La rentrée approchait à grand pas et, comme ses élèves, Rowan devait préparer son matériel. Elle avait déjà largement fait le tour de toutes les "bricoles" dont pourrait avoir besoin - notamment plumes, encres, parchemin et craies. Ces emplettes lui avaient donné l'impression de retomber en enfance, à vrai dire - à l'époque où elle les faisait en tant qu'élève.

La jeune femme avait également fait des achats pour sa chatte Sauge. C'était l'occasion de lui offrir un nouveau panier, puisque Rowan en voulait un dans sa chambre, et un autre dans son bureau, afin que Sauge aie un pied-à-terre dans les serres, près du parc. En effet, les bengalis étaient des chats semi-sauvages, et Sauge adorait passer du temps à l'extérieur. La féline se voyait déjà comme une matriarche, du haut de ses sept ans, et Rowan ne doutait pas un instant que Sauge allait établir son territoire et manifester sa dominance à tous les chats de l'école.

Elle ne lui avait pas pris le moindre jouet - pas par méchanceté, mais parce que Sauge n'en avait pas besoin, et les dédaignait d'ailleurs systématiquement, leur préférant des proies bien vivantes. Rowan espérait qu'aucun l'élève n'avait de rat domestique, car elle aurait aimé éviter un drame malheureux.

Elle n'avait d'ailleurs aucune intention de lui prendre le moindre brin d'herbe à chat. On avait pas idée de donner de l'herbe à chat à un chat ! Cette plante était pour eux un psychotrope extrêmement puissant, de l'ordre de la cocaïne pour les humains. En l'occurence, au vu de la résistance d'un chat, c'était comme donner de la drogue à un bébé - de très sérieuses études moldues l'avaient prouvé. Heureusement, Rowan était parvenue à éduquer Sauge de manière à ce qu'elle se méfie de la plante à vue.

Justement, Rowan arrivait en vue de sa boutique préférée - une boutique qui ne vendait pas d'herbe à chat. L'enseigne "Mandagore & Snargalouf" se dressait fièrement au-dessus d'une boutique qui, de l'extérieur, ne payait pas de mine. C'était pourtant l'une des boutiques où les élèves de l'école pouvaient se fournir en cache-oreilles et en gants protecteurs. On y trouvait aussi des manuels de botanique, bien moins chers qu'en librairie.

Rowan, quand à elle, avait besoin de boutures, de graines, et d'engrais, et cette discrète petite boutique vendait les meilleurs plants de Londres. Elle poussa donc la porte, et s'aventura dans ce qui ne pouvait être décrit que comme un labyrinthe de végétation. Voltiflore, dictame et branchiflore... Les plantes qui s'accumulaient dans cette pièce étaient inoffensive. Si elle voulait ne serait-ce que des mandragores, plus encore des tentaculas vénéneuses ou un filet du diable, elle devrait s'adresser à la caisse, tout prêt de la porte.

Malheureusement, le vieux vendeur fort sympathique qui tenait la boutique lorsqu'elle était élève à Poudlard n'était nulle part en vue. La jeune femme allait s'enfoncer dans les méandres du magasin à sa recherche lorsque la clochette de la porte tinta.

Une petite fille rousse chargée d'emplettes fit alors son entrée. Il n'était pas difficile de savoir qu'elle serait l'une de ses élèves, vu qu'il n'y avait qu'une seule école. Rowan l'accueillit donc avec un sourire.
- Bonjour, Mademoiselle. Je ne travaille pas ici, mais je suis le Professeur Moon, et je vous enseignerai la botanique à la rentrée. En attendant le retour du vendeur, puis-je vous renseigner pour gagner du temps ? 

Kathleen était très occupée à ses courses pour sa seconde rentrée à Poudlard. Elle avait eu beaucoup de choses à faire pendant l’été, entre le voyage scolaire, tous ses amis qui lui avaient rendu visite et le voyage à Disney. Mais elle n’était pas fâchée de toute cette activité. Elle venait d’ailleurs de passer deux semaines formidables avec Cassi au manoir des Kirte et elles avaient profité autant que possible de ces moments avec sa protectrice. Elle la sentait fragilisée depuis le début des vacances et en discutant avec Léo, elle avait appris que c’était à-cause de cette sorcière de Cressida, la tante d’Ombeline et de Sarah. Et il était certain qu’à la rentrée, les trois filles allaient s’y mettre ensemble pour trouver une solution. Pour le moment, elle avait laissé Cassi avec ses cousins pour aller faire ses courses de son côté.

En attendant, elle avait fait le plus gros de ses courses et il ne lui restait qu’à passer au magasin spécialisé en plantes et botanique pour récupérer des boutures et quelques ingrédients pour elle et sa maman. Ses parents avaient emmené Alicia au magasin d’animaux et devaient la rejoindre ici ensuite. Mais de toute façon, Kath savait à peu près ce qu’il manquait à la maison et elle n’aurait sans-doute aucun souci pour faire les courses seules si c’était nécessaire. Elle préférait seulement que sa mère s’assure qu’elle n’avait rien oublié avant de partir. Question de principe.

Quand elle poussa la porte, elle fut happée par l’odeur familière des plantes de toutes sortes, par l’ambiance nature de la boutique, tout ce qui lui était familier, et elle s’en imprégna avec plaisir. Elle sursauta un peu quand une autre cliente lui adressa la parole, la sortant de sa rêverie. Il s’agissait d’une jeune femme qui devait avoir à peu de choses près l’âge de son professeur préféré, O’Neill, qui enseignait l’Astronomie. Apparemment, elle s’appelait Moon et allait devenir le professeur de Botanique de l’école. Les yeux de Kathleen brillèrent d’excitation et d’intérêt.

« Ho ! Bonjour, Professeur, je suis enchantée de faire votre connaissance ! » dit-elle avec une petite révérence. « Je m’appelle Kathleen Kirte. Je vous remercie de votre offre mais je sais très bien ce qu’il me faut. Avec ma mère, nous avons l’habitude des plantes, nous sommes guérisseuses de mère en fille, voyez-vous ! Il va d’ailleurs nous falloir quelques boutures de dictame. Cela dit, un de mes amis m’en a offert pour mon anniversaire, ce qui fait que nous en auront moins à acheter. Quand nous serons à Poudlard, pourrais-je venir dans les serres de temps en temps, Professeur ? »

Ce qui était certain, c’était que Kathleen n’avait pas perdu sa langue.

La journée shopping avait vraiment bien commencé, et s’achevait par sa boutique préférée. Elle reviendrait bientôt au chemin de traverse avec Yuna, sa filleule, mais n’avait pas souhaité la trainer dans d’ennuyeuses “emplettes de profs”. Elle avait été rapide, et aurait encore le temps de prendre une bonne glace en sortant. Rowan poussa la porte de “Mandragore et Snargalouf” avec entrain, et s’engagea dans le labyrinthe végétal qui constituait la boutique. Elle n’aperçut pas le vieux vendeur, excentrique mais très sympathique, qu’elle avait connu ici quelques années plus tôt sans doute était-il dans l’arrière boutique - lui, ou son successeur.

La clochette de l’entrée sonna, et une jeune rouquine entra dans la boutique - une future élève, à n’en pas douter. Elle était plus chargée encore que Rowan - car, quand on était prof, on pouvait apparemment se faire livrer les “encombrants” du matériel directement à Poudlard. Elle la salua, se présenta, et décida de lui proposer son aide, puisqu’elle connaissait la boutique aussi bien que les serres de Poudlard. La petite fille la salua à son tour, avec un entrain bien différent de l’attitude nonchalante des étudiants universitaires.

Le professeur Moon accueillit la révérence de la jeune fille d’un sourire amusé et attendri. Un sourire qui s'estompa aussitôt lorsque la fillette lui donna son nom. Kathleen... C'était la petite fille qui s'était faite agresser, celle dont lui avait parlé Alice, non ? Rowan jugea préférable de ne pas lui rappeler de mauvais souvenirs, mais se promit de garder un oeil sur elle. Elle lui sourit à nouveau pour ne pas l'inquiéter.

La fillette la remercia pour son offre mais annonça qu’elle n’avait pas besoin d’aide, puisqu’elle provenait d’une famille de guérisseuses. Intéressant ! Elle espérait avoir l’occasion de discuter avec elle en détails au cours de l’année. La petite fille cherchait de la dictame. Celle-ci se trouvait dans le troisième rayon en partant de la gauche, vers le milieu, sur la troisième étagère en partant du haut, songea Rowan, qui connaissait si bien la boutique qu’elle aurait tout aussi bien pu y travailler - à moins, bien sûr, qu’un nouveau propriétaire ne soit venu tout chambouler dans l’organisation de l’ancien. Cependant, soucieuse de ne pas vexer la petite fille qui était peut-être, elle aussi, une habituée de l’endroit - et s’y était sans doute rendue plus récemment qu’elle - Rowan ne mentionna pas cet emplacement à haute voix.

Elle sourit à ce choix de cadeau d’anniversaire bien particulier, qui dénotait une élève qui allait se plaire dans ses serres. Justement, celle-ci lui demanda s’il lui serait possible de s’y rendre de temps en temps - ce qui signifiait en dehors des horaires de cours, bien entendu.
Rowan lui adressa un sourire radieux.
- Et bien, avec plaisir ! Je prévois d’ouvrir les serres aux élèves intéressés en dehors des heures de cours, et je serais ravie de vous y accueillir.
Le professeur réfléchit un instant, puis ajouta :
- Si vous avez déjà abordé pas mal de plantes avec votre mère et que vous êtes curieuse, je suis même prête à vous montrer quelques plantes que je travaille avec les élèves des années supérieures - mais juste en observation, pour le moment. Ca vous plairait ?
Elle n'allait pas la laisser s'approcher d'un snargalouf, c'était certain. Mais il n'y aurait pas de mal à la laisser observer par elle-même, avec les bonnes mesures de sécurité, la différence entre un filet du diable et un voltiflor.

Elle se souvenait des difficultés qu’elle avait rencontrées, en tant qu’élève de Poudlard, à convaincre ses professeurs de la laisser satisfaire sa curiosité envers les plantes. Elle ne voulait pas créer cette frustration auprès de ses élèves.

La clochette de l’entrée tinta de nouveau, signalant une nouvelle arrivée.

Kathleen les yeux qui s'illuminèrent de joie quand le professeur Moon lui annonça qu'elle comptait ouvrir les serres aux élèves les plus intéressés, en dehors des cours. Voilà qui allait faire plaisir à sa mère en sachant que Kathleen pourrait parfaire son apprentissage en botanique directement lié à mon apprentissage de guérisseuse. La fillette avait la certitude que sa mère aurait envie de demander au professeur Moon de lui faire étudier les plantes qui seraient les plus utiles pour soigner et guérir. Elle se demanda si son enseignante serait ouverte à cette opportunité. Visiblement, il y avait des chances puisqu’elle proposa même de lui faire observer des plantes largement au-dessus de son niveau.

« Oh oui ! J'aimerais beaucoup ça, Professeur ! J’ai toujours eu l’impression de tout savoir l’an dernier. J’aimerais bien aller plus loin. »

A cet instant, la porte d’entrée tinta et la fillette tourna la tête vers la porte pour voir qui venait d’entrée. Elle sourit à la nouvelle venue qui n’était autre que sa mère.

« Eh bien, ma puce, tu n’as pas encore fini les courses ? Il n’y avait pas grand-chose pourtant ! »
« Désolée, Maman, je discutais avec le Professeur Moon. Elle va être notre professeur de Botanique, cette année. »

Le nom de Moon en Botanique n’était pas étranger à Mary qui avait lu quelques publications de la botaniste coréenne du même nom. Il suffisait de regarder l’enseignante pour voir que l’origine était la même, aussi ne résista-t-elle pas à l’interroger.

« Moon ? Professeur de Botanique ? Auriez-vous un lien de parenté quelconque avec le Professeur Rowan Moon, qui a fait des conférences en Extrême-Orient ? Je suis Mary Kirte ! Je fréquente beaucoup le milieu des botanistes, surtout pour trouver les plantes curatives les plus puissantes. »

Elle se dirigea spontanément vers l’étagère des pousses de dictame et en prit quelques unes. Elle alla également chercher des paquets de feuilles séchées pour ses potions les plus urgentes.

« Tu ne voulais pas un plant de Mandragore aussi, Maman ? Il me semble que Sainte-Mangouste a commandé quelques philtres régénérants et nous n’en avons plus du tout. »

Kathleen avait l’habitude de gérer les réserves avec sa mère. Celle-ci y tenait car elle partait à Poudlard avec sa propre pharmacopée et elle devait faire ce qu’il fallait pour avoir toute la prudence et le soin nécessaire à la gestion d’un stock de potions. Ainsi, elle palliait toute urgence.

« Si, mais il va falloir attendre la propriétaire dans ce cas. Je sais que les plantes les plus dangereuses sont gardées sous clef et en zone protégée. Mais si vous avez un peu de temps, Professeur Moon, nous pourrions en profiter pour bavarder. »

Rowan sourit, heureuse de découvrir l’enthousiasme de son élève. Elle s’était bien souvent sentie bridée dans ses apprentissages, alors qu’elle était à Poudlard, et n’infligerait jamais cela dans sa classe.
La porte tinta à nouveau, et une femme qui ressemblait à la petite fille de manière frappante fit son entrée, interrogeant Kathleen sur l’avancement de ses courses.
En réponse, la petite fille la présenta à sa mère.

Rowan fut extrêmement surprise d’apprendre que Madame Kirte la connaissait. Si les Néo-Zélandais avaient su qui elle était et été enchantés de l’accueillir, elle n’aurait pas cru que sa notoriété aie porté jusqu’en Angleterre.
- C’est moi-même. répondit-elle modestement. Après l’université, j’étais partie travailler à l’université de Séoul, et puis j’ai été recrutée à Poudlard pour la rentrée.
Mary Kirte. Le nom lui était familier, c’était certain, mais elle ne savait pas non plus grand chose sur elle. Elle devrait se renseigner, en apprendre davantage sur les experts locaux, avant la rentrée.
- Enchantée de faire votre connaissance. poursuivit-elle en lui tendant la main.

Elle la vit choisir quelques plantes, et approuva ses choix d’un discret sourire. Cette femme avait l’oeil pour les pousses les plus vertes, les plus puissantes, c’était certain. Son sourire s’élargit en voyant à quel point la jeune Kathleen semblait investie dans le travail de sa maman. Elle se demanda si elle avait déjà appris à préparer les potions de sa mère.
Il leur fallait donc des mandragores, mais évidemment, celles-ci étaient gardées dans l’arrière-boutique, pour la sécurité des clients - tous n’étaient pas botanistes ou guérisseurs, certains cherchaient juste à agrémenter leur jardin.
Madame Kirte proposa à Rowan de bavarder en attendant, et la jeune femme accepta avec plaisir.
- Ce serait avec joie. Vous êtes donc guérisseuse ? Je trouve ça fascinant. Est-ce que c’est une tradition familiale ?

Contrairement à sa mère, Kathleen n’avait jamais entendu parler du Professeur Moon, mais elle n’avait pas vraiment étudié la botanique. En tout cas pas au niveau de sa mère. Mais madame Kirte, elle, connaissait bien les travaux de la jeune coréenne. Et elle en avait lu la majeure partie. Elle n’avait seulement jamais eu l’occasion de voyager.

« C’est vous ? Eh bien, c’est un véritable honneur de faire votre connaissance. J’ai lu une partie de vos travaux, vous êtes brillante ! Une pointure dans le milieu de la Botanique. Je suis vraiment enchantée de vous connaître ! »
« Eh bien, j’ai l’impression que je dois être flattée de vous avoir pour enseignante, Professeur », fit Kathleen avec un sourire. « Excusez ma mère, elle est un peu… passionnée. »

Mary rougit un peu sous les propos de sa fille avant qu’elle ne fouille toutes les deux la boutique à la recherche de ce qu’elles avaient besoin. Quand elles eurent terminé, comme elles devaient attendre le propriétaire, Mary décida de rester discuter avec le professeur Moon. La jeune femme parla alors de sa nature de guérisseuse et la femme se pencha en direction de sa fille qui se tenait sagement assise à côté d’elle

« Eh bien, Kathy, je peux peut-être te laisser répondre au professeur Moon » lui dit-elle en souriant.

Kathleen était fière de la confiance que sa mère lui témoignait. Cela faisait également partie de son éducation de connaître l’histoire de sa famille maternelle. Ca faisait partie de la formation familiale que de maîtriser ces informations. Alicia y viendrait dans quelques années. Et elle devrait apprendre les traditions et les recettes familiales. Tout ce que Kathleen apprenait depuis cinq ans déjà, en étudiant dur, mais aussi pas plaisir. C’était quelque chose d’instinctif chez elle que le plaisir des potions.

« Dans ma famille maternelle, on est guérisseuses de mère en fille depuis des générations. Cela passe principalement par les femmes, mais depuis quelques générations, les hommes sont inclus aussi, et du coup, à peu près tous les membres de la famille sont initiés. Nous avons des recettes et des façons de faire les potions qui sont spécifiques à notre famille et qui leur donnent plus de puissance. Nos potions sont renommées dans tout le milieu potioniste depuis des siècles. »

Rowan était heureuse de rencontrer une élève et sa mère, et surtout d’autant plus ravie de rencontrer une guérisseuse. Le mot “honneur” lui fit monter aux lèvres un sourire radieux et l’entraina dans un hochement de tête reconnaissant. Être honoré de rencontrer quelqu’un, en Corée, c’était très sérieux.

Recevoir un compliment avait toujours été l’un des talons d’achille de la jeune femme. Elle avait longtemps cru que c’était assez personnel, mais en Corée, elle avait appris deux choses. D’une part, c’était absolument normal pour la grande majorité de la population, qui cherchait systématiquement un moyen de contourner ou de retourner le compliment. D’autre part, cette modestie aussi naturelle que traditionnelle semblait disparaître au fur et à mesure que l’on gravissait les échelons, notamment universitaires. Ainsi, on trouvait à Séoul de jeunes étudiants-chercheurs qui étaient déjà arrogants et imbus d’eux-mêmes alors qu’ils n’avaient pas encore accompli grand chose à part être acceptés dans une école. Certaines personnes, plus rares, se contentaient de remercier simplement, sobrement, et de passer à autre chose, et Rowan avait fini par surmonter son étouffante modestie naturelle pour adopter cette posture.

- Je vous remercie. répondit-elle donc simplement.
Un point l’intrigua néanmoins. Elle avait vu ses travaux ?
- C’est curieux, j’ai fait mes recherches en coréen, et j’ignorais totalement que l’université avait fait traduire mes travaux. Il faudra que vous me disiez quel était l’éditeur, si vous le savez, ça pourrait me servir pour mes étudiants - et m’éviter de devoir tout retraduire. lui demanda-t-elle.
L’université de Séoul ne lui avait que rarement donné l’impression de la distinguer de ses collègues - c’étaient d’autres institutions qui l’avaient conviée à s’exprimer à ses conférences et des symposiums - mais s’ils l’avaient faite traduire sans qu’elle n’aie à les solliciter, c’était un grand honneur pour elle, et cela montrait à quel point ils avaient apprécié ses travaux.
Si elle ne répondit pas à la dernière phrase, ce n’était que parce qu’elle venait déjà de lui dire qu’elle était elle-même enchantée.

La jeune élève reprit la parole, par un nouveau compliment. Cette fois-ci, le naturel de Rowan revint tout de même au galop et, avec sa plus belle voix de sage, elle lui répondit :
- Je crois que vous devriez être honorée de rencontrer chacun de vos professeurs, Mademoiselle Kirte. Après tout, Poudlard est une école d’élite et ne recrute que des enseignants compétents.
Sa phrase suivante l’amusa, et elle ajouta après un regard à Mary Kirte :
- Il n’y a pas de mal à être passionnée. Vous savez, les animaux sont animés par l’instinct de survie, mais le moteur de l’homme, c’est la passion. Si vous trouvez votre passion et que vous êtes prêtes à travailler dur, vous irez très loin dans la vie.
Rowan en était persuadée, quand on était passionné et qu’on s’en donnait les moyens, on pouvait tout faire. Alors bien sûr, parfois, on rencontrait des difficultés, et on ne pouvait pas toujours y arriver seul. Mais elle avait l’ambition de devenir un professeur capable d’aider ses élèves à trouver en eux les ressources pour surmonter leurs difficultés.

Rowan chercha elle aussi les choses dont elle avait besoin. Enfin, pour être précise, elle ne repartirait aujourd’hui qu’avec quelques articles dont elle avait besoin rapidement, pour ses recherches. Pour ce qui était de sa classe, elle avait amené une liste à remettre au propriétaire - ou plutôt à la propriétaire, puisque visiblement le magasin avait changé de mains - afin que soient livré à Poudlard tout le matériel que nécéssiterait son cours. Heureusement, elle avait pu obtenir un inventaire des serres auprès de l’école.

Elle interrogea Mary Kirte sur sa profession de guérisseuse, et celle-ci encouragea sa fille à répondre. Rowan lut la fierté dans les yeux de la fillette. Visiblement, parmi les anglais aussi, il y avait des familles dont les enfants étaient honorés de perpétuer les traditions familiales. Elle ne put s’empêcher, avec un peu de gêne, de songer à son blocage sur “la tradition la plus importante de sa mère” : la recette de Kimchi de Gyeong-Suk halmeonim - qui, même si on l’appelait halmeonim “grand-mère”, avait en fait vécu près de deux siècles plus tôt, à l’époque où les ancêtres de sa mère habitaient encore la Corée.

La petite fille lui expliqua, en quelques mots, les tenants et les aboutissants de cette tradition ancestrale, autrefois réservée aux femmes, mais qui se modernisait pour inclure les hommes.
- C’est passionnant ! répondit la jeune femme avec un sourire aussi sincère qu’enjoué.
- Tu expliques cela très bien. félicita-t-elle la fillette. Et vous faites pousser vos propres plantes ?
Elle ajouta ensuite, à l’adresse de sa mère.
- Madame Kirte, si je peux me permettre cette proposition, accepteriez-vous de mettre en place une correspondance, pour échanger sur nos travaux réceptifs ?

Ce n’était pas parce qu’elle avait donné quelques correspondances internationales que Rowan avait pris la grosse tête - au contraire, elle était aussi humble que la petite fille qui avait été répartie à Poufsouffle, une vingtaine d’années plus tôt. Et, même si le nom de “Kirte” ne lui avait pas été familier avant aujourd’hui, elle aurait été ravie d’apprendre et de partager ses propres connaissances auprès de cette femme qui arpentait une autre branche de la botanique que la sienne.

Et, si jamais certains de ses élèves les plus âgés souhaitaient se spécialiser dans les affaires médicinales, il serait intéressant d'avoir une guérisseuse parmi ses contacts, pour répondre à leurs questions. Rowan gardait toujours ses élèves à l'esprit.

Si elle se fiait à ce qu’elle savait du monde, Kathleen jugeait que le professeur Moon devait se sentir flattée que ses recherches soient parvenues aux oreilles d’anglais et que ses travaux aient été lus par-delà les frontières. Kathleen savait que ce n’était pas le cas dans tout le milieu botanique, mais que sa mère tenait à se tenir au courant des avancées au niveau mondial, tout simplement parce que les découvertes en médecine étaient différentes selon les pays, et que cela enrichissait son savoir de guérisseuse à un niveau bien supérieur que de se limiter aux découvertes plus localisées. Le professeur Moon serait peut-être déçue.

« A dire vrai, Professeur Moon, je ne crois pas qu’ils l’aient été, mais je met un point d’honneur à me tenir au courant des avancées de la botanique et des potions dans le monde. C’est incroyable à quel point des tribus magiques primitives en Afrique Centrale peuvent par exemple influencer l’avancée de la médicomagie si on sait trouver les informations. J’essaie de parler un maximum de langues afin de me faciliter les choses. Je ne parle néanmoins pas coréen mais mon époux, qui travaille au Ministère, a un collègue qui m’a aimablement traduit plusieurs de vos publications. Les plus légères. Je regrette qu’il n’y ai pas de traduction de l’ensemble de ce que vous avez publié. J’en suis extrêmement curieuse, d’autant que vous avez une plume captivante. »

Elle rit en avouant ce dernier fait. Kathleen n’était pas bavarde comme une pie pour rien. Sa mère lui avait passé le virus et régulièrement, quand elle ne se contrôlait pas, Mary avait tendance à être aussi voire plus bavarde que sa fille à en désespérer James Kirte. Mais elle était surtout une passionnée et elle était d’autant plus enthousiaste que le professeur Moon lui faisait une excellente impression. Kathleen, de son côté, trouvait que le professeur parlait avec beaucoup de justesse.

« Je suis moi-même presque aussi passionnée que ma mère, en réalité, Professeur. Simplement, elle m’a elle-même appris à me montrer plus réservée en présence d’adultes. Cela dit, j’espère que je pourrais vous partager au cours de cette année ma passion pour les plantes. Vous avez raison de dire que Poudlard engage de bons professeurs. Pour ma part, mon préféré est le professeur O’Neill, le professeur d’Astronomie. Il est tellement gentil et toujours prêt à nous aider. Je crois que c’est mon professeur préféré. Mais », ajouta-t-elle en rougissant un peu, « Il ne faut pas le lui dire. »

Elle rougit un peu davantage quand le professeur la complimenta après qu’elle eut parfaitement expliqué la tradition familiale. Quand le professeur Moon les questionna à-propos de leurs plantes, ce fut Mary qui répondit à sa place.

« Cela dépend. Je possède un éventail de plantations, oui, mais la Botanique n’est pas ma spécialité, je m’efforce donc de repérer les meilleurs serres en plante magiques afin de m’y fournir. Kath m’aide beaucoup depuis sa première rentrée car, étonnamment, le sol de Poudlard possède des propriétés magiques assez incroyables qui rendent les plantes cueillies là-bas particulièrement puissantes. Vous le saviez ? »

Quand le professeur lui proposa de correspondre, Mary se montra des plus enthousiastes.

« Ho ! Avec plaisir ! Et puis commeça, vous pourrez me raconter toutes les bêtises de ma petite Kath. » dit-elle en riant.
« Je fais jamais de bêtises ! » protesta la concernée.

La virée à Pré-au-Lard alors qu’elle n’avait pas l’âge de s’y rendre ne comptait pas. C’était pour faire un cadeau au professeur O’Neill.