ft. @N. Aisling Shepherd & Cameron Brown

Un soupir s’échappa des lèvres de Cameron alors qu’il posait péniblement son menton dans sa main, fixant d’un air absent les immenses fenêtres de la salle commune derrière lesquelles la nuit était déjà tombée. Tout avait pourtant très bien commencé, jusqu’à ce que Mallory finisse par ramasser ses partitions d’un geste brouillon et plaque un baiser sur sa joue. Elle n’était pas au mieux de sa force, ce soir, ce qui ne pouvait que laisser derrière elle un voile d’inquiétude qui ne le lâchait pas. Elle n’était pas à l’agonie, évidemment, sinon il ne l’aurait jamais laissée monter se coucher sans passer d’abord par l’infirmerie, mais cela n’empêchait rien. Et ces escaliers débiles qui l’empêchaient de rester à ses côtés dans ces cas-là…! Comme s’il en avait quelque chose à faire des pauvres filles de son dortoir ! Comme si, rien qu’une seconde, elles pouvaient faire le poids face à sa jumelle ! Mais non… Rien à faire… Il fallait attendre demain matin en croisant les doigts pour que le mal ne se soit pas amplifié et qu’elle soit fraîchement reposée ! Il soupira à nouveau et reposa les yeux sur les feuilles de magazines en tout genre qui s’étendaient sur la table, à côté de son agenda ouvert où il avait bêtement commencé un collage avant que le couperet ne tombe et que la présence rassurante de sa soeur ne soit plus qu’un lointain souvenir… Le 23 Novembre qui étalait péniblement son lot de devoirs se retrouvait désormais à moitié caché par quelques nuages découpés dans une publicité moldue. Il lui semblait un peu qu’une vie toute entière s’était écoulée depuis ce premier jour nu de son agenda. Avec tout ce qui s’était passé le mois suivant, puis les vacances, c’était comme regarder des photos oubliées depuis une éternité en réalisant que ça ne faisait finalement pas si longtemps que ça…

— Hey, salut !

Le Serdaigle sursauta et posa les yeux sur sa camarade. Aisling Shepherd se tenait là, à quelques pas de lui, le plus normalement du monde. Ils n’avaient jamais été amis, tous les deux, ils avaient seulement passé un après-midi un peu pourri à décorer des gâteaux au nom d’une cohésion qui n’existait pas… Et puis, c’était la cousine de Shepherd Jaune, ce qui lui donnait d’office une aura douteuse.

— Ça va ?… Ça te dérange si je m’installe en face de toi ?

Il lui jeta un regard légèrement suspicieux avant de hausser les épaules en ramenant les feuilles éparpillées vers lui pour lui faire un maximum de place. Il ne savait pas vraiment ce qu’elle pouvait bien lui vouloir, il y avait plein d’autres places dans la salle commune, mais n’avait pas vraiment de raison de refuser. Au pire, si elle était juste là pour chercher quelques histoires à raconter à sa cousine dans le but de lui offrir matière à le tailler, elle risquait d’être déçue… C’était dingue, n’empêche, comment le monde paraissait mal intentionné, de base, juste parce qu’il traînait avec cette abrutie finie… Comme Roxy… Pourtant, elle était géniale, cette fille, il le pensait sincèrement, mais alors son entourage…! Qui pouvait supporter Jade Shepherd, sérieusement ?! C’était un signe d’une santé mentale inquiétante !

— Non, c’bon, vas-y, répondit-il simplement alors qu’il terminait le rangement tout relatif de la table qu’il occupait. Y’a un problème ou…?

Il lui semblait presque logique qu’elle ne serait pas venue s’installer ici en particulier si elle n’avait pas la moindre raison de le faire… et il n’en voyait pas des masses. En cinq années ici, il ne se souvenait pas qu’elle s’était déjà rapprochée de lui de son plein gré rien qu’une fois… Mais comme quoi… Cette année était vraiment bizarre.

ft. @N. Aisling Shepherd & Cameron Brown

Pourquoi Aisling Shepherd s’était décidé, ce soir, à partager un morceau de son existence avec lui ? Il n’en avait pas la moindre idée… Pourtant, force était de constater qu’elle était bien là. Ça n’avait aucun sens. La salle commune n’était pas totalement déserte mais pas franchement pleine non plus, on pouvait trouver de la place n’importe où ailleurs mais non, elle avait choisi cette place-ci en particulier… ce qui laissait le pauvre Cameron largement dubitatif. Que ça soit un coup de Jade ne l’aurait pas étonné mais, là encore, il ne voyait pas franchement ce qu’elle aurait pu en tirer. Tous ceux qui avaient le malheur de l’approcher de près ou de loin prenait à ses yeux des airs de pestiférés, qu’importe que ça soit justifié ou non. Cette fille, c’était la réincarnation du diable, littéralement ! Il ne comprenait même pas comment Poudlard pouvait accepter de la garder en son sein… Sa camarade finit par tirer la chaise autrefois occupée par Mallory et s’installa, un faible sourire aux lèvres. Il ne prit pas la peine de le lui rendre, attendant d’abord de voir ce qu’elle pouvait bien lui vouloir. Il était prêt à jouer les adolescents un peu naïfs mais il ne l’était pas assez pour imaginer que cette fille sortie de nulle part s’installait ici dans le seul et unique but de faire sa connaissance. En cinq ans, elle aurait largement eu le temps de le faire avant… Ou au moins de saisir l’occasion offerte par leur session pâtisserie du début de l’année pour cela… Mais elle n’en avait rien fait, ce qui rendait tout ça d’autant plus louche.

— Merci !

Un bref hochement de tête lui servit de réponse alors que, face à lui, Aisling bafouillait quelque chose qu’il ne comprit pas et lâchait un soupir qui n’arrangea rien. Qu’elle vienne le trouver était déjà surprenant mais qu’elle vienne le trouver pour ensuite avoir presque l’air dérangé d’être là, c’était trop pour lui. Il feignit de n’avoir rien remarqué et attendit plus ou moins patiemment qu’elle daigne enfin l’éclairer…

— Tu vas me trouver débile, admit-elle en baissant la tête. La politesse aurait sûrement voulu qu’il s’empresse de la rassurer mais il la croyait volontiers et ne se sentait pas assez en confiance pour faire le moindre geste dans sa direction. Il se contenta alors de la fixer sans un mot en attendant qu’elle reprenne. En fait, je ne voulais pas être seule… Je sais, c’est stupide.

Un haussement d’épaules lui échappa simplement. Non, ça n’était pas stupide, ça pouvait même se comprendre sans trop de mal en soi mais… Mais pourquoi lui ? Elle n’avait pas des copines, cette fille ? Elle était obligée d’aller gratter l’amitié auprès du premier venu ? Qu’elle s’intéresse à des gens comme Bradford, puisqu’il semblait presque évident que l’école toute entière n’aimait que lui, à la limite, mais qu’elle vienne pleurnicher à ses côtés le dépassait totalement. On ne pouvait pas dire qu’il faisait partie des garçons populaires de Poudlard, ni même qu’il croulait sous les demandes d’amitié en tout genre… Moins on l’approchait, mieux on se portait… ou quelque chose comme ça… La blonde posa ses affaires sur la table dans un geste plus brusque qu’il ne l’aurait dû, faisant teinter le verre contre la table. Le regard clair de Cameron ne rencontrait rien d’autre que la fuite du sien, ce qui donnait à cette entrevue un goût douteux. C’était la cousine de Shepherd, point. Elle jouait un jeu bizarre dont il ne connaissait aucune règle et, dans le fond, il était persuadé qu’il n’allait pas apprécier. La logique aurait voulu qu’il lui souhaite une bonne nuit et monte se coucher à son tour mais la curiosité le poussait à rester là. Quoi qu’il lui veuille réellement, il voulait savoir.

— Et puis, tu es un de rares à ne pas m’être tombé dessus après que j’ai eu lâché un article dans l’école donc bon, rajouta-t-elle, les joues plus roses qu’elles ne l’avaient été jusque là.

Il ouvrit bêtement la bouche pour reconnaître qu’il ne se souvenait même plus de l’article en question, et qu’il devait sûrement avoir mieux à faire au moment où elle l’avait sorti que d’en vouloir à n’importe qui pour n’importe quoi mais elle risquait de prendre la mouche et de voir l’intérêt potentiel qu’il pouvait lui porter s’envoler en fumée. Alors il haussa à nouveau les épaules.

— T’fais c’qu’tu veux, j’vois pas pourquoi j’te serais tombé d’ssus…

À sa connaissance, sa soeur n’avait pas dû réagir non plus. Pourtant, elle n’était pas venue les trouver tous les deux… Ce qui était d’autant plus gênant que Mallory avait passé un peu plus d’un an dans le même dortoir qu’elle quand lui n’avait pas le souvenir de lui avoir adressé la parole rien qu’une fois avant qu’ils soient coincés derrière un cupcake à décorer…

— Je ne te dérange pas en train d’étudier, j’espère ?!

L’adolescent reposa les yeux sur son agenda ouvert devant lui et sur les pages de magazines à moitié découpées qui s’étalaient en dessous. Il referma d’un geste sec le carnet aux pages gondolées par la colle et secoua vaguement la tête avant de reporter son attention sur la jeune femme.

— Non, t’inquiète.

Il n’avait pas pris la peine de regarder s’il y avait des devoirs à faire pour les jours à venir, ni même ouvert un bouquin pour préparer les contrôles qui l’attendaient la semaine suivante. Il s’en occuperait, comme souvent, au dernier moment et rendrait des torchons désespérants qui ne lui vaudraient pas grand chose de bon mais il n’y portait toujours pas grande importance. Il ne s’attarda néanmoins pas davantage sur son occupation. Il n’avait pas honte de remplir son agenda de collage en tout genre, il le faisait depuis qu’il avait commencé l’école, des années plus tôt, mais s’il pouvait éviter un regard condescendant ou un sourire moqueur, ça n’était pas plus mal.

— T’comptais faire quoi ? demanda-il en désignant d’un regard appuyé les affaires qu’elle avait posées sur la table.

Il supposait qu’elle n’avait pas l’intention d’étudier non plus, sinon elle ne serait pas venue là pour faire la conversation… Mais ça ne répondait pas pour autant à sa question…

ft. @N. Aisling Shepherd & Cameron Brown

C’était difficile pour l’adolescent de comprendre exactement ce qu’il se tramait sous ses yeux. Pourquoi cette fille voulait absolument s’installer là plutôt qu’ailleurs ? Et pourquoi s’obstinait-elle à tenter de faire la conversation ? Il n’avait rien contre elle, il ne la connaissait pas particulièrement mais on ne pouvait pas dire que sa réputation était merveilleuse. Pourtant, il aurait dû n’en avoir que faire, pas même y porter le moindre intérêt… N’était-il pas le mieux placé pour savoir que les gens racontaient n’importe quoi et vous collaient dans le dos des étiquettes impossibles à défaire quand bien même elles n’avaient aucun sens ? Sa soeur et lui avaient été traînés dans la boue un moment, que ça soit ici ou à l’école moldue, seulement parce que leurs réactions détonaient un peu avec les leurs. C’était tellement plus simple de cracher sur quelqu’un qu’on ne comprenait pas plutôt que de faire le moindre effort ! Mais là… C’était la cousine de Shepherd et il était difficile de fermer les yeux sur ce point. Les articles qu’elle écrivait n’avaient aucune importance et sa réputation de fouineuse ne lui faisait ni chaud ni froid… Mais elle faisait partie de la famille de Satan et il n’était pas impossible que celle-ci ait fini par déteindre sur elle. Ou qu’elles soient tellement proches qu’elle jouait les indics… Après, il l’avait pensé avec Roxy alors qu’elle n’était rien d’autre qu’une chouette fille qui méritait plus de sympathie que de méfiance… La jeune femme finit par poser les yeux sur lui, un sourire gêné étirant discrètement ses lèvres.

— Y’en a qui se gênent pas !

Cameron haussa machinalement les épaules en l’entendant. Y’en avait qui se gênaient jamais, en même temps ! Si elle commençait à se prendre la tête avec ce que pensaient les gens, elle, elle n’était pas sortie ! Ce qui était finalement assez pathétique comme raisonnement quand on savait que lui-même y accordait bien plus d’importance qu’il ne l’aurait jamais dû… Le jugement de Sherwin le blessait quand bien même il savait qu’elle n’était qu’une connasse, l’humiliation de Shepherd Jaune avait laissé plus de traces qu’il ne l’aurait supposé… C’était difficile, pour ne pas dire impossible, de rester stoïque face au monde hostile qui se dressait parfois sur son chemin sans qu’il ne parvienne toujours à savoir pourquoi.

— C’est qu’des bouffons, c’tout, grommela-t-il doucement alors que ses lèvres se fendaient de l’esquisse d’un sourire compatissant.

Bien sûr, il n’était pas certain qu’il n’irait pas la trouver si elle se mettait à casser du sucre sur le dos de sa soeur mais ça n’était pas parce qu’elle balançait quelques conneries sur un morceau de parchemins qu’il fallait la prendre en grippe. Il lui semblait qu’il y avait plus important que ça dans cette école… Surtout ces dernières années… Se battre contre des psychopathes qui essayaient de tuer tout le monde avait plus de sens que de partir en guerre contre Aisling et ses carnets… Mais après, ça n’était que son avis.

— A la base, je voulais écrire un article. Même si je doute que beaucoup de personnes ait lu le dernier, je m’en fiche…. Mais l’inspiration ne vient pas alors… Je voulais juste boire un chocolat chaud et remonter.

Le Serdaigle fronça légèrement les sourcils à la mention du chocolat chaud qu’il ne voyait nulle part. Visiblement, elle avait changé de plan en cours de route…? À moins qu’elle ait demandé à quelqu’un d’aller lui en chercher un et qu’elle l’attendait ? Il n’en savait rien… Il s’en fichait peut-être un peu, aussi. Néanmoins, sa camarade reprit rapidement :

— Mais comme tu es là, je me suis dit qu’on pourrait… Discuter ? Même dans ma propre maison, on ne peut pas dire que j’ai beaucoup d’amis…
— On est deux.

Il n’y avait pas la moindre honte dans la voix de Cameron, il se contentait d’énoncer un fait. Il n’avait pas beaucoup d’amis. Ni dans cette maison ni dans aucune autre. Oh, bien sûr, ça commençait à aller mieux et il était presque sûr de pouvoir compter Skyler et Casey parmi ses amies mais c’était sûrement à peu près tout. Il appréciait sincèrement Roxy mais n’était pas certain que ça aille jusqu’à de l’amitié et Ollie lui semblait moins accessible depuis sa promotion… De toute façon, avoir une petite cour n’aurait rien changé, il lui semblait avoir ce dont il avait besoin, comme si les quelques personnes dont il s’était rapproché jusque là suffisait à combler le manque qu’il avait ressenti ces derniers mois. Alors peut-être qu’il n’avait pas beaucoup d’amis, peut-être qu’aux yeux du monde il n’en avait pas assez ou que c’était louche mais lui ne le vivait visiblement pas si mal que ça.

— Mais ok. Va pour taper la discut’, accepta-t-il alors qu’il s’avachissait légèrement sur la table, les jambes mollement repliées sous sa chaise. Alors, du coup, t’es v’nue parler d’quoi ?

Parce qu’on ne choisissait pas un gars au hasard dans l’espoir de parler de la pluie et du beau temps, si…? Peut-être que si… Mais ça, en tout cas, ce serait vraiment louche. Bien plus qu’avoir un cercle affreusement restreint…