Depuis le début, j'aurais dû flairer l'embrouille. Sans déconner, quelle était la probabilité pour que je me plante dans l'envoi de mon courrier et que la personne me réponde gentiment pour me faire part de mon erreur ? Et encore, à la limite pourquoi pas. Il faut être optimiste et croire que des gens désintéressés et gentils existent encore dans ce monde. Mais alors, le fait de me confier à cette personne sans rien savoir d'elle, là on nage carrément en plein délire ! Je pense que cette correspondance est tombé au moment où j'étais un peu en perdition. Résultat : j'ai déballé mon sac à une parfaite inconnue. Bravo Skyler, décidément tu enchaînes les conneries en ce moment. J'en viens même à me demander si la personne n'a pas fait exprès de récupérer mon courrier pour Cameron afin de faire passer ça pour une erreur et pouvoir entrer en contact avec moi. Je suis certaine que cette grosse pute de Jade est capable d'une entourloupe pareille. Ça se trouve, depuis le début je parle à cette guenon en lui confiant mes déboires avec Blaze. Bordel, heureusement que je n'ai pas donné de noms. En fait tous mes problèmes découlent d'une seule et même personne : Blaze. C'est à cause de lui que j'ai tout balancé à Sasha, à cause de lui si Jade est dix fois plus infectes avec moi, à cause de lui si je me suis brouillée avec Misha, à cause de lui si on se fait la gueule avec Cameron, à cause de lui si je me sens fragile, à cause de lui si j'ai paniqué sur la plage et maintenant à cause de lui si je parle à cette meuf, si c'est vraiment une gonzesse. En résumé, Blaze est la source de tous mes ennuis et, malgré cela, je n'arrive pas à quitter ce couillon. La plaie.

En admettant que ce n'était déjà pas une immense erreur de correspondre avec une personne dont je ne connais que l'initiale et les frasques amoureuses, j'imagine que nos échanges auraient pu demeurer épistolaires. Mais bien sûr, il a encore fallu que les choses se corsent. Ma correspondante veut me voir et m'a donné rencard devant le centre, aujourd'hui. Vous voyez les emmerdes venir ? Bah ouais, je suis en plein dedans. Volontairement, je n'ai pas répondu à sa dernière lettre pour laisser planer le doute. Elle ne sait pas si je suis du voyage mais moi je sais qu'elle en fait partie et j'ai mené mon enquête. Si tant est que C soit bien son initiale, qu'elle ne joue pas au Quidditch et qu'elle est blonde, il ne me reste que très peu de possibilités. Trois personnes demeurent sur ma liste : une Serpentard et deux Serdaigles. Il ne manquerait plus que C soit de ma maison - surtout si c'est celle à qui je pense - et c'est la cerise sur le gâteau ! L'avantage que j'ai sur elle, c'est que peu importe les détails que je donne sur mon identité, il y aura toujours une autre future cinquième année à Serpentard qui joue au Quidditch et dont le prénom commence par un S : Sasha. Forte de la certitude de ne pouvoir être démasquée et ayant grand besoin de me distraire dans cette contrée de malheur, j'ai quand même décidé de me pointer au rencard. Cela ne m'engage à rien et, au mieux, je découvre l'identité de ma mystérieuse correspondante.

A l'heure indiquée, je me pointe à l'endroit où doit se trouver l'énigmatique C. Je sais juste que je dois attendre une blonde qui fait potentiellement partie de ma liste réduite de suspectes. Pour mener à bien ma filature, j'ai décidé d'être la plus basique possible dans mon apparence (ce qui ne change pas tellement de d'habitude). Me voilà donc, avec une queue de cheval bien serrée et un sweat gris clair extra large pour seul vêtement, en train de pianoter négligemment sur mon portable, écouteurs dans les oreilles. Installée à mon poste d'observation, je scrute aussi discrètement que je peux les personnes présentes. Rapidement, une personne attire mon attention. Une personne qui remplit beaucoup trop de critères pour que ce ne soit qu'une coïncidence. Une blonde avec une robe rouge criarde, qui reste plantée là depuis plus de cinq minutes. Une meuf qui semble attendre quelqu'un. Une nana assez âgée pour correspondre au profil qui se trouve sur ma liste de suspectes. Une fille dont l'initial est bien la troisième lettre de l'alphabet : Carla Yaxley. La surprise me fait m'attarder sur elle. Non, ce n'est pas possible, je ne peux pas parler depuis plusieurs mois à cette pimbêche ! Cette sale extrémiste bourge à la botte des Sorensen n'a rien à voir avec la C plutôt douce et compréhensive que j'ai eu par écrit. Bordel, y'a une putain d'erreur, on m'a fait une caméra cachée, c'est obligé ! Étonnée, je fixe la Serpentard une seconde de trop et la voilà qui lève la tête. Nos regards se croisent et, même si je ne suis pas certaine que ça signifie quelque chose pour elle, pour moi c'est déjà trop. La relative sûreté dans laquelle je me trouvais vient de voler en éclat. Je n'ai plus rien à foutre ici et surtout, je me sens en danger. Ni une, ni deux, je tourne les talons, sur le point de fuir une énième situation angoissante et périlleuse en ce début de vacances. C'est clairement le séjour de l'enfer, à tous les niveaux.

Je m'étais attendue à tout, sauf à ça. Parmi tous les scénarios que j'ai pu échafauder en gambergeant sur cette rencontre - et Merlin sait qu'ils sont nombreux - rien ne me préparait à faire face à Carla Yaxley. Et pourtant, maintenant que mes yeux se posent sur elle, toutes les pièces du puzzle s’emboîtent comme par magie (applaudissez le jeu de mot). Elle connaît Maxwell parce qu'elle est sortie avec lui. Difficile de l'oublier, on les croisait en train de se galocher à tout va, fut un temps. Je repense à tous les détails qu'elle m'a donné sur cet ancien petit ami qui lui faisait du mal et j'ai l'impression que tout coïncide avec Carter. C'est tellement évident que je me demande même comment j'ai fait pour ne pas le deviner plus tôt. Pendant que les rouages de mon cerveau tournent à plein régime, mes yeux restent fixer sur Carla. Son regard vert vient alors croiser le mien et les emmerdes commencent sérieusement. Il ne me faut qu'une fraction de seconde pour savoir qu'elle a comprit. Je me suis livrée bien plus dans ces lettres qu'avec n'importe qui et la blonde ne tardera sûrement pas à faire le rapprochement avec Blaze, comme je viens moi-même de le faire avec Maxwell. Je ne veux pas que ça arrive, je refuse de passer pour une gamine pleurnicheuse qui n'a rien trouvé de mieux que de demander des conseils amoureux à une parfaite inconnue, qui fréquente de surcroît un attardé comme Finnbjörn Sorensen. Sans demander mon reste, je tourne les talons. Avec un peu de chance, chacune de nous oubliera ce moment gênant et fera comme si jamais rien ne s'était passé.

La chance n'est décidément pas à mes côtés pendant ce voyage, la preuve s'offre encore à mes yeux aujourd'hui. Les écouteurs toujours vissés aux oreilles, je marche d'un pas décidé, soucieuse de mettre le plus de distance possible entre elle et moi. Je n'ai pas mis de musique et n'ai donc aucun mal à entendre des pas qui se rapprochent de moi, me faisant accélérer la cadence. Pourtant, je ne cours pas : hors de question de donner l'impression de fuir, bien que ce soit exactement ce que je suis en train de faire. Une main se pose sur mon épaule alors que j'entends distinctement mon prénom. C'est bien la première fois en cinq ans que cette pouf' m'adresse la parole. Je me retourne donc, préférant affronter mon adversaire que de passer pour une lâche. Je dégage rageusement mon épaule de son emprise. Rien que ce contact suffit à me dégoutter. Nous voilà donc face à face et je me rends compte que nous faisons à peu près la même taille. Au moins, elle ne pourra pas me regarder de haut avec son mépris habituel. Face à mon silence, Carla m'interroge sur mon identité. Comme si j'allais effectivement lui confirmer que je suis bien S, sa correspondante. Je m'en tape qu'elle me trouve des ressemblances avec la personne à qui elle écrivait, il est hors de question que je lui confirme quoi que ce soit. La blonde se mord la lèvre, visiblement mal à l'aise, mais moi je reste stoïque. Mon regard est dur, froid et en dit long sur ce que je pense. Pour le reste, je m'entête à rester silencieuse. La grande Carla et sa cour ne m'ont témoigné que du mépris en public jusqu'à présent, elle n'aura rien de plus venant de moi.

Les secondes s'égrainent et je commence franchement à m'impatienter. Je demeure silencieuse mais mon enquiquinante correspondante ne semble pas supporter cette absence de parole. La voilà qui tente donc de détendre l'atmosphère en parlant d'alcool. Je me rappelle alors qu'elle avait dit qu'elle en amènerait, mais je ne vois rien. L'idée qu'elle puisse pratiquer la magie sans limite, grâce à son âge, ne m’effleure même pas l'esprit. Est-ce qu'elle me voit comme une pochtrone, pour me demander de rester en utilisant cet argument ? Désolée de te décevoir, Mademoiselle l'Impératrice, mais ce n'est pas parce qu'on appartient à la classe inférieure qu'on mène une vie de débauche. Je lève les yeux au ciel, agacée, mais ne dis toujours rien. Je pourrais partir, simplement, mais à mes yeux ce serait lui donner l'avantage. J'attends donc qu'elle mette fin à cette embarrassante conversation. Et pourtant, Carla rempile en m'annonçant que c'est bizarre pour elle. Cela suffit à mettre le feu aux poudres et je lâche un rictus. « Effectivement, ça doit être teeeeeellement bizarre de descendre de sa tour d'ivoire pour causer avec une inférieure. » Les bras croisés sur ma poitrine, je la fusille du regard. Elle passe son temps à se comporter comme une pimbêche de la pire espèce et à ne s'entourer que de sangs-purs et maintenant il faudrait que je la plaigne pour l'effort qu'elle fait pour me considérer comme un être humain ? Il y a clairement eu erreur sur la personne.

Si jamais quelqu'un me parle de cette rencontre, je nierai tout en bloc. Ce n'est qu'une affreuse erreur de navigation et la meilleure des choses à faire est de redresser la barre pour voguer vers de nouveaux horizons. D'autres navigateurs se sont plantés d'île avant moi et même si Christophe Colomb a découvert un putain de continent en se plantant, ce n'est là que l'exception qui confirme la règle. Carla Yaxley est un problème d'aiguillage qui sera bien vite réglé. Du moins, c'est ce que je pensais naïvement en lui tournant ostensiblement le dos pour prendre la poudre d'escampette. Bien vite rattrapée par ma correspondante, je me dégage avec vigueur de sa main posée sur mon épaule. Je ne fraternise pas avec l'ennemi, c'est une question de principe. Surtout, je n'ai pas de gel hydroalcoolique à disposition pour lui permettre de se laver les mains après avoir osé toucher de la vermine dans mon genre. Mes yeux lancent des éclairs et je ne me prive pas de lui envoyer par la figure ce que je pense de son comportement habituel. Du moins, du peu que j'ai pu en apercevoir. Je ne suis absolument pas objective dans ma critique et j'ai même un sérieux parti pris mais mes rancœurs envers les sangs-purs sont tenaces. Qui plus est, Carla fréquente absolument toutes les personnes que je déteste : les Sorensen, Junior ... peut-être même qu'elle est amie avec Bluebell. Pour cette dernière, je n'en sais rien mais même si c'était le cas, à mes yeux c'est la plus fréquentable des quatre. Et je ne dis pas ça seulement parce que je la fréquente par obligation chaque nuit depuis trois ans.

Bien que je puisse trouver quasiment tous les défauts du monde à cette blonde pimbêche, je ne peux nier qu'elle a du répondant. A peine ai-je terminé de lui demander si elle ne se sent pas mal de m'avoir adressé la parole en public, la voilà qui contre-attaque aussitôt. Si Carla croit me blesser en m'attaquant sur ma solitude habituelle, elle se trompe de cheval. C'est vrai que je n'ai pas un cercle d'amis fourni et que je parle peu mais c'est bien parce que je le veux : je me suffit amplement à moi-même. Je n'ai besoin de rien ni de personne pour exister et avancer dans la vie. Qui Carla croit-elle impressionner en s'affichant avec Finnbjörn Sorensen ? J'ai crû comprendre que la bourgeoisie sang-pur se complaisait dans le jeu des apparences, c'est d'ailleurs ce qui transparaissait aussi dans ses lettres, en y réfléchissant. Je suis dans le vrai, le concret : les apparences, très peu pour moi. Nous n'avons décidément rien à faire ensemble. Pourtant la septième année renchérit et j'ai comme l'impression d'avoir ouvert les vannes de sa parole en l'attaquant frontalement. Un flot de mots s'échappe de sa bouche, m'accusant d'être aussi hypocrite et superficielle que tous les autres teubés de ce château. Je fronce les sourcils, unique expression de mon agacement nouveau. Je n'arrive pas à cerner cette nana. Si elle feint sa déception, alors c'est une très bonne actrice. Mais pourquoi serait-elle déçue ? Elle devrait être dégoutée, morte de honte voire même menaçante. Je peux la faire tomber avec ce que je sais sur elle. L'inverse est-il vrai ? J'en suis moins sûre. Je ne lui ai parlé que de Blaze et nous sortons plus ou moins officiellement ensemble. Je n'ai donc pas grand chose à cacher. Alors pourquoi est-ce qu'elle s'accroche à moi comme une sangsue ? « Crois c'que tu veux. » Je lâche cette parole du bout des lèvres. Qu'est-ce que son avis peut me foutre ? Moi seule sait qui je suis et ça me suffit pour éviter de me perdre. Les autres, c'est du superflu.

Les bras toujours croisés sur ma poitrine, je cherche une échappatoire. Une infime partie de moi aimerait croire aux belles paroles de ma toute aussi charmante interlocutrice. Cette partie se rappelle des lettres et de cette plume attentive, toujours prête à donner des conseils avisés. Grâce à elle, j'ai accepté de revoir Blaze et maintenant j'ai un copain. Mais suis-je si reconnaissante ? Etre en couple me semble parfois plus un fardeau qu'une bénédiction. A travers cette relation épistolaire, j'avais presque l'impression d'avoir trouvé une personne sincère. Un peu comme une grande soeur ou même une ma... Non, c'est totalement con. Cependant je suis là et je reste alors que, dans d'autres occasions, tourner les talons sans un mot ne m'aurait pas dérangé. Quelque chose me contraint à rester, à entendre ce que cette mystérieuse correspondante a à me dire oralement. Cela ne se fait pas attendre : Carla se radoucit et emploie un ton plus mélancolique. Elle ne retrouve pas l'autrice de mes lettres en moi. J'ai apparemment beaucoup plus de défauts : je suis bornée et je n'essaie pas de me mettre à sa place. C'est vrai et c'est précisément parce qu'elle connaît désormais mon identité. La carapace a repris le dessus. « Et qu'est-ce qu'il y a à comprendre ? » Toujours froidement, j'ose pourtant une question. S fait aussi partie de moi et malgré tous mes efforts pour être la plus exécrable possible, je ne peux pas la faire disparaître. J'aimerais effectivement comprendre ce qu'une meuf comme elle veut à une meuf comme moi.

Bornée, je le suis et ce trait de caractère s'amplifie si l'on me braque. C'est précisément l'erreur qu'est en train de commettre Carla. Elle n'aurait jamais dû essayer de me tenir, elle n'aurait même jamais dû me proposer cette rencontre. C'était utopique de croire que notre relation pouvait rester la même, une fois face à face. La révélation de nos identités nous renvoie en pleine gueule nos préjugés, nos rancœurs et simplement notre manière de pensée, dont nous pouvons parfois être prisonniers. Je l'admets : je suis entière et assez catégorique dans mon jugement. Pour certains le monde n'est ni tout noir, ni tout blanc mais moi, j'essaie autant que possible de me conformer à ces deux catégories. Mettre des étiquettes sur les relations, les gens, me permet d'anticiper les choses et me rassure. Blaze est l'exception à tout ceci : il me fait perdre pieds et la tête aussi. Mais Carla n'est pas Blaze : Carla est une petite peste de sang-pur qui se croit mieux que les autres, comme tous les sangs-purs. Cala est tout ce que je déteste. Pourtant, je me surprends à lui laisser une chance en la questionnant sur ce que je dois comprendre. Peu encline à me remettre en question habituellement, j'accepte cette fois-ci de me mettre à sa portée. Mal m'en prends. C'est par des devinettes que la blonde me répond. Peut-être qu'elle est comme C, peut-être pas. Chercher à savoir, n'est-ce pas exactement ce que je suis en train de faire ? Je déteste que l'on me force la main et, surtout, que l'on ne note pas mes efforts. Pourtant, ils sont considérables en ce moment. La preuve, je suis toujours là.

Les bras croisés, les sourcils froncés, je ne réponds rien. Économe dans mes paroles, j'analyse soigneusement celles de mon interlocutrice. Elle s'emballe, en dit peut-être plus qu'elle ne voudrait. Je suis plus mesurée, plus réfléchie. Je n'arrive pas à savoir si Carla s'emballe parce qu'elle est déçue ou bien dégoûtée. J'imagine que le simple fait de me voir respirer lui donne la nausée. Je ne vais pas m'en excuser ni baisser les yeux devant elle. Qu'est-ce qu'elle cherche exactement, en restant devant moi ? Est-ce qu'elle attend ses petits copains pour m'humilier ? Je réalise soudain qu'aucun Sorensen n'est présent au voyage, pas plus que les Sherwin ou cette tête de fouine d'Archambault. C'est peut-être ça le truc : Carla veut peut-être se distraire et passer le temps avec moi. Comme c'est commode de se faire passer pour la gentille quand on est toute seule. Nul doute qu'à la rentrée, elle ne sera à nouveau que la peste pourrie gâtée et extrémiste qu'elle a toujours été. Ce trait de sa personnalité resurgit d'ailleurs quand Carla prend à nouveau la parole. Des mots piquants sont prononcés et je retrouve l'égocentrique sang-pur qui partage ma salle commune. Chassez le naturel et il revient au galop. Cela suffit à me mettre encore plus en rogne que je ne l'étais. « Arrête de prendre ce ton hautain avec moi. T'es personne. » Je suis calme mais glaciale comme la couleur de mes yeux. Des yeux qui lancent actuellement des éclairs, seuls reflets de la colère qui m'anime. Je reste stoïque mais la Serpentard est doucement en train de me pousser à bout. Qu'elle ne cherche pas à me rabaisser davantage ou ça risque de mal finir pour elle. Tant pis pour les conséquences, je les assumerai.

Carla n'est personne à mes yeux, tout comme aux yeux du monde. La prétendue pureté de son sang ne lui confère pas une quelconque valeur. Je n'ai pas à faire la révérence devant elle, tout comme elle estime ne pas avoir à quémander mon attention. La blonde a une haute estime d'elle-même et j'en ai tout autant pour ma personne. Ce qui s'annonçait comme une rencontre amicale puis comme une erreur de parcours est en train de se transformer en une bataille d'ego. Je ne ferai rien pour arrêter ça car je ne compte pas plier devant elle. Le contenu des lettres semble bien loin, tout à coup. Pourtant, Carla décide de l'évoquer en m'annonçant qu'elle ne compte rien raconter concernant mes écrits. Je suis un peu surprise mais j'essaie de feindre au mieux l'indifférence. « Je n'suis pas inquiète. J'ai rien à cacher, moi. » Elle n'a pas d'emprise sur moi ou, du moins, c'est ce que j'essaie de lui faire croire. J'ai un peu appuyé sur le "moi", sous-entendant qu'elle avait plus à perdre que moi dans l'histoire. Je ne sais pas si c'est tellement vrai mais, en ce qui me concerne, elle ne sait pas grand chose de plus que les autres maintenant que mon couple avec Blaze est relativement officiel. Enfin, la Serpentard m'annonce qu'elle me laisse libre champ pour raconter ce que je veux sur elle. Là, je ne dissimule pas mon étonnement. Elle dit se ficher des rumeurs mais ce n'est pas totalement ce qu'elle écrivait dans ses lettres. Quant au fait que ça me fasse plaisir d'alimenter les rumeurs, elle se fourre le doigt dans l’œil. « C'est pas mon genre. » J'annonce sans détour. N'a-t-elle rien retenu de mes écrits ? Je suis bien la dernière personne à colporter des ragots. Principalement parce que je n'ai pas tellement de potes à qui les raconter, mais ça Carla n'est pas obligé de le savoir. « Comme quoi, tu te plantes vraiment sur toute la ligne. » A mon tour d'attaquer, amère. En général, ça m'arrange qu'on me prenne pour ce que je ne suis pas. C'est le meilleur moyen pour que personne ne s'intéresse à ma personnalité profonde. Mais là, je ressens le besoin de rétablir la vérité : je ne suis pas une de ces pétasses qui adorent les bruits de couloirs. Je vaux bien mieux que ça, bien mieux que ce qu'elle peut bien penser de moi. Je pourrais tourner les talons, à présent, mais ma fierté m'en empêche. Je ne courberai pas l'échine devant cette enfant gâtée : si je pars, ce sera un signe de soumission. Hors de question. Je reste et si ma présence la gêne, c'est à elle de se barrer.

Cette discussion est pénible pour elle comme pour moi. C'est à se demander comment nous avons réussi à nous entendre aussi bien par écrit. Je me retrouve face à une meuf que j'ai toujours considérée comme excessivement guindée et très à cheval sur la pureté du sang. En d'autres termes (les miens), Carla est et a toujours été une grosse pouf. Les grands airs qu'elle prend avec moi actuellement consolident cet avis. Je reste très souvent campée sur mes positions. A mes yeux, la première impression est toujours la bonne. J'admets qu'il y a quand même parfois, rarement, des exceptions. Maxwell Carter, que Carla connait si bien, en fait partie. Je le voyais comme un gros con macho qui ne pense qu'avec sa bite - et je suis persuadée que ce n'est pas totalement faux - alors qu'il peut s'avérer compréhensif et serviable. Nous nous sommes échangés nos numéros au début du séjour et je peux l'appeler quand j'ai besoin de ses talents magiques ou autre. Je ne lui fais pas confiance mais je n'ai pas l'impression qu'il puisse être malintentionné. C'est comme un labrador en fait : un peu couillon sur les bords mais pas méchant. Pour ce qui est de Carla, c'est plutôt une guêpe. Genre des courbes de malade mais dangereuse : si tu t'approches trop, tu te fais piquer. C'est à se demander comment ces deux là ont pu se mancher, à une époque.

Je somme l'héritière Yaxley de redescendre d'un étage et de cesser son attitude hautaine. Je ne sais pour qui elle se prend mais ma patience a des limites. Justement, Carla me répond qu'elle n'a jamais dit qu'elle était quelqu'un. Je lève les yeux au ciel. D'accord, elle ne l'a peut-être pas dit ouvertement mais son langage corporel parle pour elle. La blonde fait a des manières qui trahissent son éducation et il ne faut pas être devin pour comprendre qu'on ne vient pas du même monde. Cette différence va au delà de la simple soit disant pureté de sang : je suis issue d'un milieu populaire et je ne crois pas me tromper en disant qu'elle représente la bourgeoisie sorcière. De toute façon, c'est le cas de tous les sangs-purs non ? Bref, la Serpentard aborde les rumeurs et je ne me prive pas de lui dire que, contrairement à elle, je n'ai rien à cacher. Ce n'est pas vrai, évidemment. Ma vie à Poudlard se résume à une immense partie de cache-cache permanent mais ça, Carla na pas besoin de le savoir. Touchée, ou lassée, mon interlocutrice semble mettre un terme à la conversation puis se ravise quand je lui balance qu'elle se plante sur toute la ligne. Finalement, j'ai peut-être touché un point sensible puisque sa parole se libère. Elle espère se planter. Puis, elle déballe des choses sur sa vie et je ne suis pas totalement certaine de comprendre le rapport. Qu'est-ce que ça peut me faire qu'il n'y ait pas beaucoup de sangs-purs dans le centre ou qu'elle soit encore à fond sur Carter ? J'veux dire, y'a plein de nanas à fond sur Carter en vrai : c'est pas (totalement) une tare. Un peu surprise voire même déstabilisée, je me relâche. Mes bras sont toujours croisés mais mes yeux ne sont plus remplis d'éclairs.

Carla déteste devoir s'expliquer et, pourtant, j'ai l'impression qu'elle ne le fait plus que de raison. Je ne comprends pas pourquoi c'est si génial qu'elle ait cherché à me rattraper et tout le reste. Finalement, je me prends encore un reproche dans les dents. Apparemment, c'est moi qui suis trop exigeante et qui ne voit pas tous les merveilleux efforts qu'elle fait pour me supporter ou je ne sais pas trop quoi. Non mais sérieux, il faudrait que je la plaigne en plus ? Carla se fourre le doigt dans l’œil. L'agacement pointe à nouveau le bout de son nez. Je ne juge pas ses actes insuffisants - bien qu'ils le soient clairement. Je juge simplement nos différences et si nous avons passé cinq ans sans nous adresser la parole, c'est qu'il y a une raison voire même des tas de raisons. Enfin, Carla m'avoue qu'elle déteste chercher mon approbation car cela signifie qu'elle est dépendante de mon jugement. « Et c'est pas le cas ? » Je lui rétorque, de but en blanc. Je ne suis pas débile, je n'ai pas oublié nos échanges épistolaires. Nous avons déjà parlé du regard des autres dont Carla est prisonnière. « T'accorde trop d'importance à l'avis des autres, j'te l'ai déjà dit. » Mon ton est sévère mais j'estime être juste dans mes propos. Elle a besoin d'être secouée et, l'espace d'un instant, j'oublie ma rancoeur envers les gens comme elle. Je ne pense qu'à C qui m'a aidée à conclure avec Blaze et qui vit à travers ce qu'on dit d'elle alors que sa vie serait tellement plus simple sans tout ce cinéma. Puis, je me rappelle que c'est une pétasse de sang-pur égoïste et pédante en face de moi. « Et j'crois d'ailleurs qu'on s'est tout dit. » Je mets le point final à cette conversation. Je ne suis pas comme sa petite cour, je ne vais pas m'agenouiller pour avoir un peu de son attention. C'est étrange comme nous nous entendions si bien avant que le poids des origines nous revienne en pleine gueule.