiboux et autres chouettes retentissent dans la Grande Salle. C'est maintenant l'heure de la livraison du courrier. Les paquets et lettres pleuvent sur les élèves qui les attrapent au vol. Dans mon cas, Amelia me lance ce qui semble être un magazine. Décidément, c'est la journée des cadeaux. Il s'agit effectivement du dernier numéro de Balai Magazine, daté de Janvier. Curieuse, je regarde la couverture. Je crois que je ne m'habituerai jamais aux personnages qui bougent. Alors que mes yeux se posent sur la photo au centre : deux anciens joueurs de l'équipe nationale de Hollande sont venus assister au match Angleterre-Ecosse. Je m'apprête à ouvrir le magazine, irritée par la vision de ces rangées de dents immaculées, quand l'arrière plan de la photo attire mon attention. Ces deux gamins là qui s'embrassent ... Ce n'est pas ... On dirait ... Non ce n'est pas possible ... Mon coeur s'accélère subitement dans ma poitrine et j'ai soudain très chaud. Calme toi Sky, réfléchis. Les places qu'ils ont gagnées pour Halloween, c'était quel match déjà ? Oh non ... non non non ... ce n'est pas possible ! Mes mains se mettent subitement à trembler, si bien que je lâche le journal pour que personne ne perçoive mon trouble. Après la chaleur, j'ai soudain froid et mon visage devient blême comme mon assiette. C'est bien Blaze sur cette photo, la bouche ardemment occupée à bécoter celle de la fille que j'estimais être mon amie la plus proche mais aussi ma plus grande rivale : Sasha.

Offrir mes chocolats à Carla partait vraiment d'une bonne attention. C'est assez rare pour être souligné. Je ne raffole ni de la Saint Valentin ni des sucreries donc le combo des deux ne me fait pas franchement rêver. Par ailleurs, j'ai une dette envers la blonde depuis notre conversation près du terrain de Quidditch. Elle m'avait fait don d'une chocogrenouille pour m'amadouer et j'avoue avoir fini par la manger : petit bout par petit bout, elle m'a bien duré une semaine. C'est dire si je peux maintenant tenir le reste de l'année avec ces deux énormes cœurs en chocolat. Ca transpire tellement la mièvrerie que je préfère m'en débarrasser aussitôt : peu importe si l'un d'eux provient de mon mec. Mon don est accueilli avec une politesse plus froide que ce à quoi je m'attendais : me serais-je trompée sur toute la ligne ? J'étais pourtant persuadée que Carla faisait partie de ces nanas gavées d'histoires à l'eau de rose et dont le but ultime dans la vie était de se nourrir de frivolités sucrées comme ces chocolats. Finalement, après avoir négocié, la Serpentard consent à en prendre un des deux. Je ne saurais distinguer celui qu'elle a choisi de l'autre : ils sont rigoureusement identiques. Enfin, Carla me remercier pour mon geste et je lui réponds par un hochement de tête entendu. Je ne suis pas une bavarde mais bizarrement, je le suis encore moins avec elle. Elle sait trop de choses : le moindre de mes mots pourrait être analysé en un instant.

Juste après ce bref échange, je me penche à nouveau sur le mot suspect que j'ai reçu avec le deuxième chocolat. Qui peut bien s'intéresser à moi pour savoir que j'aime le sport ? Qui a pris la peine de dépenser son argent pour me dire ça ? Et pourquoi le dernier numéro de ce Balai Magazine, que je n'ai d'ailleurs jamais lu ? Je ne tarde pas à avoir un début de réponse : j'entends les hiboux qui entrent dans la Grande Salle par les fenêtres. Certains sont plus chargés que d'autres et, cette fois ci, Carla est plus gâtée que moi. Elle reçoit deux journaux tandis qu'Amelia dépose pour moi le fameux exemplaire de Balai Magazine dont parle l'expéditeur mystérieux. Il n'y a aucune lettre qui accompagne ce magazine, je porte donc mon attention sur la couverture de ce dernier. Je note qu'il est daté de janvier 2027, c'est à dire le mois dernier. J'imagine qu'il doit paraître à chaque début de mois suivant, celui ci serait donc la dernière édition en date. Des sorciers s'animent sur le papier glacé. Je ne sais pas qui ils sont avant de lire le titre accrocheur et la petite ligne explicative juste en dessous. Deux anciens joueurs star viennent assister au match de Quidditch Angleterre-Ecosse. Mouais, finalement ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. Qu'est-ce qui a pu faire croire à l'expéditeur que ces mondanités m'intéresseraient ? Des murmures commencent à s'élever de part et d'autre de la table. Quant à moi, je suis désormais figée sur le second plan de la photographie, qui laisse apercevoir les gradins supérieurs. Deux adolescents sont en train de se galocher copieusement et ils me sont étrangement familiers.

Mon sang ne fait qu'un tour, mon visage se dépeint de toute couleur et j'ai un haut-le-cœur. Je reconnais ces boucles brunes tout comme ces longs cheveux blonds. Je reste de marbre mais mes mains commencent à trembler. Mes oreilles bourdonnent, est-ce du aux murmures qui s'intensifient davantage ? J'ai encore un doute : peut-être que Blaze et Sasha ont gagné des places pour un autre match et que je me trompe ? La remarque cinglante de Maxton Sherwin confirme mes craintes. Je n'ai pas besoin de me retourner pour reconnaître sa voix ni même pour savoir qu'il a fait exprès de dire ça juste derrière moi. J'ai l'impression qu'une pierre tombe dans mon estomac et que ce dernier rétrécit, rétrécit encore jusqu'à me serrer très fort. Je ne regarde plus le magazine, mes mains tremblantes sont plaquées contre mes cuisses. J'entends à peine Carla remballer un autre Serpentard. Je regarde sans voir l'assiette devant moi. Ce n'est pas vrai, dites moi que je rêve ... Il n'a pas pu me faire ça, elle n'a pas pu me faire ça, ils ... non ce n'est pas possible. La pression des mains de Carla sur mon bras me fait tressaillir. Je reviens à la réalité avec une brutalité qui me retourne l'estomac et le contracte violement. Je fixe enfin mes yeux sur ceux de Carla et acquiesce. Je ne sais pas de quoi elle parle mais elle est bien la seule dont la présence ne me gêne pas : S. retrouve C. Je me lève et me tient aussi droite que possible. Je n'ai qu'un point en ligne de mire : les portes de la Grande Salle.

Je ne presse pas le pas, ayant encore vaguement conscience de l'image que je peux renvoyer. Néanmoins, je recommence à avoir terriblement chaud et les contractions de mon estomac s'intensifient. Les portes se rapprochent, j'y suis presque. Ma vue commence à se brouiller, j'ai l'impression de voir des étoiles. Pourtant nous sommes le matin, n'est-ce pas ? Enfin, je franchis le seuil de la Grande Salle. Juste à côté se trouvent des toilettes. Je ne fais plus attention au monde qui m'entoure et fonce en direction d'une des cabines. Je vomis ma rage, mon dégout, ma déception. Il n'y a rien d'autre dans mon estomac désespérément vide, comme mon coeur. Mes mains tremblent encore. Comment a-t-il pu me faire ça ? Je lui ai donné ma confiance, je croyais que nous étions quelque chose. Bien sûr, je ne suis pas démonstrative mais je pensais que me donner à lui suffisait à prouver certaines choses. Et elle ? J'ai travaillé sans limite pour lui offrir ce prix en potions. Je lui ai confié mes doutes quant à Blaze, je pensais que ce qui c'était passé au bal nous avait rapprochées. Pourquoi m'a-t-elle poignardée dans le dos comme ça ? Elle pouvait tous les avoir si elle le désirait : ils sont tous à ses pieds. Pourquoi me prendre le seul qui compte ? Mon poing atterrit avec violence contre la paroi de la cabine alors que mon visage reste totalement inexpressif.

Dois-je être reconnaissante envers Carla pour m'avoir offert une porte de sortie ? Sûrement, mais c'est bien le cadet de mes soucis pour l'instant. La poigne ferme de la septième année m'entraîne et je me lève dans le même mouvement qu'elle. Pour marcher jusqu'aux portes de la Grande Salle, c'est moi qui donne la cadence. J'essaie de garder une allure modérée, la même que d'habitude en vérité. Je n'ai que deux obsessions : marcher normalement et atteindre les portes à temps. Il fait diablement chaud et mes oreilles continuent de bourdonner. Je ne fais même pas attention à ce que me dit Carla. Pourtant, lorsque je tourne la tête, je vois bien qu'elle bouge les lèvres. Ce simple mouvement suffit à accentuer ceux de mon estomac. C'est bizarre pourtant, je n'ai rien avalé depuis hier. Vite, les portes. Je concentre mon attention sur l'entrée de la Grande Salle. Je dois l'atteindre, il le faut. Ma vue s'obscurcit, j'ai de plus en plus chaud et du mal à contenir ma nausée. Vas y Skyler, tu peux le faire. Encore quelques petits pas et tu seras tirée d'affaire. Les derniers mètres me semblent durer une éternité. Je ne vois que le seuil de la porte, j'en ai oublié tout le reste. Même Carla, je l'oublie. Enfin je déboule dans le hall et mon calvaire est terminé. En réalité, il commence à peine mais je ne m'en rends pas compte immédiatement. Je file dans les toilettes et rentre dans la première cabine disponible. L'émotion, invisible sur mon visage, m'a littéralement retourné l'estomac.

Les vomissements ne durent pas, de toute façon ma souffrance est impossible à recracher. Je reste un instant à genoux, toujours penchée, avant que mon poing droit ne vienne frapper cette pauvre cloison qui n'a rien demandé. Alors que je relève la tête pour m'assoir sur le seul, dos à cette même cloison, j'entends une voix. C'est Carla, elle m'a suivie jusqu'aux toilettes. Ma respiration est forte, bruyante et je ne réponds pas. Pourtant, je lui suis reconnaissante d'avoir verrouillé la porte pour que personne ne puisse constater l'état de faiblesse dans lequel je me trouve. Je suis en miettes. Je me suis toujours refusée à accorder ma confiance à qui que ce soit dans ce château. Et voilà que les deux seules personnes qui commençaient à compter pour moi sont les acteurs de la pire des trahisons. Je devrais avoir l'habitude pourtant, d'être blessée et abandonnée par ceux que j'aime. Néanmoins la plaie est là, elle est béante. Qu'est-ce que j'ai pu être conne et aveugle. Je savais que Blaze n'était pas insensible au charme de Sasha et lui savait que je n'aimais pas ça. Quant à ma copine de dortoir ... je n'arrive pas à comprendre. Elle m'a assurée que Blaze n'était qu'un ami, pourquoi ce revirement ? Peut-être que j'ai mal vu et que ce n'était pas eux ? Les nouvelles paroles de Carla me font affronter la vérité en face. "Leur refaire le portrait", évidemment qu'elle parle de Blaze et Sasha. Evidemment que j'ai une bonne raison de leur taper sur la gueule. J'en meurs d'envie. Mais ce serait avouer qu'ils m'ont blessée et ça, c'est hors de question. La gamine impulsive a grandi et appris de ses erreurs. De certaines, en tout cas. Je prends une grande inspiration. Je ne suis pas au mieux de ma forme mais j'ai arrêté de trembler, c'est déjà ça. Je n'ai plus la nausée non plus. Alors, chancelante, je décide de me lever. Je manque de me casser la gueule mais je suis bien debout. J'inspire une nouvelle fois, tire la chasse d'eau et ouvre la porte.

Je me retrouve face à une Carla adossée à l'un des lavabos. Celle-ci me propose de venir dormir dans son dortoir, assurant que Bonnie acceptera. Je pense en effet qu'elle le fera. Bonnie est une amie d'enfance, on jouait souvent ensemble à Brighton avant que la vie ne nous sépare. La proposition me touche sincèrement. J'ai été odieuse avec Carla et elle cherche quand même à m'aider. C'est même étrange, d'ailleurs. Il y a sûrement anguille sous roche. « C'est gentil mais ça ira. » Dis-je en titubant de manière peu convaincante jusqu'au lavabo voisin de celui de la blonde. J'ouvre l'eau et me rince la bouche avant de relever la tête face au miroir. Je suis livide, ma mine est affreuse et l'absence de maquillage n'aide pas. « Ca va. » Dis-je d'un ton franc, comme si je voulais me convaincre moi-même, les yeux fixés sur mon reflet. Il faut que ça aille, je n'ai pas le choix. Je refuse d'être celle qui a honte et qui quitte le dortoir. Je resterai même si cela m'en coûte. Je refuse d'avouer ma souffrance en fuyant. Il est tout bonnement hors de question que qui ce soit assiste à ma déchéance. Plutôt crever. « Merci. » Ma voix se fait plus timide quand je me tourne vers Carla. Mes remerciements sont rares mais toujours sincères. Je lui dois une fière chandelle sur ce coup là. Elle n'avait aucun intérêt à m'aider et pourtant elle l'a fait. J'ai l'impression très étrange de me retrouver face à C., ma correspondante épistolaire. La porte verrouillée et la seule présence de la Serpentard dans les toilettes me rassurent un peu. Je respire moins bruyamment mais mon visage est toujours aussi livide, sans aucune expression déchiffrable. Je me tiens au lavabo, incertaine de mes capacités à rester debout sans appui. Mes yeux sont rivés sur mon reflet dans le miroir. Ca m'aide, de garder un repère fixe. Un blanc s'installe entre nous avant que je ne reprenne la parole. « Tout le monde est au courant ? » J'ai peur de la réponse. Comme si cela ne suffisait pas de me tromper, il a fallu qu'ils l'affichent sur un putain de magazine avec sûrement des milliers de lecteurs. Je suis ridiculisée mais ils ne s'en sortiront pas comme ça. Ni l'un, ni l'autre.

Sortir de cette cabine de toilettes s'avère plus compliqué que prévu. Dès que je suis sur mes deux jambes, je les sens trembler et faiblir. J'ai rarement subi autant d'émotions incontrôlables d'un coup. C'est peut-être même la première fois. Non seulement je suis trompée par mon copain - le premier qui avait de l'importance - mais je suis en plus trahie par celle que je considérai comme mon amie. Et pour couronner le tout, cette humiliation est publiquement affichée dans un journal. Putain. J'avance jusqu'au lavabo face à moi, muée par l'énergie du désespoir. Tel un robot, je rince ma bouche sans faire réellement attention à ce que je fais. Je décline la proposition d'hébergement de Carla. C'est sympa de sa part, surtout vu mon attitude envers elle, mais ce serait la solution de facilité. Surtout, ce serait la preuve que tout cela m'affecte. Il en est hors de question. Je refuse d'alimenter les ragots en me cachant dans le dortoir des septièmes années. Si je dois m'expliquer avec Sasha, autant que cela se fasse rapidement. Et si je dois lui mettre mon poing dans sa jolie petite gueule, j'aime autant ne pas attendre. Malgré tout, je remercie timidement la blonde et prends le chewing-gum qu'elle me tend. Je suis beaucoup moins suspicieuse que pour la chocogrenouille, c'est dire mon état de détresse. Le sucre qui se libère grâce à la mastication me fait effectivement du bien. J'ai l'impression d'être moins livide, dans le miroir. En revanche, les paroles de Carla ne font pas plaisir à entendre. Je me doute que les prochains jours seront douloureux mais l'entendre à haute voix rend les choses plus concrètes.

Je reprends peu à peu une contenance même si je me sens encore faible. Fixer mon reflet dans le miroir m'aide à garder les idées claires tout comme le fait d'être seule avec Carla. J'en profite pour lui poser la question qui me brûle les lèvres, après un instant de réflexion quant à la journée qui m'attend. Combien de personnes ont pu voir cette photo ? Est-ce que tout le monde est abonné à ce magazine à la con ? J'en ignorais l'existence jusqu'à le recevoir ce matin. J'ai l'espoir fou que la plupart des autres élèves soit dans mon cas également. Cependant, j'ai très clairement entendu ce cul serré de Maxton Sherwin faire une remarque à ce propos. Alors, je demande à Carla. Il faut que je sache. La réponse ne fait pas plaisir à entendre mais elle est honnête. Une bonne partie de l'école, c'est déjà trop. Après le choc de la révélation, la colère s'empare de moi et mes mais se serrent sur le lavabo. Quel connard, oser me faire ça devant toute l'école. Je continue à mâcher furieusement mon chewing-gum. Mon honneur en prend un sacré coup. Je me sens salie, dégoutante et l'image que me renvoie le miroir n'aide pas. Soudain, un bruit me fait tourner la tête. Carla fouille dans son sac et je crois, l'espace d'un instant, qu'elle va me proposer une autre confiserie pour me redonner de l'énergie. Mais je me trompe : c'est une trousse qu'elle sort de son sac, une trousse de maquillage bien fournie. La seule fois où j'ai vu autant de cosmétiques, c'est dans les affaires de Sasha. Un nom qui sonne désormais douloureusement.

La proposition de la blonde me surprend. M'aider avec les apparences ? En vérité, je fais effectivement peur à voir. Je n'ai jamais fait attention à mon image, même en couple. Et pourtant, aujourd'hui cela me semble capital. Carla m'inspecte sous toutes les coutures avant de décréter que je suis jolie. Je ne peux retenir un rictus avant de concentrer à nouveau mon regard sur le miroir. C'est faux, je ne suis pas jolie. Je ne me suis jamais considérée comme telle. Mes cheveux ne sont ni lisses, ni bouclés et toujours emmêlés. Mon nez a une bosse, j'ai aussi un sourcil plus haut que l'autre. Je crois que j'ai de jolis yeux, mais c'est tout. Pourtant, l'idée est séduisante. « D'accord. » Je réponds assez rapidement, en me redressant un peu. Sauver les apparences, c'est ce que je m'efforce de faire depuis toujours. Aborder les choses sous un autre angle n'est peut-être pas une mauvaise idée. « Apprends moi. » Je renchéris en me tournant vers Carla. Je reprends du poil de la bête. J'ai soudain envie de tout savoir sur ces futilités de filles que Sasha et visiblement Carla affectionnent tant. Je veux devenir jolie moi aussi. « Je veux qu'il regrette. » Dis-je alors d'une voix claire et assurée. Oui, qu'il regrette de m'avoir perdue. Qu'il se rende compte que je peux être toute aussi belle et apprêtée que Sasha. Même mieux qu'elle, si ça se trouve. Qu'il réalise qu'il avait un diamant et qu'il a préféré tremper ses mains dans du charbon. Enfin, Carla me pose une question qui atténue un peu ma détermination. Ai-je envie d'en parler ? Instinctivement, je dirais non. Mais je suis face à C., celle qui m'a convaincue de donner une chance à cette relation. Autant mettre un point final à cette histoire, de la même manière qu'elle a commencé. « J'aurais dû m'en douter. » J'avoue finalement d'une petite voix. « Pourquoi se contenter de Skyler quand on peut avoir Sasha ? J'aurais dû le savoir. » Mon envolée lyrique s'éteint aussi vide qu'elle a commencé et mes doutes reviennent en force. J'ai toujours apprécié Sasha, elle captait toute la lumière et je me contentais de son ombre. Comment ai-je pu croire une seule seconde que cela pourrait changer ? Que j'avais moi aussi droit à lumière ? Que j'en étais digne ? Putain d'idiote.

Je n'ai jamais ressenti le besoin d'attirer l'attention. En général, je suis plutôt passe partout. Mon image ne m'a jamais préoccupée, peut-être parce qu'elle fait partie intégrante de ma carapace. Ne pas s'apprêter, c'est montrer que l'on a pas besoin d'artifices pour avoir confiance en soi. Quelle putain de mascarade. La trahison de Blaze et Sasha laisse une profonde entaille dans l'armure que je porte en permanence et le besoin de combler la plaie en misant sur les apparences devient urgent, capital. Je dois détourner l'attention de mon teint cadavérique et surtout, je ne peux rester éternellement dans ces toilettes. La proposition de Carla tombe donc à point nommé et je ne mets pas longtemps à accepter. Je veux que Blaze, lorsqu'il me croisera, me trouve plus belle que jamais. Qu'il me désire follement jusqu'au moment où je mettrai un point final à cette relation qui n'a que trop duré. Oh oui, c'est moi qui le quitterai. Personne ne largue Skyler Mills. Carla m'affirme que le Serdaigle regrette déjà son geste : je n'en suis pas persuadée. Mais il le regrettera un jour, je vais tout mettre en oeuvre pour que ce soit le cas. Je ne perdrai pas la face. D'ailleurs, je n'ai aucune larme dans mes yeux. N'est-ce pas la preuve que tout cela ne me touche pas, ne m'attriste pas ?

J'observe d'un oeil curieux - malgré moi - la trousse que Carla sort de son sac ainsi que son contenu. Je ne suis pas totalement ignare, je connais certains de ces produits : principalement parce que j'ai déjà vu Sasha ou mes potes de Brighton les utiliser. Carla commence par s'attaquer à ma peau et se lance dans une longue tirade sur les qualités et les défauts de mon teint : je réalise soudainement que je viens de créer un monstre. La blonde me perd totalement au moment où elle me parle de ses écailles de dragon. La seule chose que je retiens, c'est que j'ai le teint pâle. Vivement que je retrouve ma ville et ses plages : je suis beaucoup plus fan des peaux bronzées. Alors que le pinceau de Carla parcourt mes joues en déposant une couche uniforme de poudre, celle-ci me demande si je veux parler de ce qui vient de se passer. Contre toute attente, je prononce quelques paroles. Avouer que je me suis emballée avec Blaze me coûte. Je n'aime pas reconnaître mes erreurs. Pourtant, je suis la seule fautive. Je savais d'avance que ça ne fonctionnerait pas : c'est d'ailleurs pour ça que j'avais dit non, au début. L'ombre de Sasha me recouvre entièrement, depuis toujours. Entendre que je vaux mieux qu'elle ne me convainc pas vraiment. En revanche, j'ai un rire bref quand Carla demande qui voudrait de Sasha - le terme connasse étant particulièrement adapté. Je me retiens de prononcer le prénom de Maxwell : je ne suis pas ultra douée socialement mais je suis assez intelligente pour savoir que c'est un sujet trop épineux pour faire rire ma camarade. Je n'ai clairement pas besoin de davantage d'ennemis en ce moment. Je reste interdite tandis que Carla poursuit sa réflexion. Je pensais connaître une Sasha moins pourrie de l'intérieur que ce que la plupart des gens peuvent croire. Là encore, je me trompais : les vélanes ne sont que des créatures inhumaines et insensibles, elle le prouve encore avec ce baiser. Je soupire de ce constat.

Je ferme les yeux pour que Carla me fasse un trait de crayon noir qu'elle estompe avec la pulpe des doigts. La remarque sur mes cils me laisse perplexe : comment ça, le mascara est obligatoire pour eux ?« Qu'est-ce qu'ils ont mes cils ? » Je ne comprends pas. Je n'ai jamais eu de problème avec eux. Si Carla pense me remonter le moral en pointant tout ce quine va pas chez moi, ce n'est clairement pas la bonne option. Je me laisse néanmoins faire et après quelques coups de mascara, je me découvre dans le miroir pendant que Carla se congratule. Je me suis déjà vue maquillée : ce n'est donc ni un choc ni une révolution. J'ai toujours autant l'impression d'être déguisée mais j'avoue que l'ensemble est assez naturel : c'est moi en mieux et c'est exactement ce que je voulais. Les yeux rivé sur mon reflet, j'écoute Carla me prodiguer quelques conseils. Tout le monde sait que Maxwell est un coureur de jupons donc elle doit savoir de quoi elle parle mais, comme elle l'a dit, je ne suis pas prête à l'entendre. « Je ne pardonne jamais. » Je prononce d'un ton plus tranchant que prévu, trahissant mon ressentiment. Je n'accorde jamais de pardon : j'accumule la rancune et j'en fais une arme plus tranchante à chaque fois. « Quelles questions ? Je le connais, je la connais. Ce qui est arrivé était prévisible. » Dis-je finalement en me retournant vers la blonde. Blaze est un petit con bourgeois qui adore être au centre de l'attention. Sasha est une enfant gâtée et friquée qui aime plaire et séduire. L'issue de leurs interactions ne pouvait être autrement et j'aurais dû le savoir : c'est bien le seul regret que je n'aurai jamais. Carla sort une brosse à cheveux de son sac et me donne dans le même temps l'occasion de mettre un terme à cette conversation très inconfortable pour moi. Je préfère me concentrer sur des futilités. Lentement, ralentie par des noeuds, j'enlève l'élastique qui retient mes cheveux en queue de cheval. Ceux-ci tombent en cascade dans mon dos, les pointes viennent caresser mes reins. « Tu penses pouvoir faire quelque chose avec ça ? » On dirait que je les dénigre mais, en vérité, j'adore mes cheveux. Ils sont ma plus grande fierté, je ne les ai jamais coupés. Mais les brosser et les démêler à la manière moldue, c'est clairement relou et je zappe systématiquement. Pour le coup, je ne suis pas contre une petite astuce.

Alors que je m'en suis totalement détournée jusqu'à présent, je découvre un certain intérêt au maquillage. Je pensais qu'en me dénuant de tout artifice, l'armure que je me suis créée n'en serait que plus forte. Pourtant, je me rends compte que les apparences peuvent être une protection supplémentaire. Camoufler ses cernes, accentuer les couleurs des joues, mettre du mascara ... Finalement, tout cela participe à cacher ses émotions profondes en créant l'illusion que tout va bien. C'est exactement ce qu'il me faut en cet instant. Les nausées n'ont pas rendu justice à mon teint et, même si Carla me perd avec son charabia sur les écailles de dragon, j'accepte volontiers un peu d'aide pour me redonner bonne mine. Mon regard a également besoin d'être rafraichi et la blonde semble du même avis. Je ne comprends pas immédiatement sa remarque sur mes cils et, comme à chaque fois que je ne comprends pas quelque chose, je redeviens agressive. C'est plus fort que moi et d'autant plus quand je suis sous pression. Alors que je prenais sa parole comme une critique, Carla m'explique que c'était en réalité un compliment. Je me sens très conne, tout à coup. « Oh ... d'accord. » Pas d'excuses ni de remerciements, je ne suis pas comme ça. Néanmoins, je me détends un peu alors que la brosse de Rimmel passe sur ces cils sujets de discorde.

Je me regarde dans le miroir. Le reflet face à moi ne m'est pas habituel même s'il n'est pas inconnu non plus. Je suis contente de ce que je vois : le maquillage est très naturel, je ne suis pas complètement déguisée même si j'ai un peu ce sentiment. On me reconnaît : c'est Skyler en version améliorée, pour ce qui est de l'apparence. Concernant le caractère, Carla n'est pas au bout de ses peines. En réponse à ses conseils, je lui claque que je ne pardonne jamais et qu'il n'y a rien à comprendre à la trahison de Sasha et Blaze, si ce n'est que je suis une pauvre conne. Plus patiente qu'il n'y parait, la Serpentard poursuit sa réflexion et me partage son expérience. Ses paroles résonnent en moi, évidemment. Je suis malgré tout très bornée et fière, un couteau dans le dos suffit à mettre un terme à toute relation, amicale comme amoureuse. Je ne fais pas autant de distinction entre amie et amoureux qu'elle. Pour moi, ils sont responsables à part égale de mon malheur. « Ils sont fautifs, tous les deux. » C'est d'ailleurs ce que j'exprime à Carla. Je n'ai pas envie de chercher à comprendre, en partie pour me protéger. Je refuse de voir plus loin que ce bisou sur la photo. Si je le faisais, que découvrirais-je ? Que leur relation dure depuis des mois ? Qu'ils se sont bien foutu de ma gueule ? Je ne peux le tolérer, je refuse même de l'envisager. « Il n'y a aucune explication à avoir, je mettrai un terme à tout ça dans la journée. » Comprenez que je compte larguer Blaze dès que l'occasion se présentera et sans perdre de temps avec des explications. Quant à Sasha, elle n'aura droit qu'à un mur d'indifférence et de froideur. Je leur ai trop donné, à tous les deux, et les remerciements que j'en ai sont éloquants. Je ne leur adresserai plus jamais la parole.

Parler de tout ça me remue plus que je ne veux bien l'avouer. Je préfère chasser l'inconfort que me procure cette conversation en y mettant un terme. Etonnement, je suis largement plus à l'aise lorsque nous parlons mascara et futilités. Je lève les bras afin que mes mains puissent défaire l'élastique qui retient mes cheveux en queue de cheval. Je n'ai pas pris la peine de les brosser ce matin, ils sont donc remplis de nœuds. Au terme d'un certain effort, ma crinière est libérée : elle tombe en cascade dans mon dos. La négligence que je porte à mes cheveux me donne un côté sauvage que j'aimais bien jusqu'à présent. Maintenant, j'ai plutôt envie d'en faire un véritable atout à la hauteur de l'amour que je leur porte. Carla accepte sans se faire prier tout en me gratifiant d'un compliment sur mes cheveux. Celui-ci fait mouche et me tire un sourire franc. C'est vrai que je l'adore, ma masse capillaire. Au moment même où je me disais ne pas être contre des astuces pour prendre soin de mes cheveux, sans pour autant le formuler à voix haute, Carla semble lire dans mes pensées. Elle me parle d'une lotion capillaire que je ne connais pas. Un démêlant serait exactement ce dont j'ai besoin pour discipliner ces mèches rebelles. « Non, j'connais pas. On trouve ça où ? » Une autre question me brûle les lèvres mais je la garde pour moi, par fierté. Si je demande le prix, Carla comprendra aussitôt que je n'ai pas des moyens illimités et ça, c'est hors de question. Je n'ai pas honte d'où je viens ni des revenus de mon père mais je refuse que l'on me prenne en pitié. Carla se met à me brosser les cheveux avec douceur. Je me surprends à aimer ce moment, même si je grimace parfois lorsque la brosse rencontre un nœud. Le geste de la septième année est presque maternel et ressemble à tout ce que je n'ai jamais connu étant enfant. Mon père ne s'embarrassait pas avec les coiffures élaborées et, d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours porté cette queue de cheval. Il est peut-être temps de changer, après tout. Nous restons ainsi, silencieuses, un bon moment. Les gestes réguliers de Carla m'apaisent et je reprends du poil de la bête. « Je crois que ça va mieux, merci. » Je suggère à demi-mot qu'il est temps pour nous de sortir de là. Une absence prolongée couplée à des toilettes mystérieusement fermés pourrait paraître suspecte. Les remerciements ne sont pas de trop : Carla a fait des miracles, je ressemble vraiment à une fille. Mes cheveux sont encore électriques à cause des coups de brosse mais ils sont aussi devenus soyeux. Surtout, l'aide psychologie de la blonde n'était pas de trop. Me serais-je trompée sur son compte ?