Si ça continue, ça finira par devenir mon rendez-vous récurent du mercredi après-midi. Lundi soir, j'ai reçu une lettre de Blaze me donnant rencard sur le balcon du monde, cet après-midi. Bah ouais, forcément, Monsieur se la coule douce ce jour là tandis que je me tape mes deux options l'une après l'autre. Je ne lui ai d'ailleurs pas répondu, préférant entourer ma venue du plus de suspens possible. Enfin ... Il ne fallait pas être un génie pour rapidement comprendre qu'il m'était impossible de refuser, au risque de perdre fierté et orgueil. Grande gagnante du premier duel - merci le hasard - je me devais de remettre mon titre en jeu. D'autant que la compétition avait pris une tournure bien étrange à la suite des gages distribués à Blaze. D'abord très sérieux, nos messages sont devenus plus ... étranges. Je ne suis même pas exactement certaine de ce qu'on s'est dit mais jamais plus je ne verrai sa baguette de la même manière. Est-ce qu'il m'avait prise au sérieux ? Et moi, devais-je accorder du crédit à ses propos ? Ce mec est juste un gamin, je suis presque certaine qu'il bluff. N'empêche que ça me turlupine, pendant mon heure de Runes. Pourquoi a-t-il choisi le balcon du monde ? Il veut me montrer quoi exactement ? C'est peut-être une manière de me piéger. Plus l'échéance approche et plus je réalise que cette histoire me tracasse plus que je n'aimerais. Ce jeu des sous-entendus, d'habitude c'est pas mon genre. Et quand ça m'arrive, c'est forcément avec des mecs plus âgés et on finit par tourner ça en dérision. Là c'est un mec de quatorze piges qui doit frétiller à l'idée qu'une nana s'approche à moins de dix centimètres de lui. Bon sang, qu'est-ce qui m'est passé par la tête ?

Je n'écoute que vaguement la fin du cours. Lorsqu'il se termine enfin, je ne suis pas pressée de ranger mes affaires. Fait rare, je suis la dernière à sortir de la salle. Je n'ai qu'un étage à monter pour rejoindre le balcon du monde, ce que je fais sans entrain. Je ne vois personne dans le couloir, il doit déjà être à l'intérieur. Je passe le pas de la porte comme si je me jetais dans la gueule du loup. Blaze est là, dos à moi et les murs sont vides d'images. Sans se retourner, le Serdaigle me souhaite la bienvenue d'un drôle de ton. Je fronce les sourcils, tendue. Après une introduction sur le courage et toute la dose qu'il faut pour être ici, le garçon se décide enfin à me faire face. Il est souriant, trop à mon goût. S'il est aussi gai à l'idée de ce qu'il va se passer, c'est forcément mauvais signe. Est-ce que je suis prête pour une nouvelle manche ? « Bah j'suis là non ? » Question rhétorique, déclamée d'un ton bougon associé à un air plus que boudeur. Fini les artifices, qu'il révèle son petit jeu rapidement. D'un geste de baguette, la porte se ferme. J'observe le bout de bois, exactement comme la photo qu'il m'a envoyée. Derrière lui, dans un coin, je note pour la première fois une forme recouverte d'un drap. Blaze reprend son petit jeu et évoque pour la première fois notre échange de lettres. Pour le moment, je reste de marbre. Hors de question de lui révéler ce qui se passe dans ma tête. Un dîner aux chandelles ? Qu'est-ce que ça vient foutre là dedans ? Se serait-il fait encore plus de films que moi, ce nigaud ? Ainsi donc, à la place de cette cascade de romantisme dégoûtant, je vais avoir droit à une session de sortilèges. Enfin, je me détends un peu. Je m'attendais à pire : s'il s'agit seulement de lancer des sorts, c'est largement dans mes cordes. Rien de personnel là dedans.

Plus détendue ne veut pas dire moins méfiante. La forme est toujours recouverte d'un drap, les murs toujours inanimés. Blaze m'annonce qu'il me lance un défi contre les forces du mal. Là, ça commence à m'inquiéter. La rumeur prétend que Mandrake a apporté un Inferius en cours l'an dernier et une pensée folle me dicte que c'est peut-être ce que Blaze vient de faire. Quelle conne. Blaze est un putain de gamin immature, ça doit être beaucoup plus basique que ça. Je l'observe se diriger vers la forme et enfin faire tomber le drap qui la recouvre. Je sais ce que c'est : un mannequin d'entraînement pour le Quidditch. Exactement le même que celui qu'on utilise avec l'équipe, peut-être même que c'est l'un d'entre eux. Une chose le différencie : quelqu'un que j'identifie comme Blaze a marqué "Enfoiré". Le Serdaigle reprend la parole et cette fois, j'y suis très attentive. Un concours de duel. Le mannequin peut renvoyer des sorts mais que si on l'attaque en premier. C'est chacun son tour et le premier qui flanche a perdu, chaque tour faisant augmenter la difficulté. Ok, très bien, les règles sont claires. Je suis prête. C'est à ce moment que les murs s'animent enfin. Des murs de pierre, des jets de lumière dans tous les sens. Des adolescents se battent contre des adultes. L'angoisse me prend à la gorge. Ces murs, ce sont ceux des cachots. Et ce gamin là ... Isidore Vayne. Je me retrouve plongée trois ans en arrière, pendant que les sangs-purs dansaient dans la Grande Salle, on venait nous libérer. Sauf que les Mangemorts ... Je retrouve ces bruits dans ma tête, les cris, la douleur. Je reste stoïque, impossible pour moi de bouger. Je me concentre sur ma respiration. Calme toi Skyler, ce n'est pas la réalité. Tu es vivante, tu as survécu. Blaze me demande si je suis partante et sa voix me fait l'effet d'un électrochoc. Il n'était pas avec nous aux cachots, tout ça n'est qu'illusion. Il m'a piégée en se servant de la seule information qu'il a pu trouver : mon sang. Ce mec est pire qu'un connard, c'est juste un putain de taré. Je vais gagner, encore et je me vengerai. « Petrificus Totalus ! » J'espère que ça lui suffit, comme réponse. Quand bien même, c'est tout ce qu'il aura.

Je n'avais jamais pensé revoir un jour ces scènes de bataille. Je ne prétends pas penser pouvoir échapper à d'autres guerres ou duels dans l'avenir, ce serait se foutre le doigt dans l'oeil. Mais cette bataille là, celle où Isidore a perdu sa main, je pensais sincèrement qu'elle était derrière moi. Parfois, dans mon lit quand je ne trouve pas le sommeil, je repense à ce que j'aurais pu faire différemment. C'est humain non ? On fait tous ça, ressasser le passé avec nos remords. J'avais treize ans au compteur, qu'est-ce que je pouvais bien faire ? Une frêle gamine propulsée dans un monde étranger depuis un an à peine, une brindille au milieu d'un océan. J'avais bien essayé d'ouvrir ma gueule et pas qu'une fois, l'esbroufe du débutant comme on dit. Je l'avais payé cher, très cher et même un peu trop. Nulle goutte de sang n'avait eu besoin d'être versée et j'avais découvert à mes dépends une nouvelle utilisation de la magie. Une douleur si intense et comparable à nulle autre, bien plus forte que ma maigre description lors du cours sur les sortilèges impardonnables. Je crois que ce jour là, quelque chose s'est brisé en moi. Je n'ai pas encore réussi à mettre le doigt dessus. Persuadée que personne ne peut me comprendre, je garde tout cela pour moi depuis presque trois ans.

Replongée dans mon passé au moment où je m'y attends le moins, je mets un temps avant de réagir. Les yeux rivés sur les murs recouverts d'images animées, il me faut quelques instants pour revenir à moi. C'est sur la voix de Blaze que je me concentre. Il me demande si je suis partante et, en guise de réponse, je saisis ma baguette. Mon sort de pétrification touche sa cible et le mannequin se change instantanément en statue. Je ne prenais pas beaucoup de risques avec ce sort basique et en passant la première, mais je suis néanmoins satisfaite de ma réussite. Si je m'étais foirée, j'en aurais entendu parlé jusqu'à la fin de ma scolarité. Blaze me félicite par quelques applaudissements qui me font ni chaud ni froid. Je n'ai pas besoin de son approbation quant à la qualité de mon sortilège. Ce qu'il dit ensuite, en revanche, m’interpelle. Ses paroles me font prendre conscience d'une autre vision des choses. Ce mannequin, cette ambiance de bataille, est-ce que c'est pour me faire souffrir ou pour me délivrer ? Je n'irais pas jusqu'à pousser la bêtise au point de croire que le Serdaigle puisse faire quoi que ce soit pour moi. Mais, étrangement, ça y ressemble. C'est vrai qu'avec un peu d'imagination, défoncer ce mannequin pourrait s'avérer plus salvateur que prévu. « Chercher les vrais coupables à Azkaban c'est comme chercher de la neige au Sahara de toute manière. » Comprenez un truc du genre "merci quand même d'avoir essayé". Peu des partisans de Blackman ont été arrêtés et les événements de l'an passé ont définitivement enterrés ma foi en la justice, qu'elle soit moldue ou sorcière.

Blaze se place à son tour face au mannequin et se décide à lancer un sortilège d'immobilisation. Celui-ci est une réussite et ça ne m'enchante guère. Chaque tour qui passe augmente la difficulté du tournoi : une réussite pour lui est un échec potentiel en plus pour moi. « Bien joué. » Dis-je néanmoins du bout des lèvres, essayant de garder bonne figure. C'est vrai que c'est un joli coup mais ça n'arrange pas mes affaires. En conditions réelles, j'ai de grosses tendances à foirer tous mes sorts. Il faut que j'essaie de me concentrer sur autre chose que l'enjeu. Aussi, alors que je me replace face au mannequin, j'essaie douloureusement de remplacer sa tête en bois par celle de mon agresseur. Le mangemort qui m'a torturée jusqu'à ce que je préfère mourir que de subir son sort une seule seconde de plus. Source de motivation ou de panique ? Nous allons le savoir rapidement. « Expedimenta ! » Le sort part se loger dans le mur, je ne sais pas comment j'ai pu louper ma cible. Le temps que je m'en rende compte, le mannequin me lançe déjà un sort de désarmement en retour. Ma baguette m'échappe des mains et vole dans la pièce. C'est fini, j'ai perdu dès le deuxième tour. Putain de chochotte bonne à rien. Qu'est-ce que je fous là sérieux ? Je crois que c'est même pas la défaite qui me fait mal. C'est d'avoir cru que je pouvais juste infliger quelque chose à un substitut de mon tortionnaire. Quelle conne. « Bravo. Belle victoire. » Je dis ça sans un regard, pendant que je pars récupérer ma baguette. C'est terminé, je n'ai plus rien à faire ici. Et surtout, je préfère partir avant que Blaze ne se rende compte du trouble dans mes yeux.

Il fallait vraiment beaucoup d'imagination pour voir un mangemort à la place du stupide mannequin de bois qui me fait face. Et en même temps, comme le souligne Blaze, il allait pas me ramener un mec en provenance directe d'Azkaban. C'était déjà pas si mal qu'il se soit donné toute cette peine pour ... Pour quoi d'ailleurs ? Je n'ose pas dire que c'est pour moi parce que c'est trop vague. Peut-être a-t-il fait ça pour m'humilier ou pour me percer à jour, pour prendre l'avantage sur moi aussi. Mais la pensée fugace qu'il ait pu faire ça pour me rendre service me paraît bien dérisoire. Sans détour, je lui confie que je ne m'attends pas à trouver des mangemorts en prison, de toute manière. Depuis que je connais le monde magique, j'ai toujours eu l'impression que le Ministère fermait délibérément les yeux sur les événements dramatiques qui se passent à Poudlard. On en a parlé avec Bonnie cet été, à mon avis ils couvrent quelqu'un. Genre une riche famille de sang-purs avec pas mal d'influence, par exemple. Mais bon, je ne suis pas là pour refaire le monde et par ailleurs, je ne sais pas où les coupables peuvent être en ce moment. En liberté, ça c'est presque sûr voire même occupant de hautes fonctions. Mais ça, je ne prends pas le temps de le dire à Blaze et lance mon deuxième sort. J'essaie de visualiser la tête de mon bourreau, avec les souvenirs qu'il me reste. Le jet de lumière part et vient percuter le mur derrière le mannequin de bois. J'ai foiré, mon sort a dévié et je ne comprends pas pourquoi. Le temps que je réalise mon échec, mon adversaire articulé contre attaque avec succès. Ma baguette s'envole à l'autre bout de la pièce, fin de la partie.

J'ai la haine envers moi-même. Ce n'est pas parce que je suis éliminée dès le deuxième tour, bien que cela reste énervant. J'ai toujours pensé que je pourrais me venger, le moment venu et que j'allais tout faire pour. Mais là, alors que je tenais l'occasion de m'entraîner un peu voire de passer mes nerfs, je foire tout lamentablement. Comme si à chaque fois que j'ose croire que j'ai une petite place dans le monde magique, ce dernier me rappelle que je ne suis qu'une étrangère. Je sens que mes émotions me submergent. Sans un regard pour le vainqueur du jour, je pars rechercher ma baguette. C'est à peine si je le félicite, d'un ton monocorde. Alors que je pose la main sur mon ustensile de magie, Blaze me demande de rester. Décidément, il n'y a que le jeu qui compte pour lui. Son histoire de gage à la con, ça ne pouvait pas attendre un jour ou deux non ? Je reste dos à lui et observe les murs redevenir immaculés. J'hésite à lui obéir ou à partir sans un mot. Finalement, je repense à notre échange de lettres. C'est moi qui lui ai reproché en premier de ne pas vouloir jouer correctement, ce serait culotté de ma part de me barrer sans respecter les règles. Les murs se recouvrent à présent d'une jolie colline verdoyante et d'un ciel bleu. Un souvenir de Blaze encore une fois, beaucoup plus apaisant cette fois ci. Ce paysage apporte le point final à ma décision. « Comment l'oublier ? » Dis-je finalement avec une pointe d'ironie. C'est bon, j'ai repris le contrôle. Mon visage est redevenu aussi stoïque qu'en entrant dans cette pièce. Je suis prête pour ma sentence.

Alors que je me retourne pour faire face à mon camarade, celui-ci me dévoile mon gage. Un pique-nique ? Sérieusement ? J'ai presque envie de lui répondre "c'est tout ?" mais je me ravise. Il ne manquerait plus que je lui donne l'idée de proposer un gage plus dangereux. Là, ça reste bon enfant. Et puis, ne m'a-t-il pas parlé d'un dîner aux chandelles en arrivant ici ? Je préfère largement un pique-nique. Je ne relève pas sa remarque sur le fait qu'il faille assumer ses défaites ni sur le désagrément de pique-niquer en sa compagnie. Je reste, ça suffit largement comme réponse. Une nappe apparaît au sol ainsi qu'un parasol sur l'un des murs. Je me demande s'il avait prévu ça avant de venir. Blaze me prévient que la discussion risque d'amener quelques questions mais également que j'ai le droit de ne pas y répondre. Ma foi, j'imagine que ça pourrait être pire comme fin de journée. Le Serdaigle lance un Accio pour attirer de quoi nous sustenter et se pose sur un coin de la nappe - sur le sol donc. Je l'imite et m'installe à l'autre bout de la dite nappe, on n'est jamais trop prudent. La première question ne tarde pas à arriver. Un compte à régler avec les mangemorts ? Il rigole là j'espère. « Si les mangemorts et les nés-moldus étaient potes, ça se saurait. Et toi ? » Je réponds du tac au tac et en profite pour glaner quelques informations au passage. Après tout, on reste dans une espèce de compétition et si je manque une occasion d'en apprendre davantage, je vais me faire bouffer en moins de deux. Pendant ce temps, toujours pas l'ombre d'un sandwich à l'horizon. « Mais t'es naze, ça n'a pas marché du tout ! » Je m'exclame en sortant ma baguette. Franchement, il peut faire le mariole avec son duel à la con. Même pas foutu de pouvoir offrir quoi que ce soit à la fille qu'il invite. « Accio ! Sandwichs, théière, tasses et thé au gingembre ! » Cette fois-ci et à ma grande satisfaction, mon sort fonctionne. Au bout d'une minute ou deux, un service à thé avec des sachets de thé au gingembre et des sandwichs viennent se poser sur la nappe. Je ne dis rien mais je suis néanmoins contente de mon coup. Nulle pour battre un mangemort mais douée pour rattraper les conneries de Blaze. C'est mieux que rien.

Le tsunami d'émotions est passé. Un tsunami à mon échelle, on s'entend. Un voile dans le regard, un visage qui n'est plus figé, ce genre de choses quoi. Je me trouve à nouveau maîtresse de moi-même et prête à encaisser la suite de la rencontre. Rien d'horrible en soi, puisqu'il s'agit seulement d'un pique-nique au milieu de champs de colza. Plutôt bucolique comme paysage, apaisant aussi. Je m'y sens bien et je me demande où cela peut bien être. Surtout, j'aimerais bien savoir pourquoi c'est cet endroit qui est venu à l'esprit de Blaze. J'ai presque envie de le lui demander mais, au dernier moment, je me retiens. Ce n'est pas dans mes habitudes de m'intéresser à quelqu'un, je ne vais pas commencer maintenant. Surtout pas après ce que m'a dit Misha. Ne vous méprenez pas hein, j'en crois pas un mot. C'est juste que je ne voudrais pas que Blaze pense que lui m'intéresse ou je sais pas trop quoi. Bref. Finalement le Serdaigle coupe court à mes pensées en revenant à la charge sur mon passé avec les mangemorts. Ma première réponse ne lui a pas suffit et il élude subtilement ma question, au passage. « Oui, j'en ai un avec eux. » Le voilà fixé, maintenant. Je ne développe pas, je n'en ai pas spécialement envie. Il ne faut pas être surdoué pour comprendre que j'en veux à ceux qui m'ont fait souffrir et que, si l'occasion se présente, je n'hésiterai pas à leur rendre la monnaie de leur pièce. Enfin ... j'hésiterai peut-être, mais je le ferai quand même. Je pense. Ce n'est pas pour autant que je souhaite exterminer les sorciers ou les sangs-purs, loin de là. Je veux juste qu'on me foute la paix, ni plus ni moins.

Blaze reprend la parole et fait un parallèle entre la vie et les défis qu'il me donne, soit disant pour rire. Non mais c'est sérieux ? J'ai l'impression de marcher sur des oeufs depuis le début, à limite retenir ma respiration pour ne pas faire d'impairs et lui il me sort que c'est pour la blague ?! « Tu trouves que c'est pour rigoler, toi ? » Je demande ça sans aucune animosité. C'est juste histoire d'être fixée quoi, je suis pas contre un peu d'amusement mais je perçois son petit jeu comme une forme d'agression, pour le moment. Est-ce que je me suis plantée sur toute la ligne ? Je jette un coup d'oeil au mannequin de Quidditch, au milieu du champ, lorsque Blaze en fait mention. C'est la première fois que je ne perçois pas une de ses propositions comme un danger. Il sourit en m'avouant qu'il faudra trouver un moyen de franchir la porte mais qu'on peut le récupérer à nouveau, si jamais. Je souris à mon tour, pour la première fois. C'est sympa de sa part, de ne pas en profiter pour m'accabler sur ma nullité. Un instant hors du temps avant que le Serdaigle ne hausse les épaules et change de sujet du tout au tout. « Oh euh ... je n'y ai jamais vraiment pensé. C'est ça que tu veux faire après Poudlard, auror ? » Cette fois-ci, j'ose lui poser la question. Ça a l'air de l'emballer, cette idée. Ça se voit dans ses yeux. Moi j'envisage de quitter le monde sorcier dès la fin de ma scolarité. C'était ce qui était prévu, en tout cas. Mais plus le temps passe et plus je me rends compte que ça va être compliqué.

En parlant du temps qui passe, ça fait un petit moment maintenant que Blaze a jeté son sort et toujours rien à l'horizon. Je me rends compte qu'il a tout simplement foiré son Accio et, aussitôt, j'en lance un à mon tour. Le résultat ne se fait pas attendre et, enfin, un service à thé et des sandwichs viennent vers nous et se posent sur la nappe. Le Serdaigle se saisit de l'une des tasses et la lève pour porter un toast à Poudlard, libéré des forces du mal. Je le regarde en haussant les sourcils : c'est beaucoup de tralala pour pas grand chose, tout ça. D'autant que je ne suis pas persuadée que Poudlard soit vraiment libérée des forces du mal. Tandis que je me saisis à mon tour d'une tasse - celle restante, Blaze fait une remarque sur le thé. En réalité, le thé au gingembre fait partie de mes thés préférés, avec celui à la menthe. Est-ce que j'ai privilégié le premier au second pour la blague ? Oui, peut-être. Lui ne semble pas avoir oublié nos échanges de lettres et je repense encore une fois à ce que m'a dit Misha : "lui pense qu'il te plait et ça n'avait pas eu l'air de lui déplaire". Je n'y avais pas cru sur le moment mais ... et si c'était vrai ? « Peut-être. J'attends de voir si ça te fait de l'effet. » Je lui réponds tout en buvant moi-même un gorgée de thé chaud. Son goût épicé me chatouille la gorge tandis que j'observe mon camarade du coin de l’œil. Je fais quoi moi, s'il réagit à ma remarque ? Je ne me suis jamais posé la question, en fait. Tout ce que je sais, c'est que Blaze est sans doute le premier gars qui se donne autant de peine pour moi, peu importe ce qu'il a derrière la tête.

Je me suis toujours refusée à me rendre sur le Balcon de Monde. C'est une question de principe. Pour moi, c'est un remède pire que le mal. Ton chez toi te manque donc tu cherches à le revoir. Sauf que si je me sens chez moi à Brighton, c'est parce qu'il y a mon père. Si je ne peux pas le voir physiquement, le toucher, lui parler, alors je ne suis pas chez moi. Inutile de remuer le couteau dans la plaie délibérément en se rendant ici : je ne suis pas maso. J'avais raison de me méfier de cet endroit. Pour une première fois ici, je me retrouve plongée dans la bataille de Poudlard pour la libération du régime de Blackman. Super l'ambiance ! Le résultat est là : je perds mes moyens et je me foire dès la deuxième manche du duel. Est-ce que j'ai un problème avec les mangemorts ? Assurément mais il ne me semble pas pertinent de m'attarder sur cette question. Il n'y a rien à en dire : j'espère que ces chiens vont tous finir en taule pendus par les couilles. Ou, si ce sont des femmes, pendues par les cheveux. Je n'ai pas encore précisément affiné mon jugement mais un truc comme ça, ça me paraît pas mal. Blaze respecte ma parole et ne cherche pas à en savoir plus. Ce n'est pas forcément un secret d'état mais je n'ai pas envie de lui filer des billes pour m'atteindre. Rien que mon statut de sang lui a permis d'organiser tout ça alors qu'est-ce que ce sera, si je me livre à lui à cœur ouvert ?

Je suis persuadée que la moindre chose qu'il apprendra sur moi, Blaze s'en servira pour me nuire. Pourtant, il me parle de défis "pour rigoler". Je ne peux m'empêcher d'ouvrir de grands yeux surpris. Il se donne tout se mal pour rire ? J'ai rêvé quand il m'a fait sa déclaration de guerre à la noix ? Interloquée, je lui demande s'il trouve vraiment ça drôle. Apparemment oui, c'est donc moi qui ai loupé un chapitre. Le Serdaigle m'explique que sérieux et rire ne sont pas forcément incompatibles mais je ne comprends pas vraiment où il veut en venir. En fait, je me sens juste super conne là. J'ai l'impression de m'être trompée sur toute la ligne. C'est donc ça, ce que je suis une devenue ? Une meuf aigrie qui prend tout au premier degré en se protégeant d'un ennemi fictif ? Est-ce que j'ai oublié d'être juste une petite nana de seize piges ? Et à quel moment je l'ai oublié, exactement ? Plongée dans mes réflexions, je me reconnecte à la réalité lorsque Blaze prend à nouveau la parole. Je crois comprendre ce qu'il essaie de m'expliquer. J'imagine que c'est un peu la même chose que lorsque tu suis un coaching de vie ou une connerie comme ça non ? Même si question confiance, il n'a clairement pas la mienne et je doute d'inspirer la fiabilité, de prime abord. « Pourquoi c'est tombé sur moi ? » Ça sort comme ça, sans avoir pris le temps de la réflexion. La formulation est maladroite et peut-être que ça va vexer mon camarade, mais ce n'est pas voulu. C'est juste que, présenté comme ça, son petit jeu paraît plus que louable mais qu'est-ce que je viens foutre là moi ? Je veux bien que ce soit simplement parce que j'ai eu des meilleures notes que lui aux examens mais, d'après ses explications, ça va bien au delà de ça. Plus il m'explique et moins je comprends ce que je fous là. L'idée que ce soit simplement parce que je lui plais me traverse l'esprit. Faire tout ça juste pour m'épater, vraiment ? J'apprends au passage que la prochaine manche sera à mon initiative. J'ai pas le dixième de créativité de Blaze, ça promet du fun tout ça encore. « J'ai cru que tu voulais m'humilier ou me blesser. » Je me confie à mon camarade lorsqu'il confesse s'être planté avec son idée de mannequin. Après coup, je comprends l'intention et la trouve pas si mal venue que ça. Je crois que c'est juste moi, le problème.

Je repense alors à ce paysage qui nous entoure. Je me demande si j'arriverais à faire renaître Swansea de mes souvenirs, ici. Cela fait si longtemps que je n'y ai pas repensé. J'étais petite quand on est partis mais ma mémoire a conversé des bribes d'images. J'ai peur que si j'essaie de me souvenir, ce soit Elle qui ressorte en premier. L'oublier et la détester, c'est le seul pansement que j'ai pu trouver pour mon coeur. Me replonger dans mon enfance à trois, c'est comme jeter de l'alcool sur la blessure à vif. « Où est-ce qu'on est ici ? » Je demande finalement alors que le service à thé se pose délicatement sur la nappe. Ça me fascine, les gens qui arrivent à transmettre leurs souvenirs heureux à d'autres. Les miens sont si rares que je les garde jalousement. Une fois le thé servi, Blaze ne manque pas de me taquiner sur son goût. Le gingembre est un bon anti-oxydant, c'est pour cela que je le consomme en thé. Mais il a aussi d'autres propriétés et c'est en connaissance de cause que je l'ai choisi. Je lui réponds malicieusement et donne crédit à notre échange de lettres. Parce que c'est bien ce dont il s'agit, non ? D'après le large sourire de Blaze et sa maladresse, j'en conclue que oui. Cette andouille s'est renversé du thé sur la manche, je me retiens de rire. La gestuelle est tellement plus parlante que les mots, parfois. Après avoir mis son breuvage en sécurité sur le sol, le Serdaigle se sent pousser des ailes et me proposer un strip-poker. Attendez, j'ai Blaze Mansfield ou Maxwell Carter en face de moi ? Au moins cette fois-ci, je ne peux pas nier l'évidence. Sasha et Misha avaient raison : je lui plais. « Dommage que nous n'ayons pas de cartes. » Je réponds avec un air résigné. Passons sous silence le fait que je ne sais absolument pas jouer au poker. Ceci dit, je me débrouille pas mal au blackjack mais bon, ce n'est pas le sujet. « Si c'est le plus le strip que le poker qui t'intéresse, on doit pouvoir faire sans. » Je lui lance un clin d'oeil joueur avant de porter mes mains au niveau de ma cravate. Innocemment, j'entreprends d'en défaire le nœud. Qu'est-ce que j'ai pu le détester, ce bout de tissu vert et argent.

A mesure que je passe du temps ici, avec Blaze, les choses s'obscurcissent. Pourtant à la base, tout était très clair pour moi. Une guerre entre deux adolescents, basée sur une rivalité scolaire inexistante de mon côté mais très présente pour Blaze. De fait, j'étais absolument persuadée que les manches dont il était question allaient servir à nous rabaisser mutuellement, à montrer la supériorité de l'autre sur des tâches plus ou moins complexes. Ça sonnait comme une évidence, pour moi. Pour mon camarade, c'est tout le contraire. J'ai presque l'impression que c'est moi l'idiote dans l'histoire, d'avoir cru que nous devions nous défier dans le but de faire tomber l'autre. Je comprends peu à peu que l'essence même de la personnalité du Serdaigle, c'est le jeu. Tout n'est qu'une immense partie de rigolade pour lui. Les lettres osées, c'est pour rire. Me faire revivre la bataille de Poudlard où certaines personnes, c'est pour rire. La prochaine étape du rire, c'est quoi ? Je finis par me demander si je ne suis pas tout simplement fabriquée à l'envers. Peut-être que c'est juste moi qui prends les choses trop au sérieux. Non quand même, les lettres j'avais perçu que c'était de la rigolade, faut pas déconner. Mais peut-être que j'ai simplement un esprit de vieille dans un corps de jeune femme, allez savoir. Toute cette réflexion ne contribue pas à me mettre à l'aise, même si le cadre champêtre du balcon est apaisant. D'autant que Blaze élude volontaire ma question. Je ne saurais donc pas aujourd'hui pourquoi je suis le centre de cette mascarade. De quoi me laisser cogiter encore quelques nuits, peut-être que c'est là précisément ce que le Serdaigle veut.

Est-ce l'air de la campagne qui m'insuffle le doux parfum de la confidence ? Moi qui ai tendance à me fermer comme une huître à la moindre évocation de sentiments, je décide soudainement de me livrer à Blaze. Enfin un peu, quoi. Il ne faut pas non plus s'attendre à ce que je déballe tout d'un coup. Juste, j'avoue à mon camarade que je me suis trompée sur ses intentions. J'étais intimement convaincue qu'il voulait me blesser en me faisant revivre la libération tragique de Poudlard. Je sens, avec le malaise que cette révélation provoque, que mon camarade était bien loin d'imaginer tout ça. Putain, on vit décidément sur deux planètes totalement différentes et elles ne s'appellent pas Vénus et Mars. Le silence entre nous n'a guère le temps de s'installer, déjà Blaze reprend la parole. De la frime, encore et toujours. Crois-t-il vraiment que je suis dupe ? Il ne faut pas être Dumbledore pour comprendre que c'est surtout une façade. Un jour, il va tomber sur plus fort que lui et tout son personnage va s'effondrer. Ce n'est pas ce que je lui souhaite mais je me dis que ça pourrait bien finir par arriver. « Tu fanfaronnes trop. » Lui dis-je sans sourciller. Ses menaces à deux noises ne me font ni chaud ni froid. Après ce qu'on m'a fait ici, rien ne pourrait m'empêcher de me montrer en public. Pour ce que j'en ai à faire de ce qu'on dit de moi, en plus. En laissant traîner mon regard autour de moi, une tasse fumante entre les mains, j'en viens à me demander ce que représente cet endroit pour Blaze. Dans le même temps, je me rends compte que je ne connais rien au monde. C'est vrai, je n'ai jamais voyagé à part quand nous sommes partis de Swansea pour vivre à Brighton. Mais j'étais petite alors je n'ai pas gardé beaucoup de souvenirs. Tout ce que je connais, ce sont des paysages de ville côtière. La plage de Brighton, son ponton, sa grande roue, la mer ... En dehors de ça, j'ignore tellement de choses. Je m'en rends compte une nouvelle fois lorsque le Serdaigle accepte de me répondre. Non de chez ses grands-parents où il va souvent pour les vacances. Cette réponse me sert le coeur. Je ne connais pas mes grands-parents, aucun d'entre eux. Les parents de ma génitrice ne lui ont jamais pardonné d'avoir quitté le lycée pour vivre avec mon père. Je ne sais même pas si elle leur a jamais parlé de moi. Le père de Papa était soldat, il est mort sur un champ de bataille. J'ai dû voir ma grand-mère en revanche, quand j'étais toute petite mais le cancer l'a emportée avant ma première bougie. Mon père a ses yeux, moi aussi. « Non ici c'est bien, j'aime bien. » Dis-je en trouvant un intérêt soudain au contenu de ma tasse. Tout mais pas Poudlard, il y'a tellement d'autres choses que j'aimerais voir. Pour l'instant, mes vacances se passent dans le bar à aider Papa et c'est très bien comme ça. Mais un jour, peut-être qu'on aura la chance de voir autre chose, tous les deux.

Loin des rêveries, la conversation que nous avons ensuite est autrement plus terre à terre. Il est question de notre échange de lettres et des sous-entendus qu'elles comportaient. Blaze croit en voir un autre dans mon choix de thé et je ne le détrompe pas. Cela m'amuse presque, de jour ainsi avec le feu, de le tester pour voir si ce que Misha m'a dit est vrai. Je ne tarde pas à en avoir la confirmation, lorsque mes paroles le font sourire au point qu'il renverse un peu de thé sur sa manche. Si sa maladresse est drôle, la proposition qui suit m'interpelle. Un strip-poker, sérieusement ? J'ai l'impression de me trouver face à Maxwell Carter, tant la proposition est subtile. Pourtant, j'ai envie de me prêter au jeu. Ce n'est pas tant pour ce sur quoi ça pourrait déboucher mais plutôt pour éprouver les limites de Blaze. Est-ce que je lui plais pour de vrai ou n'est-ce encore là qu'un jeu ? Pour m'en assurer, je lui propose d'oublier le poker et de passer directement au strip. Pour appuyer mes propos, je commence à défaire le nœud de ma cravate en observant le Serdaigle. Le rouge lui est monté aux joues et, pour une fois, il arrive à la fermer plus d'une minute. Le signe qu'il n'est pas aussi tête brûlée que je le pensais ? Je le crois prêt à abandonner mais, enfin, du son sort à nouveau de sa bouche. Un consentement formulé de façon un peu pourrie si vous voulez mon avis. D'ailleurs, j'arrête mon geste et le regarde fixement. Il ne croit quand même pas que je vais me déshabiller et le laisser regarder sans participer ? Finalement il semble se ressaisir et me propose un deal : cravate contre cravate. Le jeu, toujours le jeu et la certitude que je puisse lui plaire vraiment s'envole. Je ne dirais pas que je suis déçue. Impossible de l'être lorsqu'on se ferme à toute émotion. C'est Misha qui a implanté cette idée dans mon esprit après tout, pas moi. Je le regarde défaire d'un geste rapide le nœud de sa cravate bronze et bleue pour la jeter au centre de la nappe. Pressé, le garçon. Contrairement à lui, je prends tout mon temps et termine à peine de dénouer la mienne lorsqu'il me demande si je suis capable de passer à la chemise. Il n'a vraiment pas froid aux yeux. J'ôte ma cravate de mon cou et fais mine de la déposer avec celle de Blaze. « La prochaine fois, peut-être. » Lui dis-je en plongeant mon regard dans le sien. Au lieu de laisser tomber ma cravate, je m'empare rapidement de la sienne et me lève avec empressement. Sans doute accaparé par l'enjeu de notre affaire, il n'a pas remarqué ma lenteur et mon calme trop présent pour une occasion pareille. Pour être honnête, je n'ai pas planifié cette action. C'est quand j'ai compris que Blaze prenait encore ça comme un jeu d'enfant que tout s'est déclenché. « Je crois que dans la troisième manche, il sera aussi question d'une cravate ! » Je lui lance d'une voix forte par dessus mon épaule. J'attrape au vol ma besace et file en direction de la porte, très satisfaite de ma petite blague. J'en connais un qui va devoir passer la fin de semaine avec un uniforme incomplet.