D’une oreille distraite, le visage toujours impassible, Casey écoute les recommandations de Jane. Depuis que Carla avait obtenu pour elle une autorisation de sortie, l’Infirmière ne cessait de lui demander de se montrer prudente, raisonnable, de faire attention, et surtout de la prévenir immédiatement si quoi que ce soit advenait. En deux heures, il ne pouvait pas se passer vraiment grand chose, mais la jeune femme hochait docilement la tête à chaque question, l’air absent, son esprit à des lieues de là. L’heure arrivée, la brune enfila un jean simple et un pull crème. Depuis quelques jours, elle était comme frigorifiée. Elle mettait cela sur le compte du manque créé par l’arrêt des potions, comme si son corps devait composer avec leur absence en mettant toute son énergie à disposition de son esprit. Un miroir lui renvoya une image fantomatique : pâle, le regard ailleurs, cette première semaine avait laissé des traces. Heureusement, depuis sa crise qui avait nécessité l’intervention de son frère, elle n’avait rien eu de plus que quelques nausées et des étourdissements. Le plus gros était derrière elle, ou peut-être pas. Car les migraines étaient là, de nouveau. Et elle avait l’impression que se concentrer lui demandait bien plus d’efforts qu’avant. Normal, quand on savait que les potions servaient également à éveiller l’esprit. Ainsi, Casey se sentait lasse, épuisée, ailleurs. Les visites de Brooklyn était une réelle bouffée d’air frais dans ces longues journées passées sur ce lit blanc, même si l’inquiétude qui brillait dans son regard et alourdissait son ton la renvoyait à son état. Et à la suite : qu’allait-elle faire ? Il était impensable pour la Serdaigle que cet état soit permanent. Elle ne pouvait pas envisager un futur ainsi. C’est pour cela qu’elle réfléchissait de plus en plus à ce qu’elle serait prête à sacrifier en échange de cette potion promise qui se dessinait à travers les lettres échangées avec Felicia.

Munie de son autorisation de sortie, Casey quitta pour la première fois depuis de longs jours l’Infirmerie. Elle soupçonnait Jane d’avoir prévenu Luca, évidemment. Comment pouvait-il en être autrement ? Mais peu lui importait, son frère n’interviendrait pas sans que cela ne soit nécessaire, et la jeune femme avait déjà prévu d’éviter les Trois-Balais. Restait à espérer que Carla ne voudrait pas à tout prix s’y rendre : sa camarade avait tendance à se montrer survoltée lorsqu’elle avait une idée en tête. Elle lui avait donné rendez-vous à l’écart du centre du village, comme si elle avait deviné que la Serdaigle souhaiterait éviter à tout prix la foule et le bruit. L’air frais lui faisait du bien, et le temps était des plus cléments. En fait, toutes les personnes qu’elle croisait portaient de très légers pulls ou bien étaient même en t-shirt. Excepté elle. Mais malgré son pull épais, elle frissonnait lorsque le vent soulevait sa chevelure brune.

Prenant un chemin annexe à celui qui menait au coeur de Pré-Au-Lard, Casey arrive enfin non loin du point de retrouvailles. Et la chevelure blonde de la Serpentard lui annonce que celle-ci se trouve déjà là. Casey répond à son geste de la main en agitant légèrement ses doigts, associé à un de ses rares sourires. Salut souffle-t-elle en arrivant à sa hauteur. Encore merci d’avoir insisté auprès de Gray. Qu’est-ce que tu as prévu ? La brune préférait lui laisser les rênes de cette journée. Carla était bien plus emballée qu’elle par l’organisation de ces sorties et Casey ne se sentait guère l’énergie d’aller contre ses envies.

Un fin sourire étire son visage fatigué. Amie. C’était un mot qu’elle avait mis bien du temps à intégrer à son vocabulaire et encore plus à appliquer sincèrement à des personnes de son entourage. Des amis. Pour elle et ses problèmes de confiance, cela avait longtemps été un vague avatar mystérieux que les gens utilisaient à tout va mais qui ne voulait rien de sérieux. Elle ne faisait confiance qu’à elle-même et cela ne changerait jamais. Comme elle se trompait alors. Elle était maintenant bien plus attachée à Brooklyn qu’elle ne l’avait jamais été, Luca avait revêtu une importance toute particulière qui semblait impensable des années plus tôt, et elle avait des amis. Felicia et Carla, tout d’abord. Cruz l’avait été aussi, lorsqu’elle était encore à Poudlard. Est-ce que les membres de l’équipe de Quidditch en étaient, des amis ? Si elle avait tendance à répondre par l’affirmative alors que les visages d’Avalon, et surtout de Cameron, se dessinaient devant ses yeux cobalt, elle était moins sûre d’elle en ce qui concernait Mallory et Blaze. Ils n’en restaient pas moins des joueurs de son équipe, et en ça faisaient partie d’un groupe qu’elle n’aurait jamais imaginé viable, encore en début d’année.

Carla détaille son plan succint pour les deux heures loin de l’Infirmerie auxquelles elle a le droit. Jamais la perspective d’un pique-nique sucré improvisé ne l’avait autant réjouie, elle d’habitude bien solitaire et préférant de loin se réfugier à l’écart de la foule. Mais il faisait bon, l’air frais lui faisait un bien fou, et la présence de son amie également. Si tu as des souris en sucre, ton pique-nique remporte haut la main mon adhésion fait-elle avec un sourire un peu plus grand qu’auparavant. La brune avait toujours aimé les sucreries en tout genre, tout ce dont elle avait été privée enfant en réalité. Mais les souris en sucre, celles au citron encore plus, avaient sa préférence. Est-ce que c’est toi qui m’a fait parvenir un paquet de bonbons ? demanda-t-elle assez soudainement, son esprit suivant sa logique et le fil décousu de ses pensées. Elle était presque entièrement sûre que l’expéditeur était plutôt Cameron, mais devant l’étalage de bonbons de la Serpentard, un léger doute pointait le bout de son nez. C’était bien le genre de la blonde que de lui faire parvenir un colis en espérant que cela lui remonterait le moral. Le dessin, cependant, penchait en faveur de son coéquipier et camarade de maison.

Les deux adolescentes se laissent donc tomber sur la couverture amenée par Carla, un petit soupir satisfait s’échappant des lèvres de la Serdaigle. Elle appréciait plus que jamais la franchise dénuée d’hypocrisie de son amie mais toujours teintée de bienveillance malgré tout. Quand elle pensait aux premières années et à son comportement haïssable, force était de constater qu’elle avait bien changée, que le temps changeaient les gens, tout simplement. Un instant ses prunelles se font pensives : aurait-elle un jour parié être amie avec Carla Yaxley ? Non, jamais. Tout comme elle n’aurait jamais misé un Gallion sur cette proximité qui la liait à Luca, ces sentiments qui se développent avec Brooklyn, ou cet esprit d’équipe qui unissaient les joueurs de Quidditch qu’elle avait sous sa responsabilité. Ce serait absolument ennuyeux que je te raconte mon séjour à l’Infirmerie puisqu’il est composé de rester allongée sur un lit et de boire quelques médicaments au fil de la journée fait-elle succinctement, ses doigts s’emparant d’un chocolat. J’ai l’impression d’être dans une toute autre réalité que celle de Poudlard. Quels scoops ? l’interroge-t-elle donc, déchirant le papier violet qui masquait la Chocogrenouille au reste du monde. Et comment vas-tu, toi ? s’enquiert-elle aussitôt que l’animal en chocolat est redevenu immobile.

Carla lui assure qu’elles doivent pouvoir les sucreries demandées dans le lot qui s’étale sous leurs yeux ravis. Mais le regard cobalt de la brune se fronce aussitôt lorsqu’elle lui explique ne pas être à l’origine de ce petit paquet que Casey avait reçu. Bon, elle s’en doutait un petit peu : le dessin la mettait en effet sur une toute autre piste. Mais, si elle était devenue proche de Cameron, suffisamment pour le considérer comme un ami maintenant que son mot était entré dans son vocabulaire, était-ce au point qu’il lui envoie ce genre de présent ? Dans tous les cas, cela lui causait un plaisir, un peu teinté de gêne car bien inhabituel. Ah ? J’ai reçu un petit colis contenant des friandises, un dessin de moi et un badge qui disait “Meilleure Capitaine de Poudlard”. Je pense qu’il s’agit de Cameron mais je voulais être sûre que ce n’était pas toi lui explique-t-elle, devant son air étonné, éludant par la même occasion cet étonnement qui brûlait derrière ses paroles concernant Jane Gray qui s’inquiétait de ce qu’on pourrait lui faire parvenir. Elle se doutait du pourquoi du comment, bien évidemment, et ne savait pas comment le Brown avait pu passer outre les restrictions de l’Infirmière : peut-être qu’il lui avait tout simplement laisser le paquet pour qu’elle le teste au préalable ? Elle prend son rôle à coeur conclut-elle finalement, en haussant les épaules, fausse désinvolture affichée avec brio. C’était ce qu’elle maîtrisait le mieux : son impassibilité de glace.

Sentant le regard de son amie peser sur elle, Casey attrape une Chocogrenouille et entreprend de la sortie de sa petite boîte violette, sans la perdre pour autant en chemin. Carla n’était pas la dernière des abruties et devait bien se douter que quelque chose n’allait pas : personne ne passait autant de temps à l’Infirmerie sans raison et les précautions dont Jane l’avait entourée ne laissait pas indifférent. Cependant, elle avait déjà du mal à confier à Brooklyn ou même à Luca - bien que celui-ci sache désormais tout - à quel point les potions étaient devenues essentielles pour qu’elle puisse continuer à avoir son rythme d’études habituel, alors à la Serpentard… non, elle en était bien incapable.

Mais la douceur de la blonde à raison de ses réticences qu’elle délaisse dans un coin de son esprit. Son sourire à la rencontre de ses paroles qui va même secouer ses épaules d’un léger rire, rarissime chez la brune. On verra ce qu’on peut faire accepte-t-elle à demi-mot, sachant de toute façon que la Yaxley était une bonne élève qui n’était pas du genre à se reposer sur des camarades ou d’autres pour atteindre des bonnes notes. Son sourire se fait sincère alors que ses propos, alourdis par la Plume en Sucre qu’elle mâchonne, lui parviennent et qu’elle les déchiffre. Je le note, sois-en sûre. Il ne s’agissait pas de lui laisser croire qu’elle refusait toutes les mains tendues. Simplement, Casey ne se confiait pas, jamais, ou très peu. Mais tout le soutien que lui propose la blonde lui réchauffe agréablement le coeur.

Afin de passer à quelque chose de plus léger, Casey l’encourage à lui faire part des derniers ragots. Car, enfermée dans cette Infirmerie depuis plus d’une semaine, elle avait l’étrange sensation d’évoluer en dehors de tout ce que Poudlard offrait de commérages. Elle n’était pas le genre à les répéter, mais elle entendait forcément tous les bruits de couloirs qui couraient un peu partout et auxquels elle prêtait néanmoins une oreille attentive. Juste au cas où. Alors, sa Chocogrenouille qu’elle déchire de ses dents, elle reporte ses pupilles sur Carla. Je l’ai aidé sur un devoir il y a quelques temps, en Défenses Contre les Forces du Mal justement. Thorstein ne doit pas le porter dans son coeur euphémise-t-elle, se remémorant les traits du garçon dont il était question. Elle n’avait pas tout de suite fait le lien entre celui qui la supplier de lui donner un coup de main et celui avec qui Carla avait eu une histoire, mais elle ne comprenait pas définitivement comme sa camarade avait pu se laisser séduire par sa personnalité inexistante. Elle était peut-être un peu sévère, mais Carla méritait bien mieux à son avis. Je n’arrive pas à discerner ce qui pouvait te plaire chez lui. Enfin, ce n’était pas ses affaires, n’est-ce pas ? Haussant les épaules, elle laisse la question de côté. Si on parle de Thorstein, j’imagine qu’elle est assez prudente pour vouloir agir sans témoin. Et cela lui paraissait parfaitement probable. Cette enseignante était, à son avis, pire que Mandrake qui était pourtant poussé sur les limites. Cela ne la dérangeait guère, personnellement. Elle préférait un professeur engagé mais sévère que laxiste et inintéressant.

Ce qui suivit, par contre, la laissa interloquée. Elle ne chercha même pas à maintenir son masque indifférent qui était comme devenu sa première nature. Pas besoin, pas avec Carla. Mais avait-elle bien entendu ? Le nom tomba, et déjà la Serpentard reprenait, lui arrachant un souffle étonné qui déjà disparaissait sous ses explications. Les mots, balancés à toute vitesse, arrondir les lèvres de la brune un “O” étonné. Lentement, dans son esprit pourtant fatigué, un lien étrange s’établissait. Avalant le bout de chocolat qu’elle avait mis une éternité à mâchonner, elle sonda le regard de la Yaxley. Avec Finnbjörn ? Ma foi, si tu penses que tu peux obtenir la paix en ce qui concerne Maxwell, pourquoi pas. Bien évidemment, la blonde n’avait aucune idée de ce dans quoi le Sørensen et la Pumpkin étaient embarqués, avec Felicia Williams. Je ne sais pas qui est sa Maxwell, mais je connais une personne qui ne serait pas ravie de le savoir en couple fait-elle avec une nonchalance naturelle, sans se rendre tout de suite compte de la surprise que cela pouvait créer chez son amie, son esprit se repassant toutes les conversations qu’elle avait eues avec Bluebell Sherwin. Quoi que cette dernière ait bien pu lui affirmer, leurs conversations ne mentaient pas. Que dirait la Serpentard si elle apprenait que son feu de cheminée brûlait pour une autre ? Était-ce elle, dont Finnbjörn essayait de se débarrasser ? De cela, Casey n’en savait rien.

Un vague sourire lui fait secouer la tête aux propos de son amie. Au Quidditch, il n’y avait guère plus d’amitié qui tienne. Encore que Casey était parfaitement capable de soutenir Brooklyn et de se montrer sincèrement ravie pour lui face à toutes ces victoires qui étaient en partie les siennes, quand bien même leur tout premier match avait été contre eux et qu’ils avaient royalement perdu. Je les soutiens aussi, en quelque sorte répond-t-elle du tac au tac. Bien sûr, elle était toute entière dévouée à son équipe et jamais elle ne s’empêcherait de tout donner sur le terrain face à Brooklyn, mais maintenant que leur affrontement était passé, elle ne se privait pas d’encourager les Verts et Argent lorsqu’ils étaient sur le terrain.

Les nouvelles concernant son passage à l’Infirmerie ne s’éternisent heureusement pas. L’une comme l’autre avait cette réserve qui, loin de les séparer d’une distance insurmontable, leur permettait de se comprendre intuitivement. Carla devait bien sentir que Casey n’avait pas envie de s’éterniser sur ce sujet, ni même de l’approfondir. Et elle n’insiste pas. La brune savait pertinnement qu’en cas de besoin, sa camarade et amie serait une alliée en or et qu’elle n’avait qu’à dire un seul mot pour pouvoir compter sur sa présence. Mais ça, cette addiction qui l’avait conduite jusque là, les fêlures de son esprit qui ne la laissaient pas en paix, c’était trop pour qu’elle lui en parle, quand bien même elle connaissait déjà un petit bout de l’histoire. C’était déjà trop pour qu’elle en parle sans détours à Brooklyn, alors à quelqu’un d’autre ? Seul Luca, au fond, avait eu le droit à la vérité nue et brutale. Mais on parlait de son frère et de ce lien particulier qui les unissait, entre détestation qui avait duré bien des années, et maintenant ce soutien indéfectible.

Alors elles s’abandonnent à l’air frais printanier et laissent derrière elles cette ombre qui suivait Casey. Carla se lance dans une mise à jour de tous les potins qui parcourent les couloirs de Poudlard. Ça commence fort par Maxwell, la Serdaigle se remémorant cette demande étonnante et empressée qu’il avait formulé un samedi, jusqu’à ce qu’elle accepte de l’aider. La réaction de Carla lui arracha un hochement de tête négatif, tandis qu’elle avalait son chocolat. Non, pas du tout. Il m’a apostrophée dans le Hall d’Entrée pour me demander de lui faire un devoir. Ce que j’ai évidemment refusé poursuit-elle rapidement en constatant le regard lourd de sens de son amie. mais il a insisté, a ensuite promis qu’il travaillerait dessus tout l’après-midi, me demandant cette fois de lui apporter une correction. J’ai accepté. Un haussement d’épaules vient montrer tout l’intérêt qu’elle porte à cet épisode. On a dîné ensemble, je l’ai écouté parler du seul sujet qu’il semble avoir à la bouche : les filles, je l’ai aidé sur son devoir, et voilà ! Résumé succinct et bref. C’est que les détails n’avaient rien de bien intéressant, pas à ses yeux en tout cas, peut-être en revêtiraient-ils plus à ceux de Carla néanmoins. Enfin, la réaction première de la blonde démontrait bien tout ce qu’elle pensait de leur camarade de Poufsouffle, et Casey se demandait de plus en plus les raisons qui l’avaient poussée à sortir un jour avec lui.

Une chose est sûre, elle ne s’attendait cependant pas à la suite. Carla avec Finnbjörn Sørensen ? C’était inédit et ça sortait de nulle part. Non pas qu’elle s’intéresse grandement à la vie amoureuse du Gryffondor pour savoir s’il était porté sur les relations de ce genre, mais Carla était son amie et jamais elles n’avaient parlé d’une telle possibilité. Hors, si Casey était des plus secrètes et avait bien du mal à décrire ses émotions, la blonde se montrait un peu plus loquace sur le sujet. Alors elle répéta le prénom qu’elle venait de lui donner et la Serpentard lui expliqua un peu mieux les contours de cette histoire. Hochant pensivement la tête, Casey se perdit quelques secondes dans ses pensées avant d’en arriver à la conclusion que si c’était là une solution pour se débarrasser de ce Poufsouffle collant, pourquoi pas. Le statut de sang-pur de Carla lui assurait de ne pas risquer trop gros, même s’il était bien facile de se brûler les ailes.

Doucement, elle laisse tomber une information qui fait presque sursauter Carla, sans qu’elle ne se rende compte tout de suite. Mais son ton empressé la ramène bientôt à la réalité : la blonde était dévorée par la curiosité. Les questions s’enchaînent, sans laisser le temps à Casey d’en placer une, mais elle a de nouveau un léger sourire qui vient à peine troubler sa nonchalance. Comment je le sais... Un soupir la ramène à ces nombreuses conversations, cachée par les battants des toilettes des filles, ces jours de pleine lune. Un rendez-vous mensuel qui l’avait conduite à être en possession d’un secret. Du moins, d’une vérité que Bluebell Sherwin ne voulait pas voir éclater au grand jour. Sauf qu’elle ne s’était pas privée d’envoyer une lettre à Brooklyn, dont le contenu éveillait toujours une sourde colère au fond de la poitrine de la Serdaigle. Alors, quand bien même elle n’était pas portée sur les rumeurs, Casey vint alimenter celle-ci. Je ne crois pas t’avoir jamais raconté ça, mais… je me suis un jour retrouvée à discuter avec une fille, dans les toilettes du deuxième étage, sans connaître son nom, sa maison, son âge. Et c’est devenu comme un rituel, on parlait de tout, l’anonymat garantissait nos secrets. J’ai finalement découvert de qui il s’agissait à la réception d’hiver des Sørensen. À laquelle la présence de Carla avait été une réelle bouffée d’air frais. Et de toutes nos conversations, si j’ai bien retenu une chose, c’est que Bluebell Sherwin ressent des sentiments pour Finnbjörn. De l’amour, c’était une certitude, même si l’une comme l’autre avaient bien du mal avec ce concept.

Un air encore plus impassible que d’habitude, si c’était possible, ses yeux cobalt qui se lèvent en direction du ciel, et ses joues qui, bien malgré elle, se réchauffe quelque peu. Carla avait suffisamment entendu Casey parler de Brooklyn et suffisamment vu les deux jeunes gens ensemble pour se faire sa propre opinion, celle qu’elle ne manquait jamais de lâcher sur un ton amusé et lourd de sous-entendu, celle que la brune refusait encore de reconnaître. Ou pas dans son entièreté. Parce qu’elle admettait doucement que ce qu’elle ressentait, quand Brooklyn était dans les parages, ne ressemblait pas à de l’amitié. Maintenant qu’elle avait des points de comparaison, elle pouvait faire la différence, mais cette différence, elle n’était pas encore prête à pouvoir la nommer. Comment le serait-elle, quand elle avait passé sa vie à fuir les autres et tout type de relation pour se baigner dans une solitude qui, elle en était certaine, la rendrait plus forte ? Bien sûr que je soutiens Brooklyn, mais ôte cet air de ton visage ! réplique-t-elle avant de se perdre dans les sucreries que la Serpentard lui avait étalé sous les yeux.

C’était un tout autre ton pour parler d’un tout autre jeune homme. Maxwell. Sur le coup, Casey avait été incapable de remettre ce prénom, certaine pourtant de le connaître autrement que par les professeurs qui devaient sans aucun doute l’interpeller bien régulièrement. C’était via Carla. Et via cette histoire qui laissait son amie bien souvent amère, bien trop amère en réalité. La brune coule un regard compatissant en direction de la Serpentard, ne sachant trop quoi dire. Être honnête, mais jusqu’à quel point ? Ce n’était pas comme si Carla n’était pas au courant de son esprit qui ne fonctionnait plus comme il en avait eu l’habitude. Non pas qu’elle ressente le besoin de se justifier, plutôt celui de la rassurer ? Elle n’était pas certaine. Tu sais, sur le coup, quand il s’est présenté, j’étais incapable de remettre ce nom. Sinon, je ne lui aurais jamais accordé de mon temps. Les amis de ses amis étaient ses amis, et ceux qui étaient capables d’ôter le doux sourire de Carla n’en faisaient pas partie. Maintenant qu’elle avait eu un aperçu de ce crétin, elle comprenait encore moins ce qui avait autant plu à la blonde, au point de pouvoir sortir avec.

Brooklyn, Maxwell et maintenant Finnbjörn. C’était décidément un bien étrange résumé de ce qui se déroulait à Poudlard ces derniers temps. Le duo qu’ils formaient, avec la Serpentard, était des plus étranges, mais après tout pourquoi pas ? Le tout, à ses yeux, était que la jeune femme ne se perde pas trop dans un jeu qui pourrait la dépasser. Et qu’elle ne soit pas celle de cette mascarade qui perde ses ailes. Parce qu’à se frotter à aussi dangereux et insaisissable que les Sørensen, l’on mettait toujours quelque chose en péril. Du moins, c’était ainsi qu’elle le voyait, avançant avec prudence dans ce qui la liait, pour sa part, à Finnbjörn. Cette personne, qu’il rapprochait du Maxwell de Carla, serait-ce donc Bluebell Sherwin ? Avec une nonchalance acquise par l’inhabitude de ce genre de potin, Casey fait se redresser son amie de surprise, et les questions fusent, à la recherche de précisions. La brune lui détaille donc la manière dont elle s’était rapprochée de Sherwin, bien qu’à la base, elle ne savait rien de son identité. Il avait fallu quelques phrases malencontreuses à une réception bien guindée pour que le rideau ne tombe et que la pièce de théâtre ne s’écroule sur elle-même.

Secouant légèrement la tête, Casey reporte ses prunelles sur le visage de Carla, cherchant à déceler ce qu’elle pensait de tout cela. Sa question, légitime, la fit avaler rapidement le bout de sucre qu’elle avait dans la bouche pour lui expliquer comment elles étaient parvenues à ne jamais se trahir. On utilisait un sortilège. Et on avait cet accord tacite qu’on ne chercherait jamais à croiser les informations pour trouver l’identité de l’autre. On avait autant besoin, je crois, de conserver nos secrets. Si l’une flanchait, l’autre avait suffisamment en sa possession pour planter à son tour un couteau dans le dos. Finalement, elles s’étaient liées comme Casey l’avait très peu souvent fait. Ça faisait bien un an lors de la réception. Mais on ne s’est pas revues depuis. Et elle n’avait pas eu le moindre scrupule à envoyer une lettre à Brooklyn. Heureusement, ce dernier ne s’était pas formalisé de la partie qui laissait Casey la plus confuse, ne se concentrant que sur ces histoires familiales.

Bluebell Sherwin, oui. Casey conserva le silence, laissant à Carla le temps de se dessiner la personnalité de cette Serpentard et tout ce qu’elle pouvait bien penser d’elle. Visiblement, pas grand chose de bien ou de rassurant. Carla se laisse tomber sur la couverture, un petit gémissement désespéré lui échappant, sous le regard désolé de sa camarade et amie. Disons que te méfier ne serait pas un luxe glissa Casey. Elle doutait que Bluebell puisse en arriver au meurtre, mais elle la pensait du genre à réaliser diverses crasses. Je ne sais pas dans quoi tu t’es embarquée, Carla...

Mais non ! Ne tire pas la tête fit rapidement Casey avec un sourire amusé que celui de Carla ne pouvait que faire naître. Ce qu’elle adorait, chez cette fille, la raison pour laquelle elles étaient amies probablement, elle plutôt qu’une autre, c’était cette capacité intuitive à effleurer certaines choses sans chercher à tout prix à les approfondir lorsqu’elle sentait que ce n’était pas le moment, pas le lieu, ou tout simplement pas le sujet. Il y avait une compréhension naturelle entre les deux, quelque chose qui faisait dire à Casey qu’elle pouvait lui faire confiance. Si la Serdaigle avait été capable de décrire ses émotions avec le naturel que certaines personnes possèdent, la Serpentard en tête de liste, sûrement aurait-elle dit que cette amitié lui apportait une spontanéité qu’elle avait l’impression de n’avoir jamais connu. Quelque chose qui la faisait grandir, évoluer mûrir, elle qui semblait si mature pour bien des adolescents de leur âge.

Si Carla n’était pas du genre à insister pour parler à tout prix de Brooklyn, Casey ne l’était pas plus pour chercher à lui arracher des confidences au sujet de Maxwell. Tout ce qu’elle le savait, elle l’avait appris des lèvres propres de son amie et sans jamais forcer une quelconque confidence. Leurs empathies s’accordait, l’une probablement plus développée que l’autre, mais avec cette même retenue et cette même incapacité à s’ouvrir au premier venu. Néanmoins, la brune s’expliqua en quelques mots concis, laissant s’esquisser le fait qu’elle n’aurait jamais accordé autant de son temps à Carter, n’aurait pas même accepté de l’écouter, si elle avait pu se souvenir de qui il était et de ce qu’il représentait au yeux de l’une de ses rares amies, l’une des plus précieuses aussi. Hormis en cours, en effet. Je pense que je m’en souviendrai si ça avait été le cas. Il n’est pas suffisamment discret pour qu’on puisse l’oublier facilement. Et dans sa bouche, cela n’avait absolument rien d’un compliment.

Doucement, leur conversation sur les ragots amène l’ombre de Finnbjörn puis celle de Bluebell. Un enchaînement bien flou qui était pourtant le leur. Et le regard songeur de Carla poussa la brune à hausser un sourcil, interrogateur. Oui, que pouvait-elle pour son amie ? Ses paroles lui font baisser le regard, avant de le relever, assorti d’un haussement d’épaules. Dis comme ça… Mais l’inverse était d’une véracité tout aussi effarante : être la confidente de Casey Pumpkin, sa confidente à elle ? Quand on n’était pas du genre à se confier, c’était un rôle que personne ne pouvait se glorifier d’occuper. Pourtant, Bluebell et elle s’était perdue dans ces quelques heures hors du temps, enfermées dans des toilettes, un lieu bien trivial pour des confidences qui ne l’étaient pas du tout. Ou qui l’étaient peut-être affreusement ? Cependant, leur rareté en faisait quelque chose de précieux. Et ce quelque chose, elle l’avait partagé avec une inconnu qui n’avait pas hésité à s’en servir contre elle à la moindre occasion. L’idée que ne faire confiance à personne n’était pas une idée saugrenue lui traverse l’esprit. Et puis, en reposant ses prunelles sur son amie, elle comprit que non. S’abandonner dans une relation était dangereux, se donner toute entière l’était, mais donner un peu de soit, quand la réciproque était là, n’était-ce pas ce dont tout le monde avait besoin ? Un exploit, je ne sais pas, je crois que le hasard s’est bien joué de nous. Amener deux âmes bien solitaires à se rencontrer et à trouver chez l’autre une oreille attentive et dénuée de jugement comme elles n’en avaient, jusque là, jamais rencontrée d’autre.

Avec un petit soupir, Casey se tortille pour s’asseoir autrement, ses souvenirs voguant vers cette réception où, quelque part, tout avait basculé. Bien des choses du moins. On était en fait entrain de parler, sans savoir que nous étions la personne de l’autre côté de cette paroi, quand elle a fait une réflexion, à laquelle j’ai réagi, et c’était directement issu de nos conversations. On a instantanément compris à qui on avait à faire. Ni l’une, ni l’autre, n’étions franchement ravies. Nous avons mis les choses au clair en privé, réaffirmant que nous n’avions pas à dévoiler la moindre de ces confidences, et nous sommes retournées à la réception. Et tout aurait pu s’arrêter là. Ses doigts pâles s’emparant d’un bonbon, défaisant le papier, s’y perdant quelques secondes. Et puis Brooklyn a reçu une lettre propageant certains propos que seule Bluebell pouvait connaître. Je ne lui ai pas parlé depuis et n’en ai absolument aucune envie.

Mais le fond du problème, ça n’était pas Casey et Bluebell, leurs conversations lunaires dans les toilettes du deuxième étage, ou encore si elles se parlaient toujours au jour d’aujourd’hui. Non, c’était Carla, et ce dans quoi elle s’était embarquée, a priori pour échapper à l’influence de Maxwell dont elle ne parvenait pas totalement à se défaire. Ce dans quoi elle plongeait. Sans savoir ce qu’elle rencontrerait. Finnbjörn, un ami ? fait-elle, le ton absent, ses pensées dessinant ce qu’elle savait et ce qu’elle percevait de leur camarade. Tu n’es pas la pire personne du monde, vraiment pas poursuit-elle, abandonnant la silhouette du Gryffondor pour se concentrer sur son amie. Toi et Finnbjörn Sørensen, vous avez choisi de vous unir contre deux autres personnes. Pour ce qu’elles vous ont fait ou pour je ne sais quelle raison, concernant ton… petit-ami. Soit égoïste, pour une fois, et pense à toi avant de penser aux autres. Si cet ami peut t’aider à t’éloigner de Carter et à te faire aller mieux, quel mal y-a-t-il à cela ? Et, après quelques secondes silencieuses. Enfin, c’est moi qui te dis ça, mais tu sais bien que je suis la moins bien placée pour donner le moindre conseil sur une relation, quelle qu’elle soit. Ce sur quoi je te rejoins, c’est que tu dois décrocher. De ce qu’elle lui avait jamais dit, cette relation avec Carter, elle ne lui avait jamais rien apporté de bon. Casey était bien peu habituée aux relations sociales et savait qu’elle s’était, elle la première, perdue dans une amitié qui parfois la mettait plus bas que terre. Pour elle, le jeu en avait valu la chandelle. Pour Carla, elle voyait son sourire s’épanouir loin de ce garçon. Même si cette histoire montée de toute pièce avec Finnbjörn tendait peut-être à démontrer l’inverse.

Si Casey s’en tenait sagement à quelques Chocogrenouilles et Souris en Sucre, Carla tenta le tout pour le tout en s’emparant d’un Dragée Surprise. Ce qu’il y avait de bien avec ces friandises était aussi ce qu’il y avait de trompeur : une apparence inoffensive et un goût immonde. C’est ce qui attendait la Serpentard, qui croqua dedans avec entrain, avant de perdre toute joie. Une moue compatissante étira un instant les traits de Casey tandis que Carla, faisant bonne figure, avalait malgré tout le bonbon. Promis ! fit-elle simplement en lui tendant une Chocogrenouille qu’elle se penchait pour attraper.

Maintenant qu’elle remettait Maxwell Carter dans un contexte, la Serdaigle cernait un peu mieux l’étrange personnage, mélange de bouffonnerie et d’assurance crasse, qui s’était imposé à elle un après-midi pour lui demander, d’abord de faire son devoir, ensuite de le corriger. Il était grossier et assurément goujat, bien des choses qu’elle ne parvenait pas à coller à la jeune femme qui lui faisait face. Carla était discrète, bien élevée, gentille et empathique. Soit à peu près tout l’inverse de ce qu’elle avait constaté chez le Poufsouffle. Pourtant, de ce qu’elle savait de leur histoire à tous les deux, ils avaient été ensembles et Carla en souffrait encore suffisamment pour ne pas parvenir à le sortir de son esprit. Qui était-elle pour juger ce dernier point, sachant qu’elle n’avait jamais réussi à oublier Brooklyn, bien des années après leur première séparation, transformant une amitié d’enfance en une rancoeur glaciale pendant les quatre premières années de leur scolarité à Poudlard.

Enfin, de là à monter une mascarade entière avec Finnbjörn Sørensen… Il était cependant certain que Carla n’aurait pas pu choisir plus opposé de Carter que le Gryffondor. L’un était impoli et malséant, l’autre maîtrisait tous les usages du savoir-vivre à la perfection ; le premier était grossier, le second n’avait jamais un mot plus haut que l’autre en public. Casey apposait cette nuance, car elle ne connaissait rien de Finnbjörn en dehors de ce qu’il voulait bien laisser percevoir. Le seul élément qui jouait peut-être en la faveur du Poufsouffle était qu’il paraissait diablement humain là où le Gryffondor semblait taillé dans le marbre le plus insensible. Enfin, ça n’était pas un trait de caractère que Casey jugeait négativement, et elle préférait de loin cette insensibilité relationnelle aux conversations indécentes de Maxwell Carter.

Doucement, la brune hausse les épaules. Ses conversations hors du temps avec Bluebell Sherwin n’étaient plus rien qu’un vague souvenir du passé. Elle était quelqu’un de bien trop rationnel pour regretter cette perte dès lors qu’elle avait vu le vrai visage de cette Serpentard. Peut-être bien. L’une comme l’autre n’aimons guère nous confier, c’était simplement facile de pouvoir s’épancher sans que cela ne nous implique vraiment. Mais pour sa part, bien des choses avaient changé, et si elle aimait toujours aussi peu parler d’elle, au moins était-elle suffisamment entourée pour savoir qu’elle le pourrait en cas de besoin. Une chose était certaine, Bluebell Sherwin ne recevrait plus la moindre confidence de sa part. Je ne pourrais pas être certaine de ce que j’avance, je ne la connais que de quelques conversations cachées dans des toilettes, mais elle m’a l’air d’être le genre à mordre pour se protéger, par anticipation tu vois ? On avait un accord tacite mais maintenant que je connaissais son nom je pouvais tout révéler, elle a sûrement choisi de le faire avant. Ce qui est parfaitement idiot, c’est là le meilleur moyen de s’assurer des ennemis. Casey ne se considérait cependant pas comme son ennemie, cette fille était simplement retournée dans les limbes de son esprit, une connaissance dont on n’apprécie pas grand chose et à laquelle on ne pense jamais. Ce n’était pas comme si elles étaient amenées à se côtoyer bien souvent.

Alors il n’est peut-être pas aussi dénué d’émotions qu’il le laisse paraître ! fit la brune en réagissant aux propos de Carla. Elle faisait confiance au jugement de son amie, restait à espérer que la blonde ne se ferait pas prendre à son propre piège. Puis la blonde se redresse, balaie le sujet d’un revers de la main, toute son affliction envolée, sa concentration retrouvée. Casey a un petit sourire absent avant qu’il ne se teinte d’une sincérité, amadouée par les propos de son amie. Tu sais bien que je préfère parler des autres que de moi lui rappela-t-elle, une manière comme une autre de lui dire qu’elle n’était pas dérangée le moins du monde de passer les prochaines heures à parler de vie sentimentale de Carla. Je ne sais pas, Gray parle d’une semaine, peut-être plus. Elle s’étira, son regard se perdant dans les paysages environnants. Je ne sais pas si l’école est moins sympa, je ne contribue pas vraiment à son ambiance, mais le temps se fait long là-bas conclut-elle dans un petit soupir.

Les bonbons disparaissent entre leurs doigts et la conversation file, de sujet en sujet. Casey n’avait jamais été une grande bavarde mais en présence de Carla sa langue se déliait plus facilement, la conversation venait plus naturellement, et les deux jeunes femmes n’étaient jamais à court de choses à se raconter. Cette annonce d’une relation entre Finnbjörn et la Yaxley, cependant, restait quelque chose d’inédit et qui ne ressemblait à rien de ce qu’elles avaient déjà partagé. S’il en fallait plus pour arracher une expression réellement stupéfaite à la brune, elle n’en était pas moins étonnée. Le Sørensen n’était pas exactement l’image qu’elle se faisait d’un adolescent qui se laissait aller à ce genre de considérations amoureuses. Mais après tout, ils étaient encore tous des enfants, c’était presque rassurant de savoir que même derrière les visages les plus impénétrables se cachaient des envies aussi communes.

Ses pensées retracent ces conversations avec l’inconnue des toilettes, la découverte de son identité et de celle qui était son feu de cheminée. Une métaphore qui avait bien aidé les deux adolescentes à mettre des mots sur leurs sentiments. Sans hésiter une seconde, Casey choisit d’en faire part à Carla. Elle ne devait plus rien à Bluebell Sherwin depuis l’instant où cette dernière avait envoyé une lettre à Brooklyn, alors que la Yaxley était son amie et s’engageait dans quelque chose que la Serdaigle ne saisissait pas pleinement. La jeune femme hoche simplement la tête à la remarque de la Serpentard : elle n’était pas le genre de personne à trahir les confidences qu’on lui faisait, surtout pas lorsqu’elles étaient l’exact reflet des siennes, qu’elle souhaitait voir bien cachées. Mais Sherwin avait fait la première faute, le reste n’en était que les conséquences. Une prochaine rencontre entre Carla et Bluebell semblait une évidence, elles évoluaient dans une sphère bien trop similaire pour que cela n’arrive pas. Mais une nouvelle fois, Casey n’avait rien à rajouter, à part un acquiescement silencieux seulement ponctué par le bruit d’un papier qu’on froisse alors qu’elle laissait tomber l’emballage d’une nouvelle friandise.

Je ne sais pas s’il est préférable de ne pas exprimer ses émotions ou de trop les exprimer, au contraire... soupira la brune en haussant les épaules. Vaste question. Tout garder pour soi ou tout partager ? Casey avait toujours choisi la première solution, une manière pour elle de se protéger. Efficace ou pas ? Qui pouvait savoir. C’était en tout cas ce qu’elle continuait de faire, ce qu’elle avait déjà commencé à ériger en défense à peine arrivée aux côtés de Carla. Éluder, biaiser, ne pas parler de ce qui m’amenait et me maintenant à l’Infirmerie. Elle n’avait aucune idée de combien de temps encore il lui faudrait passer sur ce lit blanc entourée de draps blancs et de cette ambiance éthérée. Et en même temps, elle commençait doucement à s’y habituer, bien que le retour des migraines soit des plus compliqués à gérer.

J’espère ! fait-elle simplement. Passer vite, et ensuite ? Les potions n’étaient pas efficaces, ses migraines revenaient et les examens approchaient. Il allait lui falloir étudier mais elle se souvenait trop bien des douleurs incapacitantes. Se dessinait le rendez-vous avec Felicia et Finnbjörn comme seule solution viable. Sur le long terme, elle ne pouvait placer des espoirs qu’en cette potion qu’elles avaient confectionnée ensemble. Une soudaine tension dans l’air l’amène à reposer son regard sur le visage de Carla, animé d’un sérieux grave. Son esprit anticipa les propos de son amie, confirmation rapidement atteinte. Elle ne doutait pas du soutien de la Serpentard, bien au contraire. Parler d’elle n’avait jamais été une évidence, c’était exposer des faiblesses qu’elle ne voulait montrer à personne. On parlait de Casey, de son aveuglement et des murs qu’elle laissait se dresser autour d’elle, jusqu’à ce qu’elle se retrouve coincée, prise au piège. Elle avait atteint ce stade, sa crise délirante à l’Infirmerie en était l’apogée. Et maintenant, sur cette couverture, face à son amie qui lui réassurait son soutien, elle était entre deux eaux. Se confier, se taire. Ce n’était pas comme si elle pouvait nier qu’elle avait un soucis, elle était depuis bien trop longtemps retenue à l’Infirmerie pour que cela soit cohérent.

Casey conserva le silence de longues secondes, ses prunelles soutenant celles, sérieuses au possible, de Carla. Avant de soupirer, baisser les yeux et laisser ses doigts se perdre autour du bracelet qui pendait à son poignet. Admettons que tu le puisses, je sais que je pourrais te faire confiance fait-elle finalement après un temps infini. Je n’ai aucun doute sur ton soutien c’est simplement que… ce n’est pas quelque chose que l’on peut régler d’un claquement de doigts. Et elle appuie ses mots en mimant le geste. De toute façon, ce n’était pas une séance chez le psychologue aujourd’hui. Il y aurait tellement à dire, depuis ses premières années, des choses qu’elle n’avait jamais verbalisées, qu’il faudrait de nombreux rendez-vous pour seulement avoir une vision d’ensemble. Est-ce que Brooklyn avait raison ? Devait-elle voir un spécialiste ? Retenant un nouveau soupir, ses doigts massant ses tempes, elle se perd un peu dans ses pensées.

Casey avait parfois l’idée saugrenue qu’être dépourvue d’émotions serait une facilité bénéfique. Oui, elle y avait longuement réfléchi, car la potion qu’elle prendrait dans quelques semaines tout au plus exigeait d’elle un sacrifice à la hauteur de ce qu’elle espérait obtenir en retour. Finnbjörn en avait parlé : il était possible de sacrifier une capacité émotionnelle, mais qu’est-ce que cela impliquait ? Ne plus éprouver de joie, de colère, de tristesse ou d’empathie ? Sur le papier, certaines émotions étaient de véritables fléaux et nombreux étaient les personnes qui souhaiteraient s’en débarrasser. Mais comme en potion et en magie de manière générale, rien n’allait sans sa balance parfaite. Qu’en serait-il de la joie si nous n’éprouvions plus de chagrin ? Qu’en serait-il de l’amour si nous étions incapables de ressentir la haine ? Ce n’était finalement pas vers l’abandon d’une émotion que la brune s’était dirigée. Quand avait-elle arrêté son choix ? Impossible à dire. L’idée lui était venue par hasard, ou presque, et elle avait du mal à trouver autre chose qui lui paraisse valoir la peine d’être sacrifié tout en étant à la hauteur d’une guérison de l’esprit. Non, elle conserverait cette palette d’émotions parfois difficile à cerner, mais elle continuerait de la garder par devers soi. Carla les exprimait bien plus facilement, mais la Serdaigle en avait toujours été incapable, voyant cela comme une faiblesse que d’autres se chargeraient d’exploiter pour mieux l’atteindre. Rester lisse en toutes circonstances, ne jamais montrer ses émois, conserver une impassibilité royale. Cela allait de pair avec une incapacité chronique à parler de ces sentiments qu’elle ne dévoilait jamais, difficulté que le temps n’apaisait pas, bien au contraire.

Elles se perdent petit à petit dans leurs pensées respectives, un silence les enveloppant sans que Casey n’en ressente la moindre gêne. Et, depuis le temps qu’elles se côtoyaient, sans que Carla n’en éprouve aucune non plus. Les silences n’avaient jamais fait peur à la jeune femme, elle était plutôt du genre taiseux que pipelette, plutôt du genre à écouter que parler. Elle avait l’impression que Carla l’avait rapidement compris, aidée de cette intelligence émotionnelle qui était la sienne et que Casey trouvait fascinante, elle qui n’avait aucun mal à déceler les émotions des autres, mais énormément à les comprendre. Tout ce qu’elle n’avait jamais expérimenté elle-même, de base, était difficile à cerner à ses yeux. Les mêmes qui soutenaient ceux de son amie, sans ciller. Elle découvrait doucement cette notion de confiance, pas encore aveugle, mais c’était déjà abandonner certaines de ses réticences. Oui, elle pouvait lui faire confiance, lui faisait déjà confiance en réalité, suffisamment pour laisser derrière elle certains des faux-semblants qui l’habillaient continuellement. Carla avait cette capacité à percer ses défenses, mais toujours avec une douceur qui l’empêchait de se braquer. Elle n’était pas Brooklyn, dont les compétences sociales égalaient les siennes et qui réagissait en se renfermant, poussant Casey à se refermer à chaque fois un peu plus lorsqu’il en était ainsi. La blonde était continuellement ouverte aux autres, une main tendue qui ne se vous faisait jamais faux bond, sans jamais forcer personne à poser ses doigts au creux des siens.

Hypothétique ? Pas vraiment. Enfin, si elles conservaient le conditionnel autour de leur échange, Casey savait bien qu’il n’y avait rien de moins certain que ce problème qui était le sien. Mais la Serpentard ne pouvait rien faire pour l’aider ; la solution était en préparation, reposant entre les mains d’une Poufsouffle qui, elle aussi, avait toute sa confiance. Hypothétique, oui ment-elle sans approfondir davantage. Ne t’en fais pas. La solution n’est plus très loin conclut-elle pour la rassurer, ou se rassurer elle peut-être. Ses doigts abandonnés sur sa tempe finissent par la délaisser, revenant jouer avec son bracelet. La sollicitude de Carla lui fit relever la tête dans sa direction et elle secoua doucement celle-ci. Non, c’est une habitude, même quand aucune n’est entrain de se former. Profitons encore un petit peu du soleil, de toute façon, Gray risque de devenir hystérique si je dépasse le temps autorisé. Qui commençait doucement à s'amenuiser, mais cette pause avait été bienvenue.