C'était une énorme erreur. J'ai beau tourner la chose dans tous les sens possibles, c'est une catastrophe. Jamais je n'aurais dû l'embrasser à cette soirée, devant tout le monde. D'ailleurs rectifions les choses, c'est lui qui m'a embrassé. J'ai juste un tout petit peu dit oui et sous l'emprise de l'alcool en plus. Non franchement, c'est un fiasco. Lorsque je me suis réveillée le lendemain, avec un mal de crâne affreux, les événements ne me sont pas tout de suite revenus en mémoire. Mais les regards entendus de Sasha ont accéléré la remontée de mes souvenirs. Bordel, je l'avais vraiment fait et une bonne partie de l'école était au courant. J'ai d'ailleurs cru que Cameron voulait me parler de ça quand il m'a demandé comment s'était passé ma soirée. Résultat : nous nous sommes fâchés pour une raison obscure. Sans déconner, je ne comprends pas ce qui lui a pris. J'ai fait preuve de franchise et lui m'a envoyé me faire foutre. Cette réaction m'a tellement gonflée que je n'ai même pas cherché ce qui se cachait dessous. Tout ce que je retiens, c'est que mon aveu concernant mon baiser a mis le feu aux poudres. Entre le départ de Poudlard et le début des vacances, je n'ai pas eu l'occasion de reparler à Blaze et ça m'arrange. J'avais besoin de faire le point sur la situation. Même pendant le début du voyage scolaire, nous avons fait chemin séparé et je ne m'en plains pas. J'avais d'autres soucis à régler avant celui là.

Les problème se sont, en effet, enchaînés. Je me suis engagée dans cet espèce de voyage sordide sans le moindre visage amical - à part ma mystérieuse correspondante qui n'a d'intérêt que parce que je ne le connais pas, son visage. C'était donc plutôt mal parti. Ma foi, accompagnée de mon smartphone et de ma guitare, je ne suis finalement pas si seule que ça. Ce premier souci réglé, voilà qu'on nous débarque à Swansea. Une bouffée de malaise accompagné d'une remontée de souvenirs non désirés me colle la nausée et ça me perturbe pendant tout le reste du trajet. Apothéose : je me coltine l'autre dégénérée de Jade Shepherd dans ma chambre. Cette dernière s'est d'ailleurs déjà bien faite remarquer en bousillant à moitié l'une de mes baskets. Joie, bonheur. Autant dire que Blaze fut assez rapidement relégué au rang de "problème mineur à régler plus tard." Nous ne nous étions d'ailleurs pas tellement parlé depuis l'arrivée au centre, il y a deux jours. De quoi me conforter dans l'idée que nous étions peut-être, pour une fois, sur la même longueur d'onde et que ce baiser n'incluait pas forcément une bague de fiançailles dans son sillage. Enfin ça, c'était jusqu'à cet après-midi. Le Serdaigle est venu me trouver alors que je flânais dans la cour du centre - manière poétique de décrire mon envie de mettre le plus de distance possible entre la louve et moi. Il m'a proposé de nous retrouver juste tous les deux, comme la dernière fois au lac noir. Tous mes espoirs se sont envolés : il me considérait comme sa gonzesse, c'était une évidence. « Ouais cool ... D'accord. » L’engouement n'y était pas. Etant une nana peu enjouée de base, j'imagine qu'il a pris ça pour l'expression habituelle de ma personnalité puisqu'il n'a pas fait de commentaire. En un sens, ce rencard m'arrangeait. Plus vite je mettais au clair cette histoire de couple pas couple mais un peu quand même, plus vite je pourrais chasser cet échange de salive de mon esprit. Le rendez-vous était donc pris pour le début de soirée.

Blaze m'attend en bordure de village. L'horaire de la soirée me convient à merveille puisqu'il retarde ma venue dans ma chambre. Moins de temps passé dans la chambre veut dire moins de temps passé avec l'autre garce et ses tentatives de meurtre, parfait. Les écouteurs vissés aux oreilles, je me dirige vers l'endroit que le Serdaigle m'a indiqué. Je ne tarde pas à l'apercevoir et enlève mes écouteurs au moment où il me salue. Entendre mon surnom fait apparaître un léger sourire sur mes lèvres. « Ah tu vois, tu m'appelles Sky. » Dis-je en arrivant à sa hauteur. Lui qui assurait m'appeler Skyler pour une bonne raison avait rapidement changé son fusil d'épaule. Mais je lui en avais donné l'autorisation, donc ça ne me dérange pas. Au contraire, et c'est bien ça le problème. Toutes mes bonnes résolutions de mettre les choses au clair - en d'autres mots, de quitter Blaze - me semblent bien moins solides que prévues. A la sensation de sa main qui s'approche doucement de la mienne pour la saisir, j'ai un petit mouvement de recul. Ok Skyler, détend toi. C'est donnant donnant, on a dit. Plus surprise que réellement heurtée par le geste, je laisse finalement ma main se glisser dans la sienne. Mauvaise idée : ce contact me rappelle la soirée au lac et, encore une fois, ébranle mes plans. Blaze fait une petite blague sur nos échanges de défis des mois précédents et j'avoue que ça reste de bons souvenirs. Ce n'était pas un long fleuve tranquille mais ce fut le truc le plus stimulant du dernier semestre, ce qui n'est pas rien. Enfin, il m'annonce qu'il nous a préparé une soirée cool. « Ça me changera de la chambre, c'est clair. » Dis-je, un peu amère. Je soupçonne Jade d'être aussi exécrable avec moi justement à cause de Blaze. C'est une théorie à creuser mais j'ai clairement eu l'impression qu'ils se prenaient la tête à la descente du bus, quand je leur ai jeté un coup d’œil pendant ma discussion avec Max. « On va où ? » Je finis par demande, curieuse et surtout soucieuse d'anticiper les choses. Je n'ai jamais tellement aimé les surprises.

Nous ne sommes qu'à l'orée du village et pourtant, déjà, je sens cet air marin qui m'apaise tant. Je suis une fille de la mer, je l'ai toujours été : Blaze l'a t'il deviné ? Je chasse rapidement cette pensée de ma tête, il est évident qu'il n'en sait rien du tout. J'imagine que c'est juste un concours de circonstances : il n'y a rien de plus cliché que de capter sa meuf sur une plage. L'apaisement procuré par le léger vent qui caresse mon visage ne suffit pas à me calmer. Je ne suis pas tranquille. Si j'avais aisément recalé le Serdaigle dans la catégorie "problème mineur" de mon esprit, force est de constater qu'il est revenu au premier plan par cette invitation. Je ne peux pas m’embarrasser d'un petit ami ou peu importe la relation qu'on a. Je ne sais pas si c'est officiel ni même si je ressens vraiment quelque chose pour lui. Seulement, les faits sont là. Nous nous sommes embrassés devant tout Poudlard et maintenant tout le monde croit qu'on forme une espèce de couple de chochottes guimauves. Blaze est devenu une cible pour m'atteindre et je m'y refuse. Plus vite je coupe tout rapport avec lui, mieux ce sera. Voilà pourquoi cela m'a travaillé toute l'après-midi : je dois rompre. Sur le papier, ça parait relativement simple. Seulement, maintenant que je suis face au Serdaigle, tout devient plus compliqué. C'est justement ça, mon problème.

Les doigts de Blaze se referment doucement sur les miens et, même si le geste m'a surprise, je me laisse faire. Voici donc ma première erreur. Ce contact m'est agréable, comme lorsque j'étais contre lui près du lac. Si agréable que je n'ai pas le courage ni l'envie de le rompre. Le garçon m'appelle par mon surnom et cela m'amuse. Lui qui disait prononcer mon prénom complet pour une bonne raison semble avoir mis ses bonnes résolutions au placard. Comme moi, on dirait ... « Un thème Sky ? » Je m'étonne de la réponse du Serdaigle parce que je ne suis pas certaine de sa signification. Est-ce qu'il a prévu des trucs par rapport à moi ? Si oui, quoi ? Il ne sait pas grand chose de moi, quelqu'un l'aurait donc renseigné ? Sasha ? Beaucoup de questions se bousculent dans ma tête et les précisions de Blaze, quant à la surprise qu'il me prépare, n'arrangent rien. Je le laisse néanmoins me guider, ma main toujours dans la sienne. Nous empruntons un petit chemin qui mène sans doute à la plage. L'appréhension me gagne : je déteste l'inconnu et, malgré la présence réconfortante de Blaze, je ne suis pas sereine. J'avoue néanmoins que cette soirée ne peut pas être pire que celles que je passe dans la chambre. Enfin, ce n'est pas tellement la chambre le problème mais plutôt la garce qui dort au dessus de moi. Elle m'a bousillé mes pompes, cette conne. Blaze s'amuse de notre cohabitation et je lui réponds par un regard noir. « Si tu crois que ça me fait rire de me coltiner ta connasse de pote. C'est pire qu'un morpion c'te nana. » Qu'est-ce qu'ils lui trouvent tous à cette pute, sérieux ?

Blaze se rattrape ensuite, sans doute conscient de sa boulette, et me questionne à propos de mon soit disant avantage sur les sorciers. C'est vrai que je suis dans mon élément avec ce voyage à la thématique moldue. Dans mon élément ne veut pas pour autant dire que j'ai un avantage. Cela n'a jamais sauvé personne de savoir utiliser la wifi correctement. Si le centre n'était pas au Pays de Galles, si proche de Swansea, et si Jade n'était pas dans ma chambre, ce serait peut-être différent. Mais là, j'ai l'impression que ce voyage ne va m'apporter que des problèmes. Mon camarade me demande si j'ai un mobile et cette appellation me fait sourire. Il n'y a que les vieux qui appellent encore les portables comme ça. Décidément, Blaze et moi sommes opposés sur bien des choses. « On dit plutôt un portable, ou un smartphone, mais ouais j'en ai un. Pas toi ? » Je le corrige gentiment tandis que nous poursuivons notre marche. J'ai mon téléphone dans ma poche car il est hors de question de laisser un objet si précieux sans surveillance. Si je dois passer le reste des vacances sans pouvoir écouter de la musique avec mes écouteurs, autant me jeter du haut d'une falaise. Je plonge ma main dans ma poche et en sors l'objet. Ce n'est pas le dernier smartphone à la mode, loin de là. D'autres modèles sont sortis entre temps, plus perfectionnés. Le mien a déjà quelques années mais il marche bien et, pour l'usage que j'en fais, ça me suffit largement. Il faut dire qu'on ne roule pas sur l'or. « J'ai pas le modèle le plus récent mais bon ... Y'a pas mal de place pour stocker la musique. » Dis-je en lui montrant mon téléphone. Je n'ajoute pas que je suis au courant pour le portable de Carter puisqu'on a échangé nos numéros. Je n'ai rien à cacher mais, pour une raison obscure, j'ai l'impression qu'il vaut mieux que je ne m'étende pas sur le sujet.

Parler de Jade était de base une très très mauvaise idée. Ca ne fait même pas une semaine que le séjour a commencé et elle a déjà réussi à me pourrir la vie. Cette meuf est une plaie et je ne me prive pas de le dire à Blaze. Ca ne me concerne pas, après tout, qu'il soit ami avec cette dégénérée ou non. Il savait, avant de se rapprocher de moi, que je ne pouvais pas me l'encadrer. Je lui ai même dit que Jade ne serait pas contente, la première fois qu'il a voulu sortir avec moi. Donc maintenant, si le Serdaigle se retrouve au centre de nos querelles, c'est le cadet de mes soucis tant qu'il ne s'en mêle pas. Pourtant, je n'aime pas les gens qui ne prennent pas parti. Dans un monde en noir et blanc, tu ne peux pas demeurer gris, à mon sens. Mais là, nous sommes sur un terrain glissant. Si Blaze me défend, ça montre qu'il n'est pas un ami fiable et qu'il ne me croit pas capable de m'en sortir seule. S'il prend son parti, alors c'est un homme mort et ça me donne une excellente raison de le planter là. C'est ce qui se passe d'ailleurs et malgré sa tentative de temporiser son propos, je n'en retiens que le début. « Ne la défend pas devant moi. » Mon ton est dur, sans appel. Ma main se raidit au contact de celle de Blaze, donnant de la poigne à cet enlacement. Qu'il s'amuse avec elle autant qu'il le désire mais qu'il ne vienne pas me vanter ses qualités. Au creux de moi, je suis certaine que le jeune homme ne prend pas le risque de me faire des louanges quand il est avec elle. C'est une évidence et, pourtant, cela ne me rend pas heureuse, pas du tout.

Cette première houle passée, la conversation se pose sur le sujet des téléphones portables. Ce n'est pas forcément le thème le plus palpitant pour une discussion mais, un instant, j'ai l'impression qu'il s'intéresse à mon monde. Blaze est le parfait cliché du sorcier qui ne connaît rien au monde des moldus mais je ne sais pas quelle est sa nature de sang. S'il est pur, il faut croire qu'il n'est pas pour la ségrégation prônée par certains. Timidement, je lui montre mon portable en le corrigeant sur le terme qu'il emploie. L'espace d'un instant, je disais, je crois qu'il s'intéresse sincèrement. Puis Blaze ne semble pas comprendre pourquoi il peut être utilise d'en posséder un, puisque les hiboux sont si géniaux et qu'il n'y a pas de réseau à Poudlard. Bah ouais, à quoi ça servirait franchement d'essayer de garder contact avec des moldus quand Poudlard est si génial ? Quelle conne tu peux être Skyler, de regretter ton monde alors que la magie c'est tellement mieux. Dégoûtée, je range rapidement mon téléphone dans ma poche. Contrariée comme je le suis, je ne fais même pas attention à notre environnement. Blaze me demande ce que j'écoute comme musique mais je n'ai plus envie de parler, certaine que son intérêt n'est que feint. « Rien d'important, laisse tomber. » La mauvaise humeur me reprend et je suis tentée de le planter là, de lui dire que tout cela n'est qu'une erreur et rentrer me terrer dans un coin avec écouteurs. Mais j'entends enfin le bruit des vagues, la mer et je ne résiste pas à l'envie de la voir de plus près, de retrouver un peu de Brighton ici. Alors, je reste.

Le bruit des vagues se fait plus fort, je comprends que mon pronostic est bon et que nous nous rapprochons de la plage. Je me laisse guider par Blaze qui nous fait prendre un chemin en pente. Heureusement que je ne porte quasiment que des baskets sinon bonjour l'entorse. Le paysage change petit à petit, devenant plus rocailleux. Blaze est tout excité, sans doute un peu trop pour être honnête. Et moi ... moi je suis comme d'habitude. Je me concentre pour ne pas lui montrer qu'il a visé juste en voulant me montrer la mer : il n'a pas à connaître ce détail sur moi. La main toujours dans la mienne, le Serdaigle passe devant et m'attire dans une petite crique où le sable conduit directement à l'étendue d'eau salée. Une fois débarquée, j'observe mon environnement. J'avoue, c'est vraiment superbe, de quoi émerveiller n'importe quelle nana. Mais moi, quelque chose me chiffonne. Une désagréable sensation de déjà vu, un peu comme à la gare de Swansea. Je fais quelques pas, n'écoutant même pas ce que me raconte Blaze. Ce paysage me dit quelque chose, mais quoi ? « Je ... je connais cet endroit ... » Dis-je, plus à moi-même qu'à Blaze. D'ailleurs, j'ai complètement oublié sa présence ou la raison de notre venue. Quelque chose veut remonter dans ma mémoire mais j'ai comme un blocage. Puis mon regard se pose sur un rocher qui dépasse de la falaise. Des cris me reviennent, des rires aussi. Mon coeur s'accélère, ma respiration devient plus saccadée. J'ai soudainement froid, puis très chaud. Je suis déjà venue ici et les souvenirs me reviennent en tête comme une gifle. J'ai deux ans ou peut-être trois. Papa me porte et me pose sur ce rocher. Allez ma chérie, saute ! Je vois le visage de Papa, jeune, heureux comme il ne l'a pas été depuis longtemps. Et puis cette femme, devant moi, qui me tend les bras. N'aie pas peur Sky, Maman te rattrape. « Maman ? » Ma voix est faible, je tremble de tout mon corps. La tête me tourne mais je ne peux pas m’asseoir, on pourrait croire qu'un sort m'avait pétrifiée si mes tremblements ne s'intensifiaient pas. Quelque chose me serre la gorge, j'étouffe, ma respiration est encore plus saccadée et bruyante. Je ne me sens pas bien, pas bien du tout.

Tout s'envole d'un seul coup. Les souvenirs d'hier chassent avec une vitesse incroyable ceux du présent. J'en oublie ma vexation quant aux paroles de Blaze sur sa peste de pote. J'oublie même totalement la conversation que nous venons d'avoir. Même la présence de mon téléphone dans ma poche, je l'oublie. Ce n'est pas la beauté du paysage qui me coupe le souffle, même si ce serait amplement mérité : le panorama est somptueux. Cette crique aurait pu être une simple plage, comme il en existe des tonnes au Pays de Galles et dans tout le Royaume-Uni. Un petit coin de paradis, à l'abri des regards, c'est un lieu idéal pour un rendez-vous galant, pour peu qu'on aime tout ce qui est cliché. J'adore la mer donc, en théorie, cet endroit avait tout pour me plaire. Il m'a plu, d'ailleurs. Puis j'ai posé mes yeux sur ce rocher qui dépasse un peu de la falaise et j'ai tout oublié. Ma peau devient même insensible au vent marin qui la caresse. Les souvenirs dansent devant mes yeux et font renaître un moment que je pensais perdu à jamais. Je n'ai aucun mal à reconnaître Papa. J'ai déjà vu plusieurs photos de lui jeune et, d'ailleurs, il n'a pas tellement changé. Des rides se sont creusées au coin de ses yeux et de ses lèvres mais ce sont les seuls effets du temps sur son visage : après tout, il n'a même pas quarante ans. Je ne me vois pas mais je sais que je suis petite parce que nous ne sommes pas à Brighton et, surtout, parce qu'Elle est là. C'est comme si la photo à l'intérieur de ma guitare prenait vie et se mélangeait sournoisement à mon reflet. Je lui ressemble tellement que ça me dégoutte.

La nausée me prend et me sert la gorge. Mes yeux restent fixés sur ce rocher, déclencheur de souvenirs. Je lâche un mot mais je ne m'en rends même pas compte. Je l'ai appelée par un nom qui n'a pas franchi mes lèvres depuis des années. J'oublie que je ne suis pas seule, que j'ai laissé un Blaze sans doute bien désœuvré derrière moi. Peut-être même qu'il n'est plus là, qu'il a disparu lui aussi. Comment savoir ? J'ai soudain très chaud puis très froid. Incapable de détourner le regard, je revis ce moment passé avec mes parents. Je sais qu'Elle est ma mère mais je refuse de la reconnaître comme telle. Mes yeux voient une version de moi plus âgée, aux yeux noisettes mais mon cœur reste aveugle. Elle ne peut pas être là. En fait si, elle le peut. Nous ne sommes pas loin de Swansea, peut-être qu'elle n'est jamais partie de la ville et que c'est pour ça qu'on a déménagé, pour ne pas la croiser. Ma gorge se sert de plus en plus, je crois que je vais vomir. Pourquoi je suis là déjà ? J'ai l'impression que le souffle me manque, j'ai du mal à respirer et je le fais bruyamment. J'entends comme une voix lointaine, beaucoup moins distincte que celle de mes parents, qui me parle mais je ne comprends rien. Je débloque peut-être.

Puis soudain, je sens quelque chose qui m'attrape le bras et j'ai comme un sursaut. Je m'aperçois à cet instant que je tremble comme une feuille. Je tourne la tête vivement et me retrouve face à un fantôme. Je reconnais le visage de Blaze, beaucoup moins serein qu'à l'accoutumée. Qu'est-ce qu'il a ? Pourquoi est-il là ? Je baisse les yeux sur sa main posée sur mon bras. Je sens qu'il me presse pour reculer. Mon corps, jusqu'ici très tendu, se laisse manipuler comme celui d'une poupée de chiffon. Je sens mes souvenirs s'éloigner, s'éteindre et j'en éprouve un vif soulagement. J'ai pourtant toujours du mal à respirer et la sensation de froid demeure à présent constante. D'ailleurs, je n'ai pas arrêté de trembler. Le Serdaigle me propose de m’asseoir et je mets un instant à vraiment comprendre ce qu'il me dit. Puis, j'obtempère puisque je ne suis vraiment pas en état de réfléchir correctement. Mes fesses se posent sur le sable et ce contact m'apaise un peu. Blaze desserre alors son étreinte et mon angoisse remonte en flèche. Est-ce qu'il va m'abandonne lui aussi ? Il va partir et me laisser là sauf que je ne sais même pas où je suis et s'il s'en va, est-ce qu'Elle va revenir me hanter, me torturer avec des souvenirs que je croyais heureux mais qui ne l'étaient pas ? Je refuse de voir son visage, je ne veux pas, je ne peux pas. « Me laisse pas. » C'est à mon tour d'attraper son bras, un peu fort, mes ongles s'enfoncent dans peau. Je ne veux pas qu'il parte. Il n'a pas le droit, pas lui. Pitié, pas lui.

J'aurais pu rester longtemps comme ça, dans cet état à demi conscient, presque en transe. J'ai la bouche sèche, je tremble comme une feuille et j'ai l'impression d'être dans le brouillard total. Ce sont des sensations bien nouvelles pour moi, je ne sais pas si c'est pour cela que j'ai autant de mal à les gérer. C'est même pire que ça : je les laisse m'envahir totalement. Dans un tel état, je suis plus faible que je n'ai jamais été. Si j'avais toutes mes facultés, ça me foutrait les jetons d'être autant vulnérable et surtout en présence de Blaze. Seulement, je suis comme paralysée. Elle a tellement d'emprise sur moi, encore. Je pensais m'être détachée d'Elle, que nous n'avions plus aucun lien. J'ai été bien naïve, la vue d'un simple rocher me fait immédiatement plonger dans ce que je redoute le plus. Je suis si semblable à l'image qui m'est apparue. Comme si j'étais face à un clone un peu plus âgé aux yeux sombres, à la bouche fine. Est-ce que la ressemblance s'arrête là ou est-ce qu'elle est bien plus ancrée en moi ? Est-ce que moi aussi, je suis capable de tourner le dos aux gens que j'aime du jour au lendemain ? Suis-je capable de les briser comme Elle nous a brisé ? L'avoir en face de moi, c'est comme si mes propres démons étaient personnifiés. Et pourtant, ce n'est qu'une image, un souvenir terrifiant d'exactitude. Si jamais je la croisais pour de vrai, serais-je aussi démunie ? Aussi faible ? Je suis dans la même situation que face à l'épouvantard de Thorstein et, en six mois, je n'ai pas progressé d'un pouce. Je suis nulle, faible, incapable de tout et ça me dégoute.

Le contact de la main de Blaze sur ma peau me sort à moitié de ma léthargie. Telle une poupée de chiffon, je me laisse guider par cette poigne à la fois douce et autoritaire. Le Serdaigle peut faire de moi ce qu'il veut, je suis à peine consciente du déroulé des événements. En revanche, je suis à nouveau capable de ressentir le froid, le chaud, les tremblements, la soif, la gorge qui se serre et les difficultés à respirer. La voix qui me parle semble si lointaine, elle a du mal à percer le brouillard autour de moi. Pourtant, elle y arrive et je comprends qu'il faut que je m'assoie. Sans chercher à discuter, je me plie aux ordres et me pose dans le sable tiède. J'ai froid, je le sens et la chaleur contenue dans les grains de sable ne suffit pas à me réchauffer. Pour autant, je suis à nouveau consciente de mon environnement proche. Je distingue très nettement Blaze alors que je ne vois plus du tout mes parents. La disparition des uns me soulage, la présence de l'autre m'apaise. Soudain, je sens qu'il se détache de moi et la perte de ce contact surpasse les paroles qu'il prononce. Je n'ai pas compris ce qu'il a dit mais je ne veux surtout pas qu'il me laisse. Alors je le lui dis, un peu maladroitement, avec détresse et empressement. Je lui attrape le bras, aussi, parce que la peur d'être abandonnée encore une fois est trop forte. Je l’agrippe de toutes mes forces, persuadée que Blaze va partir, persuadée qu'il n'est qu'un mirage, lui aussi. Et, pourtant, il reste. Mieux, je sens son autre bras passer sur mes épaules et son corps se rapprocher du mien. La voilà, la source de chaleur capable de calmer mes tremblements, de me réchauffer. Je suis toujours dans un état second mais je respire mieux, à présent.

Lovée dans les bras du Serdaigle, je n'ai pas conscience du temps qui passe. Une minute, une seconde, une heure ? Soudain, j'entends sa voix et elle me semble plus nette qu’auparavant. Il se détache de moi et mes yeux paniqués croisent son sourire. Je n'ai même pas le temps de comprendre ce qui est en train de se passer que Blaze dégaine sa baguette et un jet de lumière verte m'enveloppe. Cela me procure la même sensation que les bras du jeune homme, en plus efficace. Je sens que je retrouve mes forces : je n'ai plus froid, je respire correctement et je ne tremble plus du tout. Ma bouche est toujours un peu sèche mais à part ça, je crois que j'ai retrouvé le contrôle de mon corps. Mon cerveau tourne néanmoins toujours au ralenti. J'entends Blaze mais je ne comprends pas tout ce qu'il me dit. "T'inquiète je te laisse pas" Est-ce que je peux le croire ? Je n'ai pas le temps de me questionner davantage que le Serdaigle utilise à nouveau sa baguette magique. Je ne sais pas ce qu'il a voulu faire mais une boule de sable m'explose au visage et me fait l'effet d'un coup de poing. J'ouvre les yeux comme si c'était la première fois. Mon coeur tambourine dans ma poitrine, j'ai du sable partout : dans les cheveux, sur le visage, le corps ... Je m'essuie la bouche et, enfin, je comprends pleinement ce que me dit Blaze. « Ça va. » Dis-je d'une voix atone en baissant les yeux sur mon T-shirt couvert de sable. J'en ai même dans le décolleté. « J'ai du sable partout. » Je constate l'évidence et relève la tête vers Blaze, que je distingue enfin clairement. Blaze qui a du sable partout lui aussi. Blaze avec son sourire craquant et ses boucles salies par la plage. Blaze qui est resté, malgré tout. Blaze qui reste toujours. En même temps que je fais cette constatation, je ressens une envie furieuse au creux de moi. Sans réfléchir - sans même penser au sable dans et autour de nos bouches respectives - je me penche vers lui. En fait, je me jette carrément à son cou et franchis la distance qui nous sépare. Mes lèvres se posent sur les siennes et je l'embrasse avec toute la passion qui m'anime. Deux sentiments bien nouveaux pour moi se mêlent : la reconnaissance et l'attachement ou, du moins, ce que je n'ose nommer autrement.

Du sable partout, voilà ce que j'ai récolté. Je vais passer un temps monstre à enlever chaque grain dans ma tignasse pas forcément bien coiffée de base. Ca m'apprendra à toujours rechigner pour me démêler les cheveux. "Quand on veut des cheveux longs, il faut les entretenir !" Disait ma grand-mère. Elle qui n'a jamais eu qu'un fils, je me demande bien ce qu'elle pouvait y connaître, aux cheveux longs. Le sable s'est invité sur et surtout sous mon T-shirt, je sens que j'en ai même dans mon soutif. Blaze a foiré son sort en beauté. Comme toujours, il ne fait pas les choses à moitié. Ce bain de sable a au moins le mérite de me ramener à la réalité. J'ai l'impression de m'être réveillée d'un long sommeil et d'avoir la gueule de bois. Mon corps est tout endolori et j'ai mal au crâne. Mais les visages qui dansaient devant mes yeux ont disparu et Blaze ne s'est pas enfui. Ce dernier s'enquiert d'ailleurs de mon état alors que l'espèce de tempête de sable ne l'a pas épargné non plus. Un peu groggy, je lui réponds que je vais bien. Disons que j'ai connu pire et, heureusement, tout cela n'était qu'un mirage. Je ne reverrai sûrement jamais ma génitrice en chair et en os. Cette constatation me soulage autant qu'elle fait tomber un poids dans mon estomac, un poids que je mets toute ma peine à ignorer. Après avoir constaté, avec du retard, que j'étais couverte de sable, je me tourne vers le Serdaigle, ce garçon que j'étais décidée à quitter en arrivant à notre rendez-vous et dont la présence s'avère désormais comme une nécessité.

Mon cœur s'accélère et je sens quelque chose me brûler les entrailles. Une sensation de chaleur qui part de mon bas-ventre et qui remonte lentement. C'est comme si tout mon corps appelait celui de Blaze, de la pointe de mes orteils jusqu'à mes lèvres. Sans réfléchir, je me penche en avant. La distance entre nous deux est rapidement réduite à néant, nos bouches se pressent l'une contre l'autre avec un empressement notable de mon côté. Je manque d'ailleurs de me casser la figure mais je me rattrape en posant une main dans le sable pour me stabiliser. Le moment de surprise passé, Blaze me rend mon baiser. Je sens ses mains qui passent contre mon dos et ce contact me procure une chaleur réconfortante. Je m'autorise même à fermer les yeux et à passer ma main libre derrière le crâne de mon mec. Je ne sais pas dire combien de temps nous restons ainsi, je ne vois pas les minutes passer. Le moment de reprendre sa respiration finit tout de même par arriver et nos lèvres se séparent. Je me stabilise un peu mieux et en profite pour secouer mon T-shirt afin de faire tomber le sable et aussi pour ne pas montrer à Blaze que mes joues ont pris une petite teinte rosée. Je l'entends dire qu'il a aimé, alors je tourne la tête et c'est son sourire que je vois en premier. Effectivement, il a l'air plutôt satisfait. Ses bras sont toujours autour de moi et je ne cherche pas à changer de position. Visiblement sur son petit nuage, le Serdaigle poursuit en se disant prêt à recommencer. Sérieux, il est toujours obligé d'en faire des caisses, c'est dingue ! « Rooh la ferme ! » Je réponds enfin, plus par gêne que par réel agacement, après que Blaze se moque en évoquant le sable comme déclencheur. Quel idiot, celui là.

Suite à cela, Blaze se passe une main dans les cheveux pour en faire tomber le sable et je crois que je le dévore des yeux. Pour éviter qu'il ne se rende compte que je le fixe, je l'imite et secoue ma queue de cheval. Elle ne ressemble plus à rien, de nombreuses mèches se sont échappées de l'élastique. D'ailleurs, le Serdaigle en prend une entre ses doigts et commence à jouer avec. Je le laisse faire volontiers, encore dans une bulle intemporelle. C'est lorsqu'il reprend la parole que je reviens un peu à la réalité. Evidemment, il veut des réponses. Je n'en ai pas à lui fournir : je ne sais pas moi-même ce qu'il s'est vraiment passé. Quant à mes tremblements ... « J'ai pas fait gaffe ... » Dis-je, sincèrement. Je ne me suis pas rendue compte de l'état dans lequel ma vision m'a plongé. Était-ce ça, une vision ? Je suis bien incapable de répondre. Essayant de me souvenir de ce qu'il vient de se passer, je fronce les sourcils. « C'est la première fois que ça m'arrive. » Difficile de poser des mots sur quelque chose que l'on ne connait pas. Je fais partie des personnes qui ne considèrent pas les faiblesses psychologiques comme de réelles faiblesses. Le genre qui ne croit pas aux crises d'angoisse, qui pense que c'est du cinéma. Et pourtant ... C'est l'arroseur arrosé, comme on dit. Je relève les yeux vers Blaze et je comprends bien qu'il attend davantage d'explications. C'est la première personne - après mon père - que j'estime légitime d'en obtenir. Mais ma mémoire me fait cruellement défaut. Je me souviens d'avoir attrapé son bras, de la détresse que je ressentais. Et puis je me rappelle mon père. Mais il ne peut pas être ici pour de vrai, il est dans son bar à Brighton. Et puis, il ne peut pas être avec Elle. Impossible ! En y repensant, je fais la grimace. « J'ai cru voir un ... un souvenir. » Dis-je en évitant soigneusement de tourner la tête en direction du rocher qui a déclenché la crise. Je crois que c'est ça, ça ne peut être qu'un souvenir profondément enfoui. Un moment que je pensais heureux mais qui ne renvoyait qu'un bonheur factice, je l'ai compris le jour où Elle est partie. « T'as eu peur ? » Je questionne Blaze d'une voix un peu plus assurée. Lui qui aime lancer des défis et qui fait toujours preuve d'audace, a-t-il finalement des faiblesses ? Est-ce que je suis sa faiblesse ? Parce que clairement, je crois qu'il est en train de devenir la mienne ... Et ça, ça craint.