Cela faisait un moment déjà qu’on me jouait des tours : repeindre ma cabane, modifier magiquement ma serrure pouvait passer, mais le farceur avait outrepassé les bornes en lançant un sortilège qui avait fait grossir mes limaces. Le temps que je revienne chez moi, les dégâts étaient notables : tout était devenu gluant et mes potirons n’étaient plus qu’un souvenir, dévorées qu’ils avaient été. Il fallait sévir, l’heure n’était plus à l’enquête passive et gentillette. J’avais donc imaginé tout un piège, mêlant mes compétences de pêche à mes aptitudes magiques même si ces dernières étaient un peu rouillé par les années.
Le piège pouvait sembler élaboré, d’autant plus que je devait prendre mon plaisantin sur le fait et non pas avant son méfait. J’avais donc attendu le moment propice : le week-end puisqu’il me semblait qu’il sévissait plus à ce moment. J’avais récupéré ce qui restait de mes citrouilles, disposant les peaux sur le chemin qui menait à ma cabane, chemin que serait obligé d’emprunter quiconque voudrait venir me voir. Le rôle de ces peaux était le bruit qu’elle faisait quand on marchait dessus, une fois séchée. Ensuite j’avais dressé Anvia, mon cher rat, à reconnaître ce bruit et à faire ensuite trois fois le tour de mon potager avant d’enclencher le piège proprement dit : un filet de pêche accroché dans un arbre par une ficelle tendue enduite de jus de fraise (Anvia adorait les fraises). Il suffisait qu’Anvia grignote la ficelle et le filet tomberait juste devant ma cabane, emprisonnant ainsi l’élève. On pouvait se demander pourquoi faire faire trois fois le tour du potager à Anvia mais c’était le seul moyen d’être sûr que le méfait ait eu le temps d’êter accompli, il ne s’agissait pas d’être ensuite accusé de terroriser les élèves sans raison. Il s’était montré imaginatif dans ses tours, j’allais me montrer imaginatif dans sa capture. Évidemment le filet, qui datait d’avant ma rencontre avec Elenna avait été renforcé par quelques sortilèges qui rendait très difficile de s’en débarrasser tout seul. Il ne restait ensuite qu’à sortir de ma cabane, constaté les faits et punir comme il se devait l’élève récalcitrant.
J’entendis le bruit caractéristique d’un filet qui tombe vers 11h le dimanche. Il faisait un peu froid dehors mais je sortis sans mettre de vêtements chauds, excité comme je l’étais à l’idée de prendre le plaisantin sur les faits. Je n’étais qu’à moitié surpris de voir Blaze se débattre dans mon filet. Il se donnait des airs d’enfant sage, propre sur lui mais j’avais vu la rage qui brillait dans ses yeux et qu’il tentait tant bien que mal de dissimuler depuis sa colle. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire en le voyant se débattre, encore ahuri sans doute de s’être fait piégé de la sorte.
« Ainsi donc c’était toi les limaces ? Tu t’imaginais que tu allais toujours t’en sortir sans rien ? »

En temps normal, je détestais pêcher le dimanche matin, la mer était semblable à elle-même mais le nombre de plaisanciers, de touristes, était décuplé. Le bar, la limande s’effrayaient dans de telles conditions. Même la pêche à pied, avec des cassiers à crabe était compromise par les ballades sur la plage et dans les rochers. Mais aujourd’hui, ce n’était pas un maquereau ou une plie que j’avais pris, ce n’était pas un gros crabe et le temps, la fréquentation des plages et de la mer n’avait rien à voir. De toutes façons j’étais bien loin de Whitby et de la mer, je n’étais même pas au bord du lac et de son calamar géant. J’étais simplement en train d’attraper au filet un élève un peu trop plaisantin à mon goût.
Il faut dire que Blaze avait commencé fort avec sa patinoire, et n’avait pas apprécié du tout sa punition pourtant bien méritée. Depuis c’était la guerre, d’abord par rage puis certainement par amusement, il ne me semblait pas de nature si rancunière. De mon côté, je n’avais pas du tout apprécié les limaces géantes. Je détestais les limaces, alors les limaces géantes qui mangent mon potager et bavent partout… J’avais mis des heures à tout nettoyer.
Blaze se tenait donc devant moi, emberlificoté dans mon filet, tout penaud. Mais ce garnement ne se laissait pas démonter, me parlant d’abord du temps comme si nous nous rencontrions dans un couloir puis m’interrogeant sur les ensorcellements de mon filet.
« Eh bien… Je dois dire que oui, c’est une très belle journée, ça faisait longtemps que je n’avais pas attrapé un si gros poisson. Je te relâche dans le lac ou on cause un peu ? » J’essayai de rester calme mais c’était dur. Pourtant je ne pouvais pas le donner en pâture au calamar, c’était un coup à perdre mon poste. Et je devais protéger Hilary. Sans le laisser répondre, je continuais :
« Très bien, de toutes façons tu ne peux pas bouger. Oui, ce filet est ensorcelé et même sans ça il est bien solide, il a été fait par… » Je n’allais quand même pas lui parler d’Elenna, même si c’était elle qui m’avait appris cette technique… « par une des plus grande pêcheuse que j’ai connue » espèrons qu’il n’avait pas remarqué mon trouble.
« Vu que tu es coincé ici tu vas donc m’expliquer d’une part ce que tu comptais faire et d’autre part pourquoi tu t’amuses à me lancer des tours depuis que je suis arrivée. » Ma voix avait repris son assurance normal.

J’avais agacé Blaze certainement autant que ses tours m’avaient agacé. Désormais il se démenait, se tordait dans tous les sens, tentait en vain de s’extraire de mon filet, déjà résistant par nature mais ensorcelé en plus de cela. Plus ils s’agitait, plus le filet se resserrait autour de lui, de ses jambes, de son torse, rendant les mouvements de plus en plus complexe à effectuer, sans parler de briser par un moyen ou un autre le maléfice. Il avait lâché sa baguette, il était donc impuissant et je savourais ce moment. Je n’étais pas sadique, mon but n’était pas de le laisser là mais juste de lui faire comprendre que ses plaisanteries avaient trop duré et que j’étais prêt à lui rendre la pareille. Voyant que c’était inutile, il cessa de s’agiter mais me regarda, j’aurais aimé dire d’un air penaud et désolé, mais il semblait juste agacé, me demandant avec insistance de le relâcher, voulant même prendre un thé avec moi.
« Honnêtement j’aime bien boire du thé mais je préfère le siroter en discutant avec des amis, pas avec un garnement qui me joue des tours depuis des mois. » En disant cela, je pensais à Hilary, avec qui je prenais un réel plaisir à prendre le thé dans ma cabane régulièrement. Dire que je lui avais dit de ne pas venir ce week-end pour ne pas compromettre mon piège ! À cette heure, elle aurait pu toquer à ma porte, nous aurions parlé de Whitby, du phare de Willem, de ses projets d’avenir… ç’aurait été bien plus intéressant que raconter comment j’avais ensorcelé mon filet pour le capturer à un élève qui de toutes évidences s’en préoccupaient comme de son premier chaudron et ne m’écoutait que parce qu’il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre. Je ne pouvais m’empêcher de me dire que de mon temps de tels actes ne se faisait pas, qu’on ne m’était pas ainsi d’en l’embarras le garde chasse. Quoique, ce n’était peut-être pas un bon exemple, de mon temps, même si tout le monde l’ignorait ici – du moins je l’espérais – j’avais fait bien pire que repeindre une cabane en rose. Enfin bref, ce n’était pas le sujet, il fallait que je redescende sur terre et me préoccupe de l’avenir proche de Blaze.
Le libérer ? Je n’en avait pas encore envie mais il le faudrait bien puisque malgré mes menaces prononcées sous le coup de la colère, il était hors-de-question de le jeter en pâture au calamar géant, je ne voulais pas perdre mon poste pour une raison aussi insignifiante, Blaze n’en valait certainement pas la peine.
« Simplement ensorceler ma poignée ? Bah voilà autre chose… Et la fois d’avant tu étais « simplement » venu repeindre ma cabane et « simplement » détruire mon potager, boucher ma serrure, coller ma porte… Eh bien je crois que, vu que tu me le demandais, tu vas « simplement » rester emberlificoté dans mon filet. Et puis quoi encore, « simplement »... » J’étais déjà énervé mais il n’arrivait, malgré les calculs certainement compliqué qu’il devait élaborer dans sa tête pour se sortir de là à moindre frais, à m’énerver encore plus avec ses tentatives d’explications qui cachait mal qu’il n’avait aucun regret. Et, le voilà qui voulait me faire avaler qu’il faisait cela pour tester mes capacités de réactions en cas d’attaques ! Il me prenait pour un elfe de maison ou quoi ?
« Mais oui c’est ça… Cause toujours, tu sais déjà que tu ne t’en sortiras pas comme ça. Bientôt tu vas m’affirmer que tu faisais tes farces avec la bénédiction de la directrice voire du ministère… Je te préviens tout de suite, tu n’échapperas pas à ta punition et même, avant cela, tant que je n’aurais pas l’impression que tu t’excuses sincèrement, je bougerais pas le petit doigt pour te sortir de ce filet. » C’était clair, il ne s’en tirerait pas comme ça.

J’essayais de ne pas le montrer mais l’aplomb de Blaze me laissait patois. Pourtant il avait une réputation d’élève plutôt sans histoire, enfin rien de particulier ne m’était remonté aux oreilles lors des rares passages que je faisais dans la salle des professeurs. Pourquoi avait-il donc décidé de s’en prendre à moi ? Parce que je l’avais collé, une fois, après une bêtise qui aurait pu se révéler bien plus dangereuse qu’elle ne l’avait été ? Parce que je n’étais qu’un simple garde-chasse, qui ne méritait pas le respect dû aux professeurs ? Les deux à la fois ?
Il était complètement dépendant de mes décisions et pourtant son ton était détaché presque comme s’il n’en avait rien à faire de ce que j’allais faire. Je ne demandais pourtant que des excuses à peu près sincère – même là-dessus je n’étais pas très exigeant – pour le défaire de ce filet. Mais il préférait rester dans une position certainement très inconfortable plutôt que de s’abaisser à cela. Ses excuses avait été faites d’un revers de la main, sans la moindre trace de regrets, comme on fait des excuses dans le simple but de se débarrasser de quelqu’un. Eh bien il ne se débarrasserait pas de moi si facilement.
Pourtant j’étais face à un dilemme, d’autres risquaient de sortir. Et même si ma cabane était relativement éloignée de l’entre du château, même s’il fallait venir vers la forêt interdite pour la voir, quelqu’un pourrait apercevoir la scène. Et je n’avais aucune idée de comment elle serait prise par la direction, ni de si elle ne s’en servirait pas à la première occasion pour me virer. Mais d’un autre côté, je ne voulais pas que Blaze me pense faible, pense que je cédais à ce qu’il voulait sans avoir la plus petite reddition.
« J’ai demandé des excuses sincères… pas faite du bout des lèvres parce que tu te sens obligé d’obéir pour être libéré. Et sache que tu n’échappera pas à la punition, considère avant toute chose que tu es collé le week-end prochain. C’est peu dire qu’on est parti du mauvais pied mais tu en es l’unique fautif donc assume maintenant et non je ne vois pas d’égalité. Répond maintenant à cette question : Pourquoi tu me fais ce genre de plaisanteries de très mauvais goût ? Pourquoi tu n’as aucun respect pour moi ? C’est pourtant pas très compliqué, je ne te demande pas de m’apprécier, ce n’est pas mon problème ça de toute façon. » Je n’étais pas d’humeur à me laisser amadouer et voulait qu’il le comprenne. « Il n’y aura pas de nouvelles bases tant que tu ne changeras pas radicalement de comportement. »

Je soupirais bruyamment. De dépit. D’agacement. D’ennui un peu. L’attitude de Blaze m’était incompréhensible. Je parlais de son attitude depuis le début, depuis mon arrivée ou presque, mais encore plus de son attitude depuis que je l’avais pris sur le fait. Il ne pouvait pas me mentir et pourtant il le faisait avec un aplomb qui dépassait l’entendement. Il n’était pas en position de négocier mais il semblait se vexer que je n’accepte pas ses conditions. Il voulait faire un concours de celui qui serait le plus butée ? J’étais sûr de le gagner d’autant plus que celui qui détenait l’autorité dans cette histoire. J’avais fini par conclure de notre discussion que plus rien ne pouvait m’étonner et pourtant sa réponse me laissa perplexe, tant l’argument était celui d’un gamin de 5 ans en rébellion contre sa maîtresse qui lui demande avec gentillesse de d’arrêter de frapper sa petite camarade. Du moins c’est ce que j’imaginais de ce que Elanna m’avait racontée des classes de maternelle d’Hilary.
« Effectivement, et j’en suis bien heureux je dois dire. » Mon ton se faisait ironique mais je me maîtrisais, ne voulant pas laisser passer un gloussement de rire entre deux paroles tant la situation m’apparaissait de plus en plus comme ridicule.
« Ah oui je suis en tort, tu crois ça… Je viens ensorceler la porte de ton dortoir, tes affaires personnelles, je repeins les murs du dortoir et met de la bave de limaces partout, peut-être ? Si tu recherches les heures de colle, continue comme ça. »
Je sentais que j’allais m’énerver s’il continuait comme ça et il ne valait mieux pas. Déjà ce serait lui donner plus d’importance qu’il n’en avait, ensuite ça marquerait mon sentiment de faiblesse et d’incompréhension. Et puis il y avait toujours le risque que ça dégénère, mon emportement pouvait m’emporter loin quand je ne le canalisais pas.
« Je n’ai pas à me justifier, je ne te dois aucun compte, tu étais fautif, tu le sais. Et c’était dangereux, tu le sais aussi. Je suis responsable du parc et j’assume les responsabilités que j’ai endossé en acceptant ce poste de garde-chasse. Poudlard a eu assez de morts et de blessures comme ça, je ne te laissera faire prendre le moindre risque à personne tant que je peux l’empêcher. Maintenant tu t’excuses ou tu peux rester là encore un moment. » Au fond de moi je savais que je serais bien obligé de le libérer à un moment ou un autre mais j’avais espoir qu’il réfléchisse d’ici là, après tout à part me répondre il n’avait rien à faire d’autres.

Je n’étais pas le plus doué pour les leçons de morale, loin de là. Que Blaze me foudroie du regard ne m’étonnait pas vraiment. À son âge, dans sa situation, j’aurais fait de même. D’autant plus que je savais pertinemment que ces bêtises étaient parfaitement anodines par rapport à ce à quoi je m’étais livré au même âge. Je préféré mille fois voir mon potager ravagé que d’apprendre que Blaze se livrait à la magie noire dans les sous-sols du château. Mais il fallait que je reste dans mon rôle et en tant qu’adulte, je ne pouvais pas laisser passer une telle insolence. Je gardais donc un visage fermé, un regard dur pour lui faire comprendre que je ne transigerais pas sur mes exigences. Ou il s’excusait sincèrement, ou il restait coincé. Du moins c’est ce que je voulais lui faire croire parce que je n’était pas sûr de le garder si longtemps dans cette position. Je ne savais pas comment ce serait pris par la direction si elle voyait Blaze pris comme ça dans mon filet. Ou plutôt, je savais que ce ne serais sans doute pas suffisant pour me virer mais ça pourrait toujours servir de prétexte pour se débarrasser de moi, s’il le fallait.
« Eh bien, désolé pour toi, mais la vengeance contre les élèves n’est pas dans mes habitudes. »
J’attendis quelques instants, un temps qui me sembla interminable avant qu’il ne daigne s’excuser à nouveau, plus sincèrement cette fois. C’était loin d’être parfait mais ça ressemblait déjà plus à ce que j’attendais. Peut-être n’en croyait-il pas un mot, peut-être ne faisait-il ça que pour être libéré mais je n’allais pas prolonger sa punition plus longtemps, d’autant plus que je pouvais maintenant le libérer sans perdre la face en trahissant mes paroles précédentes.
« Très bien, ne bouge pas, je vais t’enlever ce filet. » Mon ton était loin d’être aimable mais il n’avait aucune raison de l’être.
« Finite incantatem »
Les mailles du filet se relâchèrent, le filet se fit moins serré, il était maintenant facile de s’en défaire. Enfin si le regard vide de Blaze, regard qui semblait être une marque d’épuisement, ne signifiait pas qu’il n’était même plus capable de faire le moindre geste. J’attendis donc patiemment de voir si malgré l’état de fatigue dans lequel ses excuses semblaient l’avoir mis, Blaze était encore capable de se lever seul ou s’il aurait besoin de mon aide.

Cette conversation, si l’on peut appeler ça une conversation, commençait à m’agacer au plus haut point. Blaze n’était au fond qu’un insolent de plus qui se cachait derrière ses bonnes manières, un gamin insupportable qui se croyait malin de provoquer un adulte. Je n’avais même pas envie de lui répondre et d’ailleurs rien ne m’y obligeait. Je décidai donc de ne pas m’abaisser à polémiquer sur mes habitudes et celles du professeur d’histoire de la magie.
Ses excuses n’étaient sans doute pas sincère pour un sou mais elles avaient le mérite d’exister et d’être dans des termes acceptables. Je n’avais donc plus de raisons de craindre de me montrer faible en le libérant. Je le regardais ensuite s’étirer en reprenant une posture normale, moins douloureuse pour ses muscles et j’espérais secrètement qu’il en aurait des courbatures le lendemain, lui rappelant un peu plus longtemps qu’il ne pourrait s’attaquer à moi sans en subir de conséquences. Sa voix pleine d’amertume semblait maintenant vouloir en finir, au moins pour cette fois. Cela tombait bien, moi aussi je n’avais plus pour seule perspective que celle qu’on me laisse en paix. J’avais perdu assez de temps à m’occuper d’un Blaze en manque de tour à jouer. Je l’écoutais donc d’une oreille distraite avant de lui annoncer : « Puisque c’est toi qui le demandes, tu viendras ici même dimanche prochain. Et je suis bien d’accord, ton histoire est idiote. »
Sur ces mots, je lui fis signe de déguerpir rapidement sans une parole de plus, je n’avais plus rien à lui dire et aucune envie de le revoir. Il fallait juste que je réflechisse à sa punition mais j’en avais le temps. Je n’allais surtout pas me laisser pourrir la journée par un problème de ce genre. Je le regardais s’éloigner avant de regagner ma cabane, un peu amer d’avoir à régler ce type de problèmes puérils.