S’il y avait une faculté qui rendait bien service dans ce château à la nouvelle professeur de Défenses Contre les Forces du Mal, c’était de toujours tomber au moment le plus opportun. C’était à croire qu’elle avait un don pour tomber pile au moment où les adolescents du château faisait une idiotie. Bon, ils en faisaient beaucoup aussi, ce qui laissait peu de possibilités à Askja de ne pas tomber dessus. Mais c’était à croire que c’était toujours à elle de tomber dessus, car les fois où c’était un autre professeur qu’elle semblaient rares. Alors soit la majorité des professeurs de ce foutu château était aveugle, soit elle laissait cette besogne à la nouvelle arrivée. Ce qui n’était pas pour plaire à la suédoise. Elle avait des choses bien plus importantes à faire que de flanquer des punitions aux différents ahuris qui peuplaient l’école. Mais il fallait bien mettre un peu d’ordre et de discipline dans cet école, alors Askja s’était appliquée à ne rien laisser passer, du moins, selon son propre barème de justice.

Conformément à son tempérament, Askja n’arborait aucune routine journalière. Elle pratiquait souvent les mêmes activités, mais jamais au même moment afin d’éviter que l’on puisse observer ses déplacements et son emploi du temps. C’était un réflexe de son précédent emploi, ne jamais laisser la possibilité à l’ennemi d’avoir un emploi du temps défini. Bon, l’horaire des cours qu’elle dispensait à Poudlard ne lui laissait pas le loisir de faire ce qu’elle voulait, c’était la seule routine qu’elle s’autorisait vraiment. Elle n’avait pas le choix, de toute façon, mais elle aimait à se dire que c’était elle qui décidait. Bonjour mauvaise foi.

De quelques coups de baguette, Thorstein avait remis en ordre sa classe et puis elle s’était enfermée dans son bureau pour corriger les devoirs qu’elle avait reçu. Rien de transcendant, que de l’attendu. C’était pas bien compliqué de farfouiller dans un manuel, donc il n’y avait rien qui puisse véritablement enchanter la nordique. Elle termina bien vite la pile de parchemins, d’humeur ennuyée. Elle allait aller faire quelques exercices physiques pour se remettre d’humeur. Elle ferma la port de son bureau avec divers enchantements complexes, traversa sa salle de classe et sortit. En voulant refermer la porte, elle le vit alors.

Un élève de quatrième année, qui, s’il n’avait pas passé son premier test avec brio, avait toutefois le mérite d’avoir un dossier des plus excellents et il ne lui avait pas fallu longtemps pour montrer l’étendue de ses talents à Thorstein. Il allait sans dire que le jeune homme faisait désormais partie de sa liste des recrues pleine de ressources et de potentiel.

La blonde n’eut pas besoin de savoir ce qu’il faisait avec précision pour être certaine qu’il préparait un mauvais coup à son voisin de bureau, Wayde Bradford.


« Bonjour Monsieur Mansfield. » avait-elle dit d’une voix assez forte pour qu’il l’entende.


Que ce soit par surprise ou par déconcentration, le jeune homme fit échapper la feuille qu’il s’apprêtait à glisser sous la porte du conseiller d’orientation. Celle-ci ne mit que quelques secondes avant de se plier pour se transformer en grue et voleter dans le couloir. C’était de la belle magie. Une prouesse magique de plus pour ce jeune homme déjà brillant pour son âge.


« J’imagine que notre conseiller d’orientation manquait de parchemins ? » avait-elle dit, un sourcil levé, en fermant la porte de sa classe. « Ou est-il simplement un fana des origamis ? »


Elle se dirigea vers Blaze, observant la grue de papier toujours occupée à voleter dans les airs. Elle croisa les bras sur sa poitrine, plongeant ses yeux de glace sur son élève.


« Et donc ? »

Au bon moment, au bon endroit. Décidément, ce rôle était vraiment fait pour elle. Le couloir était vide, elle n’aurait pas pu le rater. Accroupi devant la porte de son voisin, une pile de feuilles en main. Elle l’avait salué au travers du couloir, la surprise d’être pris la main dans le sac l’avait fait se relever d’un bond, laissant échapper une feuille qui s’était d’abord posée sur le sol avant de se plier toute seule et de s’envoler en tous sens. C’était bien joué, pour un élève de quatrième année. Assez impressionnant si on enlevait la situation dans laquelle se trouvait le jeune homme à présent. En quelques enjambées, Askja se dirigea vers lui pour le rejoindre. Elle n’allait quand même pas gueuler dans le couloir qu’il était en train de faire un mauvais coup, elle voulait avoir son explication.

La clémence n’était pas le genre de la maison, pourtant. La suédoise n’aimait pas le blabla et les justifications. Mais il était l’un des rares élèves qu’elle appréciait d’avoir face à elle en classe, il était loin d’être con, même plutôt brillant. Il était poli, presque trop pour que cela soit vrai. Et elle s’en fichait bien, tant qu’il ne lui manquait pas de respect. Et en plus de ça, s’il préparait vraiment une mauvaise blague, c’était à un voisin qu’elle n’appréciait pas particulièrement, et c’était assez faible comme mots.

Arrivant à son niveau, elle avait croisé les bras et fixé le jeune homme dans les yeux. Il était évident qu’elle attendait une explication avant de prendre la moindre décision sur ce qu’il convenait de faire ou non. Après tout, ils n’étaient que deux dans ce couloir, il n’était pas exclu qu’elle retourne à ses occupations sans empêcher le garçon de continuer.

La première explication fit lever un sourcil à la blonde. C’était du bullshit, sans aucun doute.


« Monsieur Mansfield, cela doit êtrrre une sacrrré longue lettrrre pour nécessiter autant de parrrchemins. Ou peut-êtrrre êtes-vous devenu le hibou de l’école, charrrgé de la distrrribution du courrrrier ? Ce qui voudrrrait dirrre que vous êtes sacrrrément en rrretarrrd, le courrrrier est donné le matin, norrrmalement. »


Qui a dit que la Thorstein n’avait aucun humour ? Bon, elle gardait toujours son visage habituel, bien qu’un petit rictus avait étiré ses lèvres. Il était assez malin pour comprendre qu’elle ne croyait pas un mot de tout ça. Puis vint sa deuxième explication, d’un ton malicieux qui ne surpris pas la nordique.


« Oh, je ne doute pas que vous vous posiez des questions sur votrrre avenirrr. »


Mais sans doute plus sur son avenir très proche de s’être fait pincé que sur son avenir professionnel. Sa dernière explication fit remonter un souvenir pas si lointain dans la tête de l’enseignante.


« C’est assez drrrôle que vous utilisiez l’orrrigami, c’est trrrès peu courrrant. C’est trrrop élevé pourrr la pluparrrt des ignarrres de ce château. »


Askja pencha très légèrement la tête sur le côté, ne quittant pas des yeux son élève.


« J’ai, parrr ailleurrrs, rrreçu une lettrrre de ce type il n’y a pas si longtemps. Non signée. »


Faire des liens, c’était la marque de fabrique de la Tireuse de Baguette d’Elite. Elle n’avait pas le choix, il y avait trop d’informations à recouper. Elle appuya un peu plus son regard sur le jeune homme, il comprendrait sans aucun mal là où elle voulait en venir. Elle n’était pas dupe, lui non plus, ils pourraient s’éviter une discussion inutile. Elle savait très bien que le test d’arrivée n’était pas bien passé du tout, et elle n’avait pas imaginé que l’un d’eux aurait assez de cran pour lui envoyer ce genre de courrier. Sans signature, mais c’était compréhensible. Quel genre de débile signerait son méfait ?


« Et si me disiez ce que vous faites vrrraiment ici, Monsieur Mansfield ? Que nous puissions chacun rrretourrrner vaquer à nos occupations ? »

Il y avait eu un brin d’humour autant que d’ironie dans la réplique que Askja donna à Blaze. Elle n’était pas idiote, il ne l’était pas non plus, ils le savaient tous les deux, il n’y avait donc pas lieu de tourner autour du pot pendant des heures. Mais l’enseignante tout fraichement arrivée était intriguée par ce que le jeune Serdaigle pouvait bien faire dans ce couloir au pied de la porte du prétendu conseiller d’orientation. Qu’avait pu faire Bradford qui ne déplaise à un élève comme Blaze ? Le lien entre eux n’était pas clair du tout aux yeux de la nordique, et elle s’en fichait bien en fait. Mais si son cher et tendre voisin avait contrarié l’un de ses élèves favoris, il méritait bien que celui-ci s’occupe de son cas.

S’en était suivi un petit commentaire sur les ignares du château concernant l’enchantement du papier. Ils savaient déjà à peine s’ils étaient droitier ou gaucher, alors enchanter du papier, ce n’était pas à la portée de tout le monde. Tout à son observation de la grue qui voletait en tous sens dans le couloir, il n’avait pas fallu longtemps à Thorstein pour qu’un souvenir remonte à la surface. Elle s’en souvenait bien, très bien même. Elle avait reçu une enveloppe lorsqu’elle prenait son déjeuner, un matin. Elle l’avait emportée avec elle avec un café noir dans son bureau et elle avait ouvert avec son doigt, comme à son habitude. Une centaine de petites grues de papiers en étaient sorties, la surprenant, et voletant dans tout son bureau. Il ne lui avait fallu que le temps de se ressaisir pour donner un coup de baguette et nettoyer ce bazar. Elle avait également trouvé le petit mot au fond, la remerciant pour son joli cadeau de l’entretien, lors de son premier jour à l’école. L’histoire était ancienne maintenant, elle n’avait pas pu trouver le coupable sur le coup et elle avait lâché l’affaire rapidement. Après tout, elle s’en fichait bien. Tout comme elle se fichait des bruits de couloir sur son compte. L’avis des autres, ça lui passerait grandement au-dessus.

A l’annonce de sa bonne réception d’une lettre du même genre, le jeune homme avait pali, et elle fut absolument certaine alors qu’elle détenait devant lui l’auteur du message. Bien, l’affaire était résolue. Elle ajouta rancunier sur la liste des traits de caractère du jeune homme. Mais depuis cette histoire, de l’eau avait coulé sous les ponts. Il avait su se distinguer plus d’une fois et lui montrer qu’il avait juste fait une erreur de parcours.

Elle lui demanda ce qu’il faisait ici, histoire qu’ils arrêtent de perdre leur temps tous les deux. Elle avait d’autres choses à faire que de rester ici à voir des grues voler. Et l’explication du jeune homme arriva enfin. Bon, elle n’était pas claire et limpide, elle était plutôt enrobée de fanfreluches, mais le message derrière était plutôt clair. La suédoise arqua une nouvelle fois un sourcil.


« Je ne savais pas que vous étiez également un experrrt en sécurrrité, Monsieur Mansfield. »


Il fut de nouveau tout sourire, tout à son innocence. Ne jamais se fier aux apparences, c’est toujours l’innocent de service la pire crapule. Il fallait donc garder un œil sur ce jeune homme, comme elle gardait un œil sur tous, de toute façon.


« Mais qui pourrrrrait vouloirrr du mal à notre cherrr conseiller d’orrrientation en le piégeant ? »


Elle ne retint pas le petit sourire sur ses lèvres. Elle avait la réponse, parce qu’elle était la première sur la liste. C’était puéril certes, mais si ça pouvait l’emmerder un peu ce con, c’était pas cher payé. Alors, elle ajouta quelque chose.


« Si quelqu’un voulait, parrr hasarrrd, fairrre passer une quantité cerrrtaine de papier enchanté sous une porrrte, je lui conseillerrrai de se tenirrr loin de la porrrte et d’utiliser un sorrrtilège pour que ça aille plus vite. Il y a tant de prrrofesseurrrs dans ces couloirrrs, ce serrrait malheurrreux qu’ils se méprrrennent surrr vos intentions et vous punissent. »


Elle ne comptait pas le faire à sa place, mais rien n’empêchait qu’elle lui donne une piste ou l’autre pour ne pas se faire pincer, après tout. Le bruit dans le bureau commençait à se faire entendre distinctement. Elle porte un regard sur la porte, intriguée par ce qui pouvait bien se passer derrière.


« Il vaudrrrait ne pas trrrainer. »

Elle ne lui avait pas donné la solution à proprement parlé, en soi, cela pouvait être des paroles en l’air, rien de plus. Mais il n’en était rien. Thorstein venait de donner une piste au jeune homme qui jouait elle ne savait quel tour à Bradford. Elle ne pouvait pas le faire à sa place, elle ne faisait pas la basse besogne à la place d’un élève, mais rien ne l’interdisait de l’aiguiller, techniquement. Bon, normalement, en sa qualité de professeur, elle aurait du le punir ou au moins lui demander de dégager et prévenir le conseiller d’orientation de la présence d’un éventuel intrus au pied de sa porte. Pas de chance, elle avait du mal à encadrer celui-ci et elle ne comptait pas se mêler de ses affaires et empêcher une farce. Déjà, parce qu’elle trouvait que la farce était des moins communes et que dans le fond, c’était drôle – tant que ça ne la concernait pas, bien sûr – et aussi parce qu’elle n’en avait rien à foutre qu’il revienne dans son bureau et que ce soit le bordel à l’intérieur. Et au vu des bruits qu’elle entendait au travers de la porte, il devait y en avoir assez bien, du bordel. Mieux valait faire vite et puis se tirer. Enfin, quand on était un élève.

Le jeune homme avait bégayé, mais il s’était vite repris et la réplique suivante n’étonna guère la nordique. Il était opportuniste et culotté, mais ça lui plaisait. Il tirait tout ce qu’il pouvait de chaque situation et il avait complètement raison. Néanmoins, Askja aimait ceux qui se donnait le gout de l’effort et elle était loin d’être du genre à faire à la place de.


« Vous en connaissez autant que moi Monsieur Mansfield. Rrréfléchissez, et faites vite. »


Elle lui fit un regard appuyé. Il devait avoir appris plus d’un sortilège à son âge capable de soulever du papier ou de le repousser avec sa baguette. Qu’il fasse fonctionné son cerveau, il trouverait sans aucun doute. En attendant, elle avait d’autres choses à faire pour le moment.

Ce qu’il lui dit ensuite l’intéressa énormément. Auror donc ? Cela expliquait pourquoi il avait été aussi vif à comprendre ses intentions lorsqu’ils s’étaient rencontrés, la première fois. Et pourquoi il avait pu paré et retenir les coups de la sauvageonne. Ils se ressemblaient bien plus qu’il n’y paraissait en fait. Quelle horreur !

Elle aurait du le voir venir, en fait. Elle s’en voulait un peu de ne pas avoir deviner plus tôt. Mais maintenant, le mystère était résolu, grâce à Blaze. Ca lui donnait une longueur d’avance sur le propriétaire du futur bureau saccagé ou pas loin de l’être.


« Bonne chance, Monsieur Mansfield. »


Et sur ces derniers mots, elle tourna les talons. Arrivé au bout du couloir, elle donna un léger mouvement de baguette, presque imperceptible, faisant s’envoler les dernières feuilles sous la porte du conseiller d’orientation. C’était sa forme de remerciement pour une information ô combien précieuse. Mais ça, elle se garderait bien de le dire. Elle jeta un coup d’œil furtif vers Blaze avant de tourner à l’angle du couloir, un sourire en coin sur les lèvres.