Nos doigts enlacés ne parviennent pas complètement à faire disparaître cette atmosphère pesante qui s’est emparée de ce deuxième réveil. Je sentais l’agitation qui s’était emparée de Junior et qui s’exprimait dans un tremblement de voix, dans un regard fuyant, même dans cette étreinte qu’il me rendait pourtant. Pour ma part, pas l’once d’un début d’inquiétude. C’était comme si rien ne m’effrayait jamais, comme si aucun futur n’était capable de me glacer les sangs et d’éteindre ce feu qui brûlait en moi. Je n’étais pas sujette aux craintes, pas plus qu’aux cauchemars, je m’enorgueillissais même d’habiter ceux des autres. Il n’y avait vraiment qu’une chose capable de cristalliser tout ce que je pouvais connaître d’angoisse, et n’importe quel Epouvantard que je croiserais serait parfaitement capable de m’en offrir un terrible aperçu. Mais une fuite ? Un Ministère à nos trousses ? Cela n’y ressemblait pas. Malgré tout, je restai troublée par cette annonce qui venait de dissiper violemment les dernières brumes de mon sommeil et de cette si douce soirée. Ce que me révélait Junior n’était pas suffisant pour me faire trembler. À moins… à moins que les raisons que cette vision n’avait pas dévoilées ne soient en lien avec les miens, avec les siens, avec nos familles auxquelles, même si nous voulions nous en affranchir aussitôt majeurs, nous tenions bien trop pour ne pas les informer d’un départ volontaire. Alors de gros ennuis, je ne parvenais pas à en discerner la teneur, mais je savais très bien que la réponse de mon meilleur ami portait les accents d’une vérité bien floue.
Ce qui ne l’était pas, en revanche, c’était le comportement de Junior. Peut-être n’avait-il pas retiré sa main, marquant ainsi le refus blessant d’un geste devenu naturel, mais tout le reste de son être n’était que fuite. Son regard se dérobait au mien et ses mots partaient à ma rencontre presque contre leur gré. Reprenant mes doigts, croisant mes bras sous ma poitrine, mes prunelles lançaient des éclairs dans sa direction. Mais là encore, il trouve un moyen de s’échapper, se laissant retomber sur le dos. Qu’il imagine les miens être à l’origine d’ennuis pouvant nous tomber dessus, ce n’était pas si incongru, encore que je ne pouvais concevoir de situation dans laquelle Grand-Père me laisserait fuir plutôt que de jouer de ses relations pour me tirer d’affaire. Non, cette amertume, elle était liée à cette défiance que je sentais dans la voix de Junior, une défiance qu’il me jetait directement au visage.
À mon tour, je m’allonge de nouveau, m’éloignant de mon meilleur ami, marquant physiquement ce qui plombait l’ambiance qui avait pourtant été si tendre et parfaite durant ces dernières heures. Maussade, je m’enferme dans un mutisme que chaque seconde menaçait de rendre plus étouffant encore, mon regard perdu dans les points tachetés qu’étaient toutes ces étoiles brillantes au-dessus de nous. Ça avait été une si belle soirée, malgré un début qui promettait bien des disputes, pas une seule n’était venu assombrir le ciel de notre tête-à-tête. Et voilà qu’une vision dont je ne savais rien nous éloignait l’un de l’autre… La moue boudeuse qui avait pris possession de mon visage menaçait déjà de se durcir au moment où celui de Junior se substitua au ciel étoilé, chassant les nuages qui assombrissaient mon front d’un sourire et de quelques paroles qui n’avaient rien de forcées. Nous n’avions pas pour habitude de brosser l’autre dans le sens du poil si nous n’en pensions pas un mot, le tact et la diplomatie n’étaient pas vraiment des qualités que nous possédions - de manière générale en ce qui me concernant, mais Junior, lui, arrivait à bien mieux faire illusion quand il était en société. Non, s’il se laissait ainsi retomber à mes côtés, ses doigts reprenant leur étreinte avec les miens, et s’il évoquait cette fuite dont nous avions déjà tant de fois parlé pour la situer dans un pays chaud, c’était que cette perspective ne lui était pas si désagréable… ou qu’il espérait qu’elle ne le soit pas.
Je n’avais guère envie de laisser un quelconque doute venir se frayer un chemin dans mes pensées. Je n’étais pas familière de ce sentiment et n’avait pas envie de le devenir, encore moins maintenant. Abandonnant les étoiles, je me redresse sur un coup pour leur préférer les yeux bleus de Junior. C’est bien noté : cap au sud laissai-je tomber d’un ton sans appel, mon sourire retrouvant toutes ses nuances les plus flamboyantes, mon retrouvant la chaleur de la proximité du sien.
Doucement et en silence, je hoche la tête à sa proposition, mes cheveux balayant mes épaules avant que je ne me redresse, le poussant à en faire de même. Cet endroit n’était plus le petit cocon bienheureux dans lequel nous nous étions laissés aller à des tendresses répétées, mais juste le théâtre d’une vision empoisonnée. Le désir de rester ici pour l’éternité avait été remplacé par celui de trouver un nouveau royaume à conquérir. Ce qui était immuable, en revanche, c’était la compagnie que je recherchais. Quoiqu’il se passe, je voulais Junior à mes côtés, depuis que nous nous connaissions et d’aussi loin que je me projette, je n’avais jamais vraiment imaginé me passer de sa présence et le concevais de moins en moins, pour ne pas dire plus du tout. Il y avait peut-être là une peur dont je ne percevais pas bien tous les contours, ma volonté les reléguant dans ce qui était de l’ordre de l’impossible. Sans lâcher les doigts de mon meilleur ami, je l’entraîne hors de ce coussin géant puis hors de cette salle qui disparaît dès que nous la quittons. On pourrra aller obserrrver tous les couchers et levers de soleil de notrrre séjourrr, en Norrrvège. L’un étant séparé de l’autre de quelques heures à peine, je me languissais déjà de ces escapades loins des murs du manoir, à arpenter la propriété et à nous poser au bord d’un petit lac pour observer le ciel pâlir avant que les couleurs ne se ravivent. Mais pour l’instant, seul le lac de Poudlard nous attendait, lui et le silence d’un matin à peine entamé, tandis que tous nos camarades dormaient encore.