« Prends-en soin ! Je compte bien la récupérer ! Avec les intérêts ! » Voilà les derniers mots que Blaze avait prononcés avant que je ne ferme la porte du balcon du monde. Dans ma main droite, la cravate bleue et bronze placée autour de son cou avant qu'il ne décide de la jeter au centre de la nappe. J'étais fière de ma petite blague et presque étonnée qu'elle ait si bien fonctionné. Ce bout de tissu sonnait comme une victoire mais aussi comme une promesse. Celle de se revoir pour disputer la troisième manche. Si j'avais douté, durant le pique-nique, qu'il ne soit vraiment question que de défis entre nous, j'avais finalement dû me rendre à l'évidence. Pour Blaze, tout n'était qu'un jeu et la séduction dont il avait fait preuve devait sûrement en faire partie. Ainsi, je comptais moi aussi me limiter uniquement au jeu désormais. La cravate précieusement cachée sous mon oreiller, j'avais vaqué à mes occupations durant toute la fin de semaine avant le grand match de samedi. Une finale qui nous opposait à la redoutable équipe de Poufsouffle et que nous avions gagné haut la main. Le soir même, une soirée avait été donnée en notre honneur dans la Salle sur Demande, en compagnie des jaune et or. Une soirée instructive et distrayante mais dont il avait été convenu qu'elle emporterait avec elle ce qui s'y était passé.

Plus tôt dans la semaine, j'avais écrit un mot à Blaze pour savoir à quelle heure il finissait aujourd'hui. Il avait été convenu que nous retrouverions à seize heures, dans l'une des salles inutilisées du quatrième étage. Je n'ai pas choisi la journée de mardi pour rien : je finis à quatorze heures tandis que Blaze poursuit avec Divination. Cela me laissait donc deux bonnes heures pour tout préparer, ce qui s'avéra largement suffisant. A l'heure convenue, j'attends le Serdaigle, assise sur l'une des tables. Ce dernier ne tarde pas à faire son apparition. « Salut. » Lui dis-je brièvement tout en sortant ma baguette. Je lance un Collaporta sur la porte qui se scelle aussitôt. Personne ne viendra nous déranger, comme ça. Je me dirige vers l'armoire au fond de la salle, l'ouvre en grand et en sort un petit coffre. Il n'y a rien d'autre à l'intérieur. Tout de même, je ne suis pas assez conne pour choisir la même salle que celle que j'utilise pour ranger mes affaires. Les erreurs de débutante, c'est terminé. « Ta cravate est dans ce coffre. Tu peux constater qu'il est fermé par un cadenas à code moldu. Un truc tout con. » Je pose le coffre sur la table, face à Blaze, pour que celui-ci puisse constater l'ensemble par lui-même. Il s'agit d'une simple boite en bois, assez sommaire, sans aucune moulure ni sculpture. On peut noter la présence d'une serrure impliquant une clé et l'ajout sans doute ultérieur, de deux embouts permettant d'y mettre un cadenas. Ce dernier reste basique, trois molettes servent à afficher les chiffres du code. « Ce code comporte trois chiffres. Le défi pour toi, c'est de trouver chacun de ces chiffres. » Voilà le défi que j'ai prévu pour Blaze, aujourd'hui. Je ne prétends pas être aussi créative ou originale que lui, je ne le suis clairement pas. D'ailleurs, je n'ai même pas cherché à en savoir davantage sur lui au cours de la semaine. Je me suis basée uniquement sur ses aptitudes en classe et sur les caractéristiques de sa maison. « Pour les trouver, tu vas devoir répondre à trois énigmes. Enfin quand je dis énigme, ça comporte casse-têtes, calculs divers, jeux de logique ... Tout ce bric à brac que vous kiffez chez les Serdaigles. » Peu m'importe en réalité d'avoir visé juste ou non. J'ai essayé de faire au mieux avec ce dont je disposais. Les énigmes, c'est clairement mon rayon et certainement le seul domaine où je puisse challenger Blaze. Et l'important, de toute façon, ce n'est pas le chemin mais la destination. Quoi ? Comment ça ce n'est pas vraiment ça, la devise ? Bref.

Je me rassois sur la table que j'ai précédemment quittée et joint mes mains comme si je m'apprêtais à annoncer une nouvelle d'une gravité extrême. « Je ne compte pas insulter ton intelligence en te mettant au défi de résoudre mes énigmes. C'est idiot, je sais très bien que tu en es capable. La question qui se pose, c'est en combien de temps ? » Je plonge la main dans l'une des poches de ma tenue de sorcier et en ressort un petit sablier argenté que je pose à côté du coffre.« Si tu réussis à les résoudre en moins de cinq minutes, tu gagnes. Si c'est davantage, je gagne. Cinq minutes, ça correspond à cinq retournements de sablier. » Joignant le geste à la parole, je retourne le sablier pour lui montrer qu'aucun sort ne lui a été jeté pour en altérer le débit. Je suis une joueuse honnête, les règles sont les règles ! Puisque l'enjeu de tout ce cinéma n'est pas l'obtention des chiffres du code - les énigmes ne sont pas non plus insolvables et même s'il échoue, je lui donnerai la solution - il s'agit maintenant d'annoncer ce que nous avons à gagner, hormis la cravate. Je me lève à nouveau et m'approche de Blaze. « Le perdant doit dire à l'autre une vérité sur lui. Genre en gros, il doit dire quelque chose qu'il pense sincèrement sur le gagnant. » Je m'interromps et réfléchis à ce que je viens de dire. Je réalise assez rapidement que ce n'est pas vraiment clair et que ma formulation n'est sans doute pas la plus adéquate pour transmettre explicitement ma pensée. « Par exemple, si tu gagnes, voilà quelque chose que je pourrais dire : je pense que tu es un tricheur. » Mon ton s'est fait un peu plus grave, mon regard plongé dans celui de Blaze. D'après les allusions de Misha à la soirée, je suis quasiment certaine que la clause de confidentialité dont nous avions convenu a été bafouée par le Serdaigle. Pour moi, c'est comme de la triche et j'ai d'ailleurs été très agacée de m'en apercevoir. Pense-t-il pouvoir me duper aussi facilement ? Je n'aime pas les non dits, c'est pourquoi j'ai décidé que la récompense de cette épreuve serait la vérité à propos de ce que nous pensons de l'autre. C'est le moment de vérifier la sincérité de l'autre et de faire le point sur la compétition, s'il ne s'agit vraiment que de ça. « Des questions, avant de commencer ? »

Blaze arrive pile à l'heure, toujours aussi jovial. Décidément, nous avons deux manières totalement différentes de fonctionner. Je verrouille la porte derrière lui pour que nous ne soyons pas dérangés par des intrus. Il n'y a pas grand monde qui fréquente les salles vides, hormis moi, mais je préfère être trop prudente que pas assez. Ensuite, je présente à mon adversaire le coffre dans lequel se trouve sa cravate. Il n'a aucun moyen de le vérifier mais j'espère qu'il fera l'effort de me croire sur parole, au moins pour cette fois. Certes, cette histoire de verrou à percer est juste un pur prétexte aux défis qui suivent. Nous sommes des sorciers, même si cela m’écœure, donc une seule formule et mon petit cadenas ne servirait plus à rien. Heureusement, Blaze reste dans les règles et m'écoute docilement. Je ne suis pas vraiment à l'aise dans l'exercice, voire même pas du tout, en fait. Parler devant un auditoire, même composé d'une seule personne, me rend mal à l'aise. J'ai l'impression que l'attention est beaucoup trop portée sur moi. Malgré tout, je continue mon exposé comme s'il s'agissait d'une présentation notée en classe. Je vais sans doute plus parler en une heure que pendant nos deux derniers rendez-vous avec le Serdaigle. Comprenez manches quand je parle de rencards, évidemment.

J'énumère, comme si je lisais un mode d'emploi, toutes les règles du duel que je propose aujourd'hui. C'est assez simple, en somme. Des énigmes à résoudre pour trouver les chiffres du code, rien d'insurmontable et surtout pas pour quelqu'un d'aussi perspicace que Blaze. L'inconnu et donc le challenge, c'est le temps qu'il va mettre pour percer les mystères. La limite que je lui ai fixée est un peu courte mais montre l'estime que j'ai pour lui. J'en viens ensuite à la récompense en plus du code : la franchise de l'autre envers soi-même. C'est une cause noble et qui me tient à coeur. J'aime quand tout est clair, carré. Ça évite de tergiverser ou de cogiter inutilement. J'explique donc cela à Blaze, qui accepte aussitôt. Néanmoins, pour être sûre de me faire comprendre, je choisis d'illustrer mon propos par un exemple. J'avoue donc à Blaze que j'ai l'impression qu'il a triché, non pas pour envenimer les choses mais pour que nous puissions tirer ça au clair. Je ne l'avais pas anticipé mais je perçois mon camarade comme sincèrement vexé de ce que je lui dis. Moi qui pensais qu'il ne prenait rien au sérieux, je crois bien que je me suis encore une fois trompée. « Misha sait des choses. » Voilà ce que je réponds après qu'il ait réfuté mes accusations. La véhémence de ses propos tend à me faire croire qu'il dit la vérité. Pourtant Misha a fait des tas d’allusions pendant la soirée, je n'ai pas rêvé. Comme il n'y avait que deux personnes au courant de notre jeu et que ce n'est pas moi qui ai vendu la mèche, ça ne peut qu'être Blaze.« Je ne sais pas quoi exactement, mais il sait qu'il se passe des choses entre toi et moi. » Soudain, le trouble me prend. J'ai conscience de la signification de mes propos et ça me rend mal à l'aise. Ce n'est clairement pas ce que je veux dire. « Enfin qu'on fait des choses quoi ... enfin bref que toi et moi ... merde t'as compris. » La gêne s'empare de moi et je sens le rouge me monter aux joues. Bordel, c'est quoi mon problème ? Ce n'est pourtant pas compliqué de parler de notre petite guerre. Bah voilà, tiens, guerre aurait été un mot parfait pour décrire tout cela. Pourquoi me suis-je embarquée dans des descriptions foireuses ? C'est malin.

J'essaie de reprendre le contrôle de mes émotions mais nul doute que Blaze a perçu mon trouble. Je suis l'accusatrice et c'est finalement moi qui suis en train de me liquéfier sur place. Pourtant, je suis connue pour avoir un fichu caractère alors il est passé où, cet enculé, quand on a besoin de lui ? « Et il ne le sait pas par moi donc j'imagine que tu lui as parlé de choses alors que je t'avais dit que ça devait rester confidentiel. » Je reprends un peu de ma superbe. Pour le coup, je suis absolument formelle. Je me souviens très bien avoir instauré une clause de confidentialité, lors de l'élaboration des règles. Je crois même l'avoir reprécisé dans une de mes lettres. Il ne pourra pas me duper sur ce point, je suis absolument certaine de ce que j'ai dit. Ce qui se passait entre nous restait entre nous, c'était le deal. « Je veux bien admettre que ça a été fait sans mauvaise intention mais ce n'est pas ce qu'on avait convenu. » Je n'ai jamais vraiment su si je pouvais faire confiance à Blaze. Notre dernière entrevue m'avait fait pencher pour le oui mais, après les allusions de Misha, je ne sais plus. J'ai l'impression que le Serdaigle est sincère mais j'ai besoin d’explications. Plus vite ce point sera éclairci, plus vite nous pourrons reprendre notre jeu. C'est que, finalement, j'ai pris goût à tout ce tralala. Cependant, je n'ose pas lui proposer de suite de commencer la partie du jour. Il y a un litige qui nous empêche d'avancer pour l'instant, je vois bien à son langage corporel qu'il est énervé. Moi, quand je le suis, ça ne se voit pas. Je reste toujours aussi impassible mais, au fond de moi, cette histoire me travaille. Et si ma franchise avait tout fait foirer ?

Blaze paraît véritablement fâché de mes accusations. Je veux bien le croire innocent mais, dans ce cas, les murs ont des oreilles. Il me demande de clarifier, je lui parle immédiatement de Misha. Il ne me vient pas à l'idée que je suis en train de le balancer, d'ailleurs est-ce vraiment le cas ? Il ne m'a jamais dit de garder ça pour moi. Au contraire, il prenait un malin plaisir à me charrier avec ça. J'essaie d'expliquer les sous-entendus du Poufsouffle à mon camarade mais ma langue fourche et me fait perdre mes moyens. Plus j'essaie de m'en sortir, plus je patauge et m'enfonce, pour le plus grand plaisir de mon interlocuteur. Même si je suis au comble de la gêne, je remarque bien qu'il se moque de moi. Mon majeur se lève instinctivement lorsque Blaze m'annonce qu'il a compris. Pour une fois, ce n'est pas un geste méchant, plutôt dans la même veine moqueuse ironique que lui. Je reprends rapidement mes esprits, ce qu'il ne manque pas de me faire remarquer. Comme s'il voulait me montrer qu'il commençait à me cerner ou qu'il savait bien m'analyser. Méfie toi génie, t'as encore de la marge avant que cela n'arrive. Enfin, le Serdaigle consent à m'avouer ses torts. Je sens le feu me monter aux joues à nouveau, un mélange de gêne et de colère : il a vraiment dit tout ça ? Genre tout même la fin ? « Non mais t'es sérieux là ?! » Bordel, j'ai l'air de quoi, moi, maintenant ? Ces mecs, tous les mêmes. Des incorrigibles vantards, j'avais raison de me méfier.

Blaze poursuit et essaie maladroitement de se rattraper. J'apprends qu'il ne lui a rien dit sur moi. En même temps, que sait-il ? Que je suis une piètre combattante et que j'aime le thé au gingembre, mais sinon ? Je ne commence qu'à être un peu convaincue lorsqu'il traite son pote de con et de menteur. « Non il n'a rien dit de tout ça. Il a juste répété à plusieurs reprises que je te plaisais. Là aussi il a menti ? » C'est vrai que jamais Misha ne m'a parlé de mon rencard avec Blaze, il n'a fait aucune allusion à la cravate ou quoi que ce soit d'autre. Si le Serdaigle ne me l'avait pas avoué, je ne l'aurais sûrement jamais su. En revanche, pour ce qui est de lui plaire, j'aimerais bien connaître le fin mot de l'histoire. Il ne fait qu'envoyer des signaux contradictoires et ça commence à me lasser. Blaze me parle ensuite de confiance et j'avoue ne pas trop savoir quoi penser. Je ne fais jamais confiance, c'est le meilleur moyen de ne pas se sentir trahie. Pourtant, c'est exactement ce que j'ai pu ressentir lorsque Misha m'a fait ses annonces. Ainsi donc, on peut être déçu même sans faire confiance ? Ou alors, est-ce que j'ai commencé à lui accorder la mienne sans m'en apercevoir ? Je reste interdite et écoute silencieusement la suite du discours de Blaze. Le voilà prêt à arrêter de tout raconter à Misha, juste pour moi. Est-ce qu'il est sincère ? Ça me semble soudain être un gros sacrifice. Je ne peux m'empêcher de repenser au temps de Blackman, où nous ne pouvions parler aux élèves de "sang plus élevé" et où certains étaient obligés de coder leurs messages pour y parvenir. Je ne suis pas une dictatrice et je refuse d'endosser ce rôle. « Tu peux lui parler, je ne vais pas t'empêcher de te confier. Mais que ça reste raisonnable. Genre tu peux lui dire qu'on s'est vus mais t'es pas obligé de balancer que j'ai retiré ma chemise ou une connerie du genre, si jamais ça arrive. » La malice revient avec cette dernière phrase. La même qui s'est emparée de moi lorsque j'ai reçu la photo de la baguette de Blaze. Une envie de jouer avec lui, avec une insouciance qui m'est devenue étrangère. Cette phrase peut sonner comme une promesse autant qu'un avertissement. Je le laisse l'interpéter à sa convenance. Quant au fait de garder moi aussi le secret, ce n'est qu'une formalité. « Moi, je ne dis jamais rien, à personne. Je pensais que tu t'en étais rendu compte. »

Après un silence qui dure entre nous, Blaze met un point final à ce qui ressemblait presque à une dispute. Appelons ça plutôt une explication musclée. Le voilà prêt à démarrer la partie du jour et j'avoue que moi aussi, une fois n'est pas coutume, j'ai plutôt hâte. Tout ce qui touche aux énigmes ou aux casses-têtes, ça m'a toujours fascinée. « C'est parti pour la première énigme. Je vais noter une suite de nombres sur le tableau juste là. » Je désigne le tableau qui se trouve sur le mur avec deux craies attendant sagement sur le bureau poussiéreux devant lui. « Et tu devras réussir à remplacer le point d'interrogation par le nombre manquant. Tu peux écrire sur le tableau si tu veux. » En disant cela, je m'approche du tableau en question et me saisit de la craie blanche. Je commence à écrire une ligne de cinq nombres à un chiffre, puis un trait, puis un autre nombre. J'écris en tout cinq lignes comme ça puis je passe à la sixième. La différence avec les autres se trouve après le trait : je n'écris pas de chiffre mais un point d'interrogation. « Tu as cinq minutes pour remplacer le point d'interrogation par un nombre. Cela te donnera le premier chiffre du code. » Je laisse Blaze s'imprégner de l'énigme et, lorsque je juge lui avoir laissé assez de temps, je donne le départ. « TOP ! » Et je retourne le sablier. Le temps est compté.

Lorsque Blaze me dit que son meilleur ami n'a aucune information tangible sur moi, qu'il n'est au courant que des faits, je réalise soudain que je me suis peut-être emportée. Je veux dire ... Les allusions de Misha restaient vagues, même très vagues. Elles tournaient surtout autour du fait que je plaisais à Blaze mais il n'a rien laissé entendre d'autre. Me suis-je fait un film toute seule ? Peut-être pas totalement. Si le Poufsouffle a affirmé que j'étais du goût de son ami, il ne l'a certainement pas sorti de sous son chapeau. Il y a sûrement dû avoir discussions et confidences quelque part. Peut-être l'a-t-il simplement déduit du récit de notre précédent rendez-vous ? Ce qui est sûr, c'est que je suis déterminée à connaître la vérité. Est-ce que je plais à Blaze, oui ou non ? Certains apprécieraient de se faire désirer ou de laisser planer le doute mais pas moi. Le doute, ça me perturbe. C'est comme les grésillements quand tu téléphones, ça noie la conversation. J'aime quand tout est carré, clair, net et précis. Si tu laisses une zone d'ombre, ça laisse une marche de manœuvre suffisante à l'autre pour te la mettre à l'envers. C'est l'expérience qui parle. Un peu déçue, j'apprends qu'il me faudra attendre une éventuelle défaite du Serdaigle pour avoir ma réponse. Soit, c'est le jeu après tout. S'en suit ensuite une petite blague - du moins je crois que c'en est une - sur les effets de ma chemise si elle venait à tomber sur le sol. Cette fois-ci, je dompte sans mal la gêne que peut causer la réflexion de Blaze. « Ça fait beaucoup de si, tout ça. » Dis-je d'un ton monocorde avec un air circonspect. Les actes sont beaucoup plus parlants que les mots et j'avoue avoir hâte de me lancer dans la partie. Nous parlerons du reste après. Galvanisé par l'enjeu, je me lance dans l'écriture de la première énigme sur le tableau noir.

Je prends un malin plaisir à observer Blaze, une fois le sablier retourné. Deux choses me fascinent, dans la résolution d'énigmes. Trouver la solution, bien évidemment, mais également le chemin de pensées des uns et des autres pour arriver à la bonne réponse. Je n'ai d'ailleurs pas choisi ce jeu de logique pour rien : j'ai moi-même pu en apprécier la difficulté. Cela m'a permis de me rendre compte de mon étroitesse d'esprit, par moment, car trop cloisonné par la rigueur mathématique. Ici, il s'agit simplement de compter les ronds dans les suites de nombres mais encore faut-il le remarquer. Je suis amusée de voir Blaze tomber dans les mêmes travers que moi. Il part dans des calculs, exactement comme j'ai pu le faire avant lui. Je m'en trouve rassurée : premièrement, mon esprit n'est pas moins logique qu'un autre, puisque même un Serdaigle tombe dans le piège. Ensuite, le temps s'écoule inlassablement et ne freine pas sa course, me rapprochant davantage de la victoire à chaque instant. Finalement, le dernier grain de sable tombe, au bon du cinquième retournement, et aucune solution n'a pointé le bout de son nez. Je fronce les sourcils, fais la moue, retrousse mon nez. Ai-je visé trop haut ? Je n'arrive pas à savourer ma victoire. Le but n'est pas de le ridiculiser. Si jamais Blaze ne trouve pas la solution, j'en serai l'unique fautive : ce sera dû à mon erreur de jugement. Pourtant, alors que je commence à envisager la possibilité de lui donner un indice, le Serdaigle se tourne vers moi et prononce un nombre qui me redonne le sourire. « Bravo ! » Je m'exclame avant de tourner la première molette du cadenas. Il est rare que je me laisse aller à ma joie, lorsque je la ressens. Voir une énigme se résoudre est néanmoins si exaltant que, cette fois ci, j'affiche un franc sourire qui témoigne aussi d'un certain soulagement. Bon joueur, Blaze me complimente pour mon énigme. « La faiblesse physique peut être compensée par la force d'esprit, l'inverse aussi. Il faut savoir équilibrer les deux. » Modeste pour mieux couvrir mes arrières. J'ai déjà trop pris parti au début de notre entrevue, ce qui n'est pas dans mes habitudes. Être trop confiant, trop vantard aussi, ça n'apporte jamais rien de bon. Même si je trouve qu'on s'en sort toujours mieux en faisant fonctionner son esprit plutôt que ses muscles ou ses talents magiques, je me garde bien de le dire. Passons plutôt à ma récompense.

Blaze m'a promis de répondre à mon interrogation s'il perdait et il tient parole. J'espère pour lui que sa vérité sera pleinement sincère : j'ai horreur du mensonge. Même quand il s'agit de moi, je préfère contourner la vérité plutôt que la déformer. Pieusement et, étrangement, avec une certaine appréhension, j'écoute le Serdaigle. Sa réponse, par l'affirmative, ne me surprend pas vraiment. D'une, parce que Misha a pris peine à me le faire comprendre. De deux, parce que je m'en suis moi-même plus ou moins rendue compte la dernière fois, même si le doute subsistait. C'est la suite qui me chamboule. Rien de spectaculaire ou de surjoué comme j'aurais pu m'y attendre, venant de Blaze. Au contraire, ses paroles sont si dénuées d'artifices qu'elles me semblent réellement sincères. C'est ça, qui me perturbe : son étonnante sincérité. Et puis, je donne envie d'en savoir plus. C'est un comble, moi qui fait toujours tout pour qu'on s'arrête à la première impression. Quant au fait qu'il me trouve mignonne, je ne sais trop qu'en penser. Oui, ça me fait plaisir mais il y a cette petite voix dans ma tête qui se demande s'il m'a bien regardée. Les cheveux toujours attachés en une haute queue de cheval, rarement démêlés ou réellement coiffés, un visage dépourvu d'artifices et des vêtements souvent de seconde main. Je n'arrive pas à la cheville de Sasha. Par contre, j'apprécie pleinement qu'il ne me prenne pas pour une écervelée : je préfère être maline et moche que le contraire. Encore assaillie de questionnements divers, il me faut poursuivre la partie si je veux avoir une chance d'obtenir des réponses. Sans aucune réaction ni commentaire à ce que je viens d'entendre, je plonge la main droite dans ma poche et commence à fouiller l'intérieur. J'en sors un bout de papier froissé où j'ai préalablement noté ma seconde énigme et commence à le lire. « Dans une famille, il y a un frère et une soeur. » Voilà un thème qui devrait lui parler. Je crois en effet savoir que Blaze a une sœur. Etant fille unique, je n'ai pas la moindre idée des liens qui peuvent unir une fratrie. « Le frère dit à sa sœur : "Si j'enlevais deux ans à mon âge et que je te les donnais, tu aurais deux fois mon âge. » Je marque un temps d'arrêt pour laisser à Blaze le temps d'ingurgiter les informations, mais aussi pour observer ses premières réactions. « La sœur répond : "Et pourquoi ne me donnerais-tu pas trois ans de ton âge, plutôt ? Cela me permettrait d'être trois fois plus âgé que toi". » Prise dans le jeu, je prends même une intonation différente pour chaque protagoniste. J'aime bien cette énigme et la trouve plus simple que la précédente. « Tu vas devoir déterminer l'âge de chaque enfant. » Dis-je finalement en lui tendant mon bout de papier. Je ne suis pas vache, c'est ultra compliqué de résoudre ce genre d'énigme si l'on n'a pas les données numériques sous les yeux. En plus, je n'ai clairement pas envie de devoir lui répéter quinze fois les mêmes phrases. Comme pour la première énigme, je laisse du temps à Blaze. Une fois que je suis à peu près sûre qu'il pu relire l'énigme et imprimer toutes les infos, je retourne mon sablier. « C'est parti ! »

L'énigme proposée est assez simple. Lorsque je l'ai sélectionnée, j'ai précisément choisi de la mettre après la première pour équilibrer la difficulté. Tout est calculé : d'abord je lui montre que je peux le tester à mort si j'en ai envie, ensuite je gonfle son ego en lui proposant une énigme qu'il saura résoudre facilement. C'est une stratégie pour l'amadouer, en quelque sorte. Une démonstration de ce dont je suis capable, aussi. C'est beaucoup moins grandiloquent que ce que Blaze peut proposer mais ça me ressemble et ça n'en est pas moins redoutable. Dans la même veine, je ne relève pas sa remarque sur mes changements d'intonation. Je me contente de le fixer d'un air qui veut dire, je l'espère, "tu verras bien". Je lui transmets le papier, attend qu'il le relise tranquillement puis donne le top départ. Le sablier est retourné une première fois et je me glisse à nouveau dans le rôle de l'observatrice. Il relit mon papier, plusieurs fois et ses yeux s'agitent mais il n'écrit rien sur le tableau, cette fois. Je retourne le sablier pour la deuxième fois, signe qu'une première minute s'est écoulée, lorsque Blaze reprend la parole. Des jumeaux âgés de six ans, c'est la bonne réponse. Je ne manque pas de noter qu'il vient de qualifier mon problème de "facile". Ses yeux brillent de fierté, c'en est presque attendrissant. « Exact. Je t'en ai mis une facile pour te laisser une chance de gagner. » Mauvaise joueuse, moi ? Noooon ... Enfin, un peu. En même temps, je ne vais lui faire croire qu'il est le dieu des énigmes alors que j'ai fait exprès de lui en mettre une plus simple que la précédente. Sinon, je suis bonne pour l'entendre s'en vanter pendant tout le reste de l'année scolaire.

Je n'oublie pas la signification de la victoire du Serdaigle. C'est à mon tour de lui donner confidence et sincérité. Je me maudis alors d'avoir pondu cette foutue règle. C'était beaucoup plus simple lorsque j'avais préparé ce que je voulais lui balancer à la figure. Là, sur le coup je me sens un peu bête. « Alors, une vérité sur toi ... » Je dis pour commencer, histoire de me donner encore une minute ou deux de réflexion. Je suis tentée de lui parler de Sasha et de lui avouer que j'ai l'impression de n'être que le lot de consolation. Je me ravise, jugeant qu'un seul coup d'éclat par rendez-vous est largement suffisant si je veux rester en bons termes avec Blaze. Finalement, un coup d'oeil au coffre qui attend sagement sur la table me donne une idée. « L'autre jour, sur le balcon du monde, je n'ai pas retiré ma chemise parce que tu as pris la confiance en faisant passer ça pour stupide jeu. » Je marque une pause pour titiller l'intérêt de mon camarade mais surtout pour réfléchir à ce que je m'apprête à dire et à la manière dont je vais le dire. Il ne faut pas que ma légère gêne ou mon appréhension soient perceptibles. « Si tu avais montré sérieusement un intérêt à tout ça, je l'aurais enlevée. » Voilà, c'est dit. Simplement, d'un seul trait et sans aucune émotion pour parasiter ma voix. Ma réponse est sincère. C'est véritablement lorsque Blaze a commencé à tourner ça comme un jeu puéril, en prenant un peu la confiance, que ça m'a freinée net dans mon envie de continuer. Sinon, l'atmosphère bucolique et presque intimiste du balcon du monde aurait pu me conduire à poursuivre le jeu, c'est assuré.

Je préfère ne pas laisser cet aveu en suspend trop longtemps et me dirige vers le cadenas. J'ai encore une carte à jouer et j'espère bien gagner la dernière manche. Je fais tourner la molette pour que le chiffre six soit en deuxième et troisième position. J'appuie sur le bouton pour déverrouiller et là ... « Oops, le code ne fonctionne pas. » Rien ne se passe. Je me retourne vers Blaze avec un air faussement innocent sur le visage. Tout est calculé et je sais pertinemment ce que je fais. Avec un petit sourire en coin, je me mets à fouiller dans ma poche gauche. « Dernière énigme. » Dis-je alors en sortant un autre papier de ma poche. Sur celui-ci, j'ai dessiné un cadenas et trois cases en dessous. Le but est simple : trouver le véritable code qui ouvrira le coffre. En dessous des trois cases, j'ai noté six combinaisons différentes avec des indices en dessous pour trouver la bonne. Je tends l'énigme à Blaze. « Je te laisse trouver la combinaison gagnante. » J'économise ma salive en ne lisant pas toutes les combinaisons écrites ni tous les indices. Aux dernières nouvelles, le Serdaigle sait à peu près lire et n'a donc pas besoin de moi pour ça. En ce qui concerne le niveau de ce problème, je dirai qu'il est assez simple à résoudre. La seule difficulté réside dans le traitement de l'information. Il faut être capable d'aller vite pour trouver les trois bons chiffres et les placer au bon endroit en moins de deux minutes. « C'est bon ? On y va ! » Après que le Serdaigle me répond par l'affirmative, je retourne à nouveau mon sablier. Une dernière vérité se joue et, intérieurement, j'espère qu'elle sera en ma faveur.

J'ai perdu, c'est donc à moi de dévoiler une vérité sur Blaze. C'est à ce moment précis que je me rends compte de la stupidité de mes règles. Ces révélations sont une mise en danger bien trop grande pour un jeu aussi basique. Pourtant, je dois m'y conformer au risque de passer pour une froussarde ou, pire, une tricheuse. Alors que je cherche quoi dire, mes réflexions m'amènent d'abord aux lettres échangées avec Sasha. Celles où elle m'avoue que Blaze s'est sûrement lassé d'elle. Sous entendu : il a baissé son niveau d’exigence pour tomber sur moi. Je fronce le nez, ça ne me semble pas être la meilleure chose à dire après notre explication sur les propos de Misha. Ce n'est pas que je n'aime pas le conflit mais je n'ai pas envie d'être cataloguée comme la chieuse de service, si ce n'est pas déjà fait. Mon esprit se pose ensuite sur le souvenir de notre dernier rendez-vous et du jeu par lequel il s'est terminé. Quand j'y repense, c'était tellement stupide d'avoir osé penser que tout ça n'était pas encore un énième jeu du Serdaigle. C'était si idiot d'avoir cru que ce qui l'intéressait, c'était l'espèce d'intimité qui commençait à se créer entre nous. Finalement, je décide de ce que je vais lui dire. Oui, j'aurais pu enlever ma chemise s'il ne s'était pas entêté à montrer une assurance trop franche pour être sincère, si tout cela n'avait pas été qu'un jeu de plus à gagner pour lui. Ma révélation le déstabilise clairement, ça je ne l'avais pas anticipé. Je me retrouve face à un Blaze qui ne sait plus quoi dire, lui qui se rapproche davantage d'un moulin à paroles en général. Quant à moi, je suis déçue de cette réaction. Est-ce que nos deux réalités sont si loin l'une de l'autre ? J'ai l'impression que nous n'arrivons jamais à nous comprendre. C'est peut-être pour ça, d'ailleurs, que nous n'avions jamais tissé de liens avant notre troisième année passée dans la même classe.

Pour rompre le silence qui commence à s'installer, je décide de lancer la troisième énigme et mon camarade approuve. Après une petite mise en scène pour faire mine que le code trouvé est faux, je dégaine de ma poche gauche un bout de parchemin sur lequel est inscrit le dernier casse-tête. Cette fois-ci, il s'agit de trouver un code en entier à l'aide d'indices. Ce n'est pas dur mais c'est plutôt une question de rapidité. Je laisse Blaze lire mon énigme puis je retourne le sablier. Il a deux minutes, pas une de plus, pour trouver. C'est largement faisable, après tout il s'agit simplement d'un tri de données. Effectivement, une minute n'est même pas passée que Blaze m'annonce la solution avec une assurance agaçante. J'ai bien envie de lui tirer la langue lorsqu'il m'ordonne de lui rendre sa cravate en jouant des sourcils, mais ce serait le comble pour quelqu'un qui se plaint justement des comportements trop puérils. « Tu sembles très sûr de toi. » Lui dis-je en haussant un sourcil. Je regarde la main qu'il me tend pour réclamer son dû avant de l'ignorer volontairement. Je ne suis pas un chien, je ne donne pas la patte quand on me le demande. Au lieu de cela, je me concentre sur le cadenas qui verrouille le petit coffre sur la table. Je tourne une à une chaque molette. D'abord trois crans en arrière pour afficher le zéro. Ensuite, deux crans en arrière pour le quatre. Enfin, deux crans en avant pour le deux. J'appuie sur le bouton de déverrouillage et le mécanisme libère l'anneau métallique qui scellait le coffre. Le cadenas est ouvert. « A juste titre. Félicitations. » J'ouvre le coffre et prend la cravate qui s'y trouve. Un bout de tissu rayé de bleu et de bronze qui trouvera parfaitement sa place autour du cou de Blaze.

Je m'apprête à la lui rendre, lorsque le Serdaigle reprend la parole. Ce qu'il dit m'arrête net dans mon élan. Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? Sur le coup, je trouve sa phrase un peu hors de propos. Puis, je me rappelle ce que je lui ai dit sur ce qui m'a freinée dans l'envie de quitter ma chemise. Finalement, c'est toujours cet antagonisme étrange qui se joue entre nous. Jouer sérieusement, sérieux en jouant. Autant la première proposition me semble claire - et c'est d'ailleurs comme cela que nous jouons tous les deux - autant la deuxième l'est moins. Je n'ai cependant pas le temps de m'interroger plus à ce sujet car Blaze me propose d'échanger la vérité que je dois dire contre une réponse à une question. En un sens, c'est plus aisé mais tout dépend de la question. Je reste muette, attendant la suite. Qu'est-ce qu'il aurait dû faire la semaine dernière pour ne pas tout faire capoter ? Je laisse un sourire apparaître sur mes lèvres lorsqu'il pose un regard bref sur ma poitrine en faisait référence à ma chemise. Sa question n'est pas simple et je suis tentée de refuser l'offre. Cependant, je suis consciente qu'il ne peut s'améliorer si je ne l'aide pas. Après tout c'est un garçon, s'ils avaient inventé l'eau chaude ça se saurait. Je fixe la cravate, toujours entre mes doigts. « Que tu laisses voir la faille, au lieu de chercher à la cacher à tout prix. » Je m'approche de Blaze. Je sens que ma phrase fait un peu bateau, dit comme ça. Il faut que je précise les choses, pour ne laisser aucun doute - que ce soit pour lui comme pour moi. « J'ai bien vu que tu rougissais, je n'suis pas bête. » Nos visages sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, je remarque qu'il me dépasse de quelques centimètres. Je relève le col de sa chemise et place la cravate autour du cou du Serdaigle, en évitant soigneusement de le regarder. Je sais que, si je le fais, ça va embrouiller mon fil de pensées. « Mais t'as placé le jeu et la victoire au premier plan, comme si c'était le plus important. » Je commence à nouer la cravate. Un geste machinal puisqu'il est reproduit chaque matin depuis des années mais pour lequel, cette fois-ci, je démontre une grande application. « Et tu as oublié ce que ça pouvait laisser voir de toi ... de moi. » Je n'ose pas dire nous, parce que je ne suis pas certaine que ce soit approprié. Ce que je veux dire par là, c'est que nos gestes étaient révélateurs de tant de choses l'autre fois. Son trouble, qui laissait croire que c'était la première fois qu'il se trouvait dans cette situation et qu'il n'y était pas insensible. Mon absence d'hésitation, démonstration de ma confiance et de mon bien-être en sa compagnie. Tout ça, balayé par de la fierté et une fougue caractéristiques des adolescents, qui semblent m'abandonner par moments. Peut-être que je ne sais qu'être sérieuse, en fait. « Bon bah ... j'imagine qu'on a terminé. » Je tire une dernière fois et ajuste le noeud. Une dernière fois, mes mains touchent le tissu lorsque je le lisse la cravate. Voilà, c'est fini. Je relève la tête et me rend soudain compte de cette proximité entre nous. Je me recule d'un pas mais ça ne dissipe pas pour autant ma gène. J'ai envie d'occuper mes mains pour canaliser mon malaise mais je ne trouve rien, alors je les cache dans mes poches. Blaze est libre de partir, maintenant.

Mes doigts glissent sur le tissu, précautionneusement, comme s'il risquait d'être réduit en poussière au moindre geste appuyé. On a tous l'habitude de nouer des cravates, ici. Personne n'échappe à l'uniforme, dès le premier jour. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir, lors de la première semaine, des élèves de première année avec un nœud de cravate aléatoire ou relâché voire même totalement absent. Moi, je n'ai jamais eu ce problème là. C'était déjà mon rôle de nouer les cravates de Papa, les rares fois où il devait en porter une, genre pour un rendez-vous à la banque ou un mariage. Il n'a jamais affectionné les effets de toilette et en cela, je suis bien sa fille. Il n'y a qu'à voir comme j'étais embarrassée par la longue robe de Sasha, à la soirée de victoire. Mais les nœuds de cravate, ça me connaît. C'est devenu tellement machinal que ça me prend à peine trente secondes, le matin. Pourtant là, je prends tout mon temps. J'aurais même pu lui laisser la nouer seul, finalement. Je n'arrive pas à déterminer si c'est le besoin d'occuper mes mains ou du contact physique, qui guide mes gestes. Moi qui déteste les marques d'affections ou les contacts, quels qu'ils soient, c'est un comble. Je relève le col de la chemise du Serdaigle et glisse sa cravate autour de son cou. Nos visages sont très proches, sa bouche juste au dessus de mon nez. Je garde les yeux rivés sur le tissu rayé de bleu et de bronze et fais bien attention à ne pas relever la tête. Je ne veux pas le regarder ou prendre le risque de croiser son regard. Si je le fais, je vais prendre conscience de notre proximité et ça va me troubler, je le sais. Il n'y a qu'à se rappeler comme j'ai bafouillé, tout à l'heure.

Je m'applique à choisir mes mots autant qu'à nouer cette fichue cravate. Lui parler de la faille qu'il a laissé entrapercevoir, en rougissant la dernière fois, alors que je croise le grand pan sur le petit pan, sous le col. Évoquer la place proéminente du jeu dans toutes les actions de Blaze tandis que le grand plan glisse sous le petit pan. Respirer, aussi, mais de manière discrète pour ne pas trahir mon stress. Parce que le plus important est sur le point d'être dit et le choix des mots a toute son importance. J'ai bien réfléchi à cette scène de pique-nique, dans mon dortoir, pendant l'une de mes insomnies. J'analyse tout, toujours, c'est plus fort que moi. Ça me rassure, quelque part. Ramener le grand pan sur le petit pan. Finalement, il s'est avéré plus simple d'analyser son comportement plutôt que le mien. Des rougeurs sur les joues, un rire nerveux puis un empressement à passer aux choses "sérieuses". Il ne m'avait pas fallu longtemps pour conclure à une potentielle première expérience et au fait que je lui plaisais assurément. Faire passer le grand pan vers le haut sous la cravate en plaçant l'index dans le nœud en formation. Pour moi, en revanche, ce fut plus compliqué. Admettre mes faiblesses n'est pas dans mes habitudes. J'ai préféré rester dans le déni, pendant un moment. Et puis il a fallu se rendre à l'évidence. Enlever l'index et glisser le grand pan dans la boucle. Je me suis sentie en confiance, il n'y a pas d'autres explications. Jamais je n'aurais accepté de faire ces allusions épistolaires ou de jouer au strip, même si ce n'est qu'avec la cravate, si j'avais senti le moindre danger. En réalité, je me sentais juste bien, à l'aise avec Blaze. Comme si j'avais commencé à lui donner ma confiance sans m'en rendre compte. C'est ce point qui fut dur à accepter. Maintenir le petit pan. Tirer délicatement sur le grand pan pour serrer le boucle. C'est pourquoi j'hésite un peu, avant de confier que cette scène fut révélatrice de nos sentiments, pour lui comme pour moi. Ajuster le nœud, puis le remonter jusqu'au dernier bouton du col. Voilà, c'en est terminé. Je lisse une dernière fois le tissu et me recule d'un pas, soudain gênée par la situation. Comme si j'étais dans une bulle qui venait d'éclater à force de serrer le nœud.

Pour moi c'est terminé, que ce soit le nœud comme la troisième manche de notre petit jeu. C'est tout ce que je trouve à dire, cachant maladroitement mes mains dans mes poches, une chaleur inhabituelle au niveau des pommettes. Aucun de nous ne parle et je n'ose toujours pas lever les yeux. Ce silence, chez Blaze, n'était pas de bon augure les fois précédentes. Est-ce que mes explications - nébuleuses, j'en conviens, n'ont pas été suffisantes ? Un instant, je songe même à partir la première, pour éviter l'affront d'être quittée sans un mot, pour éviter d'être à nouveau confrontée à cette peur qui ronge mes entrailles. Mais enfin, des mots sortent de la bouche du Serdaigle. Ce n'est pas forcément terminé. Je reste interdite, m’autorisant enfin à regarder Blaze. Je suis en attente d'une suite, qui ne vient pas. Le silence se fait à nouveau, pesant. Ma gêne ne s'est toujours pas dissipée, je joue avec le tissu à l'intérieur de ma poche pour calmer mes émotions. Un sourire se dessine enfin sur le visage de mon camarade pour me complimenter sur ma manière de faire les nœuds. Drôle de compliment, ma foi, mais je prends quand même. J'ai encore un peu de mal à reprendre mes esprits pour pleinement comprendre la portée de ses mots. « Euh ben ... merci ? » Dis-je, un peu bête. Malgré le sourire, Blaze fuit encore mon regard. Le silence s'installe de nouveau sans que je ne sache vraiment si c'est une bonne ou une mauvaise chose. D'habitude, ça ne me dérange pas mais là, l'absence de paroles est pesante. J'en profite pour me repasser ce qu'il vient de dire dans ma tête. Il n'a pas trouvé ça relou de sentir mes mains presque sur lui, c'est ça qu'il vient de dire. Je ne suis pas certaine de percevoir toute la sensualité de la scène qui vient de se jouer. Blaze sort une banalité sur le décor qui nous entoure, en faisant référence à celui de notre précédente entrevue. Des banalités pour meubler la conversation, du moins c'est comme ça que je vois les choses. Mon esprit pourtant si clairvoyant d'habitude, ne voit pas ce qui peut se cacher sous ces paroles. Je reste muette, encore. Voilà au moins une chose qui ne change pas.

Enfin, une question m'est adressée et fait l'effet d'un gong. Je sors de la torpeur gênée dans laquelle je me trouvais. Une promesse de prendre les choses davantage au sérieux en échange de ma clémence. Les promesses ... ça fait longtemps que je n'y crois plus. D'un coup, moi aussi je préfère regarder ailleurs et trouve un intérêt soudain à ce stupide coffre en bois. « Si tu me promets d'essayer, alors d'accord. » Les doigts à l'intérieur de mes poches chiffonnent douloureusement le tissu innocent. Je nuance les propos de Blaze. S'il essaie, ce sera déjà bien et s'il ne réussit pas, je serais moins déçue. Même si la déception sera tout de même présente. « Mais attention aux promesses. » Mon ton est un peu plus dur, plus assuré, car ce n'est pas la première fois que je prononce cette phrase. Les promesses sont dangereuses et ne valent rien. C'est ce que tu apprends, après avoir donné trop d'importance à l'une d'entre elle. Après qu'une mère ait promis de veiller sur son enfant pour toujours et disparaît du jour au lendemain. J'accepte tout de même le marché et c'est un effort assez rare pour être souligné. Blaze s'autoproclame vainqueur de cette troisième manche, gage de son assurance retrouvée. Il n'a pas tout à fait tort puisqu'il a gagné deux énigmes sur trois mais ça aurait dû être à moi de lui offrir ce titre. Autant lui offrir une occasion d'honorer sa promesse, après tout. « Ne la gaspille pas. » Déçois moi une fois, c'est ta faute. Déçois moi deux fois, c'est la mienne. Il n'y aura pas de troisième chance, j'espère qu'il en fera bon usage. Je retrouve une certaine dureté dans mes propos, alors qu'elle avait totalement disparu pendant l'élaboration du nœud de cravate. Je montre les dents pour éviter d'avoir à souffrir. Ça me tue d'avouer ça mais, si j'ai peur de souffrir avec Blaze, c'est précisément parce que je lui en offre la possibilité. C'es terrible et absolument pas dans mes habitudes. Enfin le regard du Serdaigle rejoint le mien et sa question - ou plutôt sa demande - me fait l'effet d'une douche froide. « C'est à dire ? » Je le questionne calmement mais en ouvrant toutefois de grand yeux. Je ne suis pas sûre de saisir exactement de quoi il parle. Est-ce qu'il s'agit du pique-nique ? Des révélations que l'on se fait depuis le début ? De notre jeu de strip ? Si oui, de l'étape de la chemise ? Ou parle-t-il de quelque chose de beaucoup plus abstrait ? Je suis perdue.

Commencer par des promesses, c'est prendre le risque de tout faire foirer. Qui est le plus con, dans l'histoire ? Celui qui pense pouvoir tenir sa promesse ou celui qui est assez stupide pour y croire ? Je tâcherai de n'être ni l'un, ni l'autre. Ma voix a repris de l'assurance, je suis éminemment plus douée pour l'attaque que pour la défense. Ça me permet aussi de mettre fin à ces moments de silence gênant qui s'éternisent entre nous, depuis tout à l'heure. Pour autant, j'accepte de donner une seconde chance à Blaze. Je ne comprends pas tellement pourquoi. En général, je n'ai aucun mal à couper court avec ceux qui me déçoivent. Sans compter que, malgré toute la détermination que Blaze montre pour se rattraper, je distingue sans mal l'ombre de Sasha qui plane sur cette promesse. Je sais bien qu'elle n'y est pour rien et qu'elle le remballe dès qu'elle le peut. En fait non, je ne le sais pas. Elle me l'a dit mais je n'ai rien qui me prouve qu'elle dit la vérité. Je la connais, elle adore plaire. Si jamais le Serdaigle se désintéressait d'elle - ce n'est pas encore gagné - ne ferait-elle pas tout pour le récupérer ? Et moi, je deviens quoi dans l'histoire ? Le dindon de la farce ? « Je te piquerai bien plus que ça. » Dis-je à mon camarade lorsqu'il évoque les conséquences d'un nouveau faux pas. J'ai compris que c'était de l'humour, pour autant je reste de marbre. Qu'il se méfie bien. C'est toute sa dignité que je lui piquerai s'il ose me tourner au ridicule. Nulle vengeance n'est plus dévastatrice que celle d'une fille blessée. Oui je l'avoue, je crois que j'ai foiré : il a les moyens de me faire du mal, s'il a envie. J'ai tout foiré mais finalement, ça ne me fait pas aussi mal que j'aurais cru. Ce n'est pas la fin du monde, ce n'est pas comme si j'allais mourir dans une seconde. Tout va bien. Avec lui, je vais bien. Quand il ne nique pas tout avec ses conneries, évidemment.

Je ne comprends pas de quoi il parle. Que veut-il reprendre là où on a arrêté ? Je crains que ce ne soit que cette stupide histoire de strip-tease et que Blaze n'ait finalement rien compris à mes explications. Ce n'est pas si dérangeant, de se mettre à poil. Je préfère largement le faire au sens propre qu'au sens figuré. Je n'ai jamais eu spécialement honte de mon corps, comme c'est le cas pour une majorité d'adolescentes. Il est comme il est et ça me convient, pour le peu d'intérêt que j'accorde à l'apparence, de toute manière. Par contre, s'il s'agit de se mettre à nu métaphoriquement, c'est compliqué. C'est même impossible, j'ai tout fermé à double tour, il y a si longtemps que j'en ai perdu la clé. Je ne sais pas comment faire pour la retrouver et la moindre tentative d'ouverture - par moi comme par autrui - me fait l'effet d'une véritable agression. Je fixe Blaze avec une certaine appréhension, sans précisément savoir à quoi m'attendre. Un rire nerveux m'échappe quand je le vois faire mine de réfléchir en théâtralisant à mort tous ses gestes. Je fronce les sourcils en entendant parler de la scène dans le colza, avant de subitement éclater de rire lorsque Blaze se rattrape avec la métaphore. Pour le coup c'est drôle, je ne retiens pas mon rire. Quel nigaud celui là. Mes joues rosissent sous le coup de l'émotion alors que je me calme, sans me dévêtir de mon sourire si rare. « Idiot. » Je baisse les yeux. Pourquoi tu glousses comme une dinde, andouille ? Voilà que je me mets à faire exactement tout ce que je déteste chez les filles de mon âge. C'est vraiment n'importe quoi ma pauvre Skyler. Un silence se fait ensuite, l'un de ceux qui marquent à la fois la fin d'une chose et le début d'une autre. Quoi exactement ? Je l'ignore. Mes mains jouent toujours nerveusement avec mes fonds de poche mais je n'ai pas envie de partir. Ni de bouger, même respirer me semble de trop. Comme si le moindre souffle pouvait briser à jamais ce moment.

Un soupir retentit finalement du côté de Blaze et je relève les yeux, croisant alors son regard. Est-ce que c'est le moment ? C'est la fin, il va s'en aller ? Je crois qu'il veut me dire au revoir mais je me trompe sur toute la ligne. Sa question me laisse bouche bée. Puis, j'ai subitement envie de lui demander en quoi ça le regarde. Sur la défensive, toujours. Sauf qu'en réalité, je sais très bien en quoi ça le regarde et le poids de cette prise de conscience rend mes joues brûlantes, encore. Je ne suis pas assez rapide pour répondre, déjà Blaze reprend la parole pour m'avouer qu'il n'a jamais eu de copine, lui. Il n'y a donc rien eu avec Sasha, pour l'instant. Mon soulagement est de courte durée, je manque de m'étrangler. Essayer quoi ? Avec qui ? Être ensemble, tous les deux ? C'est ça qu'il me demande ? J'ai envie de lui poser la question, de lui en poser des tonnes mais je sais le moment mal choisi. Personne ne fait ça, jamais. Quand quelqu'un te dit qu'il veut sortir avec toi, tu ne lui demandes pas pourquoi. J'ai l'impression que tout mon monde s'écroule d'un coup. La bulle dans laquelle nous nous trouvions, Blaze et moi, vient subitement d'éclater et de laisser envoler toute la chaleur et la douceur qu'elle contenait. « Non, j'ai jamais eu de copain. Je ... » D'instinct, je recule et percute la table derrière moi. Je me mors la lèvre pour étouffer un couinement de douleur. Me voilà coincée, obligée de faire face à Blaze. Mon cœur tambourine douloureusement dans ma poitrine. Evidemment que je n'ai jamais eu de copain, pour quoi faire ? Mon truc c'est plutôt les histoires passagères, en fait. Genre des bisous en soirée et basta. Ma plus longue relation, c'est avec Tobby MacNeal l'été dernier. Ça a duré douze heures, jusqu'à ce qu'il veuille aller plus loin. Pourquoi les mecs veulent-ils toujours aller plus loin ? C'est idiot. Tant que ce n'est pas officiel, ça va. C'est après que ça se complique. « J'crois pas que je sois faite pour ça ... » Je n'ai jamais eu un modèle de couple solide. J'ai juste vu ma mère et mon père, qu'Elle a quitté comme un malpropre. Est-ce que moi aussi je suis comme ça ? Est-ce que je serais capable d'abandonner homme et enfant un jour ? Est-ce que je ne sais que faire souffrir les personnes qui se risquent à m'aimer ? Mais est-ce que Blaze m'aime, seulement ? C'est tellement ridicule, on s'est vus trois fois. Je veux pas être abandonnée encore. Je ... je commençais justement à me sentir bien avec lui. Si je dis oui, je lui donne la clé pour m’anéantir. Cette éventualité me terrifie, comme celle d'avoir à lui dire non, d'ailleurs ... C'est comme si j'étais au bord du précipice avec une envie dévorante de sauter mais qu'une corde invisible me retenait. « Je ... Et que va dire Jade ? Elle va te tuer. » Voilà la seule chose que je trouve à dire. Je panique, j'essaie de me raccrocher à la seule chose factuelle que je trouve : notre haine réciproque avec Jade. Toujours meilleure en attaque qu'en défense. Pourquoi c'est cette conne qui me vient en tête là ? Depuis quand ça me préoccupe ? Si elle sait que Blaze est avec moi, ça n'apportera sûrement que des ennuis mais ce n'est clairement pas le plus important. Est-ce que je viens d'accepter la proposition de Blaze, en disant cela ? Mon regard supplie le Serdaigle de faire quelque chose. De me sortir de là. De ne pas me laisser tomber. De me rassurer. Putain, pourquoi mon cerveau est en roue libre comme ça ? Pourquoi ai-je besoin de quelqu'un pour aller mieux, tout à coup ?

Tout se brouille dans mon esprit, les fréquences ne sont pas accordées. Je pensais qu'il avait compris. J'étais prête à poursuivre la route avec lui, à continuer ces espèces de petites manches ridicules. Prête à le laisser entre apercevoir certains sourires, prête sans doute même à le laisser voir plus que ça. Ce dont je suis certaine, c'est que j'étais prête à lui accorder ma confiance, même si nous ne sommes que rarement sur la même longueur d'onde. Et là, voilà que tout vole en éclat par une simple question. Embuée par ce trouble qui m'anime, je ne distingue même pas le courage qu'il a fallu à Blaze pour me demander ça. Pour moi, c'est tout bonnement de la stupidité voire peut-être un excès de confiance. La dimension du jeu est totalement passée au second plan, cette fois ci. Je ne suis pas très maline pour tout ça, mais je vois bien que personne ne rigole ici. Pourtant, peut-être qu'il se fiche de moi ? Peut-être que c'est un pari débile avec Jade pour me tourner au ridicule ? Merde, pourquoi est-ce cette peste qui me vient en tête ? Je sens comme un nœud qui se forme au niveau de ma poitrine et qui remonte jusqu'à se loger dans ma gorge. J'explique du mieux que je peux, sûrement très maladroitement, au Serdaigle que c'est une mauvaise idée. Encore une fois, Jade me vient en tête. Elle est l'une des raisons qui font que, lui et moi, c'est une très mauvaise idée. J'ai appris à la connaître, à la surface et je sais qu'elle sera capable du pire quand elle le saura. Avec moi mais sans doute aussi avec lui. Je n'ai pas besoin d'ennuis supplémentaires et les relations amoureuses, c'est justement bourré de complications !

Je sors une main de ma poche et la passe sur le bas de mon dos, je suis bonne pour un bleu. L'autre main est restée planquée, toujours à chiffonner le tissus de ma robe. Je crois bien que je vais finir par la déchiffrer, à ce rythme. Paniquée par cette situation inédite dans laquelle je ne maîtrise rien, mes yeux appellent à l'aide. Je prie pour que Blaze dise quelque chose auquel je puisse me raccrocher. Ou qu'il fasse quelque chose même, n'importe quoi pourvu que cette situation évolue rapidement. Je le vois froncer les sourcils. Cette mimique devrait m'inquiéter mais je suis presque soulagée de le voir bouger, soulagée de ne pas l'avoir cassé avec ce que je viens de dire. J'ai conscience que l'argument "Jade" est totalement bidon, je ne sais vraiment pas pourquoi j'ai sorti ça. Un instant, je suis tentée de reprendre la parole pour lui assurer que je n'ai pas refusé. J'ouvre la bouche mais le nœud dans ma gorge se sert davantage et m'empêche d'émettre le moindre son. Puis ... si Blaze pense que c'est Jade le souci, c'est moins grave non ? C'est moins bateau que de dire que c'est moi, le problème dans l'histoire. Le visage du Serdaigle est vide d'émotion et ça me laisse un trou béant dans la poitrine. Cette expression, chez lui, je n'y suis pas habituée et je m'en trouve totalement désœuvrée. Honteuse, je baisse les yeux, aveu de ma culpabilité. Je crois alors qu'il va lâcher l'affaire mais la voix que j'entends a repris un peu d'aplomb. Enfin, je crois que c'est ça. On s'en fout. Il s'en fout. Je relève les yeux. Bien sûr que je m'en fiche de l'opinion des autres, ça fait bien longtemps que je m'en cogne. Mais là, c'est différent. Je ne suis pas la seule personne en jeu dans tout ça et, malgré mon égoïsme profond, je ne veux pas érafler son quotidien de ma présence. Ou plutôt, c'est précisément à cause de cet égoïsme profond. Je ne veux pas sortir de ma zone de confort et c'est précisément ce qu'il me demande de faire. J'ai la trouille, j'en suis paralysée. La corde qui me retient de sauter me semble de plus en plus épaisse. Blaze se rapproche alors que je ne peux reculer. Cette proximité, si douce quelques minutes auparavant, m'est subitement insoutenable. Je l'entends me proposer une deuxième fois de construire quelque chose ensemble. Cette demande tombe lourdement sur mes épaules. J'inspire, j'expire, j'essaie de calmer au mieux mes battements de cœur pour dompter ma voix. J'inspire, encore. « Non, je ne veux pas. »

C'est dit. Je voulais ôter un poids de ma poitrine mais cette déclaration me fait l'effet inverse. Je me sens fautive, coupable, honteuse. Mes joues ont retrouvé leur pâleur habituelle et ma respiration est redevenue normale. J'ai passé le pic d'émotion, je me suis défilée. J'ai préféré rester dans ma zone de confort pour ne pas risquer de souffrir ou d'être trahie. C'est ce que j'ai toujours fait, pour me protéger, et c'est la meilleure chose à faire. Je l'ai peut-être oublié, durant nos entrevues, en me prenant à rêver d'être une adolescente normale. Mais c'est terminé, tout ça. Chacun va reprendre le cours de sa vie et ce sera très bien ainsi. Mieux ? Je n'en suis pas si sûre. J'ai du mal à ignorer mon cœur qui se serre de plus en plus. La corde m'a rattrapée, le précipice sous mes pieds se referme. Je suis en sécurité mais je ne me sens pas mieux pour autant. Pourtant, j'ai fait ce qu'il fallait faire : ne pas bouleverser l'ordre établi. Je vais retourner dans l'ombre et Blaze restera dans la lumière. Il retrouvera son groupe d'amis et je resterai dans mon coin, comme avant. Je détourne les yeux, je refuse absolument de regarder le Serdaigle. Je fuis mes responsabilités, lâchement. « Je ... je ferais mieux d'y aller. » Je me hâte de mettre la main sur le coffre de bois et le fourre à la va vite dans mon sac, la tête toujours baissée. Le temps presse, je sens les émotions remonter dans ma trachée. Je pensais effacer le tableau avant de partir d'ici mais, finalement, je ne veux pas perdre de temps inutile. De toute manière, personne ne comprendra quoi que ce soit à ce charabia. Sans prendre le temps de vérifier si je n'ai rien oublié, je file en direction de la porte. Je pose ma main sur la poignée et ... rien ne se passe. Merde, elle est fermée. « Raah mais elle a quoi cette putain de porte là ?! » Rageusement, je donne un coup de poing dedans. Surtout, ne pas se retourner. Un soudain éclair de lucidité me fait revenir à la raison. Evidemment, quelle cruche. C'est moi qui ai fermé la porte pour qu'on ne soit pas dérangés. Quel génie, la prochaine fois que j'ai une bonne idée, je la laisserai gentiment au placard. Vite, je dégaine ma baguette. J'ai du mal à contrôler les tremblements de mon menton, j'espère que ça va marcher quand même. « Alohomora. » Ouf, un déclic se fait entendre et la porte s'ouvre d'elle même. Sans attendre mon reste, je me tire. Je marche rapidement et me retiens de ne pas courir. Il faut juste que je mette le plus de distance possible entre Blaze et moi. Mes lèvres tremblent mais je me contrôle, je ne pleurerai pas. J'ai fait ce qu'il fallait. La noirceur de mon monde n'est pas venu tâcher l'univers édulcoré du Serdaigle. Tout est redevenu normal, comme si rien ne s'était passé. Comme si rien n'avait changé. Oui, comme si.