Ces premiers jours à Poudlard après un repos qui n’avait que peu duré étaient déjà des plus mouvementés. Les vacances étaient passées bien vite, il était largement temps de se remettre au travail et de remettre en place l’ordre et la discipline. Avec la rentrée, son lot de changement et de nouvelles têtes, ce qui n’était pas pour plaire à la Nordique. Qu’en avait-elle à faire des niaises personnes choisies pour faire cours au château ? Elle ne s’occupait que de son cours à elle, pas des autres. Et elle n’avait pas envie qu’un autre professeur vienne mettre son grain de sel dans sa manière d’enseigner.

Le repos de son hibou était aussi terminé, en l’espace de quelques jours, Thorstein en avait reçu bien trop à son gout. En commençant par une demande surprenante venant d’un élève qu’elle pouvait situer grâce à son niveau des plus déplorables en sa matière. Mais le fait qu’il se tourne de lui-même vers elle pour obtenir de l’aide pour combler ses lacunes avait grandement joué en sa faveur. C’est pourquoi elle avait accepté de lui donner sa chance. Une seule chance de lui montrer qu’il n’était pas un mou de la baguette et qu’il avait assez de cran pour endurer des leçons particulières. Sans quoi, il subirait son courroux, c’était évident. Dans la foulée, elle avait également reçu une lettre de la famille Avery pour annoncer de futurs épousailles. Intéressant et débile, la lettre avait fini au feu avant qu’elle ne la lise jusqu’au bout. Qu’en avait-elle à faire des mariages entre élèves du château ? Elle était leur professeur, pas leur nourrice. Et encore moins une amie de la famille. Si elle devait venir pour chaque mariage, elle n’en aurait jamais fini de ces mondanités déplaisantes et inutiles. Le mariage, encore un truc de faibles et d’idiots.
Le pire courrier était sans nul doute une enveloppe fleurie et colorée. Sans même l’ouvrir, un coup de baguette avait suffi à enflammer l’enveloppe et à la réduire en cendres. Elle avait appris plus tard qu’il s’agissait d’un courrier venant de nouveaux professeurs pour l’inviter à une soirée du personnel. Et puis quoi encore ? Elle ne les connaissait pas et elle n’avait pas envie de les connaitre. Elle avait fait une seule soirée du personnel, c’était largement assez. Pour le reste, elle avait déjà Siwan, ça lui suffisait grandement.

Entre temps, elle avait reçu une réponse de Junior, et si elle avait ouvert son courrier dans la Grande Salle, il aurait probablement pris sa réponse en pleine figure. N’avait-elle pas dit qu’il ne fallait pas lui faire perdre son temps ? Il n’y avait aucune doute que la première leçon concernerait l’utilité. Elle n’attendait aucune réponse à ses courriers. Elle ne posait pas de question, elle ordonnait. Il voulait une chance ? Ce serait à l’heure et à l’endroit qu’elle aurait décidé. S’il ne venait pas, tant pis pour lui. Non seulement elle le punirait pour lui avoir fait perdre son temps si précieux, mais en plus, il manquerait une grande chance de s’améliorer un jour, c’était indéniable. Qui donc sinon elle serait le mieux placé pour le faire progresser ? De gré ou de force, il progresserait. Il ne tenait qu’à lui que ça se passe pour le mieux.

Et pour terminer la série de courrier, un petit mot de la part de Mansfield, lui demandant de lui apprendre quelque chose. Il n’était pas rare qu’il fasse appel à elle pour des informations ou leçons concernant un sujet bien particulier. Il ne tiendrait qu’à lui de la convaincre du bien fondé de la leçon et du pourquoi il était nécessaire qu’elle le lui apprenne. Elle lui avait répondu avec une heure et un endroit, et le moment était venu. Assise derrière son bureau, la grande blonde avait les yeux fixés sur la porte. Il était dix-sept heures trente précise, l’arrivée du jeune homme devait être imminente. Et elle attendait patiemment de savoir ce qu’il allait lui servir comme explications. Il n’était pas avare de créativité et d’imagination, c’était un élève studieux, malin et intelligent. Et qui savait utiliser son intelligence pour servir ses intérêts et ceux de son cercle d’amis. Que manigançait-il encore ?

A dix-sept heures trente très précisément, des coups contre la porte se firent entendre. Il ne la décevait jamais avec sa ponctualité, toujours parfaitement à l’heure, réglé comme une horloge. C’était parfait. Mais elle n’en attendait pas moins, comme toujours également. Elle n’allait pas non plus le féliciter d’être à l’heure, c’était une règle de base tout de même, et une marque de respect, aussi.


« Entrrrez. »


Avait-elle répondu assez fort pour être entendue. Le jeune homme était entré, elle ne l’avait pas quitté des yeux, n’avait même pas cillé. Assise confortablement sur sa chaise de bureau, elle était droite comme un i, ses yeux d’un bleu perçant regardant droit devant elle le nouveau venu. Toujours ce même petit sourire si caractéristique chez cet élève. Rien n’avait changé.


« Monsieur Mansfield. » Le salua-t-elle en retour avec un mouvement de tête.


Quelle histoire abracadabrante allait-il lui servir encore ? Elle n’eut pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que ses bonnes vieilles habitudes de bavard le reprenait. Il ouvrait la bouche pour la remercier d’avoir accepté, ce qui lui fit hausser un sourcil. Elle n’avait rien accepté du tout, pour l’instant. Elle lui accordait simplement un temps pour déposer les raisons pour lesquelles il voulait qu’elle l’aide. Elle trancherait la question à la fin de sa plaidoirie.


« Comme vous le savez » et elle insista un peu sur ce mot « Je n’ai rrrien accepté, si ce n’est d’entendrrre vos arrrguments pour que j’accède à votrrre demande, ou non. »


Il ne fallait pas qu’il se sente pousser des ailes trop vite. Elle pouvait fermer les yeux sur certaines bêtises, cela ne lui donnait tout de même pas tous les droits, encore moins dans son bureau à elle. Mais il devait en être parfaitement conscient, elle en était certaine.
Il la questionna alors sur le type d’histoire qu’elle voulait entendre, lui laissant même le choix. Ambitieuse, romantique ou amusante.


« La plus honnête. Et celle qui serrra la plus susceptible de me convaincrrre, Monsieur Mansfield. » Trancha-t-elle.


Elle lui fit un geste de la main pour lui indiquer une chaise devant son bureau. Il n'allait quand même pas rester planté là pendant leur entretien.


« Installez-vous. »


Ses yeux bleus le scrutèrent un instant, le passant comme aux rayons X.


« Vous profiterrrez d’êtrrre dans les histoirrres pourrr me rrraconter ce qu’il s’est passé lorrrs du prrremier courrrs d’Etudes des Moldus. »


Elle avait en effet eu vent d’un incident un peu particulier qui lui avait clairement mis la puce à l’oreille lorsqu’elle avait appris le vilain tour qui avait été joué. Elle n’avait pas été surprise qu’il puisse y avoir du chahut dans une autre classe. A force d’être trop laxiste et pas assez sévère, voilà ce qui arrivait. Ce ne serait jamais arrivé dans sa classe à elle, sans doute auraient-ils eu peur de finir pendu par les pieds au milieu de la Grande Salle, tels des vulgaires morceaux de gibiers après la chasse.

La liste d’honneur de Thorstein était toujours à double tranchant. Cette liste ne concernait que ceux qu’elle considérait comme l’élite de ses cours, ceux dont le potentiel était particulier, ceux aux capacités particulièrement élevées. Ils n’étaient pas si peu nombreux sur cette liste pour rien. Et être inscrit sur cette liste pouvait offrir quelques privilèges. Comme d’échapper à des retenues ou à des pertes de points trop importantes, tout dépendait de l’infraction. Tant que ça ne la concernait pas, déjà, c’était un risque en moins de passer un sale quart d’heure. Mais en échange des privilèges, il y avait une attente d’excellence. Il s’agissait de ne jamais la décevoir, de se montrer à la hauteur à tout moment. Aucune autorisation de faiblesse. Aucune marque d’attention vraiment notable, mais au moins, ils n’étaient ni humiliés, ni fustigés sur la place publique. Avantage et inconvénient, cela allait toujours de pair. Le jeune homme présent dans son bureau ce soir ne faisait pas exception à la règle.

De brèves salutations, et déjà, le vif du sujet était lancé. Il ne s’agissait pas d’y passer des heures et de lui faire perdre son temps si précieux. Elle lui fit un geste et lui donna l’ordre de s’asseoir. Les conversations sérieuses devaient se faire les yeux dans les yeux. Elle embraya d’ailleurs sur un autre sujet, puisqu’ils étaient dans les histoires. Elle avait appris lors d’un bref passage dans la salle des Professeurs que l’un de ses collègues avait été la victime d’un chahut un peu particulier. Une attaque d’origamis venant des livres eux-mêmes. Blaze n’en étant pas à sa première tentative en terme de magie avec des origamis, il n’avait pas fallu longtemps à ce que la Nordique ne comprenne qui avait pu faire ça. Elle savait pertinemment, puisqu’elle l’avait elle-même aidée lorsqu’il avait voulu jouer un mauvais tour au conseiller d’orientation. C’était une signature des plus évidentes pour elle. Mais ça le serait également pour ceux qui en avaient déjà fait les frais et qui avaient pincés le jeune Serdaigle.

Il lui avait parlé de problème de matériel, comme un disfonctionnement dans les livres du cours d’Etude des moldus. Elle haussa un sourcil, les yeux toujours résolument fixés sur l’aiglon. Il savait pertinemment qu’elle ne goberait jamais un mensonge aussi grossier. Et il embraya, jetant des fleurs à l’auteur de fait, lui-même. Sans se désigner toutefois.


« Ou un imprrrudent qui s’est, à forrrce, crrréé une signaturrre rrreconnaissable. »


Elle lui lança un regard appuyé, tout deux savait ce qu’elle voulait dire par là. Il n’y avait pas besoin d’en parler plus longtemps, ils avaient un autre sujet plus urgent, pour ce soir. Une main sous le menton, elle écouta attentivement ce qu’il avait à lui dire sur les raisons qui nécessitait de recevoir un apprentissage si particulier. La question qu’il posa n’était pas anodine. Elle était réfléchie, il y avait là derrière une réflexion poussée, et un projet sans doute.


« Vous semblez beaucoup vous intérrressez au sujet des loups-garrrous. Pourrrquoi cet intérrrêt ? »


Elle n’oubliait pas la lettre qu’elle avait reçue l’an dernier où il lui avait déjà posé de nombreuses questions sur les loups-garous. Il portait un trop grand intérêt à ce sujet pour qu’il ne s’agisse là que d’une curiosité quelconque sur le sujet.


« Et la deuxième rrraison ? »


Après tout, il lui avait bien parlé de deux raisons. La question du loup-garou en était une. Quelle était donc la deuxième ?

La signature. Voilà comment se faisait pincer certaines personnes lorsque la Nordique travaillait encore comme Tireuse de baguette d’élite. L’observation était toujours le maitre mot. Il n’y avait jamais aucune coïncidence, il ne fallait jamais rien laisser au hasard. Et au fil du temps, une routine s’installait, des points communs. Trop communs pour ne pas être suspect. Et voilà qu’une signature se créait. Les tueurs en série étaient de cette trempe. Le Modus Operandi restait le même pour chaque victime, ce qui permettait même des années plus tard d’identifier le coupable. Ou parfois un fanatique un peu trop impliqué. Il en était de même de la situation présente. Si le Mansfield ne voulait pas être connu et reconnu pour cette signature en origami, mieux valait qu’il trouve d’autres idées pour chahuter durant les cours de ses … collègues. Le mot était un peu trop fort. Elle n’en considérait que très peu comme étant dignes d’être appelé ainsi. Pour la plupart, il s’agissait de guimauves humaines qu’elle se tardait de mettre sur une pique avant de les plonger dans un feu ardent.

Aussi, l’enseignante ne se gêna pas pour le lui dire clairement alors que le jeune homme jetait justement des fleurs à l’auteur des faits. Une petite piqure de rappel ne faisait jamais de mal. Pas même à des garçons intelligents comme lui. Mais la piqure était faite, la conversation pouvait en rester là. Après tout, il y avait une justification à faire, une argumentation même, pour Lui. Et un choix, pour Elle.

Blaze commença. Thorstein le regardait droit dans les yeux, la main sous le menton. Deux raisons furent évoquées de prime abord, mais une seule explicitée. La blonde se pencha d’abord sur la première. Ce n’était pas la première fois que Blaze abordait avec elle le sujet des loups-garous, il allait falloir creuser un peu tout ça. Attentive aux explications du jeune homme, elle attendit que tout son speetch soit terminé avant de se redresser un peu, retirant sa main de son menton pour la poser sur l’accoudoir de son siège.


« Et que pense Miss Shepherrrd de vos idées expérrrimentales ? »


La principale concernée n’était pas là, après tout. Et si Thorstein n’avait rien contre les expériences, elle n’était pas persuadée du bien fondé de cette soudaine envie de plonger une adolescente dans un souvenir pour la transformer en bête. La transformation en loup-garou n’était pas des plus agréables, de ce qu’elle avait entendu. Mais elle n’en avait jamais fréquenté personnellement, elle ne pouvait donc pas savoir avec certitude.
La magie des souvenirs n’était pas non plus le sujet sur lequel elle avait le plus d’informations. Elle savait le faire. Mais l’idée de Blaze était complexe, un brin farfelue aussi. Était-il prudent d’apprendre à un jeune homme, celui-là en particulier, à sortir les souvenirs pour les falsifier ? Surtout qu’il avait annoncé assez clairement ses intentions. Au risque qu’il n’utilise ça à d’autres fins pour chahuter en classe en tentant de faire transformer la jeune fille devant tout le monde, ce qui amènerait une tonne de problèmes, et potentiellement des morts et des blessés.

L’enseignante le questionna sur la deuxième raison, encore non expliquée de long en large. L’attitude du jeune homme changea du tout au tout. Le sujet devait sans doute être bien différent de sa première longue explication. Et lorsqu’il eut terminé, la blonde ne put que lever un sourcil, ses iris glacés toujours sur l’aiglon. Il ne la regardait plus, mais ça n’avait aucune importance, elle était sure qu’il pouvait sentir ses yeux sur lui. Un bijou, donc.


« Frrrivolité. » Conclu-t-elle simplement, de manière sèche.


Le romantisme, les bijoux… Tout ça n’avait aucun intérêt aux yeux de l’enseignante de DCFM. Comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs.

Un psychopathe, voilà ce que le jeune homme prétendait ne pas être. Pour l’instant du moins. La justification qu’il fit après semblait être évidente. Mais il ne répondait pas à sa question. Celle-ci étant de savoir ce que la jeune Shepherd pensait de ces propositions d’expériences. Etant le sujet principal, il était important d’avoir son avis sur la question, déjà. Dans un coin de sa tête, elle nota de convier la jeune Poufsouffle à un entretien, afin de pouvoir parler de cela avec elle. Sa décision ne pourrait être prise avant.

Toutefois, la deuxième raison évoquée ne jouait pas en la faveur de celui qui se trouvait devant la Suédoise. Le romantisme, l’amour, les cadeaux… Tout ça n’était pas au gout de la Thorstein. Et elle se refusait à transmettre son savoir pour de telles raisons, même si elles n’étaient pas les seules. Son ton sec montrait clairement sa désapprobation, son regard un peu plus froid aussi, d’ailleurs. Un nouveau haussement d’épaules de la part du bleu. Il avait terminé. Tant mieux, elle avait autre chose à faire. Et c’était bientôt l’heure de souper, en plus.


« Bien. Vous pouvez y aller, Monsieur Mansfield. Je vous ferrrai connaitrrre ma rrréponse en temps voulu. »


Elle fit un geste de la main vers la porte, lui indiquant une sortie qu’il connaissait déjà. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait en entretien particulier avec l’enseignante de DCFM. Elle attendit sans un geste ni un mot qu’il se lève et qu’il s’en aille. Sans doute avait-il pu sentir ses yeux glacés dans son dos pendant qu’il rejoignait la porte. Lorsque celle-ci fut fermée, l’enseignante prit note sur un parchemin de l’entretien qu’elle venait d’avoir. Son rapport terminé, elle le glissa dans l’un de ses tiroirs avant de se lever à son tour et de se diriger elle aussi vers la sortie.