La fin de journée m'avait parue interminable. Nous sommes pourtant vendredi, je devrais me réjouir d'avoir terminé la semaine. Seulement, une affaire m'avait tracassée toute la journée. Pour être exacte, ça fait plus ou moins deux semaines que je suis préoccupée. Ma dernière entrevue avec Blaze m'avait laissé un goût amer et les événements s'étaient enchaînés à un rythme infernal. La victoire de Serpentard, la fête, le baiser avec Misha, la demande de Blaze, la discussion avec Sasha, les explications avec Misha, cette mystérieuse inconnue à qui j'écris ... Et, pour finir, ce petit mot reçu un vendredi matin accompagné d'une cravate bleue. On peut voir ça comme un cadeau, certes mais l'offre du message était bien plus belle. Un prétexte pour le revoir si j'en avais envie, une porte laissée entrouverte. J'avais lu et relu ce mot, désormais chiffonné à l'extrême. Puis j'avais répondu, ce matin, une semaine après. Le rendez-vous était convenu pour ce soir au bord du lac. Un poids s'était enlevé de mes épaules, un autre s'était rajouté. J'allais revoir Blaze, contre toute attente, mais pour lui dire quoi ? Je l'avais quand même planté comme un con la dernière fois et il souhaitait quand même me revoir. Je n'y comprenais rien et mes questionnements m'avaient encombré l'esprit toute la matinée, jusqu'à ce que je me décide à envoyer un courrier à ma correspondante anonyme. Est-ce parce que je ne la connais pas et qu'elle est donc totalement neutre que j'estime autant ses conseils ? Je n'en sais rien mais ça me fait du bien de coucher les choses sur le papier. Et puis, à qui d'autre en parler ? Misha est le meilleur ami de Blaze et nos rapports ne sont pas au beau fixe. Je n'aborde pas ce genre de sujets avec Cameron. Quant à Sasha, elle a déjà joué une part bien trop grande dans cette histoire.

La réponse m'était revenue lorsque je suis passée à la volière après les cours de l'après-midi. Des mots encourageants, rassurants avaient conforté ma détermination à me rendre à ce rencard. Il me fallait être fixée sur les intentions de Blaze et je lui devais des explications. Les nuages étaient désormais dissipés : Sasha m'avait parlé et les choses étaient on ne peut plus claires avec Misha. Un douloureux nœud me serrait cependant l'estomac. Je ne suis pas douée pour ce genre de choses et je ne me suis jamais retrouvée dans une telle situation auparavant. Moi qui aime compartimenter les données et planifier les choses, je ne sais même pas décrypter mes pensées ni anticiper la conversation que nous allons avoir. Je me raccroche à une phrase que j'ai lu dans la lettre de C. : "dis lui que c'est allé trop vite pour toi". C'est bien ce que je compte faire mais après avoir prononcé cette parole, il se passera quoi ? J'en est tellement la boule au ventre que je mange quasiment pas au dîner. C'est curieux, de redouter à ce point une entrevue avec un mec qu'on voit toute la journée en cours. Que peut-il bien se passer dans sa tête ? Je n'ose y penser. En revenant dans le dortoir, je passe une main dans ma taie d'oreiller. La cravate est toujours là, froissée après une semaine passée sous ma tête. C'est le seul endroit sûr que j'ai trouvé pour que Bluebell ne tombe pas dessus. Imaginez comme ça pourrait jaser si l'on découvrait une cravate de Serdaigle dans mes affaires ! Allongée sur mon lit, je manipule frénétiquement ma chaîne et ma guitare miniaturisée comme pendentif : les minutes me semblent des heures et, étrangement, je ne suis pourtant pas pressée qu'elles passent. Une heure avant celle du rendez-vous, je m'équipe pour mon expédition : legging noir, baskets noires, chaussettes noires, gros sweat XXL à capuche noir. Me voilà en parfaite tenue pour braver le couvre-feu. Certaines filles se seraient sûrement préparées avec soin : belle tenue, maquillage élégant et coiffure impeccable. Je ne suis pas comme ça. Mon visage est vierge de tout artifice, j'ai juste pris une douche. En guise de coiffure, je me fais un chignon haut que je noue à l'aide de la cravate de Blaze. C'est la seule astuce qui m'est venue pour être certaine de ne pas la perdre en chemin : si elle tombe, le chignon se défera et je m'en rendrais compte immédiatement. Je mets ma capuche par dessus mes cheveux : si la cravate se barre, elle finira sa chute dans mon cou et pas au sol.

Mes camarades de dortoir sont habituées à mes escapades nocturnes. Le contrat est simple : chacune couvre l'autre sans poser de question et la pareille sera rendue. J’atterris sans difficultés hors de ma salle commune. Le plus dur commence maintenant. Je longe à l'aveugle les murs froids des cachots en direction des escaliers. Des pas m'alertent, je me planque dans un recoin et retiens ma respiration. Un prof se dirige vers moi, ou plutôt vers l'entrée des cuisines qui se situe quelques mètres plus loin. Je crois pouvoir m'en tirer avec quelques secondes d'attente mais voilà qu'un des préfets - Jace, je crois - fait sa ronde dans le sens inverse. Ils se croisent et engagent la discussion. Merde ... Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est mais je ne suis pas partie avec trop d'avance. Putain ! Quand je pense que j'ai dit à Blaze qu'il ne fallait pas m'attendre et retourner au château si je n'étais pas au point de rendez-vous à l'heure convenue ! Il va croire que je l'ai planté, à tous les coups ! Non, non, non ... Je prends mon mal en patience mais je rage intérieurement. Si les minutes me paraissaient des heures tout à l'heure, c'est encore pire maintenant. Au bout d'un temps qui me parait infini, les deux interlocuteurs se saluent et poursuivent leur route. Dès que j'entends la porte des cuisines se refermer, je sors de ma cachette et me dépêche de prendre les escaliers. J'arrive devant les portes du château à une allure imprudente et me dépêche de sortir. Pourvu qu'il ne soit pas trop tard. Je marche vite, je cours même en direction du lac. Je sais parfaitement où je vais, malgré l'obscurité. L'endroit que j'ai indiqué à Blaze est mon spot favori pour observer l'étendue d'eau : j'y vais de jour comme de nuit, j'adore jouer de la guitare là bas. Je stoppe soudainement ma course : je ne suis pas seule. J'étais si pressée que j'ai failli ne pas le remarquer. La silhouette est trop petite pour appartenir à un professeur, je crois la reconnaître à mesure que mes yeux s'habituent à l'obscurité. Je fais un pas, puis un autre. Pas de doute, c'est lui. « Pssssssssst ! Blaze ! » Je lui chuchote assez fortement pour qu'il tourne la tête et puisse me voir. Une fois cela fait, je le rejoins en quelques enjambées. « Suis moi. » Sans attendre une réponse, je passe devant pour mener mon camarade au lieu de rendez-vous. Mon cœur bat la chamade : est-ce l'adrénaline ou le soulagement de ne pas l'avoir loupé ? Nous ne mettons pas longtemps à arriver. L'arbre en forme de lyre nous fait face, derrière lui le sable et le lac. Le tronc de l'arbre a poussé quasiment à l'horizontale avant de redevenir vertical : de fait, ses trois premières branches ont poussé à la verticale et donne la forme si particulière de cet instrument à corde. Dans notre dos, Poudlard somnole à l'exception de la tour d'astronomie bien éclairée. Je me rappelle subitement que Blaze est avec moi, une fois l'excitation retombée, et me retourne pour lui faire face, capuche couvrant toujours ma tête. Je me sens soudain bien moins sûre de moi. « Mes indications n'étaient pas claires ? » Bravo Skyler, on va aller loin comme ça. C'est con, mais je ne trouve rien d'autre à dire. Comme si nous étions là pour la beauté du paysage ... Idiote.

Lorsque j'interpelle Blaze et lui intime de me suivre, il obtempère sans broncher. J'ai toujours du mal à interpréter les silences de mon camarade, je sais juste qu'ils ne sont pas habituels. Il est mon exact opposé : ce sont les mots que je prononce qui sont révélateurs, lui ce sont ceux qu'il tait qui importent. Je ne fais guère attention à mon allure ni si le Serdaigle me suit toujours. J'ai pour objectif de rejoindre le lac noir en un minimum de temps. Les secondes sont précieuses et ne doivent pas être gâchées ou nous nous retrouverons dehors comme deux cons. Heureusement, cette année nous offre un mois de mai relativement doux. N'empêche, les nuits restent fraîches. Enfin j'aperçois le repère que je cherche, le fameux arbre en forme de lyre. En première année, je l'ai tout de suite repéré et il n'a jamais revêtu une autre forme que celle de l'instrument, pour moi. L'endroit me paraît simple à trouver puisque j'y vais régulièrement, je ne me rends pas compte que mon message devait manquer d'informations pour quelqu'un d'un peu moins familier avec le lieu. De fait, lorsque nous sommes tous deux arrivés, je me retourne vers Blaze afin de lui demander si quelque chose clochait dans mes explications. Je n'ai jamais été très empathique, je le prouve encore une fois. Je l'observe hausser les épaules avant de me répondre. Incertain de mon identité quelques minutes plus tôt, il prétexte que la nuit interfère avec ses facultés visuelles. Je hausse un sourcil : comme s'il s'attendait à trouver quelqu'un d'autre à cette heure-ci et à l'extérieur du château ... « Tu n'es pas très observateur. » Mon ton froid tranche avec l'amusement dont fait preuve Blaze. Nous retrouvons nos comportements initiaux, comme si rien n'avait changé depuis la dernière fois. Le pitre et la porte de prison, tu parles d'une fable.

Le silence retombe après cette intervention. Bien sûr que les choses ont changé, je le sens au creux de mon ventre. Je demeure sur mes gardes, comme au début, mais pour d'autres raisons. Le lac noir était censé m'apaiser, il n'y arrive qu'à moitié. Je me suis tournée vers l'étendue d'eau en même temps que Blaze et je m'adonne à sa contemplation. Rien ne vient troubler le calme de cette nuit de printemps, on dirait même que le temps s'est arrêté. Je réfléchis toujours mieux dans la quiétude de la nuit mais je n'ose la troubler en reprenant la parole. Le silence peut être pesant - comme lorsque je me trouve avec Bluebell dans notre dortoir - mais celui ci est agréable. Je pourrais rester comme ça jusqu'au matin, aux côtés de Blaze, sans le moindre souci. Mais nous ne sommes pas là pour ça et ce dernier me demande rapidement pourquoi j'ai choisi cet endroit pour notre rencontre. Il y a mille et une raisons et toutes sont valables. « L'isolement. Et aussi pour éprouver ta détermination. » Mes yeux restent fixés sur les flots. Je voulais un endroit familier, où je me sens bien mais aussi à l'abri des regards indiscrets. N'importe quelle salle du château aurait pu faire l'affaire, mais je ne voulais vraiment pas risquer d'être dérangée et je tenais à m'éloigner de ces murs où tant de choses se sont passées au cours des dernières semaines. L'heure du rendez-vous a également son importance. J'ai fait prendre des risques à Blaze, précisément pour être sûre de sa volonté et de sa bonne foi. S'il avait voulu se moquer de moi, jouer ou s'il n'avait pas tant tenu à me revoir, il aurait sûrement décliné ou proposé un autre créneau horaire. Là, le Serdaigle avait accepté sans broncher et cela m'avait rassurée. De son point de vue, peut-être que mes quelques mots passent pour un caprice ou pour une nouvelle forme de jeu mais la réalité est bien plus complexe.

Je suis consciente que nous n'avons pas tout le temps du monde devant nous. Le choix d'une heure tardive me semblait sécurisant, sur le papier, mais il donne également une forme d'urgence à notre rendez-vous. Si nous sommes ici, c'est avant tout parce que je dois lui rendre sa cravate. Un beau prétexte offert sur un plateau et qui me rassure, quelque part. Sans son message, je n'aurais sûrement jamais osé faire le premier pas. J'aurais enterré ce passage de ma vie dans un coin reculé de mon esprit jusqu'à l'oublier totalement et retrouver ma zone de confort. Je crois que je suis heureuse de son geste même si je ne sais pas l'exprimer. « J'ai ce qui t'appartiens. » Je retire ma capuche et dévoile mon chignon, intact, noué grâce à la cravate bronze et bleue. Dans l'obscurité, les couleurs sont difficilement distinguables mais j'ose espérer qu'il la reconnaît et ne croit pas qu'il s'agit d'un simple élastique ou ruban. Comme si j'étais du genre à porter des rubans, moi. La scène où je lui nouais sa cravate autour du cou, dans la salle vide, me revient en mémoire. C'était agréable, en y repensant mais je n'ose pas faire preuve d'une telle audace cette fois-ci. Mon refus a créé une barrière invisible entre nous, de mon côté du moins. Je laisse donc le tissu dans mes cheveux pour l'instant, il sera bien temps de le défaire plus tard : d'autres nœuds doivent d'abord sauter. J'inspire et souffle un grand coup avant de me lancer. « Je suis prête à répondre à tes questions. » Je ne me défilerai pas cette fois. J'ai eu le temps de me préparer à la situation et aux différentes éventualités. Seulement, je ne dirai rien qu'il ne m'aura pas demandé, de peur de faire un faux-pas.

Je n'ai pas l'impression que ma réponse satisfasse pleinement Blaze. Je ne sais pas trop, c'est un sentiment dur à expliquer. Est-ce que je me suis trompée ? Est-ce qu'il a malgré tout trouvé le moyen de jouer ou de se moquer de moi ? N'ai-je pas été assez prudente ? Les questions tournent en boucle dans ma tête. Je me sens comme une étrangère dans le monde du Serdaigle. Son cerveau fonctionne à l'opposé du mien et il m'est très difficile d'avoir un coup d'avance sur lui. Pourtant, je ne me sens bien que lorsque j'arrive à anticiper les choses. Chaque rencontre avec Blaze est une perte de contrôle totale et je déteste ça. Pourtant, j'y reviens à chaque fois. Je ne rends pas son sourire au Serdaigle lorsqu'il me dit qu'attendre la fin des vacances pour lui répondre aurait été plus éprouvant. En fait, je n'arrive pas à savoir s'il est sérieux ou si c'est encore une plaisanterie. C'est débile, jamais je n'aurais attendu si longtemps. Avec moi, c'est tout ou rien. La vie m'a appris qu'elle était trop courte pour en gâcher le moindre moment, même si je m'étiole dans un monde qui ne me convient pas. De fait je ne réponds rien et me contente de le fixer. Je me suis résolue à abandonner l'idée d'essayer de comprendre ce garçon à tout prix. J'aime quand les choses sont claires mais le charme de nos rencontres résident en partie dans nos incompréhensions.

Puisque nous sommes ici pour procéder à un échange de fringues - à sens unique, évidemment - je décide d'en venir au fait rapidement. Je ne sais pas si Blaze sait que le temps nous est compté : si c'est le cas, il ne le montre pas et me paraît étonnement calme. Une tranquillité qui contraste avec mon propre chamboulement intérieur, atténué par sa présence mais douloureusement présent ces derniers jours. Je culpabilise à mort de l'avoir laissé comme je l'ai fait mais peut-être que ce n'était pas si grave que ça, pour lui. Je me suis figurée qu'il avait dû mal le prendre et peut-être même que je l'avais blessé alors que ce n'était peut-être qu'un jeu de plus pour lui. Je ôte tout de même ma capuche afin de lui montrer que je ne suis pas venue les mains vides. Ou plutôt les cheveux vides, puisque la cravate se trouve enroulée autour de ma crinière. Sa vision laisse un sourire sur les lèvres de Blaze et il qualifie mon subterfuge de malin. Je souris à mon tour, contente qu'on reconnaisse l'ingéniosité du subterfuge. Non pas que ce soit digne d'un grand ingénieur hein mais ça en jette plus que de l'avoir simplement glissée dans ma poche. Blaze ne rajoute rien d'autre et j'avoue être troublée par le peu de mots qu'il me concède, ce soir. Cela laisse des moments de latence entre nous et je n'y suis pas habituée. D'habitude, je me contente de prononcer une phrase de temps en temps et le Serdaigle se charge de la conversation. C'est pour ça que ça marche entre nous, quand nous nous voyons. On se complète, quoi. Mais ce soir, les rouages ne s'imbriquent pas aussi bien que d'habitude. Je sens qu'il attend quelque chose, quelque chose de moi.

Je crois savoir ce qu'il veut. Ce n'est pas compliqué, il l'a écrit dans une lettre : des explications. Je sais que je suis ici pour ça mais j'avoue que retarder l'échéance ne me déplairait pas. Puis, je repense à ma correspondante anonyme et à ses conseils. Je dois me jeter dans le vide maintenant, sinon je risque de le regretter. Ce n'est pas chose facile mais j'ose prendre la parole pour annoncer à Blaze que je suis prête à répondre à ses questions. J'aurais aussi pu me lancer et déballer tout ce qui encombre ma tête depuis que je me suis enfuie. Que j'ai eu peur de m'engager, que je croyais qu'il avait Sasha en tête et que je n'étais que le lot de consolation, que tout était allé trop vite, que je n'étais pas sûre de savoir ce que je voulais ni même si j'étais capable de partager mon monde avec quelqu'un ... Mais je me dégonfle, encore une fois. Le Choixpeau aurait fait une belle connerie s'il m'avait envoyé à Gryffondor. Après un court temps de latence, Blaze s'assoit et je l'imite aussitôt. Si l'on s'assoit, c'est que la conversation s'apprête à devenir sérieuse et qu'elle va être longue. Enfin je crois. Il m'avoue qu'il aurait préféré me laisser dire les choses comme je les voyais et je comprends. Je ne suis cependant pas connue pour faciliter la tâche à ceux qui veulent percer les secrets de ma personnalité alors ce ne sera pas pour cette fois. Il se met à rire, d'un rire sans moquerie, et je crois que ça me plait. La question vient ensuite et elle me fait répondre du tac au tac. « Je n'ai pas "accepté" un nouveau rendez-vous. Je l'ai fixé. » Remettons les choses dans l'ordre. Blaze m'a filé le prétexte pour le revoir si je le souhaitais mais c'est moi qui aie décidé du rendez-vous. Je suis l'organisatrice et lui n'est que l'invité. Néanmoins, je me doute que si je ne produis que des réponses laconiques de ce genre, on ne va pas aller bien loin. « Et si j'ai fait ça ... » Je prends sur moi, soucieuse de trouver les bons moments. Ceux qui laissent sous entendre les choses sans en dire trop. Je ne sais pas exactement pourquoi j'ai décidé de ce rencard, je ne peux donc être précise dans ma réponse sans mentir en partie. « C'est parce que j'trouvais que la fin de notre dernier rencard n'était pas ouf ... » Je ne m'excuserai pas de ce que j'ai fait, ce n'est pas dans mes habitudes. Cette réponse est une manière comme une autre d'avouer que les choses auraient pu mieux se dérouler. Mais il m'a forcée à agir comme cela, je ne me considère pas comme seule responsable. Je suis prête pour une deuxième question. Pour l'instant, je gère. Enfin ... je crois.

Merde. Je viens de parler trop vite et je m'en rends compte au moment où le mot sort de ma bouche. Quelle idée d'appeler notre dernière entrevue un "rencard" ?! Je me mords la lèvre inférieure, consciente de mon erreur. Blaze est intelligent et il ne va pas me louper, comme le témoigne le grand sourire qu'il affiche à présent. Je crois que mon esprit a tellement divagué ces derniers jours qu'il n'est plus en état de fonctionner correctement. Ou alors ... J'ai peut-être intériorisé le fait que ma relation avec le Serdaigle n'était pas seulement basée sur la rivalité. A dire vrai, je me suis tellement montée le cou sur cette histoire que j'ai peut-être mal interprété les choses. Je suis partie du postulat que Blaze devait être déçu de ma réaction, peut-être même blessé. Les indices allaient en ce sens : l'histoire avec Sasha n'était pas vraiment de sa faute, il en avait parlé à Misha et semblait moins enjoué qu'à l’accoutumée. Je l'avoue, je l'ai observé depuis notre dernière rencontre. J'observe toujours mon environnement, là n'est pas la question. Mais il est rare que je me focalise autant sur un individu en particulier. Blaze m'avait l'air morose et je ne m'en étais attribué le mérite, si l'on peut dire ça comme ça. Mais je m'étais peut-être trompée sur toute la ligne, après tout ? Le voilà qui se met à rire et me perd un peu plus : il trouve ça drôle, il se moque ? Qu'est-ce que je dois comprendre ?

Comme je pouvais m'y attendre, ce n'est pas sans une certaine fierté - qui donne envie de le frapper - que Blaze reprend la parole pour m'interroger à nouveau. La question aurait pu être pertinente si le Serdaigle n'avait pas tant insisté sur le terme qui m'a échappé tout à l'heure. J'étais sûre qu'il n'allait pas résister à l'envie de me narguer avec ça. Néanmoins, sa joie me laisse penser que je n'ai pas tout inventé et que j'étais effectivement la cause de sa morosité. Égoïstement, je m'en trouve soulagée. D'abord tentée par une pirouette pour rattraper mon mot malheureux, j'abandonne bien vite cette idée. Je suis venue ici pour être franche et pour assumer les choses : ça commence par ne pas revenir sur la moindre de mes paroles. « Bah un tête à tête où le mec fait une déclaration à la fille, tu veux que j'appelle ça comment ? Un cours de tricot ? » Je lève les yeux au ciel mais un petit sourire vient éclairer mes lèvres, l'espace d'un instant. Je ne risque rien à avouer ça, je crois. J'ai assez charrié mes copines à Brighton pour reconnaître un rencard quand j'en vois un, même si je me voilais la face jusqu'à présent. D'ailleurs, on est en train de faire quoi là ? Est-ce que c'est également considéré comme un rencard ? Je ne crois pas, je qualifierais plutôt ça de réunion de conciliation post ... post truc qui s'est mal terminé.

D'ailleurs, je dois maintenant dire à mon camarade comment j'aurais préféré que notre dernière entrevue se termine. Instinctivement, je replie mes jambes contre ma poitrine et les encercle de mes bras. « J'aurais aimé ne pas partir en courant sans rien dire. » Les mots mettent plus de temps à sortir, cette fois. Je sais quoi répondre, j'ai repassé la scène dans mon esprit des dizaines de fois. Il est bien plus simple de penser que de parler. Je me dis que c'est peut-être le bon moment pour caser les conseils de C. « Et j'aurais aimé que les choses n'aillent pas aussi vite ... » Respire Sky', tu ne t'en sors pas si mal. Je suis tentée de m'arrêter ici mais finalement, je souhaite rajouter quelque chose. « Que ce soit moins brutal ... Voilà. » J'ai gardé les yeux baissés tout le long, j'ose enfin les relever pour croiser ceux de Blaze. Et lui, il aurait aimé que ça se passe comment ? La question me brûle les lèvres mais je me tais. Une étape à la fois.

Mes explications provoquent un soupir du côté de Blaze. Ce n'est pas un de ceux qu'on fait lorsque l'on est agacé ou en colère, celui-ci semblait plus enjoué. Du soulagement, peut-être ? Ce serait bizarre, je viens de lui faire des reproches. La journée a été longue et je ne suis sans doute tout simplement pas en état d'analyser correctement les choses. Surtout - et c'est bien rare - je n'en ai pas envie. Marcher sur des oeufs en permanence peut être fatiguant, à la longue. Retenir sans cesse qui l'on est vraiment, par sécurité, déteint sur le comportement si cette rétention dure trop longtemps. Je m'en rends compte à chaque fois que j'essaie d'expliquer ce que je pense au Serdaigle, sans tenter le moindre subterfuge. C'est dur et mon corps tout entier semble résister à la confidence. J'ai seize ans et pourtant je suis blindée de tous les côtés. Pourtant, Blaze s'accroche. Il revient même quand je le chasse volontairement, même si je ne suis pas la solution de facilité. C'est vrai quoi, il y a plein de nanas aux hormones en délire qui n'attendent qu'une histoire d'amour à vivre. Je ne fais pas partie de ces filles. J'ai toujours fait cavalier seul et je comptais bien continuer ainsi. Ça me fait flipper d'ajouter une nouvelle inconnue à l'équation. Pourtant, l'inconnue est là et le monde ne s'est toujours pas effondré. Pourtant, Blaze est revenu malgré mes nombreux défauts et blocages. Je commence à envisager qu'il a peut-être su voir au delà du bloc de glace que j'incarne en apparence. Je ne saurais dire si j'en suis heureuse, soulagée ou angoissée.

Je m'autorise enfin à lever les yeux vers le Serdaigle et c'est son sourire que mon regard croise. Mes jambes toujours repliées, je me sens cependant moins vulnérable. J'ai dit ce que je pensais et il n'est pas parti en courant, pas encore. Je l'observe soudainement se laisser tomber en arrière et s'allonger dans l'herbe, la tête tournée vers les étoiles. Comme un réflexe, mes jambes se détendent et se croisent en tailleur. Je passe une main dans l'herbe et en cueille un brin avec lequel jouer pour m'occuper les doigts. Le Serdaigle m'assure que sa promesse n'était pas une parole en l'air et, même si je semble toujours concentrée sur mon brin d'herbe, mes mains ont arrêté de s'agiter. J'ai le droit de lui dire quand les choses vont trop vite pour moi, sans risquer quoi que ce soit. Cette éventualité ne m'avait pas traversé l'esprit. J'ai une pensée soudaine et amère pour ma discussion avec Misha : lui ne me laisse pas le choix de dire les choses comme je les pense. Lorsque je le fais, je suis toujours à deux doigts de déclencher la Troisième Guerre Mondiale. Blaze me laisse la possibilité d'être moi-même et je crois que personne avant lui ne m'a fait ce cadeau, ici. Mes vieilles habitudes m'intiment la prudence mais ces paroles ne sont pas tombées dans l'oreille d'une sourde. Je m'autorise même un sourire quand il évoque ma fuite de la dernière fois : c'était vraiment débile, en y repensant. Je crois un instant que le Serdaigle a terminé mais il reprend la parole. Cette fois-ci, je lève les yeux. Est-ce qu'on se tourne autour ? Un de ces quatre, ça veut dire que l'on va continuer à se voir ? Il est impatient et moi je freine de deux pieds. Quelle drôle de dynamique. La réflexion pourrait m'affoler mais j'arrive à calmer mes sens. J'ai le droit de ralentir les choses si j'en ai envie et lui il a le droit de me dire qu'il veut les accélérer. C'est normal, c'est donnant donnant, comme dans toute relation même si je n'arrive pas à caractériser la nôtre.

C'est là que Blaze s'en charge à ma place. Il tourne la tête vers moi et nos regards se croisent. Il ne termine pas sa phrase mais je n'ai aucun mal à deviner de quoi il parle. Pourtant, je n'ai jamais eu le moindre modèle de couple parental auquel me raccrocher mais c'est bien ce qu'on dit partout à la télé et dans les magazines de meufs, non ? La communication c'est important dans un couple. Est-ce que les parents de Blaze sont toujours ensemble ? J'avoue que je n'en ai pas la moindre idée. Est-ce que c'est seulement possible, de s'aimer tout ce temps ? Je sens mon camarade gêné plus que je ne le vois rougir, la pénombre aide à dissimuler l'embarras. Je crois que la chaleur m'est également montée aux joues. Nous ne sommes pas un couple. C'est ridicule, pas vrai ? Un couple ça s'embrasse, beaucoup, ça s'affiche en public et puis parfois ça s'aime. Nous ne sommes rien de tout ça. Tout ce que je sais, c'est que je me sens bien dans les moments que je passe avec lui. Est-ce que ça suffit ? « T'as le droit de dire que je te casse les couilles parfois. » Mon regard s'est tourné vers le lac, je remets une mèche folle derrière mon oreille. Mon chignon ne va pas tenir longtemps. Je préfère rebondir sur l'avant-dernière phrase de Blaze, pour dissiper la gêne. Et puis, il l'a dit lui-même, la communication c'est important. « Mais appelle moi Sky, comme tout le monde. » Mes yeux se posent fugacement sur le Serdaigle avant de plonger à nouveau dans les flots. Ma phrase ne suffit pas, elle est trop impérative et le "comme tout le monde" me dérange. Blaze n'est pas tout le monde. « Enfin j'veux dire ... les autres ont pris ce droit d'office mais moi, j'te le donne. » Oh merde, c'est super bizarre ce que je viens de dire. Je n'aime pas qu'on m'appelle par mon diminutif lorsque la personne ne fait pas partie de mon entourage. Genre Carter, qui prend pourtant un malin plaisir à le faire. J'ai lutté pendant un certain temps pour que tout le monde ne prenne pas cette liberté puis j'ai finalement laissé tomber. Ce n'est qu'un nom et tout le monde s'en fout, personne ne fait la distinction. Pourtant, d'aussi loin que je me souvienne, Blaze m'a toujours appelée Skyler. J'ai envie de faire tomber cette barrière, même si c'est de l'ordre du futile pour beaucoup de monde. Je me laisse tomber moi-même à côté de Blaze et m'allonge, dans une position relativement similaire à la sienne si ce n'est qu'un de mes bras reste le long de mon corps tandis que l'autre s'est calé derrière mon crâne. J'observe le ciel à mon tour. Je déteste l'Astronomie, j'ai toujours préféré croire que ces étoiles étaient les voeux qu'on formule sur Terre et qui montent dans le ciel en attendant de se réaliser. « Comment tu aimerais que ça se finisse, aujourd'hui ? » Je n'ai pas envie de commettre d'impairs. Certains apprécient la beauté des sous-entendus et des non-dits mais moi, je suis une scientifique. J'aime le factuel et la clarté. Pour les obtenir, il faut poser des questions. LA question, en l’occurrence.

Assise face au lac, je laisse échapper un petit rire lorsque Blaze m'approuve. Même si je lui en ai donné l'autorisation, je ne suis pas sûre d'apprécier d'être qualifiée de chiante ou de casse-couilles. Le moment venu, je ferai peut-être - sûrement - la tronche. Je m'embrouille un peu lorsque j'évoque la façon dont le Serdaigle m'appelle. C'est curieux, en y repensant, que ce soit ce détail qui m'ait interpellée. Je fais toujours attention aux détails, ce n'est pas le problème, mais celui passe inaperçu pour la plupart des gens. Souvent, c'est quand le ton monte qu'on me définit par mon prénom complet. Mon père, surtout, m'appelle Skyler quand on s'engueule ou quand j'ai fait une connerie. Il est donc d'autant plus curieux que Blaze ne préfère pas utiliser mon diminutif. Il n'est décidément pas comme les autres. Le garçon n'a d'ailleurs pas l'air convaincu quand je lui offre de m'appeler Sky. Enfin, ça je le devine à ses paroles, mes yeux restent rivés sur l'étendue d'eau. Un rictus m'échappe lorsqu'il qualifie mon intention de gentille. Si c'est un compliment, je ne l'apprécie pas comme tel. A mon oreille, ce mot sonne presque comme une insulte. La gentillesse est rarement valorisée chez les Serpentards : elle ne l'est pas plus là d'où je viens. La loi du plus fort fait légion, comme celle du talion. « Je n'suis pas une meuf gentille. » C'est plus fort que moi, il fallait que je le dise. Je n'ai pas envie que Blaze me voit comme une fille sensible, une fille faible. Il est certes doué pour faire ressortir mes vulnérabilités mais je ne suis pas comme ça en temps normal. Lui est gentil, dans le bon sens du terme. La gentillesse lui va bien, contrairement à moi.

Je sens mon chignon se desserrer peu à peu. C'est le signe que la soirée avance. Je ne m'attendais pas à ce que la cravate tienne éternellement, ce n'est qu'un nœud de fortune. Pour être honnête, j'en ai même oublié ce bout de tissu. Blaze est allongé, je suis restée assise et droite. Je ressens rapidement le besoin de le rejoindre, ce que je fais sans tarder. Comme si j'étais trop exposée, trop vulnérable sans sa présence rapprochée. Je m'allonge à côté du Serdaigle, la tête tournée vers le ciel. Une petite brise, encore fréquente en ce milieu de printemps, me caresse le visage. Puisqu'il m'a demandé comment j'aurais aimé que notre précédent rendez-vous se termine, je juge pertinement de faire de même pour celui-ci. Je ne compte pas partir en courant mais je préfère savoir de quoi il retourne. Anticiper les choses me permet d'éviter les réactions excessives. Je l'écoute me répondre, à cœur ouvert pendant que j'évite soigneusement de le regarder. Je me concentre sur les étoiles pour éviter de laisser apparaître la moindre émotion. Il a envie de m'embrasser. Cette proposition tombe comme un galet dans mon estomac. J'en ai envie aussi, seul une idiote essaierait de faire croire le contraire. Seulement, maintenant qu'il l'a formulé à voix haute, cela sonne comme une étape obligatoire à franchir et mon insécurité remonte en flèche. Bien sûr, je pourrais lui faire cette concession. Blaze accepte que je prenne mon temps, ce serait normal que je lui donne ce qu'il veut en retour. Seulement, je crains que me forcer n'enlève tout le charme du premier baiser. Est-ce que le Serdaigle a déjà embrassé des filles ? Il m'a confié ne jamais avoir eu de petite amie, mais ça n'empêche pas. Je n'ai jamais été tellement en couple non plus et, pourtant, j'ai déjà embrassé plusieurs garçons. Un bref coup d’œil lancé en direction de Blaze, qui reste absorbé par sa contemplation du ciel, me conforte dans mon idée. Il est mignon - même très mignon - et il a du charme aussi, c'est sûr qu'il a déjà embrassé des nanas. Il n'empêche, le premier baiser entre deux personnes, ça compte quand on veut aller plus loin. Enfin, je crois.

Sans rien répondre, je réfléchis à sa deuxième proposition. Poser la tête sur son bras, franchir la distance fine qui nous sépare encore. Cette idée me séduit autant qu'elle me fait peur. Pourtant, que peut-il bien m'arriver ? A moins qu'il ne pointe soudainement sa baguette sur moi en me menaçant - hautement improbable - je crois que je ne risque rien. Je me trouve soudain toute timide lorsque je me tourne un peu et m'approche de Blaze. Désormais allongée sur le flanc, je pose doucement ma tête sur son bras, sans rien dire, la tête tournée vers son cou. Je cale ma respiration sur la sienne : en fait, je ne regarde plus du tout les étoiles. Intérieurement, je me félicite d'avoir les cheveux noués : détachés, ils auraient atterri sur le visage de Blaze à coup sûr. Nous restons ainsi pendant un moment d'une durée indéfinissable. La journée a été longue, je sens la fatigue me gagner. Si je fermais les yeux, je crois que je pourrais m'endormir. C'est étrange, d'ailleurs. Dans le dortoir, j'attends quasiment toujours d'entendre le souffle régulier de mes camardes pour trouver le sommeil, par précaution. Là, c'est limite si je ne dois pas luter contre le sommeil. Moi qui n'aime pas le contact physique, je me trouve soudain apaisée par celui-ci, sans toutefois oser en rajouter. Les papouilles et compagnie, ce n'est pour tout de suite. Je me sens bien, ainsi. Les minutes passent et mes appréhensions s'évaporent avec elles. Mon chignon se relâche encore et me rappelle que le temps file. « Hum ... Faudrait qu'on fasse gaffe à l'heure. » Pour dissiper la gêne de mon annonce, je relève la tête et me redresse. Le nœud lâche, la cravate chute et mes cheveux tombent en cascade sur mes épaules jusqu'au creux de mes reins. Je ne laisse jamais mes cheveux détachés. Ce changement de coiffure sonne comme les douze coups de minuit pour Cendrillon. La prudence me dit de rentrer sans tarder, le coeur n'a aucune envie de bouger.

La nuit m'a toujours paru plus belle que le jour. La nuit est silencieuse, elle garde les secrets mieux que n'importe quelle tombe. Je suis un oiseau de nuit, j'ai toujours été élevée dans cette optique là grâce (à cause ?) des horaires bar de mon père. Forcément, l'heure tardive de mon tête à tête avec Blaze me met à l'aise. Je sens pourtant qu'il y a autre chose qui rentre en ligne de compte, ce soir. Pas seulement la beauté du lac face à nous ni la tranquillité du paysage qui nous entoure. Ma tête est posée sur le bras du Serdaigle, mon corps est proche du sien et mes yeux sont tournés vers son visage. Il a une respiration calme et régulière que j'imite instinctivement. La chaleur qui émane de lui est appréciable, en cette soirée. Surtout, je le regarde et j'ai l'impression de le voir réellement pour la première fois. C'est un autre Blaze qui se découvre à mes côtés : un garçon qui puise son charme dans les silences et dans tout ce que son corps exprime sans avoir besoin d'une voix, un garçon qui m'a rattrapée alors que je me suis comportée comme une enfoirée avec lui. Des remords qui s'évaporent à mesure que le sommeil me prend. Je me sens apaisée, comme en sécurité, pour la première fois depuis longtemps. Cette nuit me paraît plus belle, plus douce que toutes les autres car je la partage avec quelqu'un. Je n'aimerais être nulle part ailleurs, actuellement. Aurais-je enfin trouvé la place qui est la mienne ?

Le naturel me rattrape trop rapidement. Je réalise tout à coup que ce n'est pas parce que le temps semble suspendu qu'il ralentit sa course. Les minutes défilent et nous rapprochent toujours plus de l'échéance. Je finis par me redresser, rompant ainsi le charme du moment. Ma voix brise le silence et évoque l'heure dont nous devons nous soucier. Au même moment, le chignon déclare forfait et la cravate de Blaze s'écrase au sol tandis que ma longue crinière s'éparpille le long de mon dos. Mon questionnement surprend le Serdaigle, qui se redresse à son tour. Je crains un instant de l'avoir contrarié et cette simple peur me fait sentir que je ne suis définitivement pas dans mon état normal. Je n'ai d'ailleurs pas dit qu'on devait rentrer maintenant, juste que nous devrions regarder l'heure. Il n'y a aucune raison de s'emballer. Je suis une nana pragmatique, discrète et soucieuse de ne pas se faire remarquer à tort. Que dirait-on si je me retrouvais enfermer dehors en compagnie de Blaze ? Nul doute que la nouvelle ferait le tour de Poudlard avant que nous aillons le temps de dire Quidditch. Cela ne me dérange pas qu'on dise que je passe du temps avec lui : ce serait presque dans mon intérêt s'il n'y avait pas Jade. Cette petite peste serait capable de se venger sur moi si elle avait connaissance ne serait-ce que d'une minute de ce rendez-vous. Je n'ai vraiment pas besoin de ça. Sans compter qu'elle mènera peut-être la même vie infernale à Blaze, si ça se trouve. Bien loin de tout ce tumulte intérieur qui m'agite, je finis par répondre au Serdaigle d'un simple haussement d'épaule. Oui, déjà, on dirait bien.

Le couperet tombe et j'avoue que je ne m'attendais pas à cette réponse là. On s'en fiche ? Mais bien sûr que non, on ne s'en fiche pas et pour toutes les raisons que je viens de passer en revue mentalement. Bien sûr, Blaze ne peut pénétrer mes pensées et heureusement. Mais ne sait-il pas ce qu'on risque ? Il ne faudra pas longtemps aux langues de vipères pour tirer des conclusions hâtives sur ce que nous faisions dehors à une heure pareille. Je n'ai pas envie qu'on me regarde, ni qu'on fasse des messes-basses sur mon compte. Mon cœur commence à s'emballer méchamment, comme la dernière fois. Une dernière réplique m'assomme : ils en ont vu d'autres ... « Des couples ... » Je répète ce terme plus pour moi-même que pour offrir une réponse à mon camarade. Un noeud se forme au niveau de mon estomac. Je n'ai jamais donné mon accord pour une telle chose, je ne suis pas sienne et il se goure totalement en pensant que je vais accepter de m'afficher comme sa petite amie. Et pourtant ... Pourtant l'excellent élève, chouchou des professeurs, est prêt à se coltiner une retenue pour un moment avec moi. Comme il était prêt à sécher la Divination pour me rejoindre la dernière fois. Comme il m'a dit qu'il s'en tapait totalement de ce que pouvais penser Jade. Comme s'il me plaçait au dessus de toutes ces conséquences pourtant si désastreuses à mes yeux. Est-ce que c'est vrai alors ? Est-ce que j'ai un truc qui lui plait ? Malgré mon caractère de chien, mes angoisses à la con et mes cheveux en bataille. Est-ce que je mérite tout ça ? Pourquoi mettre en jeu toutes ses choses pour une fille aussi laide et imparfaite que moi ? Lui, le garçon au charme infini et à l'imagination débordante, avec un cercle social solide et une immaturité touchante, que voit-il en moi ? Je passe une main dans mes cheveux pour dégager mon visage et ramasse la cravate tombée au sol. Les actions avant tout, pour laisser le temps aux mots de mûris. « Tu serais prêt à risquer d'être enfermé dehors, de chopper une retenue et un retrait de point voire que tout le château soit au courant pour ... un moment avec moi ?» Mes doigts jouent avec le bout de tissu, mon regard se concentre dessus. Cette question semble si idiote, une fois formulée, si loin de ce que je suis d'habitude. Encore une fois, je me sens aussi vulnérable qu'un nourrisson, tout à coup. Mais j'ai progressé, je n'ai pas fui comme la dernière fois. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque mais, cette fois-ci, le désir de rester la surpasse. L'attente d'une réponse qui, peut-être, pourrait enfin me donner l'impression que je ne perds pas mon temps à Poudlard. L'attente d'un espoir que, peut-être, je ne fais pas fuir tous ceux qui m'approchent de trop près.

C'est un bel endroit pour un début de rapprochement avec un garçon. Je me félicite de mon choix autant que je le regrette quand je pense au temps qui file. A l'intérieur du château, nous aurions eu toute la nuit pour profiter de cette proximité nouvelle. Ici, ce n'est pas le cas et chaque seconde rapproche la possibilité de se retrouver enfermés dehors. Je suis une fille réfléchie, pas du genre à me laisser emporter par le premier élan fougueux ou romantique. Encore un trait de caractère qui me distingue de Blaze. Le Serdaigle ne semble pas avoir envie de quitter cet endroit, souhaitant au contraire le prolonger, ce qui m'étonne. Quand je pèse les pertes et les bénéfices d'une telle entreprise, pour lui, le choix est vite fait. Il risque une retenue juste pour un moment avec moi, comme si ces instants avaient de la valeur. C'est totalement ridicule et pourtant, je ne vois que cette option là. Incrédule, je lui demande s'il compte réellement assumer toutes les conséquences de ce choix juste pour moi. Blaze me répond par l'affirmative, comme si c'était une évidence et je reste sans voix tandis que mon cœur tambourine dans ma poitrine.

Je ne réalise pas totalement la portée de ce "oui", partagée entre une joie immense et la suspicion d'un début de démence chez le Serdaigle. Il a bien vu qui je suis ? Que voit-il en moi pour choisir de risquer tout ça ? Mon silence doit soulever le doute chez Blaze, puisqu'il me demande rapidement s'il ne devrait pas faire ce choix. Si j'étais une nana altruiste, je répondrais qu'il ne faut absolument pas, que c'est une erreur. Cependant, je suis et demeure une putain d'égoïste. « Oh euh si ... » Je m'empresse de dire, en tortillant la cravate du Serdaigle entre mes doigts. Je relève les yeux vers lui pour rajouter un détail. « C'est juste que t'es le premier qui ... » Je m'arrête là, consciente que je suis sur le point d'en dire trop. C'est le premier qui me considère vraiment, ici. Cameron risque aussi la retenue lorsqu'on se voit pour la natation mais c'est parce qu'il a quelque chose à y gagner. Là, qu'est-ce que j'ai qui pourrait servir les intérêts de Blaze ? Rien, il a déjà tout sans que je ne sois là. Pourtant, ma présence compte. C'est le premier qui me fait ressentir ça. La beauté de cette soirée et de ce qui s'y découvre ne devrait pas être entachée par un professeur grincheux. Ces moments n'appartiennent qu'à nous et je ne laisserai personne les gâcher. Je me permets donc d'insister, alors que la cravate se trouve désormais enroulée autour de mes poignets. « Hum enfin on devrait quand même rentrer. Si on se fait chopper, ils vont nous coller des retenues jusqu'en juillet et ils vont nous surveiller de ouf. On pourra plus avoir ce genre de soirées à nous. » C'est un argument pour faire aller Blaze en mon sens, certes. Mais je le pense sincèrement : je tiens à ma liberté de mouvements. Les examens approchent et nous aurons besoin de notre temps libre pour réviser. Et puis ... je me surprends à penser que cet endroit, au bord du lac, pourrait être "notre" endroit. « Tu me raccompagnes ? Si on nous voit, j'dirai que je t'ai aidé à chercher ta cravate et qu'on a pas vu l'heure. » Pour accompagner ma proposition, je tends ma main droite - où la cravate est coincée entre mon index et mon majeur - et attrape celle de Blaze. Si j'avais seulement l'intention de lui rendre son bien, au début, je ne relâche finalement pas mon étreinte. Bien qu'un peu gênée, j'apprécie ce contact et nos doigts entrelacés. Heureusement qu'il fait sombre et qu'il ne voit pas mes joues rouges ni mon manque cruel d'assurance.

Ce moment à deux me semble être un enchaînement de maladresses et de malaises en tout genre. J'ai la sensation, à la fois agréable et son contraire, de ne rien maîtriser. Comme si je faisais mes premiers pas dans un monde inconnu, tel un oisillon tombé du nid. Blaze me fait me sentir bien et j'arrive à me poser un peu moins de questions qu'à l'accoutumée. Néanmoins, toute première expérience doit avoir une fin. Je le sais : plus cet instant dure, plus grand est le risque qu'un élément perturbateur vienne s'ajouter au tableau. J'aimerais rester là, dans le silence de la nuit, à contempler les étoiles. Une part de moi en a envie, sincèrement. Mais la parenthèse a déjà duré trop longtemps. Je ressens le besoin de me retrouver seule, pour faire le point sur la situation et analyser les choses. J'avoue que je tiens aussi à ne pas éveiller la curiosité de Bluebell et Sasha. Cette dernière sera dans la confidence en temps et en heure mais je n'ai aucune envie que notre camarade ait vent de quoi que ce soit. Et si l'on se fait chopper en flagrant délit de non-respect du couvre-feu, tout Poudlard sera au courant dès le lendemain matin. Blaze fait la tête, pas franchement convaincu par mes arguments. Il aimerait rester et ne s'inquiète absolument pas des conséquences que cette soirée peut avoir. Est-il juste romantique ou est-ce moi qui suis incapable d'aimer, d'accepter la tendresse, de me laisser totalement aller en sa présence ? J'ai peur de la réponse.

Me voilà rattrapée par mes vieux démons, à nouveau en train de me poser des questions. Il ne faut pas faire ça maintenant, cela risque de me parasiter le reste de la soirée. Je peux analyser les choses a posteriori mais, en situation, cela va rapidement devenir compliqué et désagréable. Prise d'une inspiration soudaine, je demande au Serdaigle de me raccompagner et invente un prétexte bidon pour justifier notre sortie. Il se met à rire et trouve ma justification peu crédible, à raison. Je me joins à lui avec un simple sourire et lui prends la main. Je voulais juste lui donner sa cravate mais, ce simple contact me fige : surprise d'avoir osé faire cela, comme si une force invisible s'était emparée de ma main. Ou plutôt, comme si j'avais pensé faire un geste banal et qu'il s'était révélé bien plus important. De fait, je ne retire pas ma main et Blaze non plus. Je me mets à vraiment apprécier la moindre petite parcelle de peau en contact avec la sienne, osant même exercer une pression un peu plus forte au bout de quelques minutes. Mon visage doit être éloquent, en cet instant : je me félicite intérieurement d'avoir choisi un horaire nocturne. « J'suis pas sûre qu'on me croirait davantage si je disais la vérité. » Mes quelques mots transpercent le silence qui s'est installé. Je pense sincèrement que personne ne voudrait donner crédit à cette histoire : Blaze Mansfield et Skyler Mills ensemble, c'est comme le jour et la nuit. Pourtant, il y a parfois quelques éclipses pour rassembler les deux astres : des événements rares mais magnifiques. Peut-être lorsque nous sommes réunis, c'est un peu comme si nous créions une éclipse, à notre manière.

Le calme de la nuit reprend à nouveau ses droits. Ma main est toujours glissée dans celle de Blaze, bien trop à l'aise pour avoir envie de s'en échapper. Pourtant les minutes s'égrainent toujours et, si je ne me sentais pas si apaisée, je pourrais soupçonner le Serdaigle d'user de ce subterfuge pour gagner du temps. Si je le voulais, je pourrais enlever ma main et partir. Je reste cependant bloquée là, gravant ces derniers instants dans ma mémoire. Blaze hausse finalement les épaules et me fait une déclaration qui me surprend. Instinctivement, je retire ma main. J'aurais dû me douter qu'il ne comptait pas en rester là. Je prends cette insistance comme une menace : peut-être qu'il y a vraiment un pari derrière tout ça, finalement. Dix gallions si tu fourres ta langue dans la bouche de Mills, cent gallions si tu la fourres tout court. Mon coeur s'emballe un instant mais ma lucidité reprend rapidement le dessus. C'est ridicule, Blaze n'est pas comme ça. Depuis le début, je suis celle qui l'humilie et pourtant il reste et accepte mon caractère à la con. Je suis injuste avec lui, trop habituée aux attaques et aux persécutions. Pour autant, sa demande me fait l'effet d'une douche froide. Si j'avais pu être tentée de l'embrasser, la formulation à voix haute me fout la pression et me bloque totalement. Pour autant, le Serdaigle ne mérite-t-il pas une récompense pour avoir cherché à me revoir et pour m'avoir fait passer un si joli moment ? Je repense à notre discussion : une relation, quelle qu'elle soit, c'est donnant donnant. S'il accepte de me donner du temps, je peux peut-être lui donner un baiser en retour. Je me mets sur les genoux, les mains bien à plat sur mes cuisses. Je me penche en avant et viens déposer un baiser sur la joue droite du jeune homme. Un instant fugace, à peine quelques secondes, mais déjà si troublant. Je n'ai pas osé regarder Blaze, je n'ose toujours pas. Encore une fois, la gêne me pousse à agir pour rompre ce moment embarrassant. Avec agilité et empressement, je me mets debout. « Allez, viens. » Dis-je finalement au Serdaigle en lui tendant la main pour qu'il puisse s'en aider pour se relever. Il y aura sûrement d'autres soirs et d'autres occasions pour ce baiser qu'il attend tant, plus belles encore que celle ci. Je le sais mais je n'arrive pas à lui dire. Qu'il prenne ce premier baiser sur la joue comme une promesse. Ce baiser, je lui ai donné et il lui appartiendra pour toujours. Comme celui qu'il désire si fort et qui viendra sans doute un autre soir. Il lui est déjà acquis, je crois. Il me faut juste me faire à cette idée.