La justice est toujours une forme de pouvoir

À SAVOIR Arrivé(e) le : 04/04/2020 Parchemins rédigés : 1181 Points : 10

Quand Carla avait reçu la réponse de son professeur de potions lui accordant un rendez-vous, elle avait été aussi impatiente qu’anxieuse. Le professeur de potions l’impressionnait terriblement. Ce n’est pas qu’elle ne l’aimait pas, bien au contraire, elle appréciait son charme désuet, son élégance surannée. Elle le savait brillant. C’était bien tout cela qui l’inquiétait, la peur de ne pas être à la hauteur de leur entrevue. Elle était appliquée, mais pas douée de manière innée en potions et lors de la soirée organisée par ses soins, elle avait été une invitée polie et bien élevée, mais elle ne s’était en aucun cas illustrée, dans le bon ou dans le mauvais sens du terme. Elle s’était uniquement présentée au bras de Finnbjörn ce qui était une marque de bon goût et n’avait pas fait de vague, mais c’était bien là les seules choses notables. Ce rendez-vous avait donc, à ses yeux, des allures de démonstration de sa valeur. D’autant plus qu’elle ne venait pas le voir pour n’importe quel sujet. Le professeur van Aken avait laissé son nom dans la justice.

Prenant une inspiration pour se donner du courage, elle se recomposa un visage sans la moindre appréhension, uniquement poli et souriant, avant de frapper à la porte du bureau. Elle attendit sagement que son interlocuteur lui donne l’autorisation d’entrer avant de pousser la porte et salua son professeur avec déférence.

- Monsieur le Professeur. Je vous remercie encore de m’accorder de votre temps. La justice est un projet qui me tient à cœur et je n’aurais pas pu rêver meilleur interlocuteur pour échanger sur le sujet.

Elle lui adressa un sourire et ajouta, avant d’oublier.

- Mes parents vous transmettent leurs amitiés et se réjouissent de votre nomination à Poudlard qui les rassure sur la qualité de l’enseignement.

Elle ne prononça pas la suite du message, mais le sous-entendu était limpide. Dans cette école désormais gangrenée par uns stupide idée de tolérance et d’égalité, un authentique sang pur ne pouvait que relever le niveau et calmer les inquiétudes ressenties par les grandes lignées de sorciers. Mais tout cela ne se disait jamais ouvertement. Jeux d’apparences, de non-dits, de manipulation … Toute la subtilité résidait dans le fait de transmettre l’idée sans jamais la verbaliser. La plupart des enfants sang pur maîtrisait cet aspect des mondanités très jeunes, afin de de ne jamais dévoiler par inadvertance les pensées de leurs parents dont les langues auraient pu se délier dans l’intimité du foyer. Elle adressa également un mouvement de tête empreint de respect aux tableaux qui observaient leur échange, consciente que ces derniers n’en perdaient pas une miette, avant de revenir au professeur.

- Je me demandais si vous accepteriez de m’éclairer sur les choix d’orientation à effectuer après mes ASPICS ? Et peut être … me parler de votre expérience ?

Son regard s’était illuminé à cette idée. Comme la plupart des élèves, les récits d’expériences la fascinaient bien plus qu’un pur exposé théorique. Elle espérait uniquement ne pas avoir été trop cavalière en lui demandant cela. D’un autre côté, elle se disait qu’il devait aimer raconter ses principales réussites et souvenirs marquants. Qui n’aime pas cela ?

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- Eh bien, mon ami, ne laissez pas cette pauvre enfant ainsi attendre dans le couloir.

Deux coups venaient d'être frappés à la porte de son bureau. Van Aken grogna quelque chose en direction du portrait et rangea dans le tiroir de son bureau sa bouteille de whisky pur-feu bien entamée et, passant la paume de sa main au dessus de son verre, murmura :

- Evanesco.

Le liquide ambré s’évanouit, laissant un verre immaculé qu'il rangea à son tour.

C'était la fin de journée et le vieux professeur avait cru pouvoir s'offrir une petite pause dans sa paperasse avec un verre d'alcool, à l'agacement de son portrait de femme qui l'accusait de prendre du retard. Alexander connaissait bien son épouse. Plus que le retard, c'était le déplaisir de ne plus pouvoir elle-même tremper ses lèvres dans un verre de pur malte qui la frustrait. Il pouvait le comprendre. A sa mort, quand lui-même rejoindrait son tableau, sans doute que cette sensation lui manquerait aussi. De fait, autant ne pas perdre une occasion d'en savourer.

Il s’éclaircit la voix.

- Entrez ma chère.

Carla était toujours aussi polie. Rien que pour cela, van Aken l'aimait bien. Il avait conscience que son niveau d'exigence avait baissé avec le temps, mais trouver un élève avec le sens des bonnes manières se révélait de plus en plus dur, par les temps qui couraient, et il avait appris à apprécier les satisfactions basiques.

Il hocha la tête doucement à ses paroles, lui retournant la politesse non sans une certaine bienveillance qui le caractérisait lorsqu'il était de bonne humeur et s'adressait à un locuteur qu'il jugeait digne d'intérêt.

- Vous remercierez vos parents pour leur soutien. Jeunesse est terreau de bien des choses, nous serions sots de la négliger.

Ce "nous", lui aussi, resta en suspend. Il n'y avait pas besoin d'en dire plus. Se tournant vers le grand tableau à taille humaine qui ornait le murs à gauche de la jeune fille, son regard alla de cette dernière à la femme peinte.

Vous connaissez peut-être mon épouse ? Patricia van Aken.

- Willibrod-van Aken. rectifia cette dernière avec un sourire légèrement pincé à l'adresse de son mari.

- Oui, oui, mes excuses ma chère. se retournant vers Carla : Je ne sais pas si vous l'avez rencontré de son vivant, mais peut-être l'avez vous déjà croisé dans les couloirs du chateau ?

- De loin seulement. répondit sa femme. Une erreur que nous rectifierons, je n'en doute pas.

Et disant cela, elle adressa cette fois à Carla un sourire plus avenant. Il aurait été malaisé de dire si oui ou non Patricia Willibrod-van Aken était une belle femme. Elle avait le visage dur et masqué d'une légère froideur qu'on retrouvait généralement chez les sorcières de haut-rang. Sa mâchoire était forte et ses yeux d'un bleu clair semblaient renvoyer au gris pâle de sa chevelure. Pour autant, émanait d'elle une forme de douce volonté de dame patronnesse et quelque chose disait qu'il devait être plaisant de l'avoir pour amie.

Alexander van Aken hocha de nouveau la tête, rebondissant avec bonhomie sur la question de son élève.

- Le savoir, l'expérience font parties des rares choses que l'on ne perd pas en donnant. Aussi, je serai bien sot de ne pas vous en faire part. Vous prendrez peut-être quelque chose à boire ?

Sentant le regard peint de Patricia se poser sur lui, il ajouta sans ciller.

- Un jus de citrouille peut-être ? Sinon, j'ai préparé quelques toniques. Ils m'aident parfois à combattre les affres de la digestion. Quoiqu'il se fait peut-être un peu tard pour ça...?

Et sans vraiment attendre de réponse, il donna un léger coup de canne sur le sol. De son tiroir ressortirent deux verres dont l'un celui qu'il avait vidé quelques secondes plus tôt.

- Ma femme désapprouverait mais je suis convaincu qu'une discussion sans boisson porte malheur, alors...

Avec un certain contentement, il sortit cette fois manuellement sa bouteille de whisky ainsi que deux autres bouteilles, l'une orange qui était manifestement du jus de citrouille et une autre emplie d'un liquide transparent aux reflets verts qu'il jugea un instant d'un regard songeur.

- Je l'avais oubliée, celle-la... c'est une potion de loquacité. Très diluée, je vous rassure, mais elle a un goût excellent.

Il en servit un verre à la jeune fille.

- Comme souvent avec ce genre de préparation, la saveur change selon le sorcier. On dit qu'elle évoque des parfums de conversations plaisantes.

Ses yeux brillèrent soudain et il ajouta, baissant d'un ton.

- L'avantage de boire un peu à chaque entrevue, c'est que du coup la mienne à goût de whisky...

Un sourire à moitié dissimulé dans sa barbe, il leva son verre remplit pour un toast rapide et reprit soudain un air plus sérieux.

- Bien. Que voulez-vous savoir ?

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La justice est toujours une forme de pouvoir

A son grand soulagement, le professeur van Aken était particulièrement bienveillant à son égard. Difficile de savoir si c’était elle qu’il semblait apprécier ou le fait qu’elle soit l’héritière de la famille Yaxley, mais dans tous les cas, il était charmant et Carla rassurée. Elle acquiesça poliment à sa remarque sur la jeunesse, consciente que Poudlard restait un lieu de tous les enjeux. Ce n’était pas pour rien si scolarité avait été émaillée d’événements. Tous avaient compris que ce qui se jouerait dans le monde magique à l’avenir ne serait que la reproduction des relations tissées et des codes sociaux qu’ils auraient intégrés lors de leurs études. A ce titre, château était le terrain de jeu idéal pour une partie d’échec grandeur nature. Quel élève protéger, lequel « sacrifier » pour que dans dix ans les bonnes ambitions soient majoritaires ? l’exercice était un subtil numéro d’équilibriste. Ceux qui s’étaient succédés n’avaient pas eu la patience d’avancer leurs pions dans la discrétion et avaient voulu renverser violemment l’échiquier. Ils n’étaient plus de la partie. A ce jeu dangereux, Carla jugeait son professeur bien plus malin, preuve en était avec sa soirée. Il commençait à déployer doucement, mais sûrement sa sphère d’influence. Nul doute qu’il obtiendrait ce qu’il voulait sur le long terme. Il était trop fin stratège et jouait pour gagner. Carla suivit son regard vers le tableau désigné, et se présenta à son épouse avec la même courtoisie que celle qui l’animait précédemment.

- Madame Willibrod-van Aken, je suis enchantée de faire votre connaissance.

Ces tableaux étaient tout bonnement fascinants. Tous les tableaux ne restituaient pas une personnalité dans sa globalité. L’artiste devait être de talent et la magie puissante. Et dans le cas de son épouse, le tableau semblait proche de la perfection.

- Nous nous sommes effectivement croisées, mais c'est un plaisir de pouvoir vous être présentée en bonne due et forme.

Cette personne lui plaisait. Elle dégageait une prestance qui ne pouvait laisser de marbre. Le professeur van Aken lui proposa avec gentillesse de boire quelque chose, et, avant même qu’elle ait le temps de répondre, sorti plusieurs boissons, dont une potion qu’il lui décrivit en quelques mots. Carla prit le verre en remerciant poliment son professeur, puis observa les délicats reflets verts du liquide transparent avec curiosité. Elle n’avait jamais bu de potion de loquacité. Evidemment, si le professeur lui indiquait qu’elle était assez diluée, elle avait toute confiance en lui, mais cela ne l’empêchait pas d’être intriguée par ses potentiels effets. Elle chassa rapidement cette pensée de sa tête, confiante. Elle n’avait rien à cacher de particulier et même si les langues se déliaient un peu, cela ne l’empêcherait pas de se montrer courtoise. Aucun souci donc à craindre de ce côté-là. Elle était plus inquiète sur le goût que cette potion aurait pour elle. Elle n’avait aucune idée de ce que cela pourrait être, si ce n’est que ce ne serait certainement pas du whisky comme son professeur. Elle ne buvait pas assez pour ça.

Elle porta le verre à ses lèvres pour en prendre une gorgée prudente. A sa grande surprise, le breuvage n’avait rien d’alcoolisé pour elle. Au contraire, il avait le goût d’une boisson de son enfance, un banal jus d’abricot. Elle but une nouvelle gorgée pour en être certaine, étonnée par ce choix, avant de se rappeler que plus jeune, quand son père lui faisait l’exceptionnel honneur de sa présence, et, dans une bonne humeur extrême la conviait dans son bureau pour échanger quelques paroles, elle choisissait toujours cette boisson. Enfant, elle adorait ces rares moments où elle avait l’impression que son père était heureux de sa présence et qu’il la considérait à la hauteur du garçon qu’il aurait aimé avoir. En grandissant, elle avait appris à ne plus quémander son attention. Il n’empêche que leurs conversations l’avaient marquée plus qu’elle ne l’imaginait puisque c’était ce goût là que la potion prenait pour elle. Elle tourna le verre entre ses doigts, amusée. Quelle ironie de savoir qu’elle tenait précieusement à ces souvenirs, elle qui clamait que sa relation telle qu’elle était avec son père lui convenait parfaitement et qui affichait une froideur à toute épreuve. Sentant le regard de son professeur peser sur elle, elle esquissa un demi-sourire et répondit à la question silencieuse qui flottait entre eux

- Cette potion a autant le goût des conversations plaisantes que des souvenirs pour moi. Quand j’étais plus jeune, mon père prenait parfois le temps de converser avec moi sur des sujets extrêmement différents, mais il était toujours passionnant. La potion a pour moi le goût de la boisson que je buvais dans ces moments-là.

Elle reposa délicatement son verre pour reporter toute son attention vers son interlocuteur. Elle hésita une seconde sur la conduite à tenir avant d’opter pour une franchise relative. Les ronds de jambe étaient appréciables, mais la conversation tournerait vite en rond si elle ne s’exprimait pas clairement.

- Pensez-vous que la justice magique soit une carrière digne d’intérêt, professeur ?

Elle affina immédiatement sa pensée

- Mon père trouve que la justice est devenue laxiste et complaisante, et il pense que ce n’est pas un choix opportun. Il aimerait quelque chose de moins subtil, j’imagine. Mais c’est un domaine qui m’intéresse sincèrement et contrairement à lui, je considère qu’être au sein même de la structure est le meilleur moyen de faire changer les choses.

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Avalant une petite gorgée de son verre, van Aken hocha la tête d'un air docte à l'explication de son invitée quant au goût de sa potion.

- Ah oui, les souvenirs... souvent, c'est là bas que ce genre d'effet va se chercher.

Il reposa son whisky, pensif.

- Néanmoins il arrive qu'un goût soit plus, disons... métaphorique. Mais c'est là une dimension particulièrement obscure de la magie. J'ai par exemple souvenir du témoignage d'un homme chez qui l'odeur des filtres d'amour prenait un parfum de terre et de sapin...

Le vieux professeur semblait plongé dans ses souvenirs et son regard chercha un peu distraitement celui de sa femme qui lui adressa un sourire froid.

- Une odeur de mort, en quelque sorte...

Difficile de dire si c'était ses propos ou le ton de sa voix qui avaient alourdi l'atmosphère mais il y eut un silence. Silence que van Aken brisa finalement, semblant se rendre compte que la discussion devenait un peu déprimante ou peut-être un peu trop sinistre pour un simple rendez-vous entre élève et enseignant.

Il interrogea donc la jeune fille sur la raison de sa présence, que celle-ci lui détailla. Pendant qu'elle parlait, il hochait la tête, sourcils froncés, portant parfois rapidement le whisky à sa bouche, comme pour s'encourager à réfléchir. Finalement, quand Carla eut terminé, ce ne fut pas l'homme mais son épouse qui prit la première la parole.

- Votre père a entièrement raison, jeune fille. Mon mari et moi avons été horrifiés de découvrir l'état des institutions quand il a intégré le magenmagot. Des arrivistes avides de gloire, une véritable inquisition plus dédiée à la vengeance qu'à l'observation minutieuse des faits...!

Van Aken toussa un peu.

- Oui, enfin... Sans aller jusqu'à dire que la complaisance est une bonne chose, elle a épargné la vie de nombre de vieilles lignées. Si nous avions envoyé tout ce petit monde à la mort pour le simple fait d'avoir porté une cagoule noire au mauvais moment...

Il semblait plus répondre à sa femme qu'à la question de Carla, à présent. Celle-ci réagit sèchement.

- Nous n'allons pas à nouveau avoir cette discussion, mon ami, il n'y a pas que les sang-purs britanniques qui comptent, dans cette affaire. La Grande-Bretagne a trop tendance à se considérer comme le nombril du monde sous prétexte qu'elle a vu naitre quelques sorciers doués ces dernières décennies.

Le professeur de potion fronça les sourcils.

- Vous parlez de la famille de mon élève, Patricia...

Cette dernière eut un petit hoquet guindé et foudroya son mari du regard avant de se tourner vers Carla.

- Veuillez me pardonner jeune fille. C'est une vieille conversation qu'il me semble avoir eu cent fois avec ce vieux ronchon. le-dit ronchon grogna. Mais vous verrez assez tôt, en vous engageant dans cette voie, que c'est bien la politique qui contraint la loi, plutôt que le contraire.

Puis elle se retourna vers van Aken, l'invitant à continuer. Celui-ci hocha la tête, partagé entre agacement et un amusement léger.

- Je vous souhaite jeune fille de vous trouver un parti qui sache vous tenir tête comme elle vient de le faire. Ce n'est jamais très agréable de subir cela devant une élève, mais croyez bien que l'enrichissement que l'on en tire est bien plus précieux que le respect des marmots qui viennent me rendre visite...

Disant cela, il reprit son verre mais constatant qu'il était vide, s'en resservit un fond.

- Tout ce que fait la politique, la justice passe derrière pour le confirmer ou l'annuler. Le ministre peut bien promulguer toutes les lois qu'il souhaite, à la fin c'est devant les juges qu'elles trouvent leur application concrète.

Son regard se posa sur elle, grave.

- Mais ne vous y trompez pas. Au magenmagot, vos connaissances juridiques, votre sens de la justice, ces qualités feront indéniablement de vous une juge compétente. Mais si vous souhaitez que votre voix soit entendu, il vous faudra plus que cela. La puissance... le talent magique, il n'est jamais question que de ça. Un grand sorcier sera toujours plus respecté qu'un mage de moindre envergure, quelles que soient pour autant les qualités professionnelles de ce-dernier.

Son regard ne quittait plus Carla, comme s'il essayait de lui faire entrer ses paroles dans le crâne à la simple insistance de ses yeux.

- Ce n'est pas pour rien que Dumbledore en fut nommé président-sorcier pendant si longtemps.

Et sa femme d'ajouter, avec un amusement froid dans le ton :

- Et ce n'est pas grâce au code civile que mon mari en fut vice-président.

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La justice est toujours une forme de pouvoir

Carla écarquilla légèrement les yeux, en proie à différentes émotions. L’anecdote de son professeur était clairement sinistre, mais comme toutes les histoires effrayantes, elle suscitait également une part de fascination morbide chez la personne à qui on la racontait. La Serpentard n’échappait pas à la règle et, si elle éprouvait une forme de dégoût, elle restait captivée par ce type d’histoire. Elle se demandait quel genre d’individu pouvait assimiler une odeur pareille à l’amour, quelle histoire personnelle amenait une telle forme de confusion et de déviance dans les sentiments. Alors que la question de savoir qui était cette personne lui brûlait les lèvres, son professeur changea de sujet, elle se résigna à ne jamais le savoir. Mais à la réflexion, c’était peut-être mieux ainsi.

Carla se tourna légèrement vers Madame Willibrod-van Aken pour écouter sa réponse, intriguée par la dynamique du couple qui se déroulait devant elle. Le professeur van Aken en cours souffrait difficilement la contradiction et il ne serait jamais venu à l’idée d’un élève sain d’esprit de l’interrompre. Or, avec son épouse, elle aurait juré que ce n’était pas lui qui avait l’ascendant. Ou du moins, il le laissait de bon cœur à son épouse. Observant la discussion qui se déroulait devant elle sans manifester d’émotion, elle eut une pointe de compassion pour son professeur qui tentait de ménager les propos du tableau, connaissant parfaitement l’histoire de la famille Yaxley. C’était délicat de sa part, quoiqu’assez peu nécessaire. Carla n’était pas particulièrement proche de ses grands-parents et si elle connaissait des bribes de leur histoire, elle les jugeait étonnamment assez sévèrement. Elevée dans le culte des apparences, elle ne comprenait pas que son grand père ait pu risquer l’image de la famille entière pour une vulgaire cagoule noire et un tatouage. Ils étaient des gens éduqués et intelligents, il y avait mille manières de participer à une guerre d’idéologie sans se salir les mains. Et a fortiori, sans se faire attraper. Ne pas avoir su être discret était une forme de bêtise que Carla considérait comme difficilement tolérable. Néanmoins, elle appréciait leur sollicitude, ce qui la poussa à répondre, toujours avec un sourire poli.

- Ne vous inquiétez pas pour moi. Je connais les grandes lignes de l’histoire de mon grand-père, bien que, comme vous vous en doutez, le sujet reste assez sensible dans la famille. A titre personnel, et si évidemment je ne souhaitepas sa mort, je suis très réservée sur le manque de discrétion caractérisé que révèlent ses actes.

Elle n’avait parlé que de ses actes et non de ses idées. Si pour une personne peu concentrée sur ses paroles, la différence était anodine, en réalité, elle était assez claire. Ce n’était pas défendre la suprématie des sangs purs le problème, mais bien la manière choisie. Elle redressa légèrement la tête, dans un mouvement qui laissait transparaître une certaine forme d’arrogance.

- Ma famille comprend des sorciers illustres depuis des siècles, tous dans différentes sphères d’influence. Il serait faux de dire que nous n’avons ni l’éducation, ni l’intelligence suffisante pour comprendre les jeux de pouvoir et de stratégie. Partant de ce constat, prendre part directement à quelque acte que ce soit était une erreur qui ne tenait compte d’aucune des contraintes qui étaient les nôtres.

Elle esquissa un sourire amusé quand il souhaita de trouver un parti capable de lui tenir tête. S’il avait eu ne serait-ce qu’une once d’information sur sa vie privée, elle doutait qu’il l’aurait trouvée aussi charmante. Maxwell avait été une cruelle erreur dont elle ne prenait l’entière mesure que depuis son coup d’éclat avec Bluebell. Quant à Finnbjörn avec lequel elle s’affichait, ce que son professeur avait difficilement pu manquer lors de la soirée, malgré toute l’affection qu’elle lui portait, ils ne seraient jamais qu’un joli couple fictif. Le parti sérieux attendrait qu’elle ait fini sa crise d’adolescence et ses choix dominés par des émotions trop vives. Néanmoins, son professeur se trompait s’il pensait que son respect serait amoindri par leur discussion avec son épouse. Un homme capable d’entendre que son couple pouvait être son alliance la plus solide et la plus riche pour peu qu’il laisse à l’autre la possibilité de s’exprimer était intelligent.

- Les discussions animées avec une personne de confiance sont toujours les plus intéressantes.

Sentant le regard de son professeur sur elle durant toute la suite de ses propos, Carla résista à l’envie de détourner les yeux. Etre observée ainsi ne lui était pas nécessairement agréable, mais elle était consciente que dans un discours sur le pouvoir et la puissance, ne pas soutenir le regard de son interlocuteur était un premier aveu de faiblesse fort peu opportun. Elle intégra ses propos silencieusement, avant de reprendre

- Tout n’est jamais qu’une affaire de puissance. La question est donc, le suis-je assez pour être autre chose qu’une figurante, n’est-ce pas ?

Dans ce genre de conversation entre personnes de confiance, elle ne voyait pas l’intérêt de masquer une certaine franchise. Elle but une gorgée de son verre, songeuse

- C’est une question à laquelle il est difficile de répondre pour soi-même.

A vrai dire, elle n’en savait rien pour elle-même. S’il était question d’influence, sa famille lui en donnait suffisamment pour qu’elle s’estime capable d’intégrer le ministère. S’il était question de talent magique, elle n’était pas mauvaise. Bonne élève, une certaine prédisposition dans les sortilèges et une réelle curiosité intellectuelle. Il y avait une base intéressante. S’il l’interrogeait sur sa force de caractère, c’est là où elle hésitait. Elle était plus sensible que la moyenne des enfants de grande famille. Leur éducation ne les poussait pas réellement à exprimer ou ressentir une débauche d’émotions. Peut-être était-ce pour cela qu’elle avait du mal à gérer les siennes ? Tous les gens autour d’elle ne semblait jamais en avoir. Et d’un autre côté, est-ce que ce n’était pas une forme de force ?

- Je ne suis pas la meilleure de ma génération, vous connaissez mieux que moi les Sørensen, et vous comprenez donc pourquoi je dis cela. Cependant, je suis loin d’être la plus mauvaise et je dois disposer d’une marge de progression. Est-ce suffisant ?

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Des paroles dures pour une jeune fille dure. Quand Carla lui annonça désapprouver les méthodes de son grand-père, van Aken la fixa un moment dans les yeux, sans rien dire. Oui. Lui-même avait tenu le même raisonnement, des années au paravent, et le tenait encore. Le Seigneur des Ténèbres avait rependu trop de folie dans le cœur des sorciers, les gens avaient été fascinés par son pouvoir, les potentialités qu'il offrait ou, au contraire, sa tyrannie qui menaçait. Les choses étaient allé vite, s'enchaînant sans laisser bien le temps de réfléchir : il fallait se choisir un camp, sans ambiguïté, et faire le mauvais choix pouvait amener aux pires conséquences. Corban Yaxley avait pris les mauvaises décisions, et en avait payé le prix.

Il hocha la tête avec une certaine gravité.

- Des pensées sages. A votre âge, on pourrait attendre un peu plus d'impétuosité. Je ne sais si la voie de la prudence et de la discrétion est la bonne, mais force est de constater que n'ont survécu aujourd'hui que ceux qui l'ont suivie.

Bien sûr, il était difficile d'en dire plus. La jeune Yaxley restait une élève, jeune, quoi qu'elle en dise ou en pense, et certains sujets ne s'évoquaient pas sans plus de confiance. Mais si van Aken pouvait pousser cette nouvelle génération à des actions plus réfléchies que celles qui avaient entaché le monde des sorciers ces cinquante dernières années, il ne pouvait se soustraire à cette mission.

- Je comprends mieux ce qui vous attire vers le magenmagot. Là bas vous découvrirez sans doute à quel point une parole habile peut peser plus lourd qu'un puissant sortilège. Toutefois, ce n'est pas un travail que je qualifierais d'amusant. Chaque procès fait l'objet de tractations de couloirs, de conflits et souvent, bien qu'il l'ignore, le prévenu se trouve pris au milieu d'un jeu de rancoeur, de dettes et de symbolique qu'il ne peut soupçonner.

Son verre était à nouveau vide. Le vieux professeur esquissa un geste pour le remplir une troisième fois mais croisa le regard de sa femme et s'abstint.

- Ce que je vous dis sur ces histoires de cœur, bon, au delà de la boutade, est important. Si vous souhaitez vous engager sur cette voie, je veux que vous compreniez que dès à présent, vous mettez les pieds dans une vaste partie d'échec. Les gens que vous fréquenterez à Poudlard, les scandales, les erreurs de jeunesses, tout cela ressurgira un jour ou l'autre. Quand vous ne vous y attendrez plus. Il faudra que vous les connaissiez par cœur, mieux que vos ennemis. Apprenez à domestiquer vos défauts, vos peurs, vos faiblesses.

Dans son tableau, Madame Willibrod-van Aken hocha la tête aux paroles de son mari.

- C'est aussi cela, le vrai pouvoir. Une sorcière ne libère pas son potentiel magique en accumulant les formules. Croyez en mon expérience, mon enfant, vous accomplirez d'autant mieux de grandes choses que vous vous connaitrez vous-même.

- Cette introspection est la première étape. Elle vous permettra d'y voir plus clair.

Rajouta van Aken qui s'était resservi discrètement pendant que le portrait parlait.

- Il ne s'agit pas d'être la plus douée. Il faut être la plus maligne.

Il porta le verre à ses lèvres et y bu une gorgée de whisky avant de le reposer.

- J'aime beaucoup ma nièce, la petite Erin, mais, laissez-moi vous poser une question Miss Yaxley. Dans le monde de demain, fait de faux-semblants et où triomphe manifestement une certaine tolérance vis-à-vis des idées progressistes, qui sera le plus à même de gagner en influence ? Un sorcier ouvertement acquis aux théories du sang, qui s'attira de fait la suspicion d'une majorité de ses contemporains ? Ou quelqu'un qui, tout au long de sa vie, aura donné aux plus naïfs des gages de son ouverture d'esprit et de sa bonne foi ?

A nouveau, il la fixa dans les yeux, n'exprimant rien d'autre qu'une forme de sérieuse sympathie.

- Derrière l'opinion de qui le magenmagot se rangera-t-il ? Une femme jugée extrémiste et sectaire, ou celle qui aura prouvé sa capacité à porter un regard neutre et impartial sur l'affaire ?

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La justice est toujours une forme de pouvoir

Elle secoua légèrement la tête et admit, non sans laisser apparaître une moue contrariée sur son visage.

- Ne vous méprenez pas professeur, j’aimerais beaucoup vous dire que je domine entièrement mon impulsivité, ce n’est pas toujours le cas. Cela m’a joué des tours il y a peu, et je tente d’actuellement de remédier à ce que je considère être une faiblesse de caractère.

Carla haussa un sourcil poli quand il lui indiqua qu’il ne s’agissait pas d’un travail amusant. Etait-ce son apparence soignée et son allure de jolie blonde qui lui donnait l’impression qu’elle n’aspirait qu’à la futilité ? Elle chassa cette considération d’un délicat mouvement de la main

- Je ne recherche pas une vie d’amusement, professeur, sinon je dilapiderai joyeusement la fortune familiale en en prenant grand soin de travailler le moins possible, comme le font certains.

Oh, elle n’allait pas dire qu’elle n’était pas dépensière, loin de là, mais elle n’avait jamais eu l’intention d’attendre un mariage avec un bon parti en se tournant les pouces. Peut-être était-ce en raison de l’ambivalence de ses parents à son égard, sa mère l’adulant de manière déraisonnable et son père ne lui manifestant qu’une indifférence polie, mais Carla était avide de reconnaissance, comme si elle avait besoin du regard des autres pour exister. Elle voulait être reconnue pour elle, et non pour sa lignée. Elle aimait que les gens l’admirent, la parent de toutes les qualités. Et surtout, elle voulait mériter les compliments. Quelque part, c’est cela qui l’avait tant blessée dans sa relation avec Maxwell. Une fois qu’elle avait trouvé un regard dans lequel exister et où elle était aimée pour elle-même, il l’en avait privée, comme on l’aurait privée d’oxygène. Et depuis, sans ce repère là, elle s’était perdue dans une forme d’amertume. Le plan de Finnbjörn, tout aussi malsain qu’il soit, lui redonnait une place et une contenance, mais cela ne durerait pas éternellement. Elle devait donc entreprendre de trouver une voie qui lui permettrait de faire ses preuves.

L’écoutant attentivement, son regard se fit songeur. Se connaissait-elle réellement ? Rien n’était moins sûr. Cela expliquait qu’elle puisse ne pas être capable de gérer certains de ses débordements, elle ne les comprenait pas. Et quelque part, elle avait peur de cette introspection. Que se passerait-il si, une fois qu’elle avait pris le temps de se connaître vraiment, de passer en revue chacune de ses peurs, de ses faiblesses, de ses ambitions comme de ses plus noirs dessins, elle était déçue par ce qu’elle avait vu ? Comment vivre avec soi-même si on ne correspond pas aux attentes que l’on a placées en soi ? Laissant apparaître une facette plus enfantine d’elle-même pour la première fois depuis le début de la conversation, elle avoua

- Il faut du courage pour admettre ses défauts et ses faiblesses.

Aujourd’hui, elle ne l’avait pas. Mais c’était un objectif, et elle se donnerait les moyens de l’atteindre. Même si ce conseil lui promettait un cruel face à face avec ce qu’elle voulait être et l’adolescente qu’elle était réellement, cette conversation était terriblement douce à ses oreilles. Là où son père lui promettait une carrière faite de laxisme et de concessions dans laquelle ne serait jamais plus qu’une sorcière parmi tant d’autres, le professeur van Aken lui faisait miroiter un destin de puissance. Evidemment, il faudrait gagner ce pouvoir à force de diplomatie et de persuasion, mais ça ne l’effrayait pas. Carla pouvait se montrer terriblement patiente quand cela servait ses intérêts. Elle ne voyait aucune difficulté à travailler des années pour étendre doucement, mais sûrement, son influence. Elle avait été élevée dans cette optique, celle d’un jeu d’apparences où les manipulations les plus efficaces sont celles que l’on ressent le moins. Pour cela, il fallait obtenir la confiance de son interlocuteur jusqu’à atteindre le point de rupture, celui où l’autre n’oppose plus qu’une faible résistance de principe et qui peut être balayée par d’habiles paroles. Elle aimait ce genre de parties d’échecs, bien plus que la puissance brute. Elle savait qu’elle pouvait gagner quand il était question de stratégie, voire de séduction. Il suffisait juste que la situation ne la touche pas. Tant qu’elle portait un regard froid sur ce qui l’entourait, elle était une adversaire à prendre en compte. Dès qu’elle se laissait dominer par ses émotions, toutes ses belles idées s’effondraient pour laisser parler l’adolescente en elle. C’était fort contrariant. Elle n’appréciait pas être la victime de sa stupide sensibilité. Et elle se détestait franchement quand elle se rendait compte qu’elle n’était jamais aussi heureuse quand elle arrêtait de se brimer, parce que cela la rendait aussi extrêmement vulnérable. Cette conversation avait le mérite de lui remettre les idées en place. Elle allait s’endurcir et avoir ce qu’elle voulait. Oui, tout obtenir pour tout mépriser, et enfin cesser d’osciller entre tristesse, colère et recherche de l’approbation et de l’amour des autres. A sa remarque, elle se mordilla légèrement la lèvre. Etait-elle la plus maligne ? Elle ne savait pas répondre à cette question. Par contre, ce que le professeur disait sur Erin lui parlait bien plus.

- Je crois comprendre. Erin a le défaut de ses qualités. Elle est flamboyante et d’une puissance captivante. Elle gagnera rapidement en influence, portée aux nus par des gens fascinés par ce qu’elle dégage, mais la perdra tout aussi vite au moindre faux pas qu’elle ne pourra justifier. A l’inverse, si je me montre capable de naviguer discrètement en eaux troubles sans perdre mon cap de vue …

Elle laissa la fin de sa phrase en suspens, consciente qu’ils s’étaient parfaitement compris. Aucun triomphe rapide pour elle, mais le rôle d’outsider. Elle ne récolterait les fruits de ses actions qu’au bout de quelques années, mais les gains seraient pérennes. A la réflexion, c’était sans doute ce qu’il lui fallait. La facette exigeante de sa personnalité déplorait de ne pouvoir tout obtenir immédiatement, mais il fallait admettre que cette solution était parfaite pour elle. Cela lui donnerait le temps de s’endurcir et de faire oublier ses faux pas. Elle sourit, cette fois-ci d’un vrai sourire, ni animé par un désir de politesse, ni généré par une expression réflexe.

- Il semble que mon père ait tort. Ce choix de carrière me correspond au-delà de mes espérances. Il fera de mes défauts des éléments de crédibilité pour asseoir mon influence.

Ses yeux clairs faisant un aller-retour entre le professeur van Aken et son épouse, elle ajouta, cette fois-ci avec un enthousiasme qu’elle ne prit pas la peine de dissimuler,

- Que dois-je faire d’autre pour réussir ?

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Van Aken hocha la tête avec un léger sourire. La modestie, qu'elle soit feinte ou non, était toujours à saluer, mais point trop ne s'en fallait sinon on n'avançait guère. Pour ce qui se disait entre deux sang-purs, surtout si cela concernait l'avenir de l'un d'eux, le vieux professeur jugeait qu'il fallait savoir aussi parler avec sincérité, sinon avec franchise.

A la seconde où ses chaussures en cuir de Snargalouf avaient foulé le seuil de l'école, pour la seconde fois de sa vie, il avait endossé silencieusement le rôle de tuteur de cette petite société. Cette nomination était autant du fait de la communauté des sang-pur, dont il avait implicitement été nommé représentant à Poudlard, maintenant qu'une né-moldu tenait la direction, mais également de celui de sa femme qui l'avait encouragé dans cette aventure. "Ils auront besoin de conseil et de stratégie, ils sont trop jeunes pour voir les choses dans leur ensemble et sur le long terme, à les écouter, la révolution se ferait demain." lui avait-elle soufflé, et il avait hoché la tête. De fait, il se sentait sinon une affection pour ses élèves, au moins une responsabilité. Celle d'être pour eux autant un guide, s'ils le jugeaient nécessaires, qu'un juge, lorsqu'ils feraient fausse-route. Il y avait tant à redresser.

Et cette petite Yaxley qui se trouvait désormais dans son bureau, sans doute n'avait-elle sincèrement que des questions à propos de son orientation professionnelle, en y pénétrant, mais il fallait qu'elle comprenne, si elle était prête à en assumer le fardeau, que son destin ne l'engageait pas elle toute seule, mais tous ceux de son sang, car dans la guerre qu'on leur livrait il n'en était pas un dont l'avenir n'implique celui des autres.

- Bien. Ce n'est pas une faute d'avoir des faiblesses mais c'en est une de les ignorer et pire, de ne pas chercher à les combattre.

Il jeta un coup d’œil à son épouse et ce fut celle-ci qui prit le relais. Parfois, certaines choses étaient affaires de femme et cela permit à van Aken de se resservir un quatrième fond de whisky sous le bureau. Il tenait bien l'alcool, depuis le temps, mais commençait tout de même à avoir le dos légèrement alanguis.

- Ce n'est pas un chemin que vous devez obligatoirement emprunter seule, mon enfant. Bien sûr il y a une forme d'introspection que personne ne fera pour vous, mais se discipliner, se travailler au corps pour servir un projet plus grand que soi...

Elle marqua une hésitation.

- Nous ne sommes plus à l'époque où l'on exigeait de la jeunesse qu'elle sache tout tout de suite. Si vous comprenez les enjeux de votre situation, et êtes prête à les accepter, alors.... VAN AKEN !

Le vieil homme sursauta et avala cul-sec son verre avant de se voir obligé de le reposer. Patricia soupira avec exaspération mais son regard se reposa immédiatement sur Carla avec la même amicalité dure qu'elle avait lorsqu'elle s'exprimait.

- Nous ne réglerons pas tout en une seule entrevue. Néanmoins, si au cours de votre scolarité dans ce château il vous vient des doutes quant à ce qu'impose votre devoir et la manière de l'accomplir, n'hésitez pas à m'appeler. Mon mari est souvent occupé aux choses du monde, mais là où il y a des tableaux, je ne suis jamais loin.

Manifestement un peu vexé de s'être fait engueulé ainsi, van Aken avait quand même rangé son verre et cette fois-ci, semblait décidé à ne plus y toucher de la soirée. Aussi jouait-il maintenant avec un bouton de sa veste, pour s'occuper les doigts.

Il hocha à nouveau doucement la tête aux propos sur Erin. Carla avait eu l'habilité de ne pas charger la mule, et de fait, il ne l'aurait pas permis. Sa filleule était une enfant admirable, mais qui manquait peut-être un peu de stratégie, mais enfin, c'était de son âge et on ne pouvait trop lui en tenir rigueur.

- Il faut de tout pour faire société. C'est une idée banale, certes, mais qui prend son sens en temps de lutte. Une guerre se mène autant de front que de côté et chaque force est complémentaire. Trouvez la place qui correspond à votre tempérament mais...

Une fois de plus, il la fixa, avec l'assurance que lui conférait son âge et sa position de sachant.

- De ce que j'ai cru entrevoir de vous, en effet, je pense qu'une carrière diplomatique vous irait. Vous avez le don de vous faire des amis, mais je ne puis dire encore si vous avez les épaules d'avoir des ennemis. Néanmoins, il ne tient qu'à vous de me faire mentir, vous êtes jeune.

Puis il hocha de nouveau la tête, cette fois-ci pour lui-même.

- C'est la question la plus fondamentale, miss Yaxley. Tout d'abord, assurez vos diplômes. C'est banalité mais sans eux vous ne pourrez prétendre à certaines fonctions. Ensuite, sachez vous rapprocher, malgré ce que votre éducation vous a enseigné, de toutes sortes de gens, quelque soit leur sang. Devenez leur amie, leur confidente pourquoi pas, une personne de confiance. Ciblez les plus doués et les ambitieux. Faites de Poudlard votre tremplin pour l'avenir, créez ici les gages de votre probité de demain. Enfin...

Son regard croisa celui de sa femme.

- Pour le reste, je pense qu'il est un peu tôt pour en parler. On ne saurait tout dire d'un seul trait.

À SAVOIR Arrivé(e) le : 04/04/2020 Parchemins rédigés : 1181 Points : 10

La justice est toujours une forme de pouvoir

Carla dévisagea son professeur en silence, n’ayant rien à répondre à sa remarque. Ce n’est pas qu’elle n’avait pas compris le sous-entendu, il était suffisamment clair pour qu’elle puisse l’entendre. Elle comprenait aussi le point de vue de son interlocuteur. Mais quelque part cela la gênait et l’effrayait de devoir porter sur ses épaules le poids de la réputation entière des grandes lignées de sang pur. Dans une crise de réalisme, elle savait qu’elle n’était pas la mieux placée pour leur faire honneur. Elle n’était pas non plus la pire. À cette pensée se joignait aussi une facette plus ténue d’elle-même mais bien présente, qui avait soif d’une certaine forme de liberté. Et les responsabilités de son statut formaient une sorte de carcan aussi rassurant qu’étouffant. Parfois elle aurait juste voulu vivre comme Carla et non pas comme la fille Yaxley. Elle aurait aimé avoir le droit de se tromper de faire des bêtises et sans que tout le monde crie au scandale. Finalement, elle était assez ambivalente sur le sujet. Elle aimait le petit pouvoir et l’éducation que sa famille lui avait donnés. Et de temps en temps, elle aurait juste tout donné pour n’être qu’une adolescente un peu frivole. Elle avait volé cette parenthèse quand elle était avec Maxwell. Elle avait tout envoyé valser et ne s’était jamais autant amusée de sa vie. Alors peut-être que ces quatre mois de légèreté étaient une crise d’adolescence suffisante. Peut-être qu’ils démontraient juste que la vie qu’elle s’infligeait aurait pu être plus douce.

Mais tout cela, elle ne pouvait le dire à son interlocuteur. A vrai dire, elle ne pouvait le dire en personne sans prendre le risque que ses doutes ne se retournent contre elle un jour. Elle devait continuer à jouer le jeu des apparences. Elle sortirait de ce bureau en gentille héritière d’une grande famille, promise à un avenir tout tracé. Ses doutes et ses velléités de liberté, elle devait juste les enterrer suffisamment profondément pour que même elle ne soit plus capable de les déterrer.

Carla remarqua qu’il se servait à nouveau et elle commença à se demander à quel verre il était exactement. Pas assez pour amoindrir ses capacités, rien ne laissait supposer dans ses paroles ou son intonation une discussion alcoolisée. Néamoins, Carla nota qu’il appréciait le whisky. Cette information ne servait à rien. Pour cette discussion, mais tous les éléments de connaissance pouvaient être intéressants pour l’avenir. Au moins, si elle devait lui faire un présent un jour, elle aurait la piste d’une bonne bouteille à exploiter.

Comme si elle était capable de lire dans ses pensées, l’épouse de Monsieur van Aken commença à tempérer les propos et à lui offrir son aide. Carla la gratifia d’un sourire sincère, et sûrement un brin soulagé.

- Ce serait avec plaisir que je viendrai vous voir. Merci pour votre proposition.

Ne pas confier ses états d’âme à son professeur était quand même bien plus sain. Même si elle ne se faisait aucune illusion sur la future confidentialité de ses propos. Ces deux là, vu la manière dont elle se permettait de le gronder comme un enfant devant elle, avaient l’habitude de fonctionner en équipe. Tout ce qu’elle dirait, lui serait murmuré dès qu’elle quitterait la pièce. Mais tant qu’elle en avait conscience, cela ne serait pas une difficulté. Toujours d’une politesse exquise, la jeune Serpentard se garda bien de commenter ou de donner l’impression qu’elle venait d’être témoin de la scène de réprimande.

Son regard s’élargit un peu et elle reprit, comme pour être certaine d’avoir bien compris

- Ca ne sera pas mal vu si je côtoie des sorciers qui ne sont pas de sang pur, même pour des raisons stratégiques ?

La réalité ? Cette idée lui était douce. Oh, elle ne l’avouerait jamais, peut-être même pas à elle-même, mais elle n’était pas douée pour la haine pure. Agir en réaction ou sous le coup d’une émotion forte lui était simple, être perpétuellement dans une forme de haine envers tous ses interlocuteurs lui étaient pénibles. Elle était meilleure charmeuse que révoltée. Puis cela pourrait justifier Maxwell. Etonnantes pensées que les siennes finalement, van Aken lui disait de manipuler les sangs mêlés et les né moldus pour s’acheter pour un alibi aux yeux du monde. Elle, elle envisageait déjà de détourner une partie du mensonge, pour grappiller une relation qui n’avait rien du mensonge. Elle chassa cette idée de sa tête. Cette conversation l’embrouillait. Elle n’avait plus rien à avoir avec le Poufsouffle et cela devait rester comme cela. Elle acquiesça poliment quand il lui dit que pour le reste, ils le verraient ensuite.

- Oui, j’ai encore un peu de temps devant moi. Je te nais quand même à vous remercier pour ces conseils. Vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais c’était extrêmement instructif.

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La jeune fille eu l'air surprise à ses paroles. Rien d'étonnant à cela, sans doute que ses propres parents n'auraient guère vue d'un bon oeil une telle approche de la cause sang-pur. Les sacrifices étaient nécessaires, mais toujours chez les autres, n'est-ce pas ? Aucune vieille famille de sang-pur n'aurait vu d'un très bon œil sa progéniture se rapprocher sciemment de la racaille. Pourtant, la racaille était désormais au pouvoir et l'on ne pouvait continuer à ignorer ce fait éternellement sous peine de s'en éloigner soi-même.

- Mal vu, certainement. Par certains. Vous risquez de vous aliéner quelques uns des esprits les plus conservateurs de notre temps et ce sera une perte pour vous, indiscutablement, mais rien qui ne se corrige, je vous rassure. Déjà, la jeune génération me semble moins encline à se cloisonner complètement comme autrefois. Le temps où toutes les vieilles familles se retrouvaient à Serpentard pour éviter de partager un dortoir avec du sang souillé n'est plus et je gage que personne dans cet école n'est aussi rigoureux aujourd'hui.

Il était difficile de dire s'il le déplorait ou non. En classe, van Aken avait toujours parlé des choses comme des faits, laissant rarement percevoir ses opinions sinon à l'occasion dans le choix d'un qualificatif plutôt qu'un autre mais qu'on pouvait mettre sur le compte de son âge. Précaution nécessaire s'il ne voulait pas perdre un poste à Poudlard qu'il jugeait stratégique mais également sans doute parce qu'il avait un caractère ferme mais doux et que foncièrement, il ne haïssait personne, se contentant de déplorer la médiocrité et souhaitant l'épargner aux les plus sang-purs.

Il soupira.

- Ce dont nous parlons ici est d'une lourde responsabilité, ma chère, je ne vous le cache pas. Vous venez me demander conseil, voici les miens. Il ne tient qu'à vous d'en faire peu de cas ou de les suivre avec sérieux. Cette voie que je vous désigne vous attirera sans doute les inimités de certains de vos pairs mais c'est à ce prix que l'on avance parfois sur des sujets qui nous tiennent à cœur. Il n'est d'ambition qui n'exige certains sacrifices.

Quand elle le remercia finalement pour ses conseils, van Aken hocha la tête avec un léger sourire de satisfaction, comme ceux qu'il arborait lorsqu'un élève réussissait enfin une potion particulièrement difficile, puis il se leva, signifiant ainsi que l'entretien était terminé.

- Vous avez votre âge pour vous, Mademoiselle Yaxley, et longtemps pour réfléchir à tout cela. Murissez vos opinions et vos désirs, et lorsque vous y verrez un peu plus clair, alors n'hésitez pas à venir redemander un rendez-vous.

Dans son tableau Patricia hocha la tête elle aussi.

- Ou à me glisser un mot à l'occasion. Au revoir chère enfant.

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La justice est toujours une forme de pouvoir

Carla resta silencieuse face aux perspectives que lui ouvrait le discours de son professeur. Jamais sa famille ne lui avait conseillé une telle option. Ses parents s’étaient bien gardés de lui proposer de fréquenter d’autres personnes que des sorciers de sang pur, même pour des raisons stratégiques ou pour s’acheter une bonne conduite. Elle ne doutai pas un quart de seconde que son père ne serait pas ravi de cette nouvelle idée, mais si elle pouvait lui expliquer que c’était pour de bonnes raisons, et que c’était validé par le professeur van Aken, elle pensait être capable d’avoir le dernier mot. Quelque part, ce que lui proposait son interlocuteur lui convenait bien. Il lui offrait une porte de sortie dans son conflit intérieur qui se jouait depuis l’incendie l’an dernier. Évidemment qu’elle croyait toujours dur comme fer que le sang était une source de puissance et de supériorité. Mais avoir une approche douce, et sans torturer personne, lui correspondait parfaitement.

- Effectivement, nous sommes tous éparpillés entre les différentes maisons.

Quand il lui parla des conseils qu’il avait à lui prodiguer, elle se pencha légèrement en avant comme pour indiquer par la position de son corps qu’elle était à son écoute. Elle était persuadée que ses instructions valaient de l’or, et elle comptait bien l’écouter religieusement. Elle ne savait pas si elle était capable de les mettre en œuvre cependant. Ce n’était pas qu’elle voulait en faire que peu de cas comme il disait, plutôt qu’elle doutait d’elle-même. Mais ça, elle ne lui dirait pas. Qu’elle doute souvent était un fait. Qu’elle l’exprime serait une erreur.

Dès qu’il esquissa un geste pour se lever, et lui signifier qu’il était temps de partir, elle suivit le mouvement. Il aurait été impoli de s’imposer plus longtemps. Elle avait déjà usé et abusé de son temps. Elle était heureuse de ce rendez-vous, cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu une discussion aussi intéressante. Elle était contente qu’il ait eu un poste à Pourdlard, ils en avaient besoin. Aucun membre du corps enseignant ne lui ressemblait. Aucun membre du corps enseignant ne pouvait comprendre leurs préoccupations à eux, enfants de vieilles familles de sang pur. Si elle avait été un peu plus maligne sur ce coup là, elle aurait compris que ce n’était pas écouter les états d’âme qui l’intéressait, mais de les écouter suffisamment longtemps pour pouvoir ensuite modeler les esprits de la nouvelle génération. Évidemment qu’elle savait que ce poste était stratégique. Mais elle ne réalisait pas à quel point. D’ailleurs, à y réfléchir, elle serait sûrement l’un de ses premiers projets. Comment amener une héritière sang pur à ce qu’il attendait d’elle. Si elle n’avait pas été autant aveuglée par son envie et son besoin d’obtenir l’approbation des gens qui l’entouraient, elle l’aurait compris. Mais là au contraire, elle ne comprit rien et se contenta de penser qu’il était bien gentil de l’avoir reçue.

- Je vous promets que je n’hésiterai pas. Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé et je vous souhaite une bonne soirée à votre épouse et vous-même.

Elle salua d’un gracieux mouvement de tête poli, et quitta la pièce. Elle avait besoin de réfléchir à tout ça. Cela faisait beaucoup d’informations pour une seule soirée.

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